Archive | mars 2023

Sarek par Ulf Kvensler

Présentation de l’éditeur :

Anna, Milena et Henrik ont depuis longtemps une tradition bien à eux : tous les ans, ils partent randonner dans le nord de la Suède. Lorsque Milena convie son petit-ami Jacob à se joindre à eux, ses amis acceptent, malgré de premières réticences. Anna en est persuadée : elle a déjà vu Jacob quelque part. Mais où, et à quelle occasion ? Les quatre promeneurs débutent leur périple, quand Jacob propose un changement de plan : s’éloigner du chemin balisé pour se rendre sur les chemins solitaires et plus âpres de Sarek, l’un des parcs nationaux les plus somptueux de Suède. Une décision qui pourrait bien changer le cours de leur vie à jamais.

Merci aux éditions de la Martinière et à Netgalley pour ce partenariat.

Livre lu le 7 mars 2023.

Mon avis : 

Le polar suédois offre des oeuvres d’une grande diversité. Témoin, le premier roman d’Ulf Kvensler, acteur, scénariste et réalisateur suédois.

Dès le début du roman, nous savons que quelque chose de grave est survenu. Mais quoi ? Nous avons cependant, à travers la retranscription d’un interrogatoire de police, des pistes sur ce qui est survenu. Mais revenons en arrière et suivons les pas d’Anna. Elle est en couple depuis dix ans avec Henrik et, au cours de retours en arrière, nous découvrirons comment ils se sont rencontrés. Elle semble avoir une bonne situation professionnelle, en tout cas, elle est très investie dans son travail, ce qui ne l’empêche pas de pratiquer du sport régulièrement. Elle a une meilleure amie, Milena, et justement, cette meilleure amie lui présente Jacob, et c’est un événement : jamais Milena ne lui avait présenté un de ses petits copains en dix ans ! Milena tient à ce que Jacob les accompagne tous les trois dans leur traditionnelle randonnée annuelle. Sauf que Jacob a décidé de bousculer leurs plans : ils ne suivront pas leur itinéraire habituellement mais se rendront dans le parc national du Sarek.

Pour les autres lecteurs, je ne sais pas, pour ma part, j’ai eu de nombreux clignotants qui se sont allumés au fur et à mesure de la lecture de ce récit. Nous suivons uniquement le point de vue d’Anna (du moins, pendant la majorité du récit) et nous devons nous fier à son opinion, son ressenti. Cependant, je me suis souvent demandée pourquoi elle ne voyait pas certaines choses, pourquoi elle ne voyait pas, et ce, dès le début, à quel point son conjoint, Henrik, allait mal. Il faut dire qu’à Anna, tout lui réussit, alors elle ne supporte pas que lui se laisse aller – à ses yeux – alors qu’aux miens, je voyais les symptômes au moins d’une grosse déprime, pour ne pas dire une dépression. Je me demandais alors si Anna ne voyait rien, ou si elle ne voulait pas voir, elle qui, durant les premiers temps de leur traditionnelle randonnée, constate qu’elle marche devant, et que son conjoint peine à suivre. Ne lui demandez pas de l’attendre, même si, parfois, elle sera bien obligée de le faire, voire de revenir en arrière, quand elle ne le tance pas vertement. J’avais l’impression que les rôles traditionnels étaient inversés, et qu’Anna cochait quasiment toutes les cases de la masculinité toxique – aussi, quel contraste avec les scènes d’interrogatoire, dans lesquelles elle apparaît affaiblie, effondrée par les épreuves qu’elle a traversées. Quel contraste aussi, avec ce que l’on découvrira de son passé, et qui éclairera d’un jour nouveau sa personnalité.

C’est à ce moment de l’écriture de mon avis que je vous conseille de lire ce livre chez vous, dans un endroit bien chaud, avec aussi, si possible, des boissons chaudes à disposition. Parce que ce que traversent Anna et Henryk tient vraiment d’un épisode d’une émission type « l’homme face à la nature ». Je me plains parfois que certains romans ne nous permettent pas vraiment de découvrir le pays où se passe l’action, là, je peux dire que je me suis vraiment trouvée au plein coeur de la Suède, une Suède sauvage, loin de tout ce qui peut faire le confort moderne, une Suède dans laquelle on ne peut se rendre sans une ample préparation et sans une attention de tous les instants.

Que s’est-il vraiment passé à Sarek ? Je doute que le lecteur le sache vraiment, même après avoir refermé ce livre.

