Archive | avril 2020

Vie à vendre de Yukio Mishima

Présentation de l’éditeur :

«Je propose une vie à vendre. À utiliser à votre guise. Homme, 27 ans. Confidentialité garantie. Aucune complication à craindre.»

Lorsque Hanio Yamada rate son suicide, il décide de mettre sa vie en vente au plus offrant dans un journal local de Tôkyô. Le premier acheteur ne se fait pas attendre et entraîne ce héros involontaire dans une course folle au cœur d’un monde de gangsters sanguinaires, d’espions et de contre-espions, de potions hallucinatoires, de femme-vampire, de carottes empoisonnées, de junkie désespérée et d’explosif artisanal. Alors que les cadavres se multiplient autour de Hanio, celui-ci demeure miraculeusement vivant et se demande comment enrayer cette machine infernale. La vie aurait-elle finalement une valeur à ses yeux, et serait-il enfin prêt à en payer le prix ?

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les éditions Gallimard et le Hanbo(o)k Club pour ce partenariat (oui, je suis en retard, comme souvent).

C’est la toute première fois que je lis une oeuvre de Yukio Mishima – et pourtant, j’ai déjà longuement entendu parler de l’auteur, ou plutôt de sa vie. Vie à vendre, justement, est un roman inédit en France, publié au Japon en 1968. Que peut bien représenter le héros, Hanio Yamada ? Il est en décalage dans cette société japonaise : à 27 ans, il n’est pas marié, pas même fiancé, donc il n’a pas encore d’enfants, ni une quelconque responsabilité. Il ne travaille plus, par choix personnel, il n’en a pas vraiment besoin financièrement pour l’instant. Puis, il ne fait pas grand cas de sa vie, à laquelle il n’accorde pas vraiment de valeurs. S’il veut mettre fin à ses jours, ce n’est en aucun cas comme un samouraï des temps jadis, ni comme un kamikaze de la seconde guerre mondiale, c’est comme un homme qui est las de tout, et qui a même la paresse de commettre une seconde tentative de suicide (je précise que le terme « paresse » est de moi, et non pas noté tel que dans le roman) : disons plutôt qu’il a même perdu le goût du suicide. Par conséquence, il va vendre sa vie – à celui qui voudra bien en disposer et trouver ainsi un moyen de le faire mourir.

Nous entrons alors dans ce qui est presque une parodie, ou du moins un jeu sur les codes littéraires de plusieurs romans : le roman d’amour vaudevillesque, lors de sa rencontre avec son premier client, le roman policier, le roman d’espionnage, le roman gothique… Nous croisons aussi plusieurs personnages féminins solidement campés, qui jouent avec les clichés tout en s’en jouant, de la femme adultère à la vieille fille amoureuse, en passant par la femme, vampirisant la force vitale des hommes tout en restant presque sympathique (sinon, les vampires n’auraient pas de victimes) et la jeune fille névrosée, qui pense porter en elle les germes de la folie et le poids du passé. La guerre n’est pas si loin que cela, et au moment où le roman est publié, le traité de coopération mutuelle entre le Japon et les Etats-Unis est en pleine renégociation. Au milieu de ses femmes, Hanio  se laisse parfois un peu dépasser par ce qu’il vit, et par cette mort qui ne veut pas de lui. Ah si, pardon, elle commencera à s’intéresser à lui quand il reprendra un peu goût à la vie. Tant de désinvolture se devait d’avoir une fin. Ou pas. Comment (re)trouver sa place dans cette société japonaise si cloisonnée ? Oui, j’ai eu l’impression parfois de ne pas connaître suffisamment les codes de la société japonaise pour comprendre pleinement les tenants et les aboutissants de ce roman. Ma seule référence, pour cette époque, est 1969 de Ryû Murakami, roman qui raconte la révolte qui souffle sur la jeunesse japonaise. Autant dire que j’étais très loin de Mishima.

