Archive | février 2021

Dragons et mécanismes d’Adrien Tomas

édition Rageot – 640 pages

Présentation de l’éditeur :

Dague est voleur et espion. Il vit de cambriolages et de petits larcins. Alors qu’il est en mission de surveillance, il assiste à l’agression de Mira, une étrangère qui a fui son pays suite à un coup d’Etat. L’adolescente est archiduchesse, poursuivie par un tyran qui veut l’épouser et s’accaparer ses talents. Car elle fait partie des mécanomages, des sorciers capables de combiner leurs pouvoirs à de savants montages d’ingéniérie mécanique. En sauvant Mira, Dague est blessé, et les deux jeunes gens sont d’abord contraints de se cacher. Mais l’aristocrate est déterminée. Pour échapper à son ennemi et – accessoirement – tenter de récupérer le trône d’Asthénocle auquel elle peut prétendre, elle est résolue à s’enfoncer au cœur de la jungle. Un territoire hostile, quasi inexploré, et peuplé de dragons sanguinaires.

Mon avis :

Gagnez un temps précieux, ne lisez pas mon avis, lisez Dragons et mécanismes.
Si ce roman se déroule dans le même univers qu’Engrenages et sortilèges (lu trois fois, autant dire que je maîtrise le sujet), il n’est pas utile de l’avoir lu pour apprécier Dragons et mécanismes.
De quoi parle ce roman ? Il parle de complots, de trahison, de la capacité à s’adapter quelle que soit la situation. Oui, que l’on soit un voleur, un espion ou que l’on soit l’héritière déchue d’un trône, il faut toujours être sur le qui-vive, parce que ce qui vous attend, ce qui vous arrive, n’est pas du tout ce que l’un ou ce que l’autre avait prévu, que ce soit à court ou à long terme. Pour parler en des termes plus littéraires, les rebondissements et les péripéties sont nombreux, et emmènent le lecteur dans une intrigue inattendue. Attention ! Ne confondons pas « s’adapter » et « renoncer à ses principes », ou pour faire court, Mira et Dague chercheront toujours tous les moyens pour combattre Arlov, celui qui a renversé les parents de Mira. D’autres seront amener à les remettre en cause, leurs principes, leur règle, leur loi : faut-il vraiment obéir à son chef si celui-ci ressemble énormément à un tyran ?
Mes personnages préférés ? Kimba et Cuthbert, forcément. L’un comme l’autre ne manient pas la langue de bois et font preuve de beaucoup d’humour. Ni l’un ni l’autre n’ont pris les chemins que l’on attendait d’eux – si tant est que la mère de Cuthbert attendait quoi que ce soit de lui, ou que quiconque ait réussi à influencer Kimba. Etre un fantôme et élever un gosse aussi imprévisible que dague, c’est compliqué. Quant à Cuthbert, c’est un dragon – petit, certes, mais un dragon quand même !
Une citation, pour la route :
– Aucune idée, soupira Shumbi. Pourquoi quiconque voudrait libérer la plus dangereuse créature du monde après des millénaires d’enfermement ? A moins d’être à la recherche d’un suicide particulièrement destructeur et spectaculaire et d’emmener la planète entière dans sa chute…

Je voyage seul de Samuel Bjork

édition Jean-Claude Lattès – 506 pages.

Présentation de l’éditeur :

Elles n’avaient que 6 ans …
En pleine forêt norvégienne, une enfant est retrouvée pendue à un arbre. Sur son dos, un cartable d’écolière; autour de son cou, une pochette d’une compagnie aérienne avec ces mots : « Je voyage seule ».
L’inspecteur Holger Munch, chargé de l’enquête, fait appel à son ancienne coéquipière Mia Kruger, jeune policière de génie. Quand Mia découvre le chiffre 1 inscrit sur un doigt de la victime, la tension monte d’un cran : il y aura d’autres meurtres identiques, assure-t-elle. La suite lui donne raison… Jusqu’où ira le tueur ? Comment arrêter le massacre ? Une enquête terrifiante, qui frappera les deux policiers plus intimement qu’ils ne le croient…

Mon avis :

Je n’avais pas prévu de terminer, ou quasiment terminer, le mois du polar avec ce pavé. Qu’à cela ne tienne ! C’est chose faite, ou plutôt, chose lue et chroniquée. Dire qu’il est des personnes pour être choquée parce que j’ose chroniquer des livres empruntés à la bibliothèque. Pour ceux qui pensent qu’on n’a le droit que de chroniquer des livres que l’on a acheté, la sortie du blog, c’est par ici !

