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Orage sur le Tanganyika de Wilfried N’Sondé

Présentation de l’éditeur :

Joséphine se prépare à mettre au monde un nouvel enfant. Minerve, son mari, est très inquiet. Il ne veut pas revivre le cauchemar de la dernière fois : l’enfant était mort et Joséphine avait été gravement blessée pendant l’accouchement. Cette fois, Minerve fera tout pour le sauver. Mais quand on habite loin de tout, quand on est pauvre, et que des milices armées rôdent sur les routes, la vie ne tient qu’à un fil…Un roman situé au coeur de l’Afrique, de ses douleurs et de ses espoirs…

Mon avis : 

Ce récit est destiné à des personnes qui apprennent le français ou à de faibles lecteurs. Et pourtant…. ce récit est particulièrement prenant et touchant. Joséphine et Minerve attendent leur second enfant. Le premier est mort à la naissance, et Joséphine a gardé de lourds séquelles de son accouchement, au point d’être ostracisée par les habitants de son village. Telle est la tradition. Le second accouchement ne s’annonce pas bien non plus, aussi, cette fois-ci, Minerve prend la décision d’emmener Joséphine au dispensaire (et je vous laisse imaginer la douleur du trajet, pour elle, même si son mari prend le plus de précautions possibles, Joséphine est tout de même installée à l’arrière de son vélo alors qu’elle est en plein travail). Là, à nouveau, une décision est prise : Joséphine doit être emmenée ailleurs, là où l’on pourra lui faire une césarienne si les choses tournent mal.

Court récit, et course contre la montre dans un pays où rodent militaires et miliciens. Les premiers, avec quelques billets, on peut les soudoyer, les seconds, non, et les conséquences se comptent en morts, en blessés. Nous découvrons aussi ceux qui ont choisi de rejoindre des ONG, notamment Jenny, qui veut être utile, avant toutes choses, Arthur, jeune médecin angoissé, ou Karim, qui continue ses missions malgré tout.

Une oeuvre pleine d’espoir, à partager.

Rebelles venus de l’est d’Ikhena Okeh

Présentation de l’éditeur.

Un fils illégitime disparu. Une traque effrénée au cœur d’un réseau criminel. Une atmosphère mêlant habilement violence et comique de situation. Une amitié qui déjoue les plans de la Mort.

Mon avis :

Ame sensible s’abstenir. Vous êtes prévenu.
Non, je ne dirai pas pourquoi, je n’essaierai pas de justifier non plus, mais je tiens à préciser que certaines scènes sont délicates à lire.
Nous sommes au Nigeria, et ce n’est rien de dire que les temps sont troublés. Les scènes d’ouverture sont à ce sujet assez révélatrices.
Le personnage principal, c’est Luciano. Il se rêve écrivain, si ce n’est qu’il ne parvient pas à être publié, lui qui travaille et retravaille son manuscrit, ne se séparant jamais de son ordinateur portable. Sa compagne de longue date n’en peut plus de ses aspirations, de son incapacité à subvenir à ses besoins, de lui assurer le mariage que la tradition exige. Par conséquent, elle le quitte. Luciano n’a pas vraiment eu le temps de s’appesantir sur son sort, il a en effet été contacté par un homme riche, puissant, qui lui confie une mission : retrouver son fils illégitime, étudiant âgé d’une vingtaine d’années. Pourquoi le chef l’a-t-il choisi, lui, l’aspirant écrivain ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que Luciano pense que la mission sera facile. Bien sûr, ce ne sera pas le cas. Pourquoi ressent-il le besoin de nouer des liens avec cet enfant ? Facile : ses enfants légitimes se sont détournés de lui, préférant construite leur vie loin de lui et du Nigeria.
Aniete – tel est le nom du fils même pas prodigue puisqu’il ignorait tout de son père – est une personnalité à part, comme le découvrira très vite Luciano. Je ne dis pas que le jeune homme prend un malin plaisir à faire tourner en bourrique l’aspirant écrivain, non. Il a des choses à faire, des comptes à régler, et il n’a pas l’intention de laisser tout cela derrière lui. Il faut dire que d’autres n’ont pas vraiment l’intention non plus de le laisser partir ainsi. Pour faire court, la mission s’annonce beaucoup plus dangereuse que prévu.
A travers le personnage d’Aniete, le récit nous montre à quel point la vie au Nigeria peut être difficile. La vie quotidienne d’un étudiant désargenté est loin d’être simple, et les solutions trouvées pour s’en sortir ne sont pas nécessairement les meilleures – mais quand on ne mange pas, on devient très vite près à tout. La violence est partout, même dissimulée dans des lieux où l’on ne penserait pas la voir surgir (oui, je fais toujours référence à la scène d’ouverture). La violence peut rentrer dans les vies de n’importe qui, et ce n’est pas Luciano qui dira le contraire, lui dont nous découvrons peu à peu le passé. A travers lui et le roman qu’il écrit, nous découvrons aussi les légendes du Nigeria.
Un roman à découvrir pour ceux qui n’ont pas peur de quitter les sentiers battus.
Merci aux éditions Mera et à Netgalley pour ce partenariat.

