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La grange d’Angie Kim

Présentation de l’éditeur :

Lauréat du Edgar Award du premier roman 2020.
Servi par une intrigue originale aux multiples tiroirs et au décor insolite, un roman d’atmosphère ingénieux et déroutant, qui nous rappelle que la vérité se loge dans un épais camaïeu de gris… Installés en Virginie, Young et Pak Yoo, couple d’immigrés modèles, ont investi toutes leurs économies pour transformer leur grange en centre de soins alternatifs. Depuis, une poignée de patients réguliers se pressent dans leur cabine pressurisée, réputée pour traiter diverses pathologies. Ici, chacun se connaît, s’apprécie. Et puis, un soir : une étincelle dans l’oxygène, une explosion mortelle. Henry, un petit garçon autiste, meurt sur le coup.
Acte de négligence ? Homicide volontaire ? L’effroi est total.
Un an plus tard, la dizaine de personnes présentes à la grange ce soir-là se retrouve à la barre dans un procès retentissant. La police, les médias ont choisi leur coupable. Mais qu’en est-il de la vérité ?

Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Angie Kim est américaine mais elle est née à Séoul, en Corée du Sud. Comme Mary, la fille de Young et Pak Yoo, elle est arrivée aux Etats-Unis à l’adolescence. Elle et sa famille se sont installées à Baltimore puis elle a fait des études de droit à Stanford et Harvard. Il n’est donc pas étonnant qu’elle connaisse aussi bien le milieu du droit et tout ce qui peut se passer dans une famille qui a tout quitté pour donner un avenir meilleur à son enfant.

Oui, le roman s’ouvre sur un procès, qui devra clore le drame qui a eu lieu en Virginie. Young et Pak Yoo ont en effet transformé leur grande en centre de soin alternatif. Késako ? Il s’agit d’une nouvelle thérapie, pas totalement reconnue par la médecin, mais qui semble donner de bons résultats. Les parents se pressent d’amener leur enfant atypique pour tester cette thérapie, à laquelle d’autres s’opposent avec virulence, montrant les dangers de cette thérapie, et questionnant ces parents qui veulent que leurs enfants autistes changent. Pourquoi ne pas les accepter tels qu’ils sont ? Pour ma part, je serai claire, nette et précise : quand un de vos enfants est en souffrance, et que vous êtes parents, c’est insupportable. Alors oui, l’on peut vouloir tout tenter, parce que cette vie est douloureuse pour lui, pour ses parents, pour ses proches. Elizabeth s’est investie totalement, a tout tenté pour son fils, traquant dans l’alimentation les substances qui pourraient augmenter ses troubles. Aujourd’hui, c’est elle pourtant qui est sur le banc des accusés : ce serait elle qui aurait provoqué l’explosion de la grange, causant ainsi la mort d’Henry, son fils, et d’une de ses meilleures amies.

La tension est bien présente dans le récit, que ce soit pendant les scènes de procès, ou pendant les retours en arrière qui nous permettent de découvrir les personnages qui tous ou presque ont quelque chose à cacher. Parfois, ils estiment que les mensonges ne sont pas très graves, il est tellement facile de se dédouaner soi-même. Il est tellement difficile de vivre avec les accusations que l’on se porte soi-même.

Etre mère, ce n’est pas simple, ce n’est pas instinctif quoi que certain(e)s pensent encore. Ce n’est pas l’accomplissement absolu et rêvé pour une femme. C’est beaucoup de douleurs, ce sont des pensées que l’on a et qu’il faut taire, parce qu’elle tranche avec les idées communément admises sur la maternité, et répandue un peu partout. Ne parlons même pas d’avoir un enfant différent. C’est toujours à la mère de se sacrifier, de mettre tout sa vie entre parenthèses parce qu’il nécessite tout son temps, toute son énergie, tous ses soins. Se plaindre ? La société n’est pas prête à l’entendre. Prendre du temps pour soi ? Impensable. Etre mère, ce n’est pas tout rose, et ce n’est pas Young qui dira le contraire.

Young m’a fait penser à d’autres héroïnes de romans coréens. Oui, elle obéit à son mari – c’est lui qui a pris la décision du départ pour les Etats-Unis, lui qui a choisi de rester au pays, le temps qui était nécessaire pour qu’ils puissent tous les trois s’installer correctement. Oui, c’est elle qui a travaillé énormément, les parents qui les ont recueillis ne l’ont pas fait par charité, voyant finalement très peu sa fille Mary. Celle-ci n’est pas que ballotée entre deux cultures, elle reproche clairement à sa mère de ne pas s’être opposée à son père, bref, d’avoir respecté la tradition. Et je me suis demandé, au cours de ma lecture, si elles allaient prendre toutes deux leur destin en main – Mary est elle aussi une victime de l’explosion, elle a tenté de porter secours aux patients.