Je n’irai pas jusqu’à dire qu’au début de ce premier roman policier norvégien, beaucoup d’enquêteurs ne vont pas bien mais… si. Mia, d’ailleurs, n’est plus une enquêtrice. La jeune femme, qui a à peine dépassé la trentaine, a planifié son suicide. Ce qui est bien, quand on se suicide, c’est que l’on sait à l’avance quand ses souffrances se termineront. Pour elle, ce sera le 18 avril, leur anniversaire à elle et à Sigrid, sa soeur jumelle, morte d’une surdose de drogue depuis dix ans. Rien n’a plus effacé la douleur de sa mort, et surtout pas le fait d’avoir tué celui qu’elle jugeait responsable de sa mort, son compagnon-junky-dealer. Non, elle n’est pas allée en prison, elle a simplement quitté la police, et son co-équipier Holger Munch a été rétrogradé. Seulement, une nouvelle enquête, glaçante, lui permet de retrouver sa place, et d’imposer Mia –  pour l’acuité de son regard. Elle seule relève des détails que tous les autres enquêteurs ne voient pas. Il n’en fallait pas plus pour que la jeune femme repousse ses projets de mettre fin à ses jours, même si sa soeur lui manque. Empêcher un assassin d’enfants de nuire ne peut pas attendre.

Ce que j’ai aimé ? La solidarité et le professionnalisme des policiers – sauf, peut-être, celui de leur chef, dépassé par les circonstances, découvrant que les enquêteurs font front commun contre lui pour faire avancer l’enquête. Que ce soient Gabriel, le petit nouveau fan de Mia, Annette ou Kim, tous œuvrent pour sauver qui peut encore l’être et ne comptent pas leurs heures. La mort des fillettes est montrée pour ce qu’elle est : un acte criminel et cruel. Comme d’autres romans norvégiens, Je voyage seule montre que la maltraitance des enfants est fréquente, ignorée souvent, quand les services sociaux ne sont pas débordés et/ou blasés. J’ai aimé aussi que les personnes transgenres soient montrés comme des personnes ordinaires – et qui aimeraient bien qu’on les voie ainsi !

Ce que j’ai moins aimé ? J’ai trouvé que le roman comportait des longueurs, notamment avec le personnage du père Simon, de Lukas et de Rakel, qui peinent à se rattacher à l’ensemble de l’intrigue. Oui, ces personnages avaient leur utilité, et montrent, comme dans Délivrance de Jussi Adler-Olsen le poids que les sectes peuvent avoir au Danemark – le poids, et l’invisibilité aussi, personne n’ayant empêché le père Simon de nuire jusqu’à présent, les plaintes ayant été retirées contre argent sonnant et trébuchant.

Un deuxième tome a été traduit en français, un troisième pas encore. J’espère lire le second, et espère la traduction du troisième.

L’enfant étoile de Katrine Engberg

édition Fleuve noir – 416 pages

Présentation de l’éditeur :

En plein centre-ville de Copenhague, une jeune étudiante est retrouvée dans son appartement sauvagement assassinée, le visage marqué par d’étranges entailles. L’inspecteur Jeppe Korner et son équipière Annette Werner, chargés de l’affaire, découvrent rapidement que le passé de la victime contient de lourds secrets. Quant à la propriétaire de l’immeuble et également voisine, Esther, elle est en train d’écrire un roman qui relate dans les moindres détails le déroulement du meurtre.
Simple coïncidence ou plan machiavélique ?
Commence alors pour Jeppe et Annette une plongée au cœur d’une ville dans laquelle les apparences sont mortelles.

