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La vallée des fleurs de Niviaq Korneliussen

Présentation de l’éditeur :

La Vallée des Fleurs se trouve à l’est du Groenland, tout près de la ville de Tasiilaq. Des fleurs de plastiques roses, rouges et bleues y poussent sur les tombes du cimetière. Une jeune femme s’y rend à la suite d’un événement tragique qui a touché sa belle-famille.
Elle est amoureuse, étudiante, promise à l’avenir, et pourtant quelque chose en elle se brise devant la majesté des montagnes. Son quotidien de Groenlandaise qui tente de s’insérer dans la société danoise va s’accélérer, suivant une corde tendue entre obscurité et lumière vive. Elle qui enfant avait sauté d’une fenêtre pour s’envoler va chercher à retrouver à tout prix sa liberté perdue.

Mon avis :

Ce n’est pas un roman aimable, accueillant. La narratrice est une toute jeune femme. Elle est étudiante. Elle est groenlandaise. Elle est lesbienne – son homosexualité semble avoir été bien acceptée par sa famille. Elle est aussi bien acceptée par les parents de Maliina, sa compagne, son amoureuse. Ecrit ainsi, je résume, je simplifie une intrigue qui est tout sauf simple – même si l’homosexualité en fait partie.

En effet, la narratrice ne se sent bien nulle part. Elle ne se sent pas bien chez elle, et c’est aussi une des raisons qui la pousse à aller étudier au Danemark. Elle est en décalage avec les étudiants danois, parce que différente. Mais à quoi tient au juste sa différence ? Le sait-elle vraiment elle-même ?

La cassure se produit, avec le suicide de la cousine de sa compagne. Elle l’accompagne là, à l’est du Groenland, et j’ai senti, encore plus fort, son isolement. Elle qui a déjà perdu des proches, qui en perdra encore, ne sait pas comment se comporter avec eux. J’ai eu aussi l’impression d’une violence dans les rapports sexuelles que lui impose sa compagne. Il n’est pas question de « consentement », comme si une jeune femme était forcément toujours d’accord pour avoir une relation sexuelle avec son amoureuse, même si cette relation est brutale, même s’il était clair pour moi, lectrice, que la narratrice n’en avait pas envie. Maliina, elle, n’a qu’une idée en tête : découvrir pourquoi Gudrun a mis fin à ses jours. Comme tant d’autres jeunes groenlandais. Découvrir aussi pourquoi personne ne cherche vraiment à leur venir en aide. Pourquoi, quand l’aide survient enfin, il est souvent trop tard. La preuve : Maliina ne se rend même pas compte du mal-être de sa compagne, elle la laisse à peine s’exprimer, elle dont le seul point d’ancrage positif dans sa jeunesse semble être sa grand-mère.

Nous ne connaîtrons jamais le prénom de la narratrice, seulement ce que les autres en disent – un prénom groenlandais, un prénom qui a une « signification ». Plus nous avançons dans le récit, plus elle semble ne plus avoir de repères, ne plus avoir d’attaches, être en décalage perpétuel entre ses mots, d’un côté, et ses actes de l’autre, en décalage aussi entre les paroles des autres et ce qu’elle en comprend. Aimer l’autre ne suffit pas. Vouloir être aimé non plus.

En arrière-plan, la société Groenlandaise et les réseaux sociaux, universels. J’ai noté leur importance, pour la narratrice, likant les publications de son amoureuse, regardant frénétiquement si elle ou les siens likent ses publications, partageant des formules toutes faites, à portée soi-disant universelle, un réseau social sur lequel les proches perpétuent le souvenir de ceux qui n’ont pas trouvé d’aide de leur vivant, mais à qui on pense beaucoup – après.

Merci aux éditions La peuplade et à Babelio pour ce partenariat.

La mer Noire dans les Grands Lacs Annie Lulu

Présentation de l’éditeur :

Née en Roumanie, dans une société raciste et meurtrie par la dictature, Nili n’a jamais connu son père, un étudiant congolais disparu après sa naissance. Surmontant au fil des ans sa honte d’être une enfant métisse, Nili décide de fuir à Paris où elle entend, un jour, dans la rue, le nom de son père : Makasi. Ce sera le point de départ d’un long voyage vers Kinshasa, à la recherche de ses racines africaines. Elle y rencontrera l’amour, le combat politique, la guerre civile et la mort. Et en gardera un fils, auquel s’adresse cette vibrante histoire d’exil intérieur, de déracinement et de résurrection.

Merci aux éditions Julliard et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je dis parfois, en chroniquant un livre, que ce n’était pas le bon moment, pour lui, pour moi. Pour celui-ci, je pense que cela n’aurait été jamais le moment, mais comme j’ai reçu ce livre en partenariat, je me dois de rédiger un avis, du moins d’essayer.

Dès les premières pages, j’ai eu du mal avec la langue, le style pour mieux dire. J’ai eu l’impression que l’autrice ne cherchait pas le mot le plus juste pour exprimer ce qu’elle avait à dire, mais le mot le plus rare, le plus précieux. Soit. Je me suis donc mise rapidement à distance de ce récit, dont l’écriture était parfois trop enrubannée pour me toucher. Cela n’a pas toujours été le cas, parce qu’à d’autres moments du récit, l’écriture est percutante, sans fioriture inutile. Je’ pense notamment à tous les événements qui se déroulent au Congo, et c’est aussi un choc de découvrir, à la fin du livre, qu’elle s’est inspiré d’un personnage réel pour le destin d’un des protagonistes du récit.

En lisant la biographie de l’autrice, je me suis aussi demandé quelle était la part d’autobiographie dans ce récit. Difficile à dire. La mer Noire dans les Grands Lacs est un livre très riche, c’est certain, qui comporte des réflexions totalement à contre-courant de notre point de vue d’occidental (voir, par exemple, le point de vue que la narratrice exprime sur la pilule contraceptive). Il est riche, oui, mais il comporte aussi des redites, des longueurs, qui elles aussi m’ont empêchée d’entrer totalement dans ce texte.

Un livre qui n’était pas du tout pour moi.

 

 

Miracle à la Combe aux Aspics par Ante Tomic

Présentation de l’éditeur :

À sept kilomètres de Smiljevo, haut dans les montagnes, dans un hameau à l’abandon, vivent Jozo Aspic et ses quatre fils. Leur petite communauté aux habitudes sanitaires, alimentaires et sociologiques discutables n’admet ni l’État ni les fondements de la civilisation – jusqu’à ce que le fils aîné, Krešimir, en vienne à l’idée saugrenue de se trouver une femme. Bientôt, il devient clair que la recherche d’une épouse est encore plus difficile et hasardeuse que la lutte quotidienne des Aspic pour la sauvegarde de leur autarcie. La quête amoureuse du fils aîné des Aspic fait de ce road-movie littéraire une comédie hilarante, où les coups de théâtre s’associent pour accomplir un miracle à la Combe aux Aspics.

Merci à Netgalley et aux éditions Noir sur Blanc pour cette belle découverte.

Mon avis :

Vous n’avez pas le moral, mais alors là, pas du tout ?? Vous aimez découvrir les livres qui sortent des sentiers battus ? Alors Miracle à la Combe aux Aspics d’ Ante Tomic traduit par Marko Despot est parfait !

J’ai pris beaucoup de plaisir à lire les tribulations de cette famille atypique, hors du temps, refusant le temps, si j’ose dire. Une famille qui manque cruellement de femme – pas la peine de prononcer le mot « féminisme », les Aspic ne savent pas ce que c’est. Si Jozo n’était pas coupé du monde, il pourrait s’entendre avec maints survivalistes. Il refuse les lois, il refuse de s’acquitter de ses factures. Ses quatre fils ont bien été scolarisés, parce que les autorités n’ont trouvé aucun moyen légal de se débarrasser des jumeaux Aspic. A lire leurs exploits scolaires, le lecteur comprend mieux pourquoi ceux qui se frotteraient à eux commettent d’avance une grave erreur. Je ne parle même pas de ceux qui auraient l’envie de monter jusqu’au hameau à l’abandon où vivent les quatre hommes, sous le prétexte absurde de régulariser les sommes qu’ils doivent pour leur consommation d’électricité. il est des fonctionnaires zélés, en Croatie. Il est des fonctionnaires bien mal récompensés, dont personne ne se préoccupe vraiment, y compris quand ils se retrouvent séquestrés dans le sus-dit hameau, et réduit à monter des plans plus rocambolesques les uns que les autres pour recouvrer la liberté. Je vous préviens tout de suite : le dénouement, même Jozo ne l’avait pas vu venir, c’est dire.

Il faut dire qu’il a fort à faire en même temps avec son fils aîné qui a décidé de trouver une femme ! Mais quelle idée, franchement ! Non, ce n’est pas pour faire la cuisine (Jozo cuisine très bien la polenta à tous les parfums possibles et imaginables), non ce n’est pas pour faire la lessive, l’un des frères s’en sort très bien, il faut simplement qu’il apprenne à trier le linge – les autres membres de la famille ont appris à se taire, puisqu’eux ne se risquent pas à faire la lessive. Alors pourquoi Krešimir ressent-il subitement le besoin de trouver une épouse ? Parce que (chut, c’est entre nous) quinze ans plus tôt, il est tombé amoureux, et c’est seulement maintenant qu’il se décide à retrouver la jeune femme pour laquelle il éprouve de tendres sentiments. Quinze ans plus tard, qu’est-elle devenue ? L’a-t-elle attendu ? Je serai tentée de dire « non, franchement, qui serait assez fou/stupide, adopterait un comportement aussi absurde qu’attendre un homme pendant quinze ans ? » Et bien si, comme dans un mauvais mélo, c’est possible – et c’est franchement désopilant. Je vous passerai à peine sous silence tous les rebondissements qui nous permettent de découvrir ce beau pays qu’est la Croatie, tous les changements qui peuvent survenir d’une année à l’autre – alors, en quinze ans, vous imaginez ? Nous aurons aussi un petit aperçu de la police croate, de la corruption qui peut y régner, et de la capacité qu’ont les journalistes à ne pas informer du tout. Et c’est très drôle.

Plus je tournais les pages, plus je me demandais comment cela se terminerait pour cette famille de dingues hors du temps. Le récit se termine exactement comme l’on pouvait s’y attendre : de manière totalement inattendue. Un bienfait n’est jamais perdu.