 

 

Eloge d’une guerrière: Thérèse de Lisieux de Jean de Saint-Chéron

Présentation de l’éditeur :

Qu’ont en commun une guerrière et une sainte ? A priori, rien. Tout semble même les opposer. L’une serait du côté du Mal et du sang, l’autre du Bien et de la lumière. A cette idée, la représentation de Thérèse de Lisieux, proclamée en 1997 trente-troisième docteur de l’Église et sainte française la plus célèbre avec Jeanne d’Arc, semble donner raison. Bouquet de roses et crucifix entre les bras, voile sur la tête et guimpe autour du visage, sourire ténu, ainsi la connait-on. Comme une sainte, et non telle une guerrière. Ce qu’elle était pourtant. C’est le paradoxe que prétend dénouer ce livre. Car aimer son prochain est un combat (qu’on nomme spirituel), une lutte que Thérèse Martin aura menée sa vie durant. Et d’abord contre elle-même.

Merci aux éditions Grasset et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je ne vous dirai pas : « je ne vais pas me faire que des amis en rédigeant cet avis » parce que me faire des amis n’est pas mon but quand je rédige un avis. Simplement, peut-être cette lecture pourra-t-elle étonner.

Ce n’est pas le premier livre que je lis sur sainte Thérèse de Lisieux, et ce ne sera sans doute pas le dernier. Pour paraphraser une amie, nous avons tous une Thérèse dans nos familles, j’ai même eu une Thérèse comme élève. Prénom très souvent donné, non à cause de la grande Thérèse d’Avila mais à cause de la petite Thérèse de Lisieux, pourtant elle aussi élevée au rang de docteur de l’église.

A la lecture de ce livre, je trouve que certains croyants feraient bien de relire le message de Thérèse de Lisieux. Les deux mots d’ordre les plus importants sont l’amour et la confiance, d’où découle la confiance en l’amour de Dieu. Dans les évangiles, Jésus demandait de pardonner. Certains hommes d’église semblent l’avoir totalement oublié (voir les propos tenus par certains d’entre eux).

Si Thérèse Martin a pu donner tant d’amour autour d’elle, c’est aussi parce qu’elle en a reçu de façon constante, sans condition, de la part de ses parents et de ses soeurs aînées. De nos jours, certains expliquent son désir d’entrer au Carmel par le fait que ses deux soeurs aînées y étaient déjà, et qu’elle voulait « simplement » les rejoindre. Ceux qui disent ceci feraient bien de se pencher sur la vie de Thérèse Martin : cet argument, elle a dû y répondre en son temps. Elle a dû lutter contre les prêtres qui ne comprenaient pas sa soif d’absolu et lui demandaient d’attendre – d’avoir 18 ans, d’avoir 21 ans – ne voyant pas se désir que je qualifierai « d’absolu humilité ».

Non, la petite Thérèse ne pouvait se douter du rayonnement qui serait le sien aujourd’hui, elle qui s’interrogeait sans arrêt sur la meilleure manière d’aimer véritablement son prochain, pas seulement ceux avec qui ont a des affinités, non, ceux qui nous agacent, insupportent, les aimer sans orgueil (il ne s’agit pas de se vanter de sa bonne conduite) et sans hypocrisie aussi. Un programme spirituel qui paraît déjà en décalage avec le XIXe siècle, où l’ambition prime, où tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, alors ne parlons même pas du décalage entre une telle volonté et notre XXIe siècle. De même, je ne connais pas de jeune fille qui, aujourd’hui, souhaiterait vivre une vie humble, à effectuer chaque jour des tâches répétitives, à prier trois à quatre heures par jour, à se nourrir frugalement, surtout en cette période de l’année (pendant que j’écris ces lignes, nous sommes en plein Carême), une vie solitaire.

Je ne pense pas que ce livre soit à lire pour des personnes qui chercherait à découvrir la vie de sainte Thérèse de Lisieux, mais je pense qu’il pourra intéresser des personnes qui souhaitent approfondir leurs connaissances sur elle.

De lune en lune par Lise Syven

édition Scrineo – 512 pages.

Présentation de l’éditeur : 

Depuis la Fracture, il y a 200 ans, les humains vivent retranchés au cœur de forteresses qui les protègent des Bêtes sauvages. Pour Pomme et Yaël, l’avenir s’annonce tout tracé : leur magie leur garantit une vie de privilégiées au temple de l’Unique. Grâce au pouvoir qu’elles partagent, elles peuvent se transporter d’un endroit à un autre en un instant. Mais un jour, elles bravent l’interdit : elles remontent le temps de quelques heures. Pomme est alors jetée en prison, tandis que Yaël est abandonnée dans le monde sauvage, à la merci des Bêtes géantes qui règnent sur les terres ravagées par la Fracture. Par chance, elle croise le chemin de Bintou, une femme étrange qui semble en savoir plus qu’elle n’en laisse paraître… Et si elle pouvait l’aider à délivrer Pomme ? C’est le début d’une grande aventure dans le monde sauvage, au milieu des machinations des Dieux, dont les enjeux dépassent les deux jeunes filles…

Mon avis : 

C’est avec curiosité que j’ai découvert ce livre. J’ai eu, au début, un peu de mal à me plonger dans ce récit et puis finalement, j’ai apprécié ma lecture.