My Fair Honey Boy, tome 1 de Junko Ike

Présentation de l’éditeur :

Avec My Fair Honey Boy, Junko Ike livre une œuvre décapante et bourrée d’énergie positive ! Tout en déconstruisant les stéréotypes de genre, elle signe son premier best-seller, qui ne manquera pas de vous arracher quelques fous rires. En plus de proposer un personnage masculin assez unique, la mangaka va également, tout au long de la série, mettre en scène des personnages féminins très variés, aussi bien en terme de physiques que de caractères.Mei Sengoku, présidente et capitaine du club de kendo, est particulièrement populaire ! Connue pour son calme légendaire, elle plaît autant aux filles qu’aux garçons. Mais son stoïcisme à toute épreuve pourrait bien être ébranlé par un certain Shirô Fuji : parce qu’il est très efféminé, tout le monde a tendance à penser qu’il est gay. Mais il n’en est rien ! Éperdument amoureux de Mei, il va un jour lui déclarer son amour… L’adolescente, prise au dépourvu, ne va pas savoir comment le repousser ! L’insistance attendrissante (et pas vraiment virile) du garçon viendra-t-elle à bout de la lycéenne ?!

Mon avis :

L’opération Reste chez toi avec un manga, ici, des éditions Ataka, me permet de découvrir en cette période de confinement des mangas vers lesquels je ne serai jamais allée. My Fair Honey Boy semble être un shojo – je dis bien semble. Nous sommes dans un établissement scolaire, et Sengoku a beaucoup de succès avec les filles – elle est une fille elle-même et doit à chaque fois expliquer qu’elle n’est pas intéressée. Attention ! Elle n’est pas homophobe, elle est hétéro, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Et un jour… Fuji lui fait une déclaration. Sengoku, qui se fit aux apparences, croit que le garçon est gay, et lui répond ainsi :

– Désolée, Fuji, je suis une fille.
– Ben oui, je le vois bien, pardi.
Toi, par contre, c’est pas évident de le savoir.

Oui, Fuji est très très efféminée. Quatrième enfant de la fratrie, il a trois grandes sœurs, et sa mère, seule avec quatre enfants, a élevé le petit dernier comme ses trois sœurs – il sait donc coudre, cuisiner, n’aime pas vraiment le sport, et se retrouve parfois dans des situations désopilantes.

– Je te suis reconnaissant de m’avoir porté comme une princesse mais pour être honnête, j’étais super gêné. J’ai ma fierté d’homme quand même.

Je le dis, je le répète, il ne faut pas se fier aux apparences, et c’est là dessus que joue ce manga. Oui, on peut aimer porter des robes sans être une fille et sans être gay. Oui, on peut se porter au secours d’un ou plusieurs camarades et être une fille. On peut tomber amoureux d’une personne sans que cela soit réciproque, et l’on peut vouloir la séduire malgré tout – j’ai bien dit « séduire », pas harceler.

Je suis curieuse de savoir comment l’intrigue évoluera.

Eko – La pierre d’Océan par Benoit Grelaud et Sylvain Even

édition Fleurus – 150 pages.

Présentation de l’éditeur :

Sur une autre planète, à des milliers d’années-lumière de la Terre, vivent les lignums, de petits êtres mi-humains, mi-végétaux.
Eko est l’un de ces lignums, mais il est jeune, intrépide et peu obéissant, ce qui va lui causer bien des ennuis ! Car, en touchant les pierres sacrées, Eko met tout son peuple en danger.
Pour réparer sa bêtise, il doit partir en quête de trois nouvelles pierres, réparties dans des régions hostiles et inexplorées…
Pour ramener la première, la pierre d’océan, Eko le sait : il devra traverser mille épreuves et affronter mille dangers.
Le jeune lignum parviendra-t-il au bout de sa quête et à sauver son peuple ?

Merci aux éditions Fleurus et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Il était une fois l’histoire d’Eko. Pour moi, ce lignum est un personnage de contes ! Il vit avec ses parents et sa petite soeur. D’abord, il transgresse des règles, très fréquemment, puis il monte d’un cran, il transgresse un interdit – les adultes exagèrent peut-être, sait-on jamais. Et bien malheureusement pour lui, non. Comme dans un conte, les règles sont claires : celui qui a commis l’erreur (et je reste optimiste pour désigner ce qu’a fait Ekp) doit réparer l’erreur. Aussi Eko part seul pour trouver les trois nouvelles pierres, et n’a qu’un laps de temps relativement courts pour y parvenir.

Ce roman nous emmène dans un monde où la magie bénéfique côtoie une magie maléfique dont certains personnages sont les victimes. C’est un monde véritablement extraordinaire et inventif, rempli de personnages nettement caractérisés et, pour certaines, très attachantes – je pense notamment aux maisons vivantes, ou à Schtong, parfois terriblement maladroit.

Au cours de ce voyage, Eko révèle des qualités, comme s’il avait fallu, finalement, qu’il sorte du cocon familial protecteur, qu’il se confronte à l’adversité pour montrer de quoi il était réellement capable. Il se fait des alliés, parce qu’il vient en aide à ceux qui en ont besoin. Venir en aide aux autres n’est jamais une perte de temps, tant que l’on ne cherche pas le profit personnel. Comme dans un conte, les bonnes actions d’Eko lui permettent de gagner des objets magiques, des moyens de transport, de progresser en quelque sorte, dans sa quête et dans la découverte de sa personnalité.

J’espère que le tome 2 pourra paraître sans encombre.

 

Le maître de fengshui est à l’ouest de Nury Vittachi

édition Picquier -330 pages

Présentation de l’éditeur :

C F Wong, le maître de fengshui, déteste l’idée de se rendre en Occident. Cependant il est des offres qui ne se refusent pas, surtout quand elles sont aussi bien rémunérées. En effet, les Britanniques espèrent vendre le plus gros avion du monde aux Chinois et on a fait appel à lui pour s’assurer que le fengshui de l’appareil était bon. Bien mieux, la reine, lasse des infortunes que connaît la famille royale, s’inquiète du mauvais fengshui qui pourrait régner au palais de Buckingham. Evidemment, les choses ne se passent jamais comme prévu.

Mon avis :

Il a fallu que je lise ce roman en période de confinement pour découvrir les raisons de l’absence de papiers toilettes autre que ceux parfum brise marine dans les supermarchés. Tout est la faute du maître de fengshui ! Oui, tout : il est incapable d’obtenir le moindre travail de la part de sa secrétaire. En revanche, elle a acheté pas moins de cinq cents rouleaux de papier toilettes, cinq cents ! Du coup, le maître s’en sert pour s’asseoir dessus et méditer en douceur – et personne ne se dit que ces rouleaux pourraient manquer quelque part.

Cependant, on lui propose un contrat en or presque massif, et le maître ne peut résister. Oui, l’argent passe toujours avant tout le reste, surtout qu’il a malencontreusement une grosse dette à rembourser, en lien avec des surligneurs défectueux et c’est avec joie qu’il signe ce contrat, qui va le mettre en relation avec ni plus ni moins que la famille royale. Sa première mission est simple : s’assurer que le plus gros avion au monde est bien feng shui. Las ! Un homme est assassiné dans l’avion lui-même. Pire : le coupable est un ami de Joyce, un homme qui ne ferait pas de mal à une mouche (mais à un éleveur maltraitant ses bêtes, oui). Joyce a donc quelques soucis. Surtout, elle veut vraiment prouver l’innocence de Paul, qui est aux yeux de tous le seul et unique coupable possible. Pourquoi chercher quand tout semble tellement évident ? Puis, nous sommes en Chine, et même si des intérêts européens sont en jeux, les autorités chinoises n’ont pas vraiment envie d’explorer la notion de présomption d’innocence.

Joyce enquête donc – et Wong aussi, presque malgré lui, parce qu’il tient à son intérêt, parce que certains éléments ne sont pas feng shui du tout. La persévérance de Joyce est pour beaucoup dans la progression de l’enquête – cela, et le fait qu’elle soit considérée comme insignifiante par certaines personnes. Elle peut se comporter de manière très ordinaire, c’est évident, mais elle ne renonce pas, et garde ses convictions. Wong, lui, reste maître du feng shui, et s’il dit que cela ne va pas, c’est que cela ne va pas – la réalité dépassera toutes ses craintes.

Le maître du feng shui est à l’ouest est un roman qui nous parle de pouvoir, entre des activistes qui font ce qu’ils peuvent pour alerter contre les dangers du consumérisme et des industriels qui peuvent dépenser des millions en campagne de publicité pour montrer à quel point consommer (et polluer) c’est bien. C’est aussi un livre rempli d’humour et d’absurdité, notamment avec le personnage de Wong, qui ne maîtrise pas totalement la langue anglaise, encore moins la hiérarchie aristocratique de la famille royale anglaise. pourquoi Lady Diana est présentée comme une roturière dans tout le roman alors que les origines aristocratiques de sa famille remonte au XVe siècle – Il y a d’ailleurs la volonté de prendre des distances avec la réalité, notamment en créant une soeur cadette, Marjorie, à la reine ou en présentant Lady Diana comme une roturière alors que les origines aristocratiques de sa famille remonte au XVe siècle – volonté de faire un peu plus rêver la midinette qu’est Joyce ?

Avec ce livre, j’aurai lu l’intégralité des aventures du maître. Comme souvent, j’ai préféré les recueils avec des récits courts, qui se prêtent mieux à ses excentricités.

Ris – police scientifique, saisons 7 et 8 (approximativement)

Bonjour à tous

Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit, ou presque pas, et du coup, je suis tombée sur la rediffusion de RIS – police scientifique, ou, si vous préférez, la version française des Experts (charisme en moins, forcément, même si, à mon avis, certains acteurs ont dû se demander ce qu’ils venaient faire dans cette galère).
Avantage de cette série, comme toute série policière française digne de ce nom : vous pouvez la regarder d’un seul oeil, l’écouter d’une seule oreille, non seulement vous comprendrez quand même, mais en plus, vous aurez plein de choses qui vous dérange – du moins moi, cela a été mon cas.

Première chose qui m’a dérangé, et cela tiendra une grande place : le rôle des femmes. Même si, au cours de la dernière saison, une femme prendra la tête du RIS, elle sera en talon aiguille, en robe, bras nu et somptueusement pomponnée, le RIS reste un monde d’homme. Je commence la joyeuse énumération :

– Julie, pour qui en ont pincé successivement plusieurs enquêteurs de la brigade, a été assassinée dans l’explosion de son appartement. Elle est la deuxième membre du RIS à mourir d’une explosion. Fatalité ? C’est comme vous voulez.

– le docteur Alessandra Joffin est enceinte. Primo, elle ne veut pas dire qui est le père de son enfant (en quoi cela intéresse quelqu’un, je vous le demande). Deuxièmement, elle prend très mal que l’on remette en cause ses compétences. Attention ! Ce n’est pas parce qu’un officier anglais critique tout ce qu’elle a fait qu’elle le prend mal, ce sont ses hormones qui parlent, donc il ne faut pas en tenir compte. Ou comment annuler les compétences d’une femme. Du coup, au tribunal, tiendra-t-on compte de son rapport d’autopsie ou dira-t-on : « on ne sait pas de quoi la victime est morte, problèmes d’hormone ? »

– Emilie Durringer se plaint de la manière de se comporter des hommes mais elle se comporte comme un homme – du moins, c’est un homme qui le lui dit. Primo, une femme a parfaitement le droit d’avoir une aventure d’un soir et ô surprise ! de très bien se porter après, d’en être même heureuse. Par contre, le commentaire du collègue, frustré au fond de ne pas avoir été ce coup d’un soir, c’est moche.

– les femmes policières ont forcément des liaisons avec leurs collègues, et s’en remettent moins bien que leurs collègues après rupture. Vous pouvez prendre n’importe quelle série policière, cette vérité scénaristique peut s’appliquer quasiment à toutes, du moment que la série, bien sûr, comporte un personnage féminin.
Prenons à cet égard le personnage de Marie, dont j’ai totalement oublié le grade, si ce n’est qu’elle est à la crim’, qu’elle a eu une liaison avec Maxime Vernon (comme la ville), l’actuel patron du RIS, qui l’a quitté quand « elle avait le plus besoin de lui » – note, lui venait de perdre son fils, et il « essayait de sauver son mariage » – je vous le dis tout de suite, cela a raté. Pour faire bonne mesure, elle s’est mariée, elle est très heureuse avec son architecte de mari, ils sont même en train de creuser une piscine. Pas de bol : le tueur en série qui avait fait sombrer Maxime Vernon trois ans plus tôt a la délicatesse de lui laisser un cadavre dans la poubelle devant chez lui. Je vous spoile un peu (si vous aviez décidé de regarder, tant pis) : Marie, trois ans plus tôt, a assassiné celui qu’elle suspecté (à juste titre) d’être le tueur en série. Pas de bol (bis) : il avait un amant, et l’amant est venu se venger. j’ai presque envie de dire « normal, quoi », et de me demander par quel mécanisme mental on en arrive à penser que :

– tuer quelqu’un dont on ne parvient pas à trouver suffisamment de preuves pour l’arrêter est normal. Je vous renvoie à cet égard à L’affaire de leur vie qui montre que des grands policiers n’ont pas toujours réussi à arrêter leur suspect, faute de preuve, faute de la prescription aussi. Ils ne sont pas devenus des assassins pour autant.

– être suffisamment sadique pour le torturer avant de tuer et ne pas éprouver de remords est normal. Ne surtout pas être suspectée aussi.

– continuer à vivre malgré tout avec mariage et projet bébé : c’est une femme. Et ce n’est même pas une bonne policière entre autre, puisque, en plus d’être largement sortie des clous, elle n’est pas capable de travailler en équipe.

Pour terminer, n’oublions pas que les filles des enquêteurs aussi sont tout à fait capables de se mettre dans des situations impossibles, la fille de Maxime Vernon ne fait pas exception, digne émule des filles de Julie Lescaut.

Peut-être d’autres défauts me reviendront, mais je crois que j’ai tout de même fait le tour.

Edit de 13 h 50 : en faisant réchauffer ma ratatouille dans le coaltar, je me suis souvenu que l’un des enquêteurs, ramenant une belle témoin chez elle (non, parce qu’elle aurait été moche, elle aurait pu y aller à pinces), se fait carjacké son véhicule avec toutes les preuves dedans. Je ne sais pas s’il faut lui donner le prix de flic le plus maladroit, surtout que son agresseur n’est pas très doué, ou le prix du scénario le plus débile. Je pense lui attribuer les deux, et écrire une petite chanson : « promenons-nous dans Paris, avec les preuves dans le coffre aussi. Si le voleur y est, il les trouvera, si le voleur n’y est pas, il ne les trouvera pas ».

 

Turbulences de David Szalay

édition Albin Michel – 198 pages

Présentation de l’éditeur :

Douze vols, douze voyageurs en transit à travers la planète, douze destins individuels liés les uns aux autres. Après Ce qu’est l’homme, finaliste du Man Booker Prize, l’écrivain britannique David Szalay nous emmène aux quatre coins du monde, explorant ce lieu de passage par excellence qu’est l’aéroport. De Londres à Madrid, de Dakar à São Paolo, à Toronto et à Doha, ce sont des fragments d’existence qui tissent le récit pour finalement se rejoindre. Avec une impressionnante économie de moyens et une grande subtilité, Szalay en saisit l’essence, captant chez chacun de ces êtres, en suspens à des milliers de mètres d’altitude, les zones de turbulences auxquelles la vie les expose.
En offrant une vision panoramique en perpétuel mouvement, Turbulences esquisse un portrait de l’humanité en temps de crise, et nous interroge sur notre place et notre rapport aux autres dans ce vaste réseau interconnecté qu’est le monde d’aujourd’hui.