De ruines et de gloire d’Akli Tadjer

Présentation de l’éditeur :

Algérie. Mars 1962. Malgré le cessez-le-feu décrété par de Gaulle, les affrontements entre tenants de l’Algérie française et indépendantistes du FLN se poursuivent. La panique est générale ; la suspicion, omniprésente.

Adam El Hachemi Aït Amar, jeune avocat, rêve de mettre ses compétences au service de l’Algérie libre, mais lorsqu’on lui confie la défense d’Émilienne Postorino, activiste en faveur de l’Algérie française, il se trouve confronté à une situation délicate : défendre l’ennemi et tout ce contre quoi il s’est engagé. Sous la plume éminemment romanesque d’Akli Tadjer, c’est toute la complexité d’une époque et d’un pays en plein chaos, mais aussi de la psyché humaine, qui prend vie. De ruines et de gloire est un roman puissant, aux résonances très contemporaines.

Mon avis : 

J’ai terminé ce livre en étant totalement soufflée par ce que je venais de lire, par la force de ce récit, par la puissance de son intrigue, qui nous montre, nous raconte ce dont on ne parle que fort peu : l’Algérie des années 60, l’Algérie de l’indépendance, et ce qui s’y passa ces années-là.

Le personnage principal est Adam El Hachemi Aït Amar, jeune avocat. Il a 24 ans, il est revenu en Algérie avec son père, un homme qui a profondément perdu Zina, la mère d’Adam, mais que l’Histoire a éloigné de lui. Adam cherche encore quel avocat il veut être, lui qui admire Jacques Vergès, lui qui ne se voit pas défendre Emilienne Postorino. Qui est-elle ? Une jeune femme qui refuse viscéralement l’indépendance de l’Algérie, une activiste en faveur de l’Algérie française, une jeune femme qui ne voit pas sa vie, qui n’envisage pas sa vie ailleurs que dans une Algérie qui resterait française.

C’était la guerre d’Algérie, reprenant à mon compte le titre d’une oeuvre de Tardi, cette guerre qui se poursuit en dépit du cessez-le-feu, cette violence et cette peur qui sont omniprésentes. La lecture de certaines pages est difficilement soutenable, et pourtant, j’ai envie de faire partager cette lecture, pour montrer, pour que jamais l’on ne s’habitue, que jamais l’on ne trouve « normal » ces récits, dont Adam et son père se trouvent les réceptacles, eux qui se demandent ce que sont leurs amis, leurs proches devenus. Adam fait face à ce quotidien, lui que les événements (j’utilise le nom qui leur était donné à l’époque) a déjà écarté du premier amour de sa vie, lui qui est le témoin de liens amoureux qui se nouent et se dénouent, comme si, en ces années-là, l’amour était impossible. Restent les liens familiaux, qui peuvent être très forts, comme ceux qui lient Adam et son père.

Après avoir lu ce qui s’avère être le troisième tome d’une trilogie, j’ai fortement envie de découvrir les deux premiers.

Merci aux éditions Les escales et à Netgalley pour ce partenariat.

La femme au manteau bleu de Deon Meyer

édition Folio – 168 pages

Présentation de l’éditeur :

Les treize passagères d’un taxi-minibus qui a fait halte au panorama du col de Sir Lowry, à l’ouest du Cap, découvrent avec horreur un corps nu de femme disposé sur un muret. Pas le moindre objet, ou vêtement, qui permette de l’identifier. Un détail intrigue Benny Griessel et Vaughn Cupido, le tandem de choc de la brigade des Hawks chargé de l’enquête : le cadavre a été soigneusement lavé à l’eau de Javel. Quand il est établi que la victime est une experte en peinture de l’Age d’or hollandais, le mystère s’épaissit.
Quelle œuvre cachée est donc venue chercher dans un village perdu cette Américaine dont le travail consistait à localiser des tableaux disparus ?