Il faut dire qu’il faut se plonger dans un monde qui n’est pas le nôtre, qui a été le nôtre et qui, depuis la Fracture, est un monde de chaos. Tous prient l’Unique, et l’Oracle a des visions sur l’avenir – vision qu’elle ne peut parachever qu’en faisant des sacrifices, comme si, pour moi, le retour au chaos était aussi un retour à la barbarie. Et pourtant, dans le temple de l’Unique, tout semble bien aller, surtout pour Pomme et Yaël, enfants-magiques qui vivent une existence heureuse, choyée, protégée, jusqu’au jour où, presque malgré elles, elles bravent un interdit et se retrouvent chassée dans le monde sauvage pour l’une, emprisonnée en attendant de l’être pour l’autre. Cet élément perturbateur n’a pas été sans évoquer pour moi le paradis perdu – mais était-ce vraiment que le paradis que ce temps, ce monde, qui n’hésite pas à châtier ceux qui ne rentrent pas dans le rang, ceux qui perturbent, ceux qui voudraient en savoir plus sur le passé. Oui, un savoir est distillé, savamment, mais pas suffisamment pour permettre de réellement avancer.

Yaël n’aura pas d’autres choix, elle qui se retrouvera confrontée à ses fameuses Bêtes, qui effraient tant. Forme primitive de l’animal ? Pas vraiment. Celles-ci ont gardé la mémoire du passé, ont appris de ce qu’elles ont vécu, et refusent toute forme de domestication. Elles dissimulent aussi un mystère, des éléments du passé que le temple ne tient absolument pas que l’on découvre. Pour Yaël, et pour d’autres, il faudra aller au-delà de la peur, prouver qu’une cohabitation est possible entre l’homme et l’animal. Dans notre monde (actuel), cela ne paraît pourtant pas gagné.

Yaël et Pomme. Les êtres vont par deux, à l’image, aussi, des tueurs lancés à leur poursuite, à l’image aussi de celle qui leur viendra en aide, Bintou, personnage dotée de dualité, personnage qui mettra du temps à leur révéler ses secrets, parce qu’il fallait du temps, parce qu’il fallait ne pas effrayer la jeune fille qu’elle avait prise sous sa protection. J’admets que les passages où apparait Bintou sont ceux que j’ai le plus apprécié. J’ai moins aimé la partie, qui débute dans une ellipse temporelle, dans laquelle Yaël se perd auprès d’autres mages. Des épreuves en plus, certes, une autre connaissance du monde en dehors des forteresses, mais cela ne m’a pas beaucoup intéressé, je ne me suis attachée à aucun des nouveaux personnages rencontrés, j’ai simplement aimé revoir, encore et toujours, Moustache, le chat géant (tous les animaux en dehors du temple ont subi des modifications) qui vient en aide à Yaël : tous les deux se sont fortement attachés l’un à l’autre.

Le temps. Il est un autre élément très important parce que Pomme – et d’autres – ont la capacité de remonter dans le temps, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Oui, ce pouvoir peut faire peur, parce que l’on modifie son avenir, celui des proches, parce que ceux qui ont planifié l’avenir des autres ne tiennent pas à ce que certains faits puissent être changés. Ce pouvoir n’est pas sans conséquence – physique, mental – pour celles qui l’exercent (le pouvoir est ici féminin) – mais si la possibilité de modifier un événement douloureux était permis, ne le ferait-on pas ?

Merci aux éditions Scrineo et à Netgalley pour ce partenariat.

Partir quand même de Yiyun Li

édition Belfond – 368 pages.

Présentation de l’éditeur :

À quatre-vingt-un ans, Lilia a enterré trois maris, élevé cinq enfants et vu naître dix-sept petits-enfants. L’heure est venue de vivre un peu pour elle. Et de se plonger dans un livre qui l’intrigue : le journal d’un certain Roland Bouley, un auteur resté obscur mais qui occupe une place particulière dans son existence.

Et pour cause, Lilia l’a connu en 1945, quand Roland était vaguement en poste aux Nations unies. Quand ce séducteur invétéré papillonnait de l’une à l’autre en promettant le mariage à toutes. Quand Lilia vivait dans une ferme avec son père veuf et ses nombreux frères et sœurs. Elle avait seize ans, elle était vive et délurée. Elle voulait échapper à sa vie, et Roland est arrivé.

