Présentation de l’éditeur :
Un jour, en revenant de Quimper, Jules Guérec renverse un petit garçon et le tue ; il s’enfuit, paniqué. L’essentiel pour lui est de cacher l’accident à ses deux sœurs, les « demoiselles de Concarneau ».

Mon avis :
Ceci est un roman de Simenon, mais pas une enquête du commissaire Maigret : Simenon était un auteur très prolifique, et nombres de ses romans inspirent encore les cinéastes de nos jours.
Le lecteur sait dès le début qui est le coupable et qui est la victime. d’un côté, Jules, qui revient de Quimper où il a un peu trop traîné et surtout, trop dépensé (il va y voir des petites femmes, douces comme celles de Paris). Il se demande comment il expliquera les cinquante francs manquants à sa soeur Céline, qui tient les comptes avec beaucoup de compétence et de lucidité – si vous préférez « avarice », cela fonctionne aussi. De l’autre, nous avons un gamin qui revient de l’école, enfant naturel d’une toute jeune fille-mère, comme on disait à l’époque. Elle travaillait à la conserverie, qui a fermé (déjà, la crise, à l’époque). Elle a un frère un peu simple d’esprit, sur lequel elle veille, en plus de ses jumeaux. A Concarneau, tout le monde se connaît, ou presque.
Jules, qui était encore un conducteur novice, est face à deux dilemmes : cacher ce qu’il a fait à ses sœurs, surtout à Céline, si perspicace, si observatrice, et apaiser sa conscience face à la mort du petit garçon. La première tâche sera beaucoup plus difficile que la seconde, tant les sœurs ont imposé leurs règles de vie. Avoir des secrets, un peu d’intimité est impossible. Sur les trois sœurs, seule Marthe, la seconde, est mariée, et comme le veut la tradition, sa fille se prénomme Françoise, comme la soeur aînée, et si elle devait avoir une seconde fille, elle se nommerait sans doute Julie, version féminisée du prénom de son frère. Françoise et Céline ne sont pas seulement les sœurs, ce sont aussi les bateaux que possèdent les Guérec. Seule Marthe, celle qui a quitté la boutique et la maison au rythme de vie si étouffant n’a pas eu droit à un bateau à son nom. Mise à l’écart (bien involontairement) du clan Guérec, elle est la seule à avoir pu se construire une vie en dehors du cercle de famille.
Jules pourrait, lui aussi, s’il n’était pas si lâche, s’il n’aimait le petit confort douillet que lui procure ses sœurs. Céline le pense, et le lui dira : pourrait-il vive avec une femme qui ne prend pas soin de lui constamment, comme elle le fait ? Supporterait-il de ne pas avoir un déjeuner abondant, au retour de la pêche, voire même que ses chaussons ne soient pas soigneusement chauffés ? Guérec n’est pas sans me rappeler Joseph, le héros de Maigret chez les flamands. Adulé par ses sœurs, velléitaire, il a pourtant fait un enfant à une petite ouvrière qu’il est hors de question qu’il épouse. Il est arrivé la même « aventure » à Jules, mais lui a eu plus de chance (je précise, pour ceux qui auraient des doutes, que je cite les sœurs de Jules) : l’enfant était mort-né. Pour Jules, qui n’a jamais eu une décision à prendre de sa vie sans avoir à obtenir l’approbation de ses soeurs, cet accident est presque la grande aventure de sa vie. Pour lui, tout fut aisé, facile, il a toujours eu beaucoup de chance.
A Concarneau, ce sont deux mondes qui s’opposent, le sien et celui de Marie, qui n’a jamais eu de chance. Devenue ouvrière par nécessité à la mort de ses parents, elle est devenue mère de jumeaux à seize ans, tout en ayant la charge de son frère. Pas de jouets, pas de chocolat, pas de tendresse pour ses enfants. Pas de joie non plus, ce que Guérec appelle son inaptitude au bonheur, et presque une incapacité à ressentir des émotions, une résignation. Parce qu’elle a trop souffert dans sa vie ? Elle ne va plus à la messe, contrairement aux Guérec : la religion n’est pas pour les ouvriers. Pas d’introspection non plus, tout juste quelques questions sur les causes des visites régulières de Jules.
Un autre dénouement que celui de ce roman était-il possible ? Non. La révolution n’aura pas lieu, le poids des habitudes, du regard des autres aussi, est toujours là. Et si changement il y a, il n’est pas celui qu’attendait Guérec.