Mon avis :

Je crois que mon premier commentaire ressemblera à celui de tous les fans de Deon Meyer : il est bizarre de lire un livre de cet auteur, mettant en scène Benny Griessel et Vaughn Cupido qui soit aussi court – moins de deux cents pages. A l’échelle de ce qu’écrit Deon Meyer d’habitude, cela donne presque l’impression de lire une longue nouvelle.

Pourtant, je ne pense pas que quoi que ce soit aurait pu être rajouté à cette enquête sur un meurtre sordide. Ce meurtre les plongera dans le passé, non seulement de la victime, mais aussi de leur pays, de certains faits qui avaient été oubliés, parce que l’histoire de l’art, finalement, n’a pas l’importance de l’Histoire avec sa grande hache (j’emprunte l’expression à Georges Pérec). Benny Griessel découvre d’ailleurs avec étonnement à quel point un tableau peut revêtir de l’importance pour certaines personnes, pas forcément de la manière que l’on pourrait croire, alors que pour d’autres, leur réputation, le qu’en dira-t-on l’est beaucoup plus, même de nos jours. Quant à la vie privée de Benny, elle prend un tournant heureux, puisqu’il s’est décidé à demander sa compagne en mariage. Reste maintenant à lui acheter une bague de fiançailles digne d’elle et de son milieu social, et cela, même pour un enquêteur de la brigade des Hawks, c’est une toute autre affaire.

Un moyen de patienter avant une oeuvre plus conséquente pour les fans, un bon moyen de découvrir l’oeuvre de l’auteur et l’Afrique du Sud pour les autres.

4e participation – Afrique du Sud

Le cartographe des absences de Mia Couto

 

Présentation de l’éditeur :

En 2019, un cyclone a entièrement détruit la ville de Beira sur la côte du Mozambique.
Un poète est invité par l’université de la ville quelques jours avant la catastrophe. Il retrouve son enfance et son adolescence dans ces rues où il a vécu dans les années 70. Il va faire un voyage “vers le centre de son âme” et y trouver son père, un grand poète engagé dans la lutte contre la colonisation portugaise.

Mon avis :

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

Je découvre Mia Couto alors que j’ai déjà un de ses titres dans ma PAL mais que je ne l’en ai pas encore tiré.

Diogo, le personnage principal, se lance sur les traces d’Adriano, son père. Il n’était pas là pour cela, non, il était là pour une célébration universitaire banale et ennuyeuse. Officiellement. Parce que lui sait pourquoi il est là, pourquoi il est parti de chez lui (à moins qu’il n’ait été mis dehors). Il ne savait pas en revanche que quelqu’un, Liana, s’aventurerait à le remettre sur le chemin de son passé, en lui donnant et en lui restituant des écrits de cette époque.

Nous faisons un voyage entre passé et présent, sur les traces d’un pays colonisé qui souhaite son indépendance, à une époque où le racisme est omniprésent, dans chaque parole, chaque acte, où l’on se débarrasse très facilement de ce qui pose problème et de ceux qui posent problème. Nous découvrons le passé à travers les yeux de Diogo, alors adolescent. Nous le découvrons aussi grâce à Oscar Campos, ce policier qui a interrogé les proches d’Adriano, sa femme, sa mère, mais aussi sa voisine, qui excellait dans les commérages et la délation : la place des femmes est au foyer, pour mieux voir tout ce qui se passe autour. Nous découvrons le présent avec Adriano, toujours, qui lit ou relit les écrits de cette époque, et Liana, qui veut tout savoir sur sa mère et sur sa disparition. Autre disparu : Sandro, le cousin de Diogo, celui qu’Adriano et Virginia ont élevé comme leur fils. Il a dû faire la guerre, comme tous les jeunes gens de cette époque, cette guerre qui disait son nom, guerre qu’il ne voulait pas faire. Des secrets entourent ce personnage, dont on parlera beaucoup. En fait, les personnages absents, les personnages cherchés ou recherchés ont plus d’importance dans ce récit que ceux dont nous suivons les traces, au milieu d’un pays dont je ne connais ni l’histoire, ni la géographie.