Aujourd’hui, Lilia est curieuse de découvrir le journal de celui qu’elle n’a jamais oublié. De découvrir aussi ce que ce journal dit de sa vie à elle, de la vie qu’ils auraient pu avoir et de la vie qu’elle a menée, malgré tout…

Mon avis :

Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour ce partenariat.
De Yiyun Li, j’avais lu Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie récit autobiographique bouleversant dont j’ai retrouvé dans ce roman, certains thèmes. N’ayant lu que ces deux oeuvres de cette autrice, je ne peux dire si c’est une constante, ou si seules ses deux oeuvres sont concernées, cependant, j’y ai été sensible.

Le premier thème, c’est celui du lien mère/fille, ou, pour élargir, parents/enfants. Lilia a choisi de vivre les dernières années de sa vie dans une maison de retraite, c’est son choix, ce ne sont pas ses enfants qui l’ont forcée, d’ailleurs, ils ne comprennent pas vraiment sa décision – et ce n’est pas la seule chose qu’ils ne comprennent pas chez Lilia. L’on pourrait dire qu’elle est une vieille dame acariâtre, désagréable, mais c’est plus que cela : Lilia a toujours été une femme dure, une femme sans complaisance envers elle-même et envers les autres, une femme, dirai-je, qui n’a que faire de ce que les autres ont à lui dire, à lui confier. Rabrouer tout le monde est une constante. Ne pas voir certains signes, aussi, et pourtant, elle a grandi avec une mère, disparue jeune, qui n’a pas vécu la vie qu’elle aurait aimé vivre et qui a, certainement, dû renoncer à ses rêves, s’abîmant jour après jour dans la détresse. Oui, dans les années cinquante/soixante, l’on faisait moins attention aux comportements à risque, à la dépression, l’on ne pensait même pas que cela pouvait exister. Lilia, fille et petite-fille de pionnier, qui a dû travailler dur dès son adolescence a eu cinq enfants et en a élevé six avec Gilbert, son mari : Lucy, sa fille aînée, s’est suicidée à l’âge de 28 ans, parce qu’elle n’en pouvait plus de sa vie. (Note : le fils aîné de l’autrice s’est suicidé et elle lui a consacré un ouvrage). Lilia et Gilbert ont élevé Katherine, sa fille, son père, Steve, ayant très vite disparu de leur vie. Tout au long du récit, Lilia s’interrogera, sur sa fille, sur les raisons qui l’ont amené à ne pas vouloir vivre un jour de plus, sur ce que sa fille attendait de la vie, sur ce que, peut-être, elle aurait dû lui dire : qu’elle n’était pas la fille du mari de sa mère, mais de Roland, un homme que Lilia a rencontré quand elle avait 16 ans et qu’elle voulait changer de vie.

C’est là que je retrouve un second thème de l’oeuvre de Yiyun Li : les écrits autobiographiques. Dans Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie , elle s’interrogeait sur les écrits personnels qui survivent à un auteur. Ici, nous suivons la lecture que fait Lilia du journal de Roland, journal qui a été réduit des deux tiers par celui qui l’a édité – Roland ne voulait pas qu’il soit publié de son vivant. A chaque partie qui a intéressé Lilia, nous pouvons voir les notes qu’elle destine à sa petite-fille Katherine. Elle lui écrit, finalement, tout ce qu’elle ne lui dit pas, tout ce qu’elle ne parvient pas à dire – alors que j’ai eu l’impression que certains faits étaient des secrets de Polichinelle. Au fur et à mesure de ma lecture (l’oeuvre est vraiment très dense), j’ai dû faire la part des choses entre ce que Roland écrivait de lui, de ses amours (il ne consacre que quelques pages, et encore, à Lilia), et ce qui s’était réellement déroulé. Roland, orphelin très jeune, semble souvent aussi dur que peut l’être Lilia, lui qui n’est pas prêt à écouter celles qui sont en deuil, lui qui ne comprend pas que l’on puisse dialoguer avec son fils mort depuis longtemps (comme Yiyun Li elle-même l’a fait dans un autre ouvrage). Il ne craint pas cependant de s’auto-apitoyer sur son sort, entre la carrière diplomatique qui fut un échec, et son rêve de devenir romancier, un autre échec. Il n’a même pas vraiment vécu la guerre, il l’a vu, à travers ce que les autres traversaient. Même sa vie amoureuse, entre la femme épousée et la femme aimée, ne fut pas vraiment une réussite. Qui pour lire le journal intime de cet homme ordinaire ? Les lettres, qu’il a écrite à la femme aimée et qu’elle lui avait demandé de détruire, ce qu’il refusa ? Plus simplement, peut-on lire les écrits intimes de quelqu’un qui n’a rien de remarquable ?