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement les éditions Albin Michel et Francis Geffard pour leur confiance.
Turbulences est un titre si proche et si lointain à la fois en cette période, un de ses livres sorti juste avant le confinement, et dont on ne parle pas assez.
Douze destins qui se croisent, douze parties soigneusement reliées les unes aux autres, comme si un des personnages passait le témoin à un autre. Les personnages sont saisis à un moment de leur vie, un moment important, qui nous permet de pleinement de les connaitre. Cela nous permet également de voir à quel point le monde est devenu petit, parce que nous effectuons avec eux un tour du monde, partant de l’Angleterre pour y revenir : Jamie, le patient anglais, réunit presque malgré lui sa famille qui vient d’Espagne (sa mère) ou de Budapest (sa fille) alors que son ex-femme vit au Qatar.
Oui, la maladie et/ou la famille sont les fils conducteurs de ses voyages. Peu partent dans le but de faire du tourisme, voir même pour leur travail, et encore, dans ce cas, ils gardent des liens avec leurs proches, leur famille – ainsi Werner contacte Sabine, à Francfort. Le but des voyages est avant tout de rejoindre un membre de sa famille, en une sorte de réunion (les frères Abir et Abhijit), pour apporter un soutien moral (Anita et sa soeur Nalini) ou assister à un heureux événement : Marion, écrivain étudiée à Hong-Kong « plante » littéralement la journaliste venue du Brésil pour la bonne cause : sa fille est sur le point d’accoucher. D’un côté, cela me questionne : pourquoi prendre l’avion alors qu’il est tant de moyen d’interviewer quelqu’un – ce à quoi se résoudra la jeune femme, finalement, faire parvenir les questions via internet. De l’autre, le lecteur peut voir à quel point il est facile de voyager d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, même si les vols sont longs, même si des turbulences perturbent les vols, même si la phobie de l’avion existe et si des accidents sont toujours possibles.
Si proche, si loin également : Nalini ne voit son mari Shamar que tous les deux ans, il ne peut pas rentrer plus souvent – ou ses employeurs ne lui permettent pas de rentrer plus souvent (le coût du voyage est assez effarant). Cette absence lui pèse et cette situation n’est pas normale, quelle que soit la manière dont on envisage les faits. Alors, et pas seulement dans le cas de Shamar, l’on en vient à imaginer la vie de l’autre, là-bas, de supposer – et le lecteur, par le biais de ses douze personnages, de découvrir d’autres réalités. IL n’a jamais été aussi facile de fuir, il n’a jamais été aussi facile de se réinventer.

Capitaine Albator : Dimension voyage, tome 1 de Leiji Matsumoto et Kouiti Shimaboshi

Présentation de l’éditeur :

Il revient…!

On le dit hors-la-loi, traître, lâche ayant abandonné la Terre livrée à la corruption et à l’anarchie.
Alors qu’il est sans doute le seul espoir de l’humanité !
Le danger approche et un seul homme se dresse face à la menace sylvidre : Albator !

Mon avis :

Pourquoi ce manga ? Parce qu’Albator ! Le seul animé des années 80 que j’aurai envie de revoir (Candy très peu pour moi).
Alors oui, c’est une version moderne, mais l’esprit est toujours là, celui du capitaine et de son équipage, seuls contre tous ou presque.
Oui, nous sommes dans le futur, et pourtant, j’ai l’impression que la corruption et l’anarchie règnent déjà sur terre, que certains hommes politiques ont d’autres préoccupations que de s’occuper des problèmes urgents, pour ne pas dire des problèmes tout courts.
La violence est là, forcément ai-je envie de dire, et elle est là aussi pour montrer une volonté de sur-vivre.
Albator a trouvé une nouvelle recrue, qui partage les mêmes idéaux que lui et que son équipage, la même volonté de ne pas baisser les bras, de ne pas se reposer sur les autres pour y parvenir. Alors oui, c’est simplement le début de leurs aventures, mais il faut bien un début – fort – à tout.