Récit, mais pas seulement, parce que les personnages écrivent l’histoire en même temps que nous la lisons, parce que leurs écrits peuvent être sujets à caution, parce que les personnages eux-mêmes peuvent cacher des informations, pour des raisons qui ne regardent qu’eux, parce que regarder son passé en face, démêler les mensonges, les non-dits, remettre en cause ce que l’on a cru vrai pendant des années n’est pas facile.

Les impatientes de Djaïli Amadou Amal

09

Présentation de l’éditeur :

Trois femmes, trois histoires, trois destins liés.
Ce roman polyphonique retrace le destin de la jeune Ramla, arrachée à son amour pour être mariée à l’époux de Safira, tandis que Hindou, sa soeur, est contrainte d’épouser son cousin.
Patience ! C’est le seul et unique conseil qui leur est donné par leur entourage, puisqu’il est impensable d’aller contre la volonté d’Allah. Comme le dit le proverbe peul : « Au bout de la patience, il y a le ciel. » Mais le ciel peut devenir un enfer. Comment ces trois femmes impatientes parviendront-elles à se libérer ?
Mariage forcé, viol conjugal, consensus et polygamie : ce roman de Djaïli Amadou Amal brise les tabous en dénonçant la condition féminine au Sahel et nous livre un roman bouleversant sur la question universelle des violences faites aux femmes.

Mon avis :

Je rédige cet avis dans un double cadre : celui d’une lecture commune avec le challenge plumes féminines, et celui, plus professionnel, d’une lecture dans le but de faire étudier ce livre à mes 3e l’an prochain. Note : je suis sûre que ce livre aurait intéressé mes 3e de l’an dernier, et ceux de l’année dernière, la thématique du mariage forcé et des violences faîtes aux femmes étant des thématiques qui les touchaient – et j’espère les touchent encore.

Le premier fait qui m’a frappé quand j’ai commencé la lecture de ce livre est la manière dont les familles sont compartimentés : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Les pères n’ont que peu ou pas de contact avec leurs filles, leurs fils, par contre, ont tout loisirs de tisser des liens avec eux. La mission d’un père est de marier sa fille, et pour la marier, il n’écoutera pas les femmes, il n’écoutera pas sa fille, non, il écoutera les autres hommes de sa famille, n’hésitant pas à choisir un mariage avantageux pour lui, pour les siens, et certainement pas pour les siennes. Pour un homme, une fille mariée est un problème en moins, c’est désormais le problème d’un autre homme : « Depuis notre enfance, ils n’attendent que ce moment où ils pourront enfin se décharger de leurs responsabilités en nous confiant, vierges, à un autre homme.« .

Le second fait qui m’a frappé, c’est la violence. Elle est multiple. La violence physique est la plus évidente, il suffit de lire ce que subira Hindou lors de sa nuit de noces, qui n’est autre qu’un viol brutal mais autorisé, ce qu’elle a déjà subi avant (lire ce qu’elle raconte à Ramla) et ce qu’elle subira tout au long de son mariage avec de lourdes conséquences pour elle. Je reste très sobre en écrivant ainsi, parce que ce que raconte Djaïli Amadou Amal, qui a elle-même été mariée de force à 17 ans, n’est pas résumable, il faut lire ses mots.

Je pense à la violence affective et psychologique en second lieu. Depuis leur naissance, les filles sont élèves, façonnées, endoctrinées pour être obéissantes, pour être patientes, pour accepter de tout subir pour l’honneur de sa famille, au sens très large du terme. Les mères elles-mêmes exercent une pression sur leur fille, ou, pour mieux dire, un chantage affectif : L’amour n’existe pas avant le mariage, Ramla. Il est temps que tu redescendes sur terre. […] Tu feras ce que ton père et tes oncles te diront. D’ailleurs, as-tu le choix ? Epargne-toi des soucis inutiles, ma fille. Epargne-moi aussi, car ne te leurre pas, la moindre de tes désobéissances retombera invariablement sur ma tête. 

Ramla a beau être différente, elle ne pourra échapper au mariage forcé, elle qui rêvait d’un mariage d’amour avec le jeune homme qu’elle aimait. Elle est différente parce qu’elle ne veut pas de la vie que beaucoup d’autres jeunes filles veulent – un riche époux, un bel intérieur, de beaux vêtements. Elle veut étudier, elle étudiera d’ailleurs jusqu’à son mariage, elle transmettra même un peu de son savoir à Safira, la première épouse de son mari, à qui elle apprendra à lire – avec l’accord de leur époux. Ne pas oublier que la polygamie est parfaitement légale là-bas, et que la vie dans la concession, est lourdement codifiée pour les épouses.

Les co-épouses ne sont pas, ne peuvent pas devenir des amies, cela, je le savais déjà depuis que j’ai vu Epouses et concubines de Zhang Yimou. ou lu Vent d’Est, vent d’Ouest  de Pearl Buck. On me répondra que ce n’est pas la même époque, que ce n’est pas la même culture, et pourtant, la rivalité est bien là, rivalité qui s’étend aussi aux enfants des épouses. Cette rivalité est permanente, perpétuelle, tout est mis en oeuvre pour pourrir la vie de l’autre, même si cette autre, c’est à dire Ramla, ne voulait pas devenir co-épouse, a toujours aspiré à une autre vie. Safira est autant à plaindre que Ramla parce qu’elle aussi souffre, elle souffre de voir son mari prendre une seconde épouse, elle souffre de devoir le partager, de ne rien avoir su, sauf par la rumeur publique. Elle se bat pour conserver sa place, pour ne pas être délaissée, pour ses enfants aussi – et elle utilise pour cela toutes les armes à sa disposition.

C’est un livre relativement bref, certes, il n’est pourtant pas facile à lire, il tient autant du témoignage que du récit, témoignages de ces femmes que l’on n’entend pas, que l’on ne voit pas, dont on ne parle pas non plus. Il est bon que des voix s’élèvent pour leur donner la parole.

Puissions-nous vivre longtemps d’Imbolo Mbue

Présentation de l’éditeur :

C’est l’histoire d’un petit village d’Afrique de l’Ouest en lutte contre la multinationale américaine qui pollue ses terres et tue ses enfants.
C’est l’histoire d’une génération d’anciens qui a cru en la promesse d’une prospérité venue d’Occident.
C’est l’histoire d’une jeunesse qui décide de se révolter, quitte à user de la violence et à prendre les armes.
C’est l’histoire de Thula, la belle et courageuse Thula, prête à tout pour sauver les siens au risque de tout sacrifier.

Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je le dis d’entrée de jeu, j’ai eu du mal à lire ce livre, j’ai eu du mal à aller au bout de ce livre. Ce qu’il raconte est en effet dur, tragique, parfois insoutenable, d’autant plus insoutenable que l’histoire est cruellement possible.
A chaque chapitre son ou ses narrateurs. Ils alterneront tout au long du récit, parce que certains faits ne pourront être racontés par n’importe qui. Le narrateur peut être un, comme Thula ou Bongo, son oncle, ou Sahel, sa tante. Il peut être choral, comme ce groupe d’enfants qui a le même âge que Thula, ce groupe de survivants, à la maladie, au massacre.
C’est l’histoire d’une multinationale américaine qui s’est installée dans ce village – dans d’autres villages aussi – avec la bénédiction de Son Excellence, qui dirige ce pays d’Afrique de l’Ouest. C’est l’histoire d’une multinationale qui engrange de grands bénéfices, et néglige tout ce qui peut assurer la sécurité des habitants du village. Les terres deviennent stériles, l’eau polluée. Les enfants tombent malades, et parfois, trop souvent même, ne guérissent pas. Le petit frère de Thula aura la chance de revenir à la vie. Un parmi tant d’autres qui seront mis en terre avant leurs parents et leurs grands-parents.
C’est l’histoire d’années qui se transforment en décennies de lutte. Ce sont des tentatives pour faire bouger les choses, pour que réparations soient faites, dans tous les sens du terme. C’est l’histoire de choix, aussi, partir, rester, accepter l’argent, accepter le travail. C’est constater aussi que les employés de la compagnie, s’ils ont accepté de travailler pour la compagnie, ne sont pas forcément mieux lotis.
C’est l’histoire de traditions que les grands-parents, les parents essaient de transmettre. C’est l’histoire du capitalisme qui s’implante tranquillement en terre africaine, c’est l’histoire aussi du colonialisme, de l’esclavage, qui ont laissé des traces sur la terre et dans les mémoires.
Ce n’est pas un livre facile, je l’ai déjà dit, mais c’est un livre important, à lire et à partager.

Lagos lady de Leye Adenle

Présentation de l’éditeur :

Mauvaise idée de sortir seul quand on est blanc et qu’on ne connaît rien ni personne à Lagos ; Guy Collins l’apprend à ses dépens, juste devant le Ronnie’s, où il découvre avec la foule effarée le corps d’une prostituée aux seins coupés. En bon journaliste, il aime les scoops, mais celui-là risque bien de lui coûter cher : la police l’embarque et le boucle dans une cellule surpeuplée, en attendant de statuer sur son sort. Le sort, c’est Amaka, une splendide Nigériane, ange gardien des filles de la rue, qui, le prenant pour un reporter de la bbc, lui sauve la mise, à condition qu’il enquête sur cette vague d’assassinats. Entraîné dans une sombre histoire de juju, la sorcellerie du cru, notre journaliste à la manque se demande ce qu’il est venu faire dans cette galère, tandis qu’Amaka mène la danse en épatante femme d’action au milieu des notables pervers.

Mon avis :

Il était dans ma PAL depuis quatre ans, depuis Quai du polar 2016. J’ai même lu la suite, Feu pour feu, avant de lire celui-ci. Ce « changement d’ordre » n’a pourtant pas nui à ma compréhension du tome 2. Paradoxe ? Oui, puisque les deux intrigues se suivent.

Le personnage principal, de prime abord, est Guy Collins. Il est journaliste, du moins, il essaie de le rester, et se retrouve pris dans une affaire qui le dépasse assez rapidement. Aussi l’apparition d’Amaka dans l’intrigue et dans sa vie est comme une bouffée d’oxygène pour lui – et tant pis si Amaka s’intéresse à lui parce qu’elle le prend pour un reporter de la prestigieuse BBC. Amaka n’est pas une « bonne fée » que pour lui. Elle vient en aide à celles que personne ne voit, ces femmes, ces jeunes filles qui sont des proies faciles, mais qui savent qu’elles peuvent toujours compter sur Amaka. Prendre des précautions, faire attention, relever les plaques d’immatriculation, la vie d’une prostitués à Lagos, c’est être constamment sur ses gardes pour espérer survivre.Quand je parle de « proie », je parle aussi du « matériel » nécessaire pour la sorcellerie, le « juju », qui a besoin d’organes humains pour sa pratique. Oui, au XXI siècle, cela existe encore – les hommes de pouvoir se soucient plus du pouvoir, justement, que des femmes ou des enfants. N’oublions pas la corruption et la drogue, et nous arrivons à un portrait presque complet de ce qui se passe à Lagos.

La police ? Elle est difficile à cerner (elle l’est davantage dans le second tome) parce qu’elle doit aussi enquêter, même si elle semble en retrait, et si ces méthodes sont très éloignées de ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Oui, il faut des résultats, c’est un leitmotiv quel que soit le pays évoqué. La manière dont le résultat est obtenu est ce qui diffère. Quant à la vérité, on repassera.

Un polar qui bouscule.

 

Une heure de ténèbres de Michèle Rowe

Présentation de l’éditeur :

Nuit noire sur le Cap. Le monde entier se mobilise contre le réchauffement climatique en éteignant les lumières pendant une heure. à la faveur de l’obscurité, une vague de violence déferle aux abords de la ville. Une mère et son bébé sont portés disparus.
Prise d’otages ? Règlement de comptes ? Banale délinquance ? Chargée de l’enquête, Persy Jonas, inspectrice native des townships, fait alliance avec Marge Labuschagne, psychologue et ex-profileuse issue des quartiers blancs sécurisés, dont tout, pourtant, la sépare. Ensemble, elles vont devoir élucider une affaire aux ramifications beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît.

Mon avis :

Pendant 560 pages, plongez-vous au coeur de l’Afrique du Sud, et croyez-vous, ce n’est pas forcément facile à suivre. Il ne s’agit pas tant de la construction du livre que de la complexité de la société sud-africaine. Prenons Annette, le premier personnage avec lequel nous faisