Archive | juin 2020

Opération porcelaine d’Hugo Buan

Présentation de l’éditeur :

A l’intérieur de la chapelle de l’Oratoire de Nantes, le musée d’Arts s’apprête à accueillir une des plus prestigieuses collections de porcelaines de différentes dynasties chinoises. La tête de monsieur Zhou, un des Chinois qui accompagne l’exposition, retrouvée sur un plat de la Famille Verte du XVIIIe siècle de la période Kangxi, dynastie Qing, laisse un arrière goût d’amertume aux organisateurs. D’autant plus que Zhou et son plat ont été retrouvé dans le Speed Rabbit, un manège de la fête foraine qui se déroule au même moment devant le musée. Et c’est avec un frémissement glacé que la police découvre avec horreur, la présence, sur place, de Fletcher Nowski, le malfrat amateur d’Art et néanmoins cousin du commissaire Workan.

Mon avis :

– Ce n’est pas mon cousin !

Ah, franchement, il est des gens qui sont durs de la feuille, il est des personnes qui ont la comprenette difficile. Combien de fois le commissaire Workan devra-t-il répéter que non, Fletcher Nowski n’est pas son cousin ! Il n’est que son cousin é-loi-gné, et s’ils ont quelques souvenirs en commun, si la soeur de Lucien Workan, Alice, juge de son état, apprécie Fletcher, ce n’est pas une raison pour rappeler constamment ce vague lien de parenté. Le commissaire a suffisamment de soucis comme cela dans sa vie personnelle, soucis qui implique son ex-femme et un agent immobilier – entre autre.

En attendant, il faut bien enquêter, et ce n’est pas rien. Alors que le musée d’Arts de Nantes s’apprête à recevoir une prestigieuse exposition, un meurtre est commis. C’est déjà assez pénible ainsi de constater que l’on a choisi d’ôter la vie à une personne, mais si en plus, on le fait en exposant sa tête de manière spectaculaire dans un manège de la fête foraine toute proche, c’est le début de gros ennuis. Le mort était un chinois faisant partie de la délégation chargée d’encadrer l’exposition de porcelaine chinoise, autant dire que les relations diplomatiques avec la Chine sont un peu tendues, et elles ne cesseront de se tendre tout au long du roman.

Fletcher Nowski, le coupable ? Mais pas du tout ! Voleur, escroc, certes, fantasque et imaginatif aussi, il n’en est cependant pas un meurtrier, et chercher une solution « facile » n’est pas chercher une vraie solution. Fletcher va déployer toute sa créativité pour mener à bien l’opération qu’il aura décidé, et il en fera voir de toutes les couleurs à son cousin, et à Prigent, son supérieur, qui ne manque pas d’imagination non plus – pour le pire.

Opération porcelaine ? Un polar drôle et divertissant.

Cobb tourne mal de Mike McCrary

Présentation de l’éditeur :

Remo Cobb est l’avocat de ceux qui ont commis le casse du siècle : 3,2 millions disparus en 2 minutes 11 secondes. Et seize morts. Sans trop de scrupules, Remo décide de perdre son procès pour envoyer ses clients derrière les barreaux et garder le magot. Il comptait bien sur les talents de la partie adverse pour que les types restent en taule, mais les voilà lâchés en pleine nature quelques années plus tard avec une seule envie : se venger et récupérer leur fric. Remo sait qu’il va mourir. Sauf si…

Mon avis :

– Monsieur le président, ce n’est pas du tout ce que vous croyez. Je suis un excellent avocat, je vous assure, j’aurai même l’année prochaine un salaire à sept chiffres, c’est dire. Je vis dans un appartement que beaucoup de personnes m’envieraient. Certes, j’ai cassé une vitre en des circonstances qu’il m’est assez difficile d’expliquer, mais globalement, l’ensemble est somptueux. J’ai des costumes à 10 000 dollars, je possède même une arme, cadeau d’un client et puis un jour boum ! je n’en peux plus de cette vie. L’affaire de trop, le casse du siècle, avec seize victimes en deux minutes et onze secondes : un bon témoin est un témoin mort, même si c’est un enfant ou un bébé. Alors j’ai foiré le procès, surtout après que j’ai mis la procureur dans la confidence et sur mon bureau (non, la phrase ne comporte pas d’erreurs).