Merci à Bepolar et aux éditions Fleuve noir.

Mon avis :

L’enfant étoile est un premier roman, et franchement, cela ne se voit pas, tant l’autrice a su construire un univers riche et cohérent. Je ne saurai dire quel personnage m’a le plus convaincu, alors je commencerai par le duo d’enquêteurs, complémentaires parce que différents. Anette est heureuse en ménage, et n’a pas d’enfants, par choix, Jeppe a sombré dans la dépression après son divorce, le couple qu’il formait avec Thérèse n’a pas résisté au parcours du combattant qu’a constitué pour eux la lutte contre l’infertilité. La bonne humeur de l’une et le spleen de l’autre ne les empêchent pas d’être entièrement mobilisés pour cette enquête tortueuse.
Commettre un meurtre, c’est une chose. S’acharner sur sa victime, s’en est une autre. Dans cet immeuble paisible, familiale même (la propriétaire des lieux, Esther y a grandi), qui a pu commettre un tel crime ? Et pourrait-il recommencer ? Oui, très vite, les enquêteurs penchent pour un « il » à cause de la force physique qui a été nécessaire. Au cours du récit, tout tournera autour de Julie et d’Esther, Julie, parce qu’elle est la victime, Esther, parce que le crime a eu lieu dans son immeuble, parce que cette universitaire à la retraite participe à un atelier d’écriture et tente d’écrire son premier roman policier, mettant en scène un crime quasiment identique à celui qui a eu lieu dans son immeuble, parce que Julie et elle avaient plus de points communs qu’elles ne pensaient.
Oui, dans ce roman, tout tourne autour de la famille et des enfants. Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour votre enfant, pour le protéger, ou au contraire pour protéger votre réputation ? Jusqu’où êtes-vous prêts à aller pour avoir un enfant ? Certains iront très loin, certains agiront mal, dans le sens où ils ont cru bein faire et ont fait pire que mieux – le mieux étant l’ennemi du bien.
Après l’enquête la vie continuera pour Anette, pour Jeppe et pour Esther, survivante de cette enquête. Elle n’a pas l’intention de se laisser abattre, et c’est tant mieux pour elle.

Le bazar du zèbre à pois par Raphaëlle Giordano

Présentation de l’éditeur :

Basile, inventeur, agitateur de neurones au génie décalé, nous embarque dans un univers poético-artistique qui chatouille l’esprit et le sort des chemins étriqués du conformisme. De retour à Mont-Venus, il décide d’ouvrir un commerce du troisième type : une boutique d’objets provocateurs. D’émotions, de sensations, de réflexion. Une boutique « comportementaliste », des créations qui titillent l’imagination, la créativité, et poussent l’esprit à s’éveiller à un mode de pensée plus audacieux ! Le nom de ce lieu pas comme les autres ? Le Bazar du zèbre à pois.