Roland écrivait pour lui. Lilia écrit pour sa fille qui n’est plus, pour sa petite-fille et son arrière-petite-fille. J’aurai aimé savoir comment elles recevraient ce texte.

 

 

V13 d’Emmanuel Carrère

Présentation de l’éditeur :

Le procès fleuve des attentats du 13 Novembre 2015, qui ont fait 130 morts et 350 blessés à Saint-Denis et à Paris, s’est tenu entre septembre 2021 et juin 2022. Pendant dix mois, plus de 300 témoins ont été entendus, dont des rescapés de cette nuit d’horreur. Les 20 accusés ont été jugés. Parmi eux, Salah Abdeslam, le seul survivant des commandos de l’organisation du groupe État islamique, commanditaire de ces attaques. Emmanuel Carrère a assisté à l’intégralité du procès et tenu une exceptionnelle chronique hebdomadaire, publiée dans 4 grands journaux européens, L’Obs en France, El País en Espagne, La Repubblica en Italie, Le Temps en Suisse.

Mon avis :

Ce livre est pour moi un coup de coeur. La difficulté est maintenant de trouver les mots justes pour écrire cette chronique : Emmanuel Carrère a toujours trouvé les mots justes pour nous faire le récit du procès des attentats du 13 novembre 2015, il est hors de question de ne pas l’être aussi.
La première partie est consacrée aux parties civiles, à leurs témoignages, ou aux témoignages de leurs proches. C’est une partie bouleversante, que je n’ai pas pu lâcher, même si le récit était très dur à lire, de par ce qui était raconté. Poignant. La seconde partie est consacrée aux accusés, ne parlant pas seulement de ce qu’ils ont commis, mais retraçant comment ils en étaient arrivés là, citant ceux qui se sont véritablement penchés sur la question, effectuant un travail de fond sur la radicalisation, sur ceux, aussi, qui sont partis en Syrie, et dont les enfants sont toujours coincés là-bas. Je partage sur le sujet l’opinion qu’Emmanuel Carrère ne craint pas d’exprimer : oui, il faut rapatrier ces enfants. La troisième partie est consacrée à la cour, aux juges, aux avocats, à la manière dont ils ont décidé d’assurer la défense de leur client (je pense notamment au procédé dit « de rupture »).
Je pense aussi à la difficulté que ce dut être, pour l’auteur, de se rendre chaque jour à ce procès, d’écrire sa chronique toutes les semaines, fidèlement, puis de finalement publier ce livre. Je me demande comment l’on peut tenir le coup, mentalement, supporter cette somme de souffrance, ne pas quitter sa neutralité, ou alors brièvement – pour manifester son attachement envers quelqu’un, parce que l’on ne peut venir jour après jour à un procès sans créer des liens avec d’autres personnes, pour donner son opinion, sans jamais être péremptoire ou redondant. Si Emmanuel Carrère est présent dans ce livre, c’est par son style, et c’est déjà beaucoup.

Annunziata a treize ans et un jour.

Bonjour à tous

Annunziata a fêté hier ses treize ans. Pour moi, une année de plus est toujours une victoire, eu égard au début très difficile qu’elle a eu dans la vie.

Ce dont elle ne pouvait pas se douter l’an dernier, c’est qu’elle serait accompagnée, ou plutôt suivie depuis seize semaines par Sultan, chaton qui, depuis sa naissance dans un arbre à chat, a lui aussi multiplié les soucis de santé. Lui aussi a failli perdre un oeil, il a subi plusieurs tests étant chaton (en fait, il est toujours un chaton) pour déterminer ce qu’il avait (on sait ce qu’il n’a pas, pas ce qu’il a), il est capable de protester énergiquement quand il n’est pas content (mais moins énergiquement que sa soeur Odabella et, contrairement à son frère Azuro, il ne se transforme pas en chat ninja chez le vétérinaire) et sa croissance est plutôt très lente. Qu’à cela ne tienne, il aime beaucoup Annunziata, qui le lui rend bien jour après jour.

Je vous souhaite à tous un bon weekend.

Louve Noire par Juan Gomez-Jurado

Présentation de l’éditeur :

Antonia Scott est la pièce maîtresse du projet Reine rouge, créé pour résoudre les crimes les plus retors. Un soir, elle et Jon Gutiérrez, un flic à l’instinct aiguisé, sont sollicités sur une affaire urgente : la disparition de Lola Moreno, la femme de Yuri Voronin, trésorier d’un clan mafieux qui opère dans la zone de Malaga. Cette dernière s’est évaporée dans la nature juste après que quelqu’un a tenté de la tuer dans un centre commercial et que son mari a été brutalement assassiné dans leur villa. Mais les deux agents ne sont pas les seuls à vouloir la retrouver.

En effet, celle qui répond au nom de Louve noire, une dangereuse tueuse à gages à la solde de la mafia russe, est également sur ses traces. Des paysages ensoleillés de l’Andalousie aux décors enneigés de la Sierra, Antonia Scott, toujours en proie à ses démons, devra affronter cette terrible rivale.

Mon avis : 

Merci aux éditions Fleuve noir et à Netgalley pour ce partenariat. 

J’avais beaucoup aimé le tome 1, la reine rouge, et j’ai été ravie d’apprendre la parution en français de ce tome 2. J’ajoute, pour faire bonne mesure (et sans spoiler le dénouement) que j’ai été ravie d’apprendre qu’Antonia et Jon reviendront pour une nouvelle enquête. Yes !!!

Cette enquête n’est pas la suite de la précédente – même si Antonia y pense toujours, il faut dire qu’elle pense beaucoup – mais elle nous plonge dans le pire de ce que l’être humain est capable pour s’enrichir en asservissant d’autres êtres humains – le trafic de drogues, le trafic d’êtres humains, et ce, sans aucun état d’âme. Avec, parfois même, une once de bonne conscience : chacun a droit à sa part du gâteau, non ? Non. 

Cette enquête, qui mènera Antonia sur le terrain, la fera basculer. Elle est submergée parce qu’elle voit, par ce qu’elle doit faire, parce qu’elle ne veut pas s’avouer, même si elle en a conscience depuis longtemps. Elle qui n’a pas les codes sociaux et est même à côté; largement, de ceux-ci, a pour contrepoint humain, si humain, Jon, celui qui lui a été assigné comme co-équipier et qui remplit parfaitement sa tâche, simplement parce que ce n’est pas une simple mission, des liens se sont créés avec Antonia. 

Louve noire – derrière ce nom, se cache l’étape ultime de la deshumanisation. Les différents camps, celui que l’on pourrait qualifier du bien, celui que l’on pourrait qualifier du mal, sont renvoyés dos à dos parce qu’ils emploient quasiment les mêmes moyens. Le tout est d’être le premier camp à les maîtriser. Et tant pis pour ceux que cela choque, comme Jon Gutiérrez, être humain terriblement et profondément humain. 

Dans une Espagne qui a lutté contre les violences faites aux femmes, qui se montre féministe dans le vote de certaines lois, la place des femmes n’est pourtant pas aussi assurée que cela. Je ne parle même pas de la place des femmes dans la police : pour monter en grade, il est attendu (encore et toujours) que les femmes doivent se comporter comme des hommes – la référence, comme en beaucoup de domaines, restant encore et toujours l’homme. Lola Moreno est recherchée, menacée parce qu’elle était la femme d’un mafieu – la mafia n’est plus italienne, mais russe. Louve noire est une tueuse, la meilleure qui soit, paraît-il : elle sera là où on ne l’attendra pas, et c’est tout de même bien de lire une intrigue policière qui n’est pas prévisible, ce qui se confirmera encore avec le dénouement. 

En l’absence de Blanca

éditions Points – 124 pages

Présentation de l’éditeur :

Mario aime passionnément sa femme Blanca.
Son insouciance bourgeoise et sa fantaisie le fascinent.
Mais une menace inquiétante pèse sur son couple : l’incompréhension et la souffrance s’installent, Blanca s’évade peu à peu. L’amour peut-il survivre à sa propre disparition ?

Précision :

Le mois espagnol aura bien lieu, en voici un avant-goût.

Mon avis :

C’est un roman très court, que j’ai lu rapidement, et pourtant, tout est dit.