Le problème est simple : la procureur n’était pas douée, mais alors là pas du tout, parce qu’à cause d’un vice de procédure, ils sont sortis de prison – ou se sont évadés grâce à ceux qui étaient sortis de prison. Ils avaient bien entendu l’intention de récupérer leur argent, et de me tuer : l’ordre leur importait peu.

Je suis la preuve que les immondes salons qui adorent noyer leurs tourments dans l’alcool, les médicaments et les femmes (pas d’ordre, les trois en même temps, c’est mieux) peuvent changer. Je ne suis pas le seul : Lester, un des braqueurs, a rencontré Dieu en prison, et a l’intention de rentrer dans le droit chemin. Reste que son droit chemin, dont la destination est de me sauver la vie, est tout de même un peu tortueux. Il est pourtant véritablement persuadé de bien faire, et paiera largement de sa personne pour me protéger.

Il faut dire aussi que je me mets constamment, pour ne pas dire fréquemment dans des situations improbables, n’en accusant que moi-même, je vous rassure tout de suite : si ma femme m’a quittée, emportant notre fils Sean avec elle, je suis responsable : elle et lui sont très heureux. Elle a eu entièrement raison ! Je regrette juste d’être un parfait abruti. Et là, encore, le langage utilisé par l’auteure de cette chronique est très éloigné de celui que j’utilise, nettement plus punchy, coloré, outrancier aussi. Un style à part, avec des paragraphes courts, nets, percutants, des situations qui s’enchainent avec des morts, certes, mais sans temps morts. Surtout que… non, je ne veux pas trop en dévoiler, je reste tout de même un sacré abruti. Cependant quand on sait que l’on va mourir, on tente le tout pour le tout pour pourrir le plus possible la vie de ceux qui veulent vous dégommer, et, si possible, survivre. Je me suis transcendé, osant même demander de l’aide à Hollis : je ne vous le présente pas, vous n’avez pas besoin, du moins, je l’espère, de le rencontrer dans un cadre professionnel. En revanche, ses roses sont superbes, et sa troisième femme est un ange – je le sais, j’ai eu des relations avec les deux premières. Hollis aurait dû me remercier de lui avoir ouvert les yeux, non ? Non.

Transcendé, oui, parce que j’avais un but, quelqu’un à défendre, et ce quelqu’un n’était pas moi. Conseil aux truands à venir : travailler un peu la psychologie plutôt que les moyens de découper quelqu’un efficacement, cela peut être utile.

Rivière maudite de Preston & Child

Présentation de l’éditeur :

Pourquoi des dizaines de pieds mutilés, revêtus de chaussures vertes, sont-ils venus s’échouer sur l’île paradisiaque de Sanibel, en Floride ?
Ce phénomène inexplicable et les questions qui en découlent aiguisent la curiosité de l’inspecteur Pendergast, du FBI, qui décide d’interrompre ses vacances. Nul ne sait d’où viennent ces pieds sectionnés. Ni même si leurs propriétaires sont toujours en vie. Débute alors une enquête qui mènera notre héros aux sources d’une rivière maudite…
Confronté au complot le plus diabolique qu’il ait jamais eu à déjouer, l’agent spécial Pendergast va devoir redoubler de sagacité s’il ne veut à son tour servir de cobaye…

Merci à Netgalley, aux éditions de l’Archipel et à Mylène pour ce partenariat.

Mon avis :