Merci aux éditions Plon et à netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je n’ai jamais lu cette autrice avant de découvrir cette ouvrage. Je ne la connaissais que de nom, connaissais aussi le titre de ses précédents ouvrages mais n’en ai jamais ouvert un, ni même lu les avis sur ceux-ci, paradoxe d’une personne qui rédige des avis et ne lit pas forcément ceux qui concernent des livres qu’elle n’a pas envie de lire dans l’immédiat.
Le bazar du zèbre à pois, c’est le titre du roman et c’est aussi le titre de la boutique ouverte par Basile, enfant de retour au pays natal, si j’ose dire. Il est inventeur, et surtout, il veut bousculer les conventions avec ses « objets provocateurs ». En ce qui concerne la « provocation », cela dépend pour qui. Il ne s’agit de rien de gratuit ou pire, de trash, de cru ou de sanglant. Il s’agit de faire fonctionner les méninges et la créativité de celui ou celle qui rentre dans la boutique. Consommer et faire réfléchir – un paradoxe, là aussi. Le bazar ne cherche pas une consommation de masse, mais une consommation raisonnée pour ne pas dire économique et créative, quand Basile et son nouvel employé créent une machine à customiser. En revanche, il est des personnes qui seront provoquées, c’est certain, des personnes comme Louise. Etre à la tête d’une association citoyenne, c’est bien. Ne vouloir que des choses utiles, des actes utiles dans sa vie, c’est triste et réducteur. Je fais partie de ses personnes, comme Basile, qui pense que « travailler » et « souffrir » ne sont pas un couple obligatoire. Et pourtant ! J’en ai cotoyé, au début de ma carrière, des collègues qui parlaient de leur souffrance en préparant leur cour, de leur souffrance en cours, de leur boule au ventre avant de rentrer dans une salle de classe. Il a fallu plusieurs années pour rencontrer des collègues qui disent que certaines activités de notre métier sont moins agréables que d’autres, et qu’il en est de même pour tous les métiers. Ouf. Je me sens moins seule à ne pas souffrir.
Le bazar du zèbre à pois pourrait n’être qu’un feel good roman. Il nous interroge, pourtant, sur ce que nous voulons faire dans la vie, ce que nous voulons faire de notre vie. Doit-on forcément renoncer à ses rêves pour garder un travail alimentaire dans lequel on ne s’épanouit pas, au lieu d’en chercher un autre, moins gratifiant financièrement mais plus risqué, plus épanouissant ? Que signifie la réussite professionnelle, qui assure un bon train de vie, quand on n’en profite même pas, et quand on passe à côté de ses proches, ceux pour qui l’on prétend se tuer à la tâche ? Comment changer aussi le regarde de certains professeurs, qui mettent définitivement les élèves dans des cases, et ne font rien, ni dans leur travail, ni dans leur propre cheminement, pour les en sortir ? Ne parlons pas non plus de la fausse bienveillance, bien pire que la vraie indifférence, parce qu’elle donne bonne conscience.
Le bazar du zèbre à pois est un livre agréable à lire, avec un récit bien construit et bien rythmé. Mention spéciale pour les chapitres avec Opus comme narrateur, charmant teckel parfois dépassé par la situation.

Puissions-nous vivre longtemps d’Imbolo Mbue

Présentation de l’éditeur :

C’est l’histoire d’un petit village d’Afrique de l’Ouest en lutte contre la multinationale américaine qui pollue ses terres et tue ses enfants.
C’est l’histoire d’une génération d’anciens qui a cru en la promesse d’une prospérité venue d’Occident.
C’est l’histoire d’une jeunesse qui décide de se révolter, quitte à user de la violence et à prendre les armes.
C’est l’histoire de Thula, la belle et courageuse Thula, prête à tout pour sauver les siens au risque de tout sacrifier.

Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je le dis d’entrée de jeu, j’ai eu du mal à lire ce livre, j’ai eu du mal à aller au bout de ce livre. Ce qu’il raconte est en effet dur, tragique, parfois insoutenable, d’autant plus insoutenable que l’histoire est cruellement possible.
A chaque chapitre son ou ses narrateurs. Ils alterneront tout au long du récit, parce que certains faits ne pourront être racontés par n’importe qui. Le narrateur peut être un, comme Thula ou Bongo, son oncle, ou Sahel, sa tante. Il peut être choral, comme ce groupe d’enfants qui a le même âge que Thula, ce groupe de survivants, à la maladie, au massacre.
C’est l’histoire d’une multinationale américaine qui s’est installée dans ce village – dans d’autres villages aussi – avec la bénédiction de Son Excellence, qui dirige ce pays d’Afrique de l’Ouest. C’est l’histoire d’une multinationale qui engrange de grands bénéfices, et néglige tout ce qui peut assurer la sécurité des habitants du village. Les terres deviennent stériles, l’eau polluée. Les enfants tombent malades, et parfois, trop souvent même, ne guérissent pas. Le petit frère de Thula aura la chance de revenir à la vie. Un parmi tant d’autres qui seront mis en terre avant leurs parents et leurs grands-parents.
C’est l’histoire d’années qui se transforment en décennies de lutte. Ce sont des tentatives pour faire bouger les choses, pour que réparations soient faites, dans tous les sens du terme. C’est l’histoire de choix, aussi, partir, rester, accepter l’argent, accepter le travail. C’est constater aussi que les employés de la compagnie, s’ils ont accepté de travailler pour la compagnie, ne sont pas forcément mieux lotis.
C’est l’histoire de traditions que les grands-parents, les parents essaient de transmettre. C’est l’histoire du capitalisme qui s’implante tranquillement en terre africaine, c’est l’histoire aussi du colonialisme, de l’esclavage, qui ont laissé des traces sur la terre et dans les mémoires.
Ce n’est pas un livre facile, je l’ai déjà dit, mais c’est un livre important, à lire et à partager.

Dans l’ombre du loup d’Olivier Merle

Présentation de l’éditeur :

A Rennes, l’officier de police Hubert Grimm affronte une affaire obsédante : un notable, M. Kerdegat, personnage désagréable et méprisant, reçoit coups de téléphone et lettres anonymes. Il y a aussi cet homme en scooter qui semble traquer les moindres faits et gestes du chef d’entreprise.
Jusqu’au jour où l’employée de maison des Kerdegat tombe, devant la demeure familiale, sur un corps découpé en
morceaux. La tête du cadavre est introuvable…
Cette fois, l’enquête prend un tour terrifiant. Hubert Grimm découvre les ramifications de ce qui n’était, au départ, qu’une sale histoire de corbeau : un club sadomasochiste, des messages codés, des mises en scène morbides. Et une famille décimée.
Parfois, une seule affaire peut terrifier une ville entière.

Merci aux éditions Xo et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Voici un policier atypique. Je parle d’abord du commandant Hubert Grimm – un nom de famille de contes de fée (elle était facile, je l’ai faite, ne me remerciez pas). A une lettre près, cela donne aussi « crime », et certains ne se privent pas pour commettre le lapsus. Il a une vie sentimentale qui l’a forcé à quitter son précédent poste pour Rennes – huit cents kilomètres, parfois, ce n’est pas suffisant. Il est aussi, et c’est à ma connaissance le premier policier que je lis ainsi, obsédé par le réchauffement climatique, au point de ne lire que des livres qui parlent de catastrophes écologiques. Il est toujours, constamment, éminemment pessimiste. Cependant, il est obligé de consulter une psy, à la suite, justement, de ce qui l’a forcé à quitter Montpellier. Le lecteur saura beaucoup de choses sur lui, personnelles, intimes, bien plus que ses propres hommes, qui doivent faire avec ses sautes d’humeurs. Il n’empêche : Hubert Grimm aime enquêter, et ne se sent véritablement bien qu’en plein coeur d’une enquête.
Celle qu’on lui confie de prime abord n’a pourtant pas de quoi être réjouissante. Elle est même plutôt du genre à faire rentrer dans les rangs. On envoie des lettres anonymes à un notable. Le but ? Trouver l’auteur en faisant le moins de vague possible. Ne faire que ce qui est nécessaire et faire cesser ces importunités. cela le gène aux entournures, Grimm, de ne pas avoir les coudées franches. Va-t-il prendre quelques libertés ? Oui, tout en restant dans le cadre de ce qu’aurait pu être l’enquête si Yann Kergedat n’était pas un notable dont il ne fallait pas déranger la vie privée. Elle se retrouvera bien dérangée toute seule quand un corps découpé en morceaux est livré devant chez lui.
C’est fou ce qu’être un homme connu peut entraver le cours d’une enquête. Pas de vague est le mot d’ordres, le mensonge aussi, et, au cours de l’enquête, la ténacité des enquêteurs, leur sens de l’observation les aideront énormément. Les enquêteurs de Grimm ne comptent pas leurs heures, sacrifiant parfois leur vie privée, comme Ermeline, la seule femme du groupe.
Dans l’ombre du loup est un polar très prenant. J’ai vraiment eu envie de progresser le plus possible dans la lecture pour connaître les développements de l’enquête, pour suivre les différents rebondissements. La justice prend cher parfois, au sens large du terme. Comme le dit l’un des personnages les plus singuliers de ce récit, ce n’est pas la vérité qu’ont cherché les policiers, mais un coupable, s’arrêtant à la première personne qui remplissait toutes les conditions requises. Grimm, finalement, n’a fait que respecter les procédures – et de voir à quel point elles peuvent être lourdes, et retarder certains actes. A force de voir, de lire des enquêtes où les policiers-têtes brûlées se moquent des procédures à suivre, on en vient à oublier qu’elles existent, et qu’elles ont aussi une raison d’être.
Je me suis questionnée aussi sur le thème de la paternité, de la famille qui sous-tend le roman. Pourquoi a-t-on des enfants ? Comment les accueille-t-on, les élève-t-on ? Je ne parle pas seulement des interrogations de Grimm sur l’avenir de la planète (quoique), je parle aussi du fait de préparer ses enfants à l’avenir – et de ce que certains appellent les protéger.
Alors oui, j’ai aimé ce livre, même si certaines scènes m’ont déplu, c’est ainsi. Cependant, il est suffisamment de personnages attachants, étonnants dans cette œuvre pour que les quelques scènes que j’ai peu appréciées soient un détail secondaire.

La maison de la falaise de Marcel Priollet

édition Oxymoron – 57 pages

Présentation de l’éditeur :

L’été, sur les plages normandes, la jeunesse est confrontée aux premiers émois. Mais Marcel Langevin, lui, n’a plus la tête aux filles de son âge. Il est hanté par une terrible et dramatique histoire s’étant déroulée dans une villa abandonnée qu’il a découverte, un jour, en se promenant au bord de la falaise. Trente ans auparavant, la femme d’un vieil Anglais a été retrouvée morte après y avoir vécu quasiment séquestrée à cause de la jalousie excessive de son mari. Marcel ne cesse, depuis, de penser à cette malheureuse. Il sent grandir en lui un sentiment profond. Il doit se rendre dans la demeure afin d’en connaître plus sur elle… Aussi, quand Marcel ne donne plus signe de vie à ses amis, ceux-ci sont persuadés que cette disparition est liée à la maison de la falaise… M. Langevin, apprenant que le célèbre détective Sébastien RENARD réside dans le même hôtel que lui, décide de faire appel à ses services…

Mon avis :

Je n’ai qu’un mot à dire : vous pouvez passer votre chemin sans problème. On me répondra peut-être que cela ne se fait pas d’être si brève. Si, si, je vais développer, mais je préfère avertir tout de suite : ce n’est pas la meilleure nouvelle policière qui m’ait été donnée de lire.
Le détective Sébastien Renard a fait ses débuts dans Cinq hommes tatoués qui n’était pas nécessairement une nouvelle inoubliable non plus. Là, c’est pire : le format court n’a pas permis à l’auteur, du moins, c’est ce que je pense, de déployer totalement cette intrigue policière.
Elle commençait comme un grand classique : le détective est en vacances. Surtout, il tient à y rester, et ne veut absolument pas s’occuper de l’étrange affaire qui lui « tombe » dessus. Non, pas question. Et tant pis pour les conséquences : il y aura mort d’homme. Pardon de l’expression, mais pour un brillant détective « cela la fout mal ». Imagine-t-on Hercule Poirot ou Sherlock Holmes ne pas lever le petit doigt pour empêcher un meurtre de survenir ? Non, bien sûr, l’un comme l’autre aurait tout tenté pour l’empêcher Lisez les vacances d’Hercule Poirot en cas de doute ! Quant à Sherlock, il ne supporte guère l’inactivité.
Alors, oui, l’on a des ingrédients intéressants. Il aurait simplement fallu que quelqu’un pense à les cuisiner pour faire une recette présentable. Il ne suffit pas d’aligner une maison soi-disant hantée, une jeune femme séquestrée puis décédée trente ans plus tôt, l’apparition d’une fantôme, et deux morts mystérieuses, qui trouveront une explication bien prosaïque pour faire une nouvelle policière prenante.

Au coeur du solstice de Jacques Vandroux

édition Pocket – 520 pages

Présentation de l’éditeur :

Grenoble, juin 2013. Le corps d’une jeune femme est découvert dans l’ancien baptistère de la ville. L’autopsie révèle que l’assassin lui a retiré le coeur. Le capitaine Nadia Barka est aussitôt saisie de l’enquête. Mais la découverte d’un second cadavre va vite plonger la ville dans la psychose.
Une course contre la montre s’installe alors entre la policière et le psychopathe aux motifs inconnus. Aucun indice, si ce n’est le témoignage surprenant d’un homme, averti des disparitions et des meurtres par d’étranges apparitions. Mythomane, illuminé ou piste providentielle ? Nadia Barka et son équipe devront s’appuyer sur des alliés parfois déroutants pour tenter de stopper un tueur à l’efficacité redoutable.

Mon avis :

ce livre était dans ma PAL depuis juin 2019 -le dernier salon du livre de Saint-Maur-des-fossés auquel j’ai pu me rendre. Moralité : je ne regrette pas de l’avoir acheté, je ne regrette pas de l’avoir lu, au point que je n’ai pas envie de chercher ce qui pourrait me déplaire dans ce livre.
Premier ouvrage que je lis de cet auteur, et certainement pas le dernier, Au coeur du solstice a pour personnage principal le capitaine Nadia Barka. Elle est toute entière dévouée à son métier, sans pour autant apparaître comme une carriériste forcenée. Le métier, oui, et il consiste avant tout à résoudre des enquêtes. il est d’ailleurs une enquête, qui l’a hanté trois ans plus tôt, une enquête pour laquelle elle est allée très loin, prenant conscience qu’elle était à deux doigts d’aller trop loin. Et c’est l’un es traits de caractère que j’ai aimé chez Nadia : si elle va jusqu’au bout de ses forces physiques, elle a une éthique à laquelle elle ne dérogera pas. La justice, oui. La vengeance, non, même si elle sait que la tentation de « faire justice soi-même » existe.
Au coeur du solstice est un thriller, par conséquent les lecteurs ne devront pas s’étonner de scènes sanglantes, violentes. Et pourtant, dans ce roman, l’espoir est là, parce que les enquêteurs ne partent ni battus ni résignés d’avance. Tout tenté pour qu’une nouvelle victime ne vienne pas s’ajouter à la liste.
Le thriller se teinte de fantastique, aussi, tout en mettant en garde contre les dérives possibles – et elles sont nombreuses. Mais le tueur lui-même n’est-il pas un être à la dérive, et depuis trop longtemps ? Alors pourquoi n’a-t-il pas été arrêté plus tôt ? Il est d’abord le fait qu’il soit intelligent (oui, tous les tueurs ne sont pas des idiots, quoi que certains optimistes pensent), le fait que certaines de ses dérives aient pu être couvertes, au nom de la loi ou au nom de son talent. Séparer l’homme de l’oeuvre est très courant, que ce soit avant, ou maintenant – nous en avons encore des exemples quasi-quotidiennement.
Au coeur du solstice – un roman que j’avais très envie de faire découvrir pour ce mois du polar.

L’école des souris – première neige d’Agnès Mathieu-Daudé et Marc Boutavant

Présentation de l’éditeur :

Ce matin, à l’école des souris, seul Ricky le surveillant est en retard. Il arrive enfin, encore un peu endormi. Il faut dire que c’est la fin de l’automne et que les hérissons, normalement, hibernent. Et voilà qu’une poudre blanche se met à tomber du ciel. Du fromage râpé ? Non, de la neige (tu l’avais deviné) ! Toute la troup part alors découvrir le paysage hivernal. La neige, c’est très amusant, mais attention, ça peut aussi être surprenant.

Mon avis :

(Soupir) Etre la maîtresse d’école de treize souriceaux, c’est compliqué. Ce n’est pas Emma la Belette qui vous dira le contraire. (Soupir) Etre le directeur d’une école de treize souriceaux, c’est très compliqué aussi, surtout quand on a entrepris de se cuisiner un bon soufflet pas trop épicé (une pincée ou deux d’ailes de libellule ?) et que le soufflet finit cramé. Surtout, il faut tenter d’inculquer les bases de l’arithmétique (dépasser le chiffre 3, ce serait bien) alors que dehors, du fromage râpé tombe du ciel. Qu’à cela ne tienne ! Faisons plutôt une « récréation éducative », un concept fort sympathique, que j’ai très envie d’explorer.
Le récit est drôle, enlevé, rempli de péripéties et d’assoupissement (les deux ne sont pas incompatibles), les illustrations sont à elles seules des récits à part entière. A faire découvrir !


 

Les moissons funèbres de Jesmyn Ward

Présentation de l’éditeur :

En l’espace de quatre ans, cinq jeunes hommes noirs avec lesquels Jesmyn Ward a grandi sont morts dans des circonstances violentes. Ces décès n’avaient aucun lien entre eux si ce n’est le spectre puissant de la pauvreté et du racisme qui balise l’entrée dans l’âge adulte des jeunes hommes issus de la communauté africaine-américaine. Dans Les Moissons funèbres, livre devenu instantanément un classique de la littérature américaine, Jesmyn Ward raconte les difficultés rencontrées par la population rurale du Sud des États-Unis à laquelle elle appartient et porte tant d’affection.



Mon avis :

Livre douloureusement lu. Livre dont je ne suis pas sortie indemne. Livre qui montre, encore et toujours, l’influence de la pauvreté et du racisme sur le devenir des enfants et des jeunes adultes.
Ils étaient cinq. Cinq amis ou parents de Jesmyn Ward, cinq à être morts en l’espace de cinq ans. Pas de ces morts dites « naturelles », non, des morts violentes à chaque fois. Jesmyn a construit son récit de deux manières : d’un côté, un récit chronologique linéaire, de l’autre, un récit chronologique inversé, de la mort la plus récente à la plus ancienne, la plus indicible, celle de son petit frère (avec elle sur la couverture du livre).
Livre profondément émouvant sans jamais sombrer dans le pathos, tellement émouvant que j’ai encore les larmes aux yeux en rédigeant cette chronique.
Parce que, ce que nous montre ce livre, c’est le déterminisme dans lequel on plonge les enfants noirs dès le début de leur scolarité- pour ne pas dire, dans le cas de Jesmyn, dès sa naissance. Noir et pauvre, quel avenir est le vôtre ? Aucun, c’est ce que dit le système scolaire. Orientation ? Zéro. Chance de poursuivre des études ? Justement, il faudrait de la chance, et peu en ont. Les facilités naturelles, ou les réussites dues à un travail acharné ? On oublie ! Les efforts des mères semblent voués à l’échec dès le départ – les pères ayant une forte tendance à quitter très rapidement le foyer. Si Jesmyn Ward raconte lucidement les années de vie conjugales de ses parents, les tentatives pour recoller les morceaux, puis la séparation définitive, elle n’oublie pas que son père savait ce qu’était d’élever un fils dans une communauté où la violence était omniprésente. Résister à la tentation de la violence, trouver d’autres solutions, telle était la force de son père, telles étaient les valeurs qu’il a voulu transmettre autour de lui. Un rêve ? Peut-être. La vie d’un jeune noir ne vaut rien dans ses états du Sud. La justice ? Elle n’est pas pour lui, ni mort, ni vivant : un petit délit pourra envoyer un adolescent noir des années en prison, alors qu’un adolescent blanc s’en tirera avec une petite tape sur les doigts. Je n’exagère pas, et c’est sans doute le pire.
Les moissons funèbres est un livre terriblement juste, terriblement émouvant.