Richesse oblige par Hannelore Cayre

Orange, tome 1 de Ichigo Takano

Présentation de l’éditeur :

Un matin, alors qu’elle se rend au lycée, Naho reçoit une drôle de lettre… une lettre du futur ! La jeune femme qu’elle est devenue dix ans plus tard, rongée par de nombreux remords, souhaite aider celle qu’elle était autrefois à ne pas faire les mêmes erreurs qu’elle. Aussi, elle a décrit, dans un long courrier, les évènements qui vont se dérouler dans la vie de Naho lors des prochains mois, lui indiquant même comment elle doit se comporter. Mais Naho, a bien du mal à y croire, à cette histoire… Et de toute façon, elle manque bien trop d’assurance en elle pour suivre certaines directives indiquées dans ce curieux courrier. Pour le moment, la seule chose dont elle est sûre, c’est que Kakeru, le nouvel élève de la classe, ne la laisse pas indifférent…

Mon avis ;

Attention ! Manga fortement émouvant, vous êtes prévenu.

En commençant à rédiger mon avis, je pense à cette question, qui était systématique de la part des journalistes quand ils interrogeaient une star d’âge mûr : si vous aviez la possibilité, est-ce que vous referiez tout ? Toutes ces artistes (oui, la question est souvent posée à des femmes) répondent alors d’un ton passionné : oui, tout. Pour ma part, il est des petites choses que je changerai – il vaut mieux vivre avec des remords qu’avec des regrets.

Or, Naho, seize ans, reçoit une lettre du futur. Elle a beau ne pas y croire au début, c’est pourtant bien la réalité : tout ce qui est écrit dans cette lettre s’accomplira au cours de la journée. Naho n’osera pas, cependant, obéir à son moi du futur, et commence déjà à se questionner sur les conséquences de ce qu’elle n’a pas osé faire. La clé est là. Naho n’ose pas. Elle a peur de déranger, peur d’avouer ses sentiments, peur de l’échec aussi. Pourtant, elle pense toujours aux autres avant de penser à elle-même, à leur bien être. S’immiscer dans leur vie, même pour les aider, même pour (se) faire plaisir, elle n’ose pas. Et les lettres qu’elle continue à recevoir de la Naho du futur lui montre l’étendue de ses regrets, qui l’étouffent littéralement. Au fur et à mesure de ce premier tome, nous comprendrons pourquoi le regret est si vif.

Alors, bien sûr, Naho peut se voir avec le recul du temps, se dire qu’elle aurait dû faire cela – mais sur l’instant, ce n’est pas facile, il faut du courage, il faut « y aller », oser – et j’ai beaucoup aimé le personnage de Suwa. Naho se rend compte, paradoxalement, qu’en croyant aider Kakeru, qu’en s’éclipsant parce que sa petite amie ne l’aimait pas, elle n’a pensé à ce que lui voulait vraiment. Cela m’a questionnée aussi sur ce qu’est une relation amoureuse toxique (à mes yeux). Non, il n’est pas normal qu’une petite amie refuse que son copain parle à une autre fille, non, il n’est pas normal qu’une camarade de classe n’ose pas parler à un garçon parce qu’il est en couple, et c’est bien qu’un des personnages (Suwa, donc) soulève la question.

Nous retrouvons aussi les personnages dans le présent (ou le futur, comme l’on veut) avec leurs rêves pas toujours réalisés, leurs regrets, aussi, encore. Ils sont confrontés à leur moi du passé, une lettre qu’ils avaient écrite et qui exprimait ce qu’ils désiraient devenir. Le jeu entre les deux espace/temps est vraiment réussi – mais tout, dans ce manga, est vraiment réussi.

Une saga que je poursuivrai après le confinement.