Enfin une enquête presque classique pour Pendergast. Presque, parce que sinon, ce serait vraiment trop beau – pour lui, pour nous.
Il est difficile de savoir ce qu’il ressent, il est cependant une certitude : il pense tout ce qu’il dit, et il tient toujours ses promesses. Certains auraient dû en tenir compte parce que Pendergast n’arrive pas à progresser dans ses enquêtes par hasard, mais par recherches, déductions, persévérance, faisant fi des menaces et autres gentils avertissements qui lui sont délivrés à titre gracieux.
Si l’on remonte d’abord le fil du récit, on se dit que ce sont simplement des chaussures qui se sont échouées sur cette paisible plage de Floride. Puis, l’on constate que ce sont des pieds qui ont été trouvés à l’intérieur de ses chaussures, pieds qui ont été prélevés sur plusieurs victimes – forcément. Que sont-elles devenues ? Ont-elles survécu à ces amputations, ou bien ont-elles succombé ? La réponse arrivera très vite, forcément, et les enquêteurs de se demander aussi d’où viennent tous ses pieds.
C’est là que les scientifiques prennent toute leur importance parce que ce sont eux qui permettront de découvrir, en étudiant les courants marins, mais aussi les variations dues aux conditions météorologiques, de quel endroit ont été jetés ces pieds. Dire que la science manque de crédit est une évidence. Tout ou presque coûte cher, surtout dès que l’on manque cruellement de subvention. Tout est permis ou presque quand on en possède – et je parle par là de ceux qui font tout pour nuire à la résolution de l’enquête en général, ou à Pendergast en particulier.
Pendergast n’est pas seul dans cet enquête. Constance, sa pupille, est avec lui, et s’il cherche à la protéger, elle a trouvé de son côté une affaire qu’elle compte bien résoudre seule – louer une maison dite « hantée » offre des loisirs insoupçonnés. Il a aussi un équipier bien malgré lui, l’inspecteur Coldmoon : celui-ci est en vacances, en convalescence, plutôt, à la suite de ce qui lui est arrivé lors de leur toute première enquête. Alors, oui, il aidera Pendergast, il aidera ceux qui auront besoin de lui, voyagera, paiera de sa personne, et se rendra compte, tout comme Pendergast de l’ampleur de l’affaire.
Ce qui est raconté dans ce roman est-il crédible ? Oui, malheureusement. Des migrants près à tout pour une vie meilleurs, des personnes qui se servent d’eux comme des pions, des cobayes, bref, qui les déshumanisent pour leur intérêt, des scientifiques qui font n’importe quoi au nom de leurs idéaux (à ne pas confondre avec ceux qui ont aidé Pendergast), cela a existé et cela existe encore. Et c’est sans doute un rêve pour certain. Effrayant ? Oui.
J’ai aimé cette nouvelle aventure de Pendergast, de Constance et de Coldmoon, qui n’hésitent pas à aller au bout des choses. Je vous dirai bien « ils méritent de se reposer », si ce n’est que l’épilogue nous montre que cela ne sera pas vraiment possible.
A l’année prochaine, Pendergast !

Les croassements de la nuit de Preston & Child

édition J’ai lu – 602 pages

Présentation de l’éditeur :

Medicine Creek, un coin paisible du Kansas.
Aussi, quand le shérif Hazen découvre le cadavre dépecé d’une inconnue au milieu d’un champ de maïs, il se demande s’il ne rêve pas : le corps est entouré de flèches indiennes y sur lesquelles ont été empalés des corbeaux. Œuvre d’un fou ? Rituel satanique ? Il faut le flair de Pendergast, l’agent du FBI, pour comprendre que cette sinistre mise en scène annonce une suite. Qui sème parmi les habitants une épouvante d’autant plus vive qu’il ne fait pas l’ombre d’un doute, pour Pendergast, que le tueur est l’un d’eux…

Mon avis :

Bienvenue à Medicine Creek ou , pour mieux dire, trou perdu dans le Kansas.

C’est la que Pendergast a décidé de passer ses vacances. Il faut dire qu’un tueur sévit dans la région et que, pour connaître aussi bien le lieu, il est forcément du coin. Observation qui, on s’en doute, ne plaira pas à tout le monde, et surtout pas au shérif, qui aimerait bien que ce Pendergast au prénom imprononçable aille enquêter ailleurs, ou profite réellement de ses vacances.

Il faut avoir l’estomac bien accroché pour lire ce livre, et le récit de ce que le tueur fait subir à ses victimes. Il y a pire encore : le récit de ce que les « braves » du lieu ont fait subir, un siècle et demi plus tôt, aux Cheyennes, qui vinrent se venger. La légende locale est ainsi crée, et comme toutes les légendes, elle mérite qu’on s’attarde sur elle, révélatrice qu’elle est de ce que les humains sont capables de faire de pire, ou de meilleur. Et, au cours de cette quête effrénée pour mettre hors d’état de nuire le tueur, certains seront amenés à se dépasser, et à revoir, après, le cours qu’ils ont donné à leur vie, ou à revoir des jugements qu’ils avaient donné de manière conformiste.