La grange est un premier roman. Il est avant tout pour moi un livre d’une très grande richesse, comportant véritablement plusieurs strates de lecture. Il peut intéresser les lecteurs qui apprécient les romans policiers, ceux qui aiment la littérature américaine, ou encore ceux qui veulent en savoir plus sur la Corée du Sud. Bref, La grange est un livre qui a de quoi intéresser un large public.

 

Bonne nuit maman de Mi-ae Seo

Présentation de l’éditeur :

Seon-Gyeong, criminologue, est sollicitée par un serial-killer qui attend son jugement en prison. Cet homme qui a assassiné une douzaine de femmes veut lui parler, à elle et à personne d’autre. Intelligent, manipulateur, ses motivations restent floues mais tous s’accordent à dire que Seon-Gyeong devra faire preuve de la plus grande prudence face à ce criminel hors normes. Dans le même temps, son mari se voit contraint de faire venir chez eux la fille qu’il a eu d’un précédent mariage. Une petite de onze ans qui serre contre elle son ours en peluche, une petite bouleversée par les décès de sa mère et de ses grands-parents maternels. Des décès pour le moins suspects d’ailleurs…

Mon avis :

Bonne nuit maman est un roman à la fois déroutant et surprenant. Il est déroutant, parce qu’il nous parle d’une société qui n’est pas la nôtre, tout en tissant un lien avec une oeuvre occidentale bien connue, Le silence des agneaux. Seon-Gyeong est une jeune criminologue qui a suivi un stage de quinze jours (quasiment une simple visite guidée) au FBI. Par conséquent, ses étudiants l’ont surnommée Clarice, comme l’héroïne du film (oubliant un peu vite que le film était d’abord un roman de Thomas Harris). Elle aussi va être confrontée à un serial killer, Byeong-do. Il a déjà tué une douzaine de femmes et ne veut parler qu’à Seon-Gyeong. Pour lui dire quoi ? ai-je envie de demander. Quel peut être l’intérêt de s’entretenir avec une telle personne ? Je le dis souvent, ce qui se passe dans la tête d’un tueur, d’un terroriste, ne m’intéresse pas. Seon-Gyeong elle-même dit bien qu’il peut mentir, c’est même ce qu’il fait le plus souvent. Elle enseigne aussi à ses étudiants que ce n’est pas parce qu’on retrouve dans l’enfance les trois faits qui, parait-il, font de vous un futur serial killer en puissance que l’on va en devenir un. Alors ?

Alors Seon-Gyeong lui rend visite et cède à ses exigences, ses « caprices », presque, lui qui a fait venir une équipe de télévision, les a fait attendre, pour finalement refuser de s’entretenir avec eux. Elle écoute, prend des notes, et doit en même temps faire face à une vie privée qui prend un tournant inattendu.

Ce qui m’a frappée, dans cette société coréenne, est l’extrême solitude des gens, enfants, voire même adultes. Seon-Gyeong a perdu sa mère à l’adolescence, son père plus récemment, et elle s’est mariée avec un homme rencontré peu après le décès de celui-ci, la première personne avec laquelle elle a pu parler de son chagrin. Je n’ai pas vu de traces d’un autre membre de la famille qui aurait pu la soutenir, la guider, non plus que d’amis, de collègues à qui elle aurait pu se confier, à l’exception de son amie psychologue qui apparaît presque trop tard dans le récit. Elle est seule, comme bien d’autres. Elle savait que son mari était divorcée, qu’il avait une fille. Et… rien, ai-je envie de dire. L’ex-femme empêchait son mari de voir sa fille, et il ne tentait pas vraiment de la voir, tout comme il n’a pas récupéré sa garde à la mort de sa première femme, un an plus tôt. Pourquoi ? Le lecteur peut légitimement se le demander, tout comme Seon-Gyeong se le demande. Elle se rend compte assez rapidement (le temps presse, il faut bien le dire) que la situation n’est pas aussi simple que son mari veut bien le dire, surtout quand la petite fille arrive à  la maison, après la mort de ses grands-parents. Elle se rend compte aussi que son mari ne s’occupe pas assez de Ha-yeong, sa fille, pour ne pas dire qu’il ne s’en occupe pas du tout, qu’il ne cherche pas à la comprendre, à prendre soin d’elle, comme si elle n’était qu’un paquet déposé là, dont sa femme devrait prendre soin – parce que les femmes sont là pour cela ? J’ai trouvé étonnant aussi que Seon-Gyeong ne prévienne pas l’école de la pré-adolescente de ce qu’elle a vécu, pour éviter qu’ils aient des idées préconçues sur elle. Certes. Mais ne faudrait-il pas prendre plus de précautions avec un enfant qui a vécu trois deuils en un an ? Ne faudrait-il pas lui demander son avis quand il s’agit de meubler sa chambre ou de choisir ses vêtements ? A nouveau, je tourne en rond en disant cela : que fait son père ? Il est très occupé par sa carrière.