Mario est un provincial. Non, il n’est pas monté à Madrid, il est monté de sa campagne à Jaen où il est dessinateur industriel – un fonctionnaire. Or, pour Blanca, sa femme, qu’il aime passionnément, rien n’est pire que l’esprit fonctionnaire, même si elle lui assure qu’il n’en est pas doté. Blanca, c’est tout le contraire de Mario : elle vient d’une famille aisée, elle a toujours vécu dans l’aisance, elle abandonne un travail du jour au lendemain parce qu’il ne lui convient plus, elle est profondément artiste dans l’âme, et souffre de tous les opéras qu’elle ne pourra pas entendre, de toutes les expositions qu’elle ne pourra pas voir. Avant de connaître Mario, elle partageait la vie d’un peintre en pleine ascension, peintre qu’elle a soutenu, et qui l’a laissée dans une profonde dépression. Alcool et drogue ne l’ont pas aidée non plus. Nous sommes dans l’Espagne des années 80, celle qui s’apprête à entrer dans l’Otan puis dans l’union européenne (alors, la CEE), celle qui rentre dans l’Otan, qui est en pleine modernité et ne connaît pas encore la crise. Mario, lui, pense comme ses parents, le monde est une « vallée de larmes », et ne comprend pas, finalement, l’appétit de vivre de sa femme, sa passion pour toute chose – même s’il l’aime, même s’il pense qu’elle le quittera un jour, ce qui finit par arriver. Mario se rejoue le film de leur vie, de leur rencontre à cet instant présent, il pense ne pas avoir assez profité de chaque instant, lui qui ne vivait pourtant que pour ses instants, partageant peu avec ses collègues, puisque l’essentiel pour lui, était d’être avec elle. Mario qui avait toujours peur – pour elle.

Si je retiens une chose de ce livre, c’est qu’il est avant tout une grande histoire d’amour – et que tout espoir n’est pas forcément perdu.

Cinq petits indiens de Michelle Good

Présentation de l’éditeur : 

Canada, fin des années 1960. Des milliers de jeunes autochtones, libérés des pensionnats, essaient de survivre dans le quartier d’East Vancouver, entre prostitution, drogue et petits boulots.
Il y a Maisie, qui semble si forte ; la discrète Lucy, épanouie dans la maternité ; Clara, la rebelle, engagée dans l’American Indian Movement ; Kenny, qui ne sait plus comment s’arrêter de fuir, et, enfin, Howie, condamné pour avoir rossé son ancien tortionnaire.
D’une plume saisissante, Michelle Good raconte les destins entremêlés de ces survivants. Un roman choral bouleversant.

Mon avis : 

Merci à Babelio et aux éditions Seuil pour ce partenariat.

J’ai déjà lu, par le passé, des livres qui parlaient des indiens, et du sort qui leur avait été réservé par les blancs. Je pense à Phoenix, Arizona de Sherman Alexie ou La cérémonie d’hiver d’Elise Fontenaille (que je recommande fortement). Ici, nous sommes au Canada, dans les années soixante. Les policiers, sans aucun souci, viennent prendre les enfants chez eux et les parents, même s’ils ne démènent, n’en auront plus de nouvelles avant leur seize ans – si tant est qu’ils retrouvent leurs enfants le jour de leur seize ans. L’on a mis à jour des centaines de corps d’enfants – ceux qui n’ont pas survécu, ceux qui ont été battu à mort, maltraité à mort, ceux que l’on a privé de soin.

Maisie, Lucy, Clara, Kenny et Howie ont survécu. L’on voudrait croire que tout ira bien pour eux, que tout est derrière eux, qu’il suffit d’avoir survécu pour ensuite mener une vie heureuse. C’est ce que pensent ceux qui n’ont pas vécu ce qu’ils ont vécu, ce qui ne peut pas être dit – qui les écouterait ? Qui auraient envie de les écouter ? Certainement pas ceux qui les ont mené, ou ramené dans ce pensionnat. Pensaient-ils vraiment bien faire ? Il fallait « tuer l’indien dans l’enfant », et tous les moyens étaient bons. Je ne crois pas me tromper en disant que le clergé avait un poids très important au Canada pendant ces années-là. Le père et la soeur qui s’occupaient du pensionnat m’ont fait penser à des prêtres qui sévissaient en France, dès les années 30 (pour avant, je n’ai pas de référence) : quand personne ne vous demande de compte, l’on peut alors faire endurer tout ce que l’on désire aux enfants qui vous sont confiés.

Je me rends compte que je parle plus de moi, que du roman, et pourtant, je voudrai parler aussi de Lily, qui n’a pas eu la chance de survivre. Je voudrai parler des parents, qui eux aussi ont tenté de survivre, qui ont sombré, souvent, dans l’alcool. Je voudrai parler aussi de l’hostilité que les blancs pouvaient distiller envers les indiens – voir l’assistante sociale que l’on envoie à Lucy dès le jour de son accouchement et qui ne devra son salut que grâce à l’aide de ses proches, plus aguerris qu’elle. Je citerai aussi Clara, qui tient un rôle central dans cette oeuvre, par son engagement, par son énergie, par sa volonté d’aider les autres de son mieux, par son attachement à John Lennon, son chien.