Medicine Creek est un lieu que tous ou presque rêvent de quitter. Certains furent obligés d’y rester, et ne tentèrent rien pour partir, même quand la situation était, du moins à mes yeux de lectrice, intenables. Corrie Swanson, elle, jeune fille qui tranche avec la population locale par son look et sa détermination, compte les jours qui la séparent de son départ (plus qu’un an) et comprend presque son père qui l’a laissée aux mains de sa mère, alcoolique notoire. Presque, je dis bien. Cette enquête la propulse au rang d’assistante de Pendergast, dans ce village  où tout le monde connaît tout le monde, où les fiches détaillées, soigneusement tenues il faut bien le dire par l’administration, permettent de tout connaître sur chacun d’eux – pratique, mais long. Medicine Creek attend de revivre, et pour cela, le projet d’expérimentation sur du maïs transgénique arrive à point nommé. La petite ville est l’une des deux villes en lice pour le projet – et comme par hasard, les meurtres ont commencé trois jours avant la visite annoncée du professeur Chauncy, qui doit « trancher » en faveur de l’une ou l’autre des bourgades, future ville fantôme si quelque chose ne vient pas relancer l’économie locale et faire cesser l’exode rural. Peu importe les dangers que comporte cette culture. Personne, sauf Pendergast, ne semble s’en soucier, ou chercher à contredire le bon professeur Chauncy. Cela m’a d’ailleurs interpelé aussi :  le roman date de 2003, mais les études scientifiques montrant à quel point il est difficile voire impossible de circonscrire la diffusion hors du champ cultivé des OGM existaient déjà, précises, soigneuses, ce qui n’empêche pas certains de préférer le développement économique, le profit, au respect de la nature et de la santé. Et le fait que Chauncy et ses sponsors (le mot me semble adapté) aient choisi deux bleds loin de tout, dépourvus de toute installation un temps soit peu moderne ou touristique, n’est pas sans me rappeler les essais nucléaires faits au cours des années 50 dans le Nevada. Ce qui se passe dans le désert reste dans le désert – même si les moyens de communication et de diffusion ont largement évolué depuis, rien ne semble avoir réellement bougé à Medicine Creek.

Tout se sait, ou presque tout : ce que les habitants ont ignoré (pas délibérément, entendons-nous) a causé toute cette boucherie. Et si certains y voient un vaste sujet d’étude, d’autres ne peuvent que constater que l’être humain est avant tout un être social.

La daronne d’Hannelore Cayre

éditions Points – 177 pages.

Présentation de l’éditeur :

« On était donc fin juillet, le soleil incendiait le ciel ; les Parisiens migraient vers les plages, et alors que j’entamais ma nouvelle carrière, Philippe, mon fiancé flic, prenait son poste comme commandant aux stups de la 2e dpj. – Comme ça on se verra plus souvent, m’a-t-il dit, réjoui, en m’annonçant la nouvelle deux mois auparavant, le jour de sa nomination. J’étais vraiment contente pour lui, mais à cette époque je n’étais qu’une simple traductrice-interprète judiciaire et je n’avais pas encore une tonne deux de shit dans ma cave. » Comment, lorsqu’on est une femme seule, travailleuse avec une vision morale de l’existence… qu’on a trimé toute sa vie pour garder la tête hors de l’eau tout en élevant ses enfants… qu’on a servi la justice sans faillir, traduisant des milliers d’heures d’écoutes téléphoniques avec un statut de travailleur au noir… on en arrive à franchir la ligne jaune ? Rien de plus simple, on détourne une montagne de cannabis d’un Go Fast et on le fait l’âme légère, en ne ressentant ni culpabilité ni effroi, mais plutôt… disons… un détachement joyeux. Et on devient la Daronne.

Mon avis :

Complètement dingue, complètement fou, et avec certaines vérités qui font mal.
Alors oui, ce roman fut un énorme succès, avec le personnage de Patience, traductrice « au noir » pour la justice – pas de sécu, pas de retraite, mais que fait la police qui profite pourtant de ses services ? Patience a grandi dans un milieu familial assez particulier – pas très très loin du banditisme, on dira. Veuve jeune, elle a élevé ses filles de son mieux, et songe toujours à leur avenir et aux siens. Pourquoi ne pas profiter elle aussi de l’économie parallèle ?
Oui, le récit est mené tambour battant, le lecteur n’a pas le temps de s’ennuyer, pas le temps non plus de contempler le portrait de notre beau pays de France, et la manière dont certains luttent contre le trafic de drogue. Je ne parle même pas du soin, ou plutôt de l’abandon dans lequel se trouvent nos aînés. Ce n’est pas que le mieux est l’ennemi du bien, c’est que ce qui peut être pratique pour les enfants ne l’est pas nécessairement pour les parents qui ne sont plus vraiment considérés comme tels, mais plutôt comme des objets encombrants, et qui coûtent cher en permanence. Le cynisme de certains personnages fini par me gagner…
Il est peut-être des personnes qui discuteront de la moralité du personnage de Patience Portefeux. La littérature n’a pas à être morale, et, tel une Figaro des temps modernes, Patience déploie une énergie énorme pour parvenir à maintenir à flot son commerce, entre deux bandes rivales et quelques policiers. Mention spéciale aussi pour sa voisine chinoise, qui elle aussi doit se maintenir à flots, tout en sachant très bien que les agressions contre la communauté chinoise n’intéresse pas grand monde.
La daronne – un roman qui nous questionne sur notre société.

Les otages du Paradis de Kristina Ohlsson

édition J’ai lu – 508 pages.

Présentation de l’éditeur :

Quelques minutes après son décollage de Stockholm, un avion à destination des États-Unis est détourné. Les terroristes exigent que le gouvernement suédois revienne sur sa décision d’expulser un ressortissant marocain. Si leur demande n’est pas satisfaite, l’avion explosera en plein vol.
Fredrika Bergman, le commissaire Alex Recht et Eden Lundell, des services antiterroristes, sont chargés de l’affaire. Très vite, ils se rendent compte que ce détournement implique Tennyson Cottage, une prison américaine située en Afghanistan. Quel est le lien entre ce lieu ultra secret et un homme peut-être innocent? Alors que les heures passent, l’équipe est à court d’options, et l’avion bientôt à court de carburant…

Mon avis :

Ce n’est pas simple.
Comme si lire un roman puis rédiger son avis pouvait l’être.
Nous sommes dans une tragédie en huis-clos, ou plutôt, nous aurions dû l’être : un terroriste menace de faire exploser un avion si on ne cède pas à ses exigences. Classique, presque. Si ce n’est que les deux exigences semblent n’avoir aucun lien entre elles, si ce n’est qu’elles nous parlent à la fois de réfugiés, d’expulsion et des prisons secrètes américaines. Si ce n’est… que j’aurai aimé être davantage dans l’avion (le lecteur y est fort peu invité).
Cependant, c’est vraiment mon seul bémol. Il est des moments qui sont très intéressants dans l’intrigue, tout ce qui est mis en œuvre du côté suédois ou du côté américain pour que l’avion et ses passagers atterrissement sans dommage – l’Amérique ne sait que trop les conséquences de telles catastrophes. J’ai aimé… les négociations, les pourparlers, les recherches qui ne vont jamais assez vite, parce que les enquêteurs n’ont que treize heures devant eux, maximum, pour sauver tout le monde. Et la confiance ne règne pas forcément entre les différents services, certains ayant même gardé depuis (trop ?) longtemps des informations importantes.
Alors… les romans de Kristina Ohlsson n’étant pas forcément faciles à se procurer, j’ai déjà lu le tome suivant, et je sais ce qu’il adviendra d’un personnage qui apparaît ici pour la première fois : Eden Lundell. Elle est le seule personnage de l’intrigue à faire passer, toujours, sa vie professionnelle avant sa vie de famille. Ce n’est pas que les autres ne sont pas obligées de faire des concessions : Fredrika ne peut pas rentrer chez elle, mais cela ne pose pas de problèmes à son mari d’aller chercher leurs enfants à la crèche, de préparer le repas. Ils sont tous les deux des parents, et ils savent parfaitement quelles sont leurs responsabilités. Nous découvrons aussi qu’ils ont passé une année aux Etats-Unis, année de congé pour Fredrika, qui a pleinement profité de sa vie de famille et de l’Amérique. Vie de famille ? Pour Alex Recht, c’est sans doute le pire pour lui qui est en première ligne puisque son fils Erik est le pilote de l’avion (le pilote, pas le commandant de bord, et cela change tout).  Fredrika qui travaille pour le ministère de la justice, puis se retrouve en liaison avec la criminelle, avec son ancienne équipe, dont Alex, qui ne souhaite qu’une chose : qu’elle réintègre son poste, même si, lors de sa toute première enquête, il n’avait pas vraiment cru en ses capacités, ce qui ne l’empêche pas de reconnaître ses erreurs de jugement, et de regrette aussi l’absence de Peder, qui sera dans les pensées de ses anciens collègues – lui sait ce que perdre un membre de sa famille veut dire.
Je me dis que certaines choses semblent faciles, très faciles, notamment la capacité à faire croire à des personnes des faits qui ne sont pas vrais, à mettre aussi les enquêteurs sur une fausse piste en leur livrant des indices gros comme des maisons. Cela paraît si terriblement simple que cela en devient inquiétant. Je me dis que, comme souvent, beaucoup de problèmes viennent de ne pas avoir su, ou voulu parler, dire, parce qu’il valait mieux « attendre » – dans le domaine du privé – ou parce que les contingences de l’enquête faisaient que ce n’était pas le « bon » moment – croyait-on. Le bon moment, c’est maintenant, c’est celui où l’on découvre le fait, où l’on doit le transmettre au plus vite – et il n’est jamais trop tôt pour dire à une personne tout le bien que l’on pense d’elle, toute l’affection que l’on a pour elle.
Le sous-titre a beau être « les enquêtes de Fredrika Bergmann », elle reste, pour moi, dans ce livre, plus mis en avant pour ses choix de vie que pour son enquête. Alex et Eden ont été bien plus en première ligne qu’elle, de même que la question, souvent posée par l’autrice, de la place des migrants, des réfugiés en Suède – la question mérite largement d’être posée, et elle l’est au fur et à mesure des volumes de cette série.
La postface de l’autrice est à lire également – elle revient sur ses sources d’inspiration, mais aussi sur des reproches qui lui ont été faits pour son dénouement. Je le trouve pour ma part très bien, très crédible en tout cas – malheureusement, ai-je envie de dire, pour certains aspects.

Graines de danseurs – Tome 1 – Une battle explosive par Ludivine Irolla

Les Santons de granit rose de Françoise Le Mer

édition du Palémon – 304 pages

Présentation de l’éditeur :

Appelée par son notaire, Marie Demelle, jeune femme divorcée et mère de deux enfants, va tomber des nues. En effet, cette romancière berrichonne se voit couchée sur le testament d’un illustre confrère qu’elle n’a pourtant entraperçu qu’une fois dans sa vie… Ravie à l’idée d’hériter d’une villa à Perros-Guirec, Marie Demelle ne se préoccupe pas pour l’heure des raisons pour lesquelles le ciel semble lui offrir un cadeau aussi somptueux… Néanmoins, Maurice Malloc’h, le roi du polar, à émis une réserve testamentaire dans un codicille un peu particulier. Marie sera la nouvelle propriétaire de sa maison à la condition qu’elle termine la rédaction d’un manuscrit qu’il n’a pas eu le temps de boucler. L’étrangeté de cette clause n’émousse pas l’enthousiasme de la jeune femme. Combien de morts faudra-t-il pour qu’elle découvre enfin la vérité ? Le commissaire Quentin Le Gwen et son lieutenant Michel Le Fur l’aideront dans cette quête.

Mon avis :

Il est des auteurs qui ont vraiment de drôles d’idées. Léguer leur maison à une consoeur, en laissant largement de quoi vivre à leur fils, soit : cela ne fait de mal à personne. Demander en échange à l’autrice de terminer un de ses romans en cours, alors que l’un et l’autre ont des univers totalement différents, c’est une toute autre affaire. De plus, il apparaît très vite à Marie Demelle, divorcée, deux enfants, que le manuscrit a des points communs avec un fait dives récent. Mais est-ce une simple source d’inspiration pour l’auteur, ou bien était-il très proche de ce meurtre ? Marie décide alors de se confier à un ancien équipier, le commissaire Quentin Le Gwen, bon enquêteur et aussi expert en maltraitance d’adjoint – qui donne, il est vrai, très souvent le bâton pour se faire battre.

Perros-Guirec est pourtant très calme, si l’on excepte un adolescent un peu (beaucoup) voyeur, une patronne de bar qui n’aimait pas les femmes et donnait toujours raison aux hommes, avant de trouver la mort au détour d’un chemin, un couple qui se chamaille jusqu’à la déchirure, un autre qui a fort à faire avec un ado en pleine crise, sans oublier quelques rivalités par-ci, par-là. Bref, Perros-Guirec n’est pas calme du tout !

Le roman est plaisant à lire et, comme souvent, il faut se plonger dans les méandres du passé pour trouver les solutions du présent. Je reste toujours persuadée que parler, partager, dire véritablement ce que l’on pense, ce que l’on ressent peut faire avancer les choses bien plus facilement qu’on le pense, plutôt que de rester à mariner avec ce que l’on croit, de devoir faire semblant, voire de faire des circonvolutions assez complexes pour continuer à mener la vie que l’on entend. Simon, que Marie supporte peu, est une des rares personnes à dire et à faire exactement ce qu’il pense, quitte à ce que cela ne fasse pas plaisir. Marie lui ressemble plus qu’elle ne pense.

Une enquête bien menée, un duo d’enquêteurs atypique – Les Santons de granit rose me donne envie de découvrir d’autres de leurs enquêtes.

Urbex Sed Lex de Christian Guillerme

Présentation de l’éditeur :

Contre une belle somme d’argent, quatre jeunes passionnés d’urbex sont mis au défi de passer une nuit dans un sanatorium désaffecté.
Ils vont relever le challenge, mais, une fois sur place, ils vont se rendre compte qu’ils ne sont pas seuls dans cet immense endroit abandonné…
Et très vite comprendre qu’ils n’auraient jamais dû accepter cette proposition.
JAMAIS

Merci aux éditions Taurnada pour leur confiance.

Mon avis :

L’oeuvre commence par un prologue, qui m’a questionnée, pour son lien avec la suite de l’intrigue. Le lien se fera – un peu plus tard, mais il sera bien là.
Le roman met en scène quatre jeunes adultes bien dans leur peau, deux couples qui s’entendent bien, qui ne sont ni dans la rivalité, ni dans la jalousie. Quatre adultes, deux couples, Fabrice et Carine d’un côté, Théo et Chloé de l’autre, qui se sont connus et formés autour d’une passion : l’urbex. Je ne connaissais pas cette activité avant de découvrir ce livre, par contre, j’avais déjà entendu parler de la toitophilie (voici presque dix ans). Si je devais définir l’urbex (le mot vient de l’anglais urban exploration), ce serait l’exploration non de la nature, mais de ce que l’homme a crée, puis abandonné – sans trop savoir quoi en faire. Réhabiliter ? Détruire ? fermer les yeux sur tous ceux qui se lancent des défis et explorent ses lieux? Vaste questionnement auquel il faudra bien répondre sérieusement un jour. Là, un défi leur a été lancé, un défi contre une forte somme d’argent, qui leur permettrait, non pas de changer totalement de vie, mais d’y apporter des améliorations. Oui, l’argent a compté dans leur décision, mais aussi le fait d’explorer un lieu vaste et angoissant (à mes yeux) : un sanatorium désaffecté près de Dreux. Oui, il a existé, et existe encore, et oui, des personnes se rendent bien sur les lieux. Troisième oui : un gardien veille bien sur les lieux. Le lieu, devrai-je dire, qui suscite peur et souvenirs.
Ces quatre jeunes gens d’aujourd’hui se retrouvent plongés dans le passé, dans une géographie médicale qui nous montre la vie au temps où le BCG n’existait pas, au temps où la tuberculose était une maladie dont on guérissait peu, où les traitements (le pneumothorax) étaient extrêmement douloureux. La maladie frappait à tout âge de la vie – les enfants aussi avaient leur « place » dans ce sanatorium.
Mais les quatre jeunes gens n’ont guère le temps de s’interroger sur le passé : un événement se produit et change tout. Peut-on leur reprocher, comme ils se le reprocheront, d’avoir été naïfs ? Ils sont plutôt animés par leur passion.
Avec eux, face à eux devrais-je dire, des personnes qui nous font explorer l’inhumanité de certains êtres en France, et aussi sur d’autres continents. Ils n’auront d’ailleurs pas de noms, pas vraiment, puisqu’ils ont renoncé à ce qui les rendait humains. S’en rendent-ils compte ? Pas vraiment.
Alors, en dépit de tout ce qui nous est conté, en dépit de passages sombres, violents, désespérants, j’ai envie de terminer ma chronique en vous disant qu’il faut toujours tabler sur ce que l’homme a de meilleur, sur ce qui peut l’amener à se dépasser pour les autres. L’union de personnes solidaires est une force.