J’en ai dis beaucoup sur ce roman ? J’ai pourtant passé sous silence une des composantes essentielles – parce que, même si je n’aime pas être dans la tête du tueur/des tueurs, certains chapitres nous y emmènent – sans mensonge, sans faux semblant, dans les méandres de leurs sensations, de leurs névroses ou dans leur absence d’empathie. Parce que rares sont ceux qui en ont manifesté à leur égard. Oui, j’ai employé le pluriel à dessein : tous les tueurs ne dorment pas en prison.

A découvrir si vous aimez explorer de nouveaux continents littéraires.

 

Le portrait de la Traviata de Do Jinski

édition Matin calme – 203 pages

Présentation de l’éditeur  :

Les enquêtes de Gojin, avocat de l’ombre Deux morts dans un appartement au premier étage d’un immeuble paisible de Séoul. La femme qui y habitait – un coup de couteau pour elle – et un voisin – un coup de poinçon pour lui -, un type détestable qui lui tournait autour ces derniers temps. Mais puisque le principal suspect gît à côté de la victime, il faut chercher ailleurs. Le concierge pourrait faire un coupable correct, le commissaire Lee Yuhyeon boucle son enquête et l’envoie en procès.
Mais rien ne se passe comme prévu. L’innocence du vieux bougre s’impose, le procès est un fiasco. C’est alors que dans son téléphone, Lee Yuhyeon entend un rire familier et moqueur, celui de l’avocat Gojin, l’avocat de l’ombre. Oui, il faudra tout recommencer, tout reprendre depuis le début. Car chacun dans cet immeuble pourrait avoir quelque raison d’avoir commis ce double meurtre.

Mon avis :

Je n’avais pas lu de polar coréen depuis très longtemps. Pour être tout à fait honnête, je dois en lire à peu près un par an (j’en ai actuellement trois autres dans ma PAL). Je découvre à travers ce livre le personnage de Gojin, avocat de l’ombre, comme il est nommé dans le roman. Il est bien un vrai avocat, disons simplement qu’il ne se rend pas vraiment dans les prétoires, et qu’il s’occupe de cas désespérés. Nous savons déjà, dans le premier chapitre, que l’accusé sera innocenté – ne serait-ce que parce qu’il est innocent, et que la police n’a pas trouvé d’autres suspects.

Il faut dire que nous sommes face à un crime en huis clos : un appartement fermé à clef, deux victimes, qui furent rapidement identifiées. L’une Jeong Yumi est la locataire de l’appartement, qui travaillait comme hôtesse dans un bar. L’autre est Lee Pilho, son voisin du dessous, qui la harcelait. Le jeune homme était au chômage, ne faisait pas grand chose pour trouver du travail, et avait donc tout son temps pour harceler sa voisine, et se sentait même autorisé à le faire vu le métier qu’elle exerçait. Rien ne semble avoir permis à ce harcèlement de cesser, ni les rabrouements successifs de la jeune femme, ni l’intervention de son petit ami. Plainte à la police ? Soit j’ai mal lu, soit j’ai l’impression que cela n’a pas été envisagé, si tant est même que cela soit possible.

Avant même de parler de l’enquête proprement dite, qui se déroule de façon lente, j’ai envie de vous parler de cette jeunesse coréenne totalement désabusée. Pas de travail, ou alors un travail peu valorisant. Pas de relations amoureuses véritablement stables. Des études qui n’ont pas mené à grand chose. Bref, une vie au jour le jour, en capitalisant sur ce que l’on possède – l’apparence physique. L’envie de garder son petit ami bien décoratif, et de tout mettre en oeuvre pour qu’aucune femme ne tente de le séduire, y compris la femme de ménage. Oui, l’héroïne ne parvient pas à canaliser sa jalousie et oui, à notre époque, on peut aussi réduire considérablement le cercle féminin qui nous entoure, juste pour conserver son petit ami – il est alors un objet que l’on peut vous voler, non un être humain capable de faire ses propres choix. Que dire aussi de ce que la victime pense des autres femmes ? Peut-être justement la jeune femme a plutôt des collègues, des partenaires en affaire (y compris sa propre soeur) plutôt que de véritables amies.

L’enquête ? Elle se déroule très lentement. Nous allons de fausses pistes en fausses pistes, et nous explorons bien chacune d’entre elles avant de passer à une autre. L’enquêteur ne peut-il suivre plusieurs pistes à la fois ? J’ai remarqué aussi l’extrême politesse avec laquelle il interroge les suspects, les témoins (qui sont parfois les deux à la fois) : ce sont eux qui rabrouent le policier, c’est celui-ci qui ne va pas trop loin pour ne pas les froisser, n’hésitant pas à interrompre ses questions, quitte à les reprendre plus tard, ou à ne pas les reprendre. Une autre culture, d’autres méthodes d’investigation.

Le coupable, si surprenant fut-il, sera cependant trouvé.Le rythme de l’enquête fut cependant si lent, les personnages si peu attachants, que je ne pense pas que je lirai un autre volume de ses enquêtes, si elles sont traduites un jour.

Kim Jiyoung, née en 1982 par Cho Nam-Joo

Présentation de l’éditeur :

Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun – le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ? En six parties, qui correspondent à autant de périodes de la vie de son personnage, d’une écriture précise et cinglante, Cho Nam-joo livre une photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste contre laquelle elle ne parvient pas à lutter. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Kim Jiyoung est bien plus que le miroir de la condition féminine en Corée – elle est le miroir de la condition féminine tout court.

Mon avis :

Encore un livre que j’ai lu, et dont j’ai peiné à rédiger mon avis. Pourquoi ? Peut-être parce que j’ai enchaîné des livres sur la même thématique, et qu’il était important pour moi de distinguer les uns des autres.
Alors oui, pour moi, ce livre est effrayant, parce que l’on se rend compte qu’à chaque étape de sa vie, une femme souffre – si tant est qu’elle vienne au monde. L’avortement de foetus féminin existe, quoi qu’en disent certains esprits optimistes. Ce constat n’est pas seulement valable dans la jeunesse de Kim Jiyoung : adulte, elle sait, elle entend ses femmes qui disent qu’elles sont fières d’attendre un garçon, qu’elles honorent leur belle-famille, qu’elles n’ont plus honte. Au delà du réflexe de base – personne ne leur a donc jamais appris que c’était l’homme qui déterminait le sexe de l’enfant ? – je me rends compte que ce discours n’est pas si éloigné que cela de ce que j’ai pu lire dans la littérature française contemporaine – je me souviens d’un extrait de livre dans lequel une femme se sentait éminemment supérieure à une autre, puisqu’elle avait mis au monde un fils.
Chaque chapitre, chaque étape de la vie de Kim est une lutte perpétuelle : les filles sont préférés aux garçons, surtout au sein de la famille. Les garçons passent en premier à l’école. Ne parlons même pas des études : je me souviens qu’en 2017 un élève (j’insiste sur le masculin) m’avait dit qu’il existait encore des familles où les études des filles étaient sacrifiées au profit de celles des garçons. Tout cela pour dire que l’action a beau se dérouler en Corée, elle a beau être éloignée géographiquement, elle doit nous amener à nous interroger sur ce que nous vivons en France. Rien n’est jamais gagné.
Et à l’âge adulte ? Pas mieux. En Corée, les mariages sont arrangés le plus souvent, les naissances viennent très vite, et la femme est le plus souvent, pour ne pas dire toujours, obligée d’arrêter sa carrière pour élever son enfant, au moins pour un certain temps, sans avoir la certitude de retrouver du travail, dans un mode où être une femme vous ferme encore et toujours énormément de porte. Quant à être mère au foyer, c’est être immédiatement taxé de « mère parasite », vivant aux crochets de son mari – comme si elle-même n’accomplissait pas des tâches répétitives, ingrates, soulageant son mari de beaucoup de préoccupations, et ce, pour aucune rémunération. L’aveuglement masculin sur la condition féminine est unanime, y compris du point de vue de ceux qui ont fait des études, de ceux qui les soignent et voient au quotidien leur tourment.
Oui, c’est une lecture très pessimiste, finalement, parce que, pour obtenir quelques avancées dans la société, il faut mener un combat constant, quel que soit le pays où l’on vit. Il suffit de pas grand chose pour faire régresser les droits chèrement acquis.

 

Si le rôle de la mer est de faire des vagues…de Yeon-Su Kim

Présentation de l’éditeur :

Si le rôle de la mer est de faire des vagues, mon rôle à moi est de penser à toi. Depuis que nous avons été séparées, je ne t’ai jamais oubliée, pas même un seul jour. Un jour, Camilla reçoit six cartons de vingt-cinq kilos qui contiennent toute son enfance. Entre un ours en peluche et un globe terrestre, la photo d’une jeune fille, petite et menue : celle de sa vraie mère avec un bébé dans les bras. Camilla a été adoptée peu après sa naissance par un couple d’Américains. Aujourd’hui elle a vingt et un ans et décide de partir en Corée à la recherche de sa mère. Au fil d’une enquête aux multiples bifurcations, chacun livre sa version de l’histoire bouleversante de cette lycéenne de seize ans devenue mère, les rumeurs, les secrets, les tragédies, le mystère de l’identité du père. Peu à peu Camilla remplit les blancs de son passé, qui se confond avec celui de cette petite ville portuaire où elle est née, et toute sa vie s’en trouve changée. Un roman riche en harmoniques, à l’imaginaire poétique et émouvant, enraciné dans la réalité sociale de la Corée d’aujourd’hui.

Mon avis : 

Mon avis  pourrait être simple : je n’ai pas vraiment aimé ce livre et je serai bien en peine de le recommander à quelqu’un, à moins de vouloir découvrir la littérature coréenne, de souhaiter en savoir plus sur cette culture.

Double culture, devrai-je dire, parce que Camilla, l’héroïne, a été adoptée à l’âge de six mois par un couple d’américains. Elle a ainsi illuminé la vie de sa mère adoptive, Alice – prénom qui a son importance dans le roman, comme tous les prénoms, d’ailleurs. Celle-ci est décédée d’une longue maladie, après lui avoir avoué qu’elle a détruit la lettre de quelqu’un qui s’est présenté comme le frère aîné de Camilla. Oui, la jeune femme lui en a voulu, et dans l’état dans lequel sa crise d’adolescence d’adolescente adoptée la mettait – oui, à l’époque, elle aurait été capable de faire une bêtise. Elle s’est éloignée de son père, qui a refait sa vie et lui a remis les affaires qui lui appartenait – six cartons de vingt-cinq kilos. Elle en a écrit un premier livre autobiographique, et de là, est né le projet d’un second livre, la menant sur les traces de son passé et de son pays natal.

Vous noterez déjà la présence d’un premier sujet, l’écriture, l’intertextualité, la mise en abîme. Les sources aussi de l’écriture, née des objets et de l’autobiographie, non de l’imagination. Le récit lui-même est très littéraire puisque l’on trouve trois narrateurs, Camilla, une voix mystérieuse qui s’adresse à elle dans la seconde partie, et un narrateur à la troisième personne qui se focalise sur plusieurs personnages dans la troisième partie.Je parle de « voix mystérieuse », parce que je ne veux pas dévoiler son identité, et parce qu’elle m’a déstabilisée, comblant certains « blancs » dans le passé de la mère de Camilla, et comblant aussi l’ellipse entre les deux parties. Oui, lire ce que l’auteur n’a pas écrit fait aussi partie de la démarche proposée par Yeon-su Kim, comme il le dit dans la postface.

Oui, le sujet du roman semble être tout ce qui n’est pas dit, tout ce que l’on ne veut pas dire à Camilla « pour son bien », parce que la vérité lui ferait plus de mal encore que l’ignorance. C’est un discours que l’on tient souvent aux enfants adoptés, justifiant ainsi en France l’accouchement sous x. Camilla se heurte ainsi à un mur, à des murs, les personnes qu’elle rencontre ne dissimulant pas leur hostilité.

Saura-t-elle la vérité ? Nous découvrirons en tout cas la profonde solitude de la mère de Hui-Jae, prénom originel de Camilla, prénom qui peut être donné à un garçon ou à une fille, indifféremment. Nous découvrons quels mécanismes l’ont amené à faire adopter son enfant. Oui, cela fait froid dans le dos. Et là, je me suis dit que l’action avait beau s’être passé en Corée, elle aurait très bien pu se passer en France. Stigmatiser les filles mères, imaginer l’identité du père en écoutant les rumeurs (plus elle est scandaleuse, mieux c’est), penser à tout ce qui est le mieux pour la bienséance plutôt que de se préoccuper de la jeune femme et de son enfant – oui, cela pourrait arriver aussi chez nous, oui, cela est arrivé aussi chez nous, inutile de se voiler la face.

Un livre que je referme douloureusement, parce que cela n’a pas été une lecture facile.

La sorcière et le jardin secret, tome 2

édition Philippe Picquier – 136 pages.

Présentation de l’éditeur :

Voici la suite (et la fin) des étranges aventures de Mina et Lucas, avec une femme cathare, un miroir d’alchimiste, un verger de mûriers et un nombre indéterminé de mystérieux chats.

92458024

Mon avis :

J’ai beaucoup aimé les histoires de l’école des chats, mais là, je dois dire que j’ai vraiment eu du mal à m’immerger dans cet univers, et j’ai été presque soulagée qu’il n’existe que deux tomes. J’ai essayé d’aimer, je me suis perdue. Déjà, je ne me souvenais plus vraiment de la mythologie féline qui existait dans l’école des chats, et me suis retrouvée perdue au milieu de ses charmants félins. Enfin, charmants, tous ne le sont pas, et c’est bien le problème.
Ce livre nous emmène entre passé (la cour de Louis XIV, pas vraiment présente) et notre époque, via des jeunes enfants, un jardin secret et une mystérieuse sorcière. J’ai peut-être moins adhérée à cette série parce qu’elle se passe en France, parce que je n’ai pas vraiment aimé ce qui était dit sur l’époque de Louis XIV. Si certains faits sont exacts – la manière dont les chats et les sorcières étaient traités à cette époque – d’autres sont plus sujets à caution. J’aime les chats, donc je n’aime pas les voir comme des personnages négatifs.
L’on peut parler aussi de choc des cultures. Nous avons la France, Paris, son métro, ses jardins, dans lesquels les deux enfants circulent assez facilement, il faut bien le dire. Nous avons aussi l’opposition entre la médecine traditionnelle coréenne et médecine française. Nous assistons aussi à un concours de beauté féline – où la généalogie de votre félin préféré est soigneusement examinée.
La sorcière et le jardin secret est un roman qui nous met en garde – aussi – sur les abus que l’homme fait subir à la terre. Vivre en harmonie avec elle semble toujours compliqué, et cela ne semble pas vraiment prêt de s’arranger. Oui, je sais, je ne suis pas très optimiste.
Je suis passée à côté de l’intrigue, je le reconnais, peut-être plaira-t-elle à d’autres lecteurs.

 

Pars, le vent se lève de Han Kang

Mon avis :

J’ai beaucoup aimé le dernier roman d’Han Kang, aussi me suis trouvée fort dépourvue quand j’ai fait un blocage à la lecture de ce roman. Je me suis sentie perdue par ses atermoiements. La narratrice, auteur et traductrice, a perdu sa meilleure amie, et un biographe affirme qu’elle s’est suicidée. Je pensais que l’on entrerait dans le vif du sujet, mais les descriptions, parfois hors sujet (l’astronomie) m’ont déjà bloquée. La narratrice se souvient, oui, de son amie, de l’oncle de son amie, qui l’a élevée, des tableaux qu’il peignait de sa technique – autant vous dire que je suis totalement hermétique à l’art pictural coréen.
Je me suis donc mis à analyser le livre. Nous voyons tout à travers les yeux de la narratrice, à travers ce qu’elle veut bien nous révéler, peu à peu, au sujet d’In-Ju et de leurs relations. Son amie a des réactions compliquées à des situations ordinaires. Artiste comme son oncle, elle a perdu un temps la garde de son fils, thème que l’on retrouve dans Leçons de grec. Jeong-Hee n’est pas plus simple. Ses histoires d’amour sont compliquées, inachevées, fugaces ou fugitives, comme si elle choisissait toujours de se placer dans une situation inconfortable.
Son enquête, parce qu’il faut bien nommer ce qu’elle fait ainsi, n’est pas plus simple. Ses démarches nous sont montrées, et aboutir, avoir un interlocuteur au bout du fil ou en face de soi est compliqué. Jeong-Hee a son idée, que tous ne partagent pas. Et la violence est omniprésente. Violence exercée contre Jeong-Hee, violence du régime dictatorial de la Corée, avant qu’il ne cède, dont nous pouvons avoir des exemples. Violence que les personnes s’infligent à elles-même, Jeong-Hee en tête, elle qui a tenté trois fois de se suicider, et sait donc, intuitivement, que son amie n’a pu le faire.
Seulement, connait-elle vraiment In-Ju ou ne sait-elle que ce que cette dernière a bien voulu lui montrer ? Lisant ce roman coréen avec mes yeux d’occidentale, j’ai pensé à la psycho-généalogie, puisque c’est en vertu du comportement de sa propre mère que certains pensent que Jeong-Hee s’est suicidée, même si elle était une artiste, même si elle avait un enfant. Je vois dans ce livre une absence d’espoir – personne ne semble en avoir gardé, personne, sauf Jeong-Hee envers In-Ju ne cherche à remettre l’autre sur pieds, à lui donner l’impulsion qui lui permettra de s’en sortir, quand on n’a pas cherché à enfoncer l’autre. Pulsion de destruction, en plus de l’auto-destruction.
J’aimerai terminer sur une note positive, pour vous donner envie de découvrir ce livre – certains lecteurs ont été bien plus sensibles que moi à son écriture. Le dénouement, peut-être ? Peut-être.
Merci à Babelio et aux éditions Decrescenzo pour ce partenariat.

Limbo le lion de Kyung-Hee King

Présentation de l’éditeur :

Limbo le lion, dont tout le monde se moquait à cause de sa crinière qui pendait lamentablement comme une serpillère mouillée, est devenu l’animal le plus populaire du zoo.Mais comment a-t-il fait ?

Mon avis :

Limbo le lion, c’est l’histoire d’un lion différent des autres. Et oui, sa crinière pendouille. du coup, il est ostracisé par les autres lions, moqués. Que faire ? Essayer de devenir comme les autres ? le moins que je puisse dire est que cela rate. Que faire donc ? Accentuer sa différence, grâce à son soigneur.
Limbo le lion est un album, il a aussi un pied vers la bande dessinée, avec les animaux qui dialoguent à l’intérieur des pages.
S’il est une morale à retenir, elle est de cultiver sa différence et ses talents : à force, les autres s’y feront.

 

Leçons de grec d’Han Kang

Présentation de l’éditeur :

Leçons de grec est le roman de la grâce retrouvée. Au cœur du livre, une femme et un homme. Elle a perdu sa voix, lui perd peu à peu la vue. Les blessures de ces personnages s’enracinent dans leur jeunesse et les ont coupés du monde. À la faveur d’un incident, ils se rapprochent et, lentement, retrouvent le goût d’aller vers l’autre, le goût de communiquer.

Mon avis : 

Ce roman est en apparence tout simple. Un homme, une femme. La narration alterne, nous entendons parfois l’un, parfois l’autre. Lui est professeur de grec. Ses parents ont quitté la Corée du Sud pour l’Allemagne quand il était enfant. Sa mère et sa soeur, soprano dans un choeur allemand, y vivent toujours et ne comprennent pas que, lui qui perd inexorablement la vue, ait choisi de retourner dans le pays de son enfance où il enseigne sporadiquement à des adultes. Elle est désormais sans emploi depuis qu’elle a perdu l’usage de la parole. Elle a perdu la garde de son fils puisqu’elle a perdu l’usage de la parole depuis la mort de sa mère. Elle a « écrit » à son psy que les deux événements n’étaient pas liés, que c’était plus complexe que cela. Pour essayer de guérir, elle prend des cours de grec, pensant qu’un autre langage que le sien pourra lui permettre de parler à nouveau.
Oui, simple, mais en apparence seulement. Ses deux personnages nous parlent d’abord de la famille, de ce que l’on transmet, ou pas à son enfant, de ce qu’on lui transmet malgré soi, comme la maladie dont est atteint le professeur. Il nous parle de cette Corée et de sa mutation vers la modernité, avec des scènes qu’il serait difficile de concevoir en France, à la même époque. Il nous parle d’amour aussi, celui que l’on refuse, celui que l’on ne peut admettre, celui que l’on regrette.
Perdre l’usage de la parole alors que les mots sont en soi et qu’on les perçoit toujours. Perdre la parole est, trois fois hélas, un ressort si usé dans certains mauvais scénarios qu’il en est complètement distendu. Ici, l’auteur nous montre véritablement, de l’intérieur, ce que c’est de ne plus pouvoir parler, de ne plus pouvoir articuler les sons, que les organes qui servent d’habitude à communiquer s’y refusent désormais. Nous découvrons l’enfermement intérieur de cette femme qui ne peut (ne veut ?) plus communiquer, et, tout comme elle, nous en cherchons les causes, elle qui, toujours, a été passionnée par les sons et par les mots qu’ils constituaient.

 

Au soleil couchant de Hwang Sok-yong

Présentation de l’éditeur : 

Park Minwoo, directeur d’une grande agence d’architecture, a la satisfaction d’avoir réussi sa vie. Né dans une famille pauvre d’un quartier misérable de Séoul, il s’est arraché à son milieu par ses études, son mariage et sa carrière. Cet homme désormais célèbre et sûr de lui reçoit un jour un message d’une amie d’enfance qui l’a aimé. Les souvenirs du passé ressurgissent, l’invitant à replonger dans un monde qu’il avait oublié, peut-être renié, et à redécouvrir ce que la vie des gens avait de dur mais aussi de chaleureux. C’est l’occasion pour lui de s’interroger sur la corruption qui règne dans le milieu de la construction immobilière, sur sa responsabilité dans l’enlaidissement du paysage urbain, sur la violence faite aux expropriés.

Mon avis : 

Livre à lire quand on a le moral, et pas qu’un peu. Oui, le jugement est rapide, la lecture aussi, d’une oeuvre emplie de désespérance. L’on peut se demander ce qui se porte bien en Corée du Sud, mis à part la corruption. La réponse est simple : rien. Oh, bien sûr, Park Minwoo est le symbole de la réussite, lui, le fils d’un petit fonctionnaire renvoyé, devenu directeur d’une grande agence, marié, père d’une fille qui vit désormais aux Etats-Unis – sa mère aussi, ce qui montre à quel point son couple n’en est plus vraiment un. Au cours d’une de ses conférences, une jeune femme lui donne un mot qui provient d’une amie d’enfance, de la seule amie d’enfance qu’il avait en fait – tous les autres étaient des garçons.
Bien sûr, « ami » est à prendre au sens lointain.Park Minwoo a rompu tout lien avec son quartier d’origine, lui qui a tout mis en oeuvre pour s’élever, ignorant littéralement ceux avec qui il avait grandi, parce qu’ils n’ont pas voulu, et surtout pas pu faire des études, tant le dénuement était grand, et inimaginable de France, sauf à avoir déjà lu des livres, vus des films parlant ou se déroulant en Corée. Minwoo a peu à peu distendu les liens qui l’unissaient à son quartier, ne refusant pas, cependant, de rendre un ultime service quand on le lui demande. Il a toujours su tirer partie des opportunités qui s’offraient à lui, avec persévérance et en s’interdisant tout état d’âme.
Une seconde voix s’élève, celle de Jeong Uhee. Elle a fait des études, qui ne lui permettent pas de vivre. Aussi, le jour elle écrit, met en scène, éventuellement joue,et la nuit, elle travaille dans une épicerie, ce qui lui permet à peine de vivre puisqu’elle se nourrit des invendus. Elle a un ami, cependant, qui lui présentera sa mère mais elle est tellement débordée par ses travaux qu’elle peine à garder le contact dès lors qu’ils ne travailleront plus ensemble.
Ce qui me frappe est l’incapacité, l’impossibilité qu’ont les personnages à se révolter contre les injustices, nombreuses, tant ces révoltes ne recueillent que peu de résultats. Etre plus méfiant est la seule chose qui change. Quant aux expropriations, elles sont, de notre point de vue occidental, rares et policées. L’unique scène à laquelle nous assistons est marquante, profondément. Elle n’est pas racontée du point de vue de Park Minwoo, lui se questionne peu, finalement, sur le devenir de tous ces gens qui ont été expulsés, parfois pour rien, ou plutôt pour enrichir les promoteurs/spéculateurs.
Ce qui le frappe aussi est la solitude. Elle est fréquente, surtout,elle donne l’impression d’être voulue, choisie, comme une survivance d’un code de l’honneur ou le désarroi face aux difficultés d’une société trop moderne. Même le mariage n’est pas (plus ?) envisageable puisque les jeunes, à moins d’avoir fait de brillantes études, n’ont plus les moyens de vivre ensemble. Je passe également sur la médecine, ou plutôt sur l’absence de médecine : l’on meurt encore de maladies dont on se croit à l’abri en Corée.
La fin du livre me laisse un peu amère. Fin ouverte, oui, mais vers quels horizons ?