L’art d’échouer d’Elizabeth Day

Présentation de l’éditeur :
Avec beaucoup d’humour et une courageuse sincérité, Elizabeth Day s’inspire de ses propres déboires personnels, mais aussi de son célèbre podcast How To Fail qui a vu défiler des célébrités telles que Phoebe Waller-Bridge, Alastair Campbell et David Nicholls, pour nous livrer un puissant manifeste aux accents féministes et s’élever contre les diktats de la perfection.
À l’heure des réseaux sociaux, difficile d’échapper à ce flux constant de photos de stars en bikini, de bébés joufflus et de plages paradisiaques. Si la vie ressemble vraiment à une série de hashtags tonitruants, #lovemyjob, #holidays, #bestmum, alors tant mieux ! Mais quand le travail pèse, que la charge mentale s’accumule, quand la tristesse et la colère s’installent, que le bébé tant attendu ne vient pas et qu’on est sur le point de signer les papiers du divorce, comment ne pas voir sa vie comme une succession de ratages ?
Ce sentiment d’échec, Elizabeth Day, brillante journaliste, l’a longtemps éprouvé. Jusqu’à ce qu’une rupture amoureuse dévastatrice la pousse à tout reconsidérer : et si échouer était en réalité une chance unique de se réinventer ?
Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour leur confiance.
Mon avis :
L’art d’échouer. Tout un programme. Des choses dont on ne parle pas, mais alors pas du tout, surtout pas dans notre société. Partout, l’on ne voit que réussite, quel que soit le niveau : ouvrez le moindre magazine, le moindre compte instagram, et vous verrez des réussites à tout point de vue, que ce soit la nouvelle recette de cuisine, votre mariage ou la naissance de bébé (forcément parfait lui aussi).
Alors oui, Elizabeth Day, dont j’avais déjà apprécié un des romans, dénote, détonne dans cette univers, quand elle crée un podcast où elle demande à ses invités de parler de ses échecs, où elle-même parle de ses échecs, dont le plus grand est sans doute le fait de ne pas avoir pu devenir mère. Oui, de nos jours où on nous dit en long, en large et en travers « un enfant quand je veux », on ne vous montre pas, ou très rarement, le protocole à suivre lors d’une fécondation in vitro, les échecs, et la fausse couche toujours possible – c’est ce qui est arrivée à l’autrice, qui ne cache pas les douleurs éprouvées (physique et morale).
Elle montre aussi que l’échec n’est pas une fin, mais peut être le point de départ d’autre chose. Elle montre aussi que l’échec est ce que l’on ressent soi, et qu’il ne faut pas laisser le regard des autres vous affecter. Plus facile à dire qu’à faire, et l’autrice a effectué un long parcours pour en arriver là.
L’art d’échouer est un livre féministe. Point. Je rappelle que le féminisme est le fait de vouloir les mêmes droits pour les hommes et les femmes. Or, Elizabeth Day nous montre à quel point les attentes envers les femmes, leurs obligations, leurs contraintes sont plus fortes que pour les hommes. Un homme a le droit d’échouer, une femme, nettement moins. Un homme peut attendre d’être prêt pour avoir un enfant, une femme n’a pas toute la vie devant elle. Un homme peut montrer sa colère, elle sera valoriser, une femme en colère sera une hystérique, il ne faut surtout pas qu’elle montre ce sentiment. Bref, une femme doit être dans le contrôle permanent, de son apparence, de ses sentiments, de sa carrière, de sa vie familiale et amoureuse. En prendre conscience, c’est aussi vouloir faire changer les choses – et montrer aussi qu’en dépit de décennies de combat féministes, il reste encore beaucoup à faire.
Je terminerai par deux citations :
Vivre en fonction de ce que les autres peuvent penser de nous, c’est céder le contrôle sur ce que nous sommes. C’est déléguer la perception de soi à des inconnus qui ne nous connaissent pas.
De même que la génération de ma mère s’est battue pour le droit de leurs filles à avoir une carrière, je me bats pour le droit de chaque femme à ne pas avoir d’enfants sans être jugée pour cela. Je me bats pour le droit d’être reconnue, valorisée et entendue, au lieu d’être traitée comme quelqu’un d’incomplet, qui passe à côté de quelque chose de fondamental.
En vérité, mon échec à avoir des bébés n’est pas un échec. La seule à échouer, c’est la société qui m’a donné le sentiment que je ne parvenais pas à remplir des critères imaginaires. Peut-être est-ce un échec de ma part d’avoir laissé cette opinion m’affecter. Mais pour ce qui est de la rencontre hasardeuse et extraordinaire entre le bon spermatozoïde et le bon ovule pile au bon moment de mon cycle biologique ? Nul ne peut m’en tenir pour responsable.