Ce n’est pas une lecture facile, parce que ce qui nous est raconté est non seulement ce que les enfants ont subi, mais aussi ce qu’ils ont vu que les autres enfants subissaient. Parce que, quand ils revoient leur camarade, s’ils arrivent à se souvenir d’eux, ils se souviennent doublement des sévices – les leurs, les siens. J’aurai aimé ne pas écrire une chronique aussi sombre, mais je n’ai pas vraiment les moyens de terminer cet avis sur une note positive – l’argent touché en réparation ne pourra pas faire oublier ou soigner ce qui a été enduré.

Terminus Elicius de Karine Giebel

Quatriéme de couverture :

Istres-Marseille. Pour Jeanne, la vie est ponctuée par cet aller-retour ferroviaire quotidien entre son travail de gratte-papier au commissariat et la maison de sa mère. Elle attend néanmoins qu’un événement vienne secouer le fil de son existence : un regard, enfin, du capitaine Esposito ? La résolution, peut-être, de cette affaire de serial killer qui défraie la chronique phocéenne ?
« « » « Vous êtes si belle, Jeanne. Si touchante et si belle. » « » » Ce soir-là, une lettre, glissée entre deux banquettes, semble combler toutes ses espérances. Un peu trop, même. Car derrière le mystérieux soupirant se cache le meurtrier tant recherché par la police. Commence alors une correspondance amoureuse qui, pour Jeanne, n’aura de terminus qu’au bout de l’enfer…

Mon avis : 

Sans le challenge Solidaire de Babelio, je n’aurai sans doute pas lu Karine Giebel avant longtemps, peut-être même ne l’aurai-je pas lu du tout. En refermant ce livre, je ne sais pas si je l’ai aimé, ou si j’ai été intéressée par celui-ci.

Nous rencontrons Jeanne, sur laquelle le récit se focalise. Jeanne a une vie réglée comme du papier à musique, et dès les premières pages, j’ai eu l’impression soit qu’elle avait des tocs, soit qu’elle était une éternelle inquiète : elle vérifie sans arrêt que son sac à main est bien fermé. Tous les jours de la semaine, elle prend le même train, puis le même métro, et effectue le même trajet en sens inverse le soir – elle vit à deux cent mètres de la gare d’Istres. Elle travaille au commissariat de Marseille, et non, elle n’est pas policière, elle est secrétaire. Elle est invisible, transparente, elle se sent mise à l’écart par les trois autres secrétaires. Puis, un jour, elle trouve dans le train une lettre qui lui est destinée, une lettre écrite par un certain Elicius, lettre dont elle analyse soigneusement le style, tiquant sur certaines tournures grammaticales jusqu’à se prendre la vérité en face : celui qui lui écrit est un tueur, celui même que les policiers de Marseille recherchent. Que doit faire Jeanne ? En parler, à ses risques et périls, ou tout garder pour elle ? Note : pas un seul instant elle n’a pensé que celui qui a écrit ces lignes était un petit plaisantin, bien au fait de l’actualité. Qui est-il ? Je vous rassure, nous le saurons.

En marchant au côté de Jeanne, je n’ai cessé de ressentir un malaise. Parce qu’elle ne va pas bien, Jeanne, pas bien du tout, comme le montrent les médicaments qu’elle a en réserve dans sa pharmacie et qu’elle prend en cas de crise – et nous les verrons, les conséquences de sa crise.  Nous saurons comment tout a commencé. Et j’aimerai dire que ce n’est plus possible de nos jours, que « la parole se délie », sauf que je suis tout sauf optimiste, et que, même si depuis 1995 (depuis l’époque où j’étais étudiante), l’on a cessé de progresser, il faut avant tout, pour être écouté, que l’on veuille bien vous écouter, que l’on veuille bien prendre en compte vos maux, et faire évoluer les mentalités. De même, quand on est au fond du trou, mais alors vraiment au fond, il est bon d’avoir quelqu’un voire même dans un beau monde idéal, plusieurs personnes qui sont là pour vous, pas seulement des médecins, des infirmières, mais des personnes qui veilleront sur vous, qui vous tendront la main, qui vous soutiendront sur le long, très long chemin de la guérison – si la guérison est possible.

Terminus Elicius est une nouvelle, Aurore, qui reprend la même thématique – le harcèlement. Alors oui, l’on en parle de plus en plus, ce qui ne veut pas dire que ce fléau est derrière nous. Pas tant que certains diront que survivre au harcèlement rend plus fort, ou donne une personnalité plus intéressante aux personnes qui ont pu s’en sortir. Aurore et Alban sont deux cibles faciles pour les harceleurs, et le dénouement est poignant.