Retour de service de John Le Carré

édition du Seuil – 304 pages

Présentation de l’éditeur :

À quarante-sept ans, Nat, vétéran des services de renseignement britanniques, est de retour à Londres auprès de Prue, son épouse et alliée inconditionnelle. Il pressent que ses jours comme agent de terrain sont comptés. Mais avec la menace grandissante venue de Moscou, le Service lui offre une dernière mission : diriger le Refuge, une sous-station du département Russie où végète une clique d’espions décatis. À l’exception de Florence, jeune et brillante recrue, qui surveille de près les agissements suspects d’un oligarque ukrainien.
Nat n’est pas seulement un agent secret. C’est aussi un joueur de badminton passionné. Tous les lundis soir dans son club il affronte un certain Ed, grand gaillard déconcertant et impétueux, qui a la moitié de son âge. Ed déteste le Brexit, déteste Trump et déteste son travail obscur. Et c’est Ed, le plus inattendu de tous, qui mû par la colère et l’urgence va déclencher un mécanisme irréversible et entraîner avec lui Prue, Florence et Nat dans un piège infernal.

Merci à Bepolar et aux éditions du Seuil pour ce partenariat.

Mon avis :

Les espions, cela n’existe plus. On n’en voit plus, on n’en parle plus, sauf James Bond, inoxydable. D’ailleurs, la période de la guerre froide est derrière nous, et des œuvres comme La maison Russie d’un certain John Le Carré ne pourrait plus être écrite de nos jours.

Est-ce si simple ? Bien sûr que non. Prenons Nat, espion quasiment à la retraite, et qui n’a pas vraiment envie de se retrouver au placard, dans un obscure service. Il a encore moins envie de devenir formateur. Rien n’aurait dû se passer, à moins de constituer le cercle des espions disparus, tout en gardant un œil sur une source possible – enfin, ce n’est pas tant Nat qui le fait, que Florence, une stagiaire pleine de vie et de volonté, qui ne demande qu’à être utile à son service et à son pays.

Seulement, les temps ont changé – oui, je me répète – et il n’est pas question de froisser qui que ce soit, ou de se lancer dans une opération trop onéreuse. Après tout, tout va bien, non ? Non, bien sûr : l’Angleterre est en plein Brexit, et doit trouver sa place en dehors de l’union européenne, tout en maintenant des liens avec elle. Il faut faire aussi avec Trump d’un côté, Poutine de l’autre, et les remarques sur l’un et sur l’autre sont assez caustiques, et lucides.

Mais qui les fait ? Nat ? Non, même pour un agent en semi-retraite, ce n’est pas vraiment son rôle. Celui qui les fait, c’est Ed, son partenaire au badminton, lui qui est venu exprès pour se mesurer à lui, en un singulier combat. Les deux hommes pourraient presque nouer des liens d’amitié, n’était… la différence d’âge ? Le fait que Ed, mis à part sa germanophilie et sa haine de Trump ne se livre pas tant que cela ?

L’écriture est rétrospective et c’est après que tout aura échoué (ou réussi, selon les points de vue) que nous découvrirons l’histoire. Glamour ? Non. Aventureuse ? Oui. L’espionnage n’est pas simple, et repose avant tout sur l’habilité à cacher ce que l’on est vraiment, et à faire croire à l’autre que l’on est…. Qui au juste ? Pas facile à déterminer. L’espionnage est un travail d’équipe, l’espionnage nécessite d’être toujours sur le qui-vive, de ne faire confiance à presque personne, d’avoir une excellente mémoire, et d’être attentif à ce que les apparences peuvent cacher. Vaste programme qui nous est ici montré. Nat a eu la chance de pouvoir toujours compter sur Prue, sa femme, avocate des causes pas gagnées d’avance, parfaite épouse d’espion dans le sens où elle s’est tenue à l’écart des jeux d’espion – tout en sachant parfaitement en quoi il consistait et en épaulant son mari.

Un excellent livre d’espionnage so british – qui peut faire mieux que John Le Carré dans ce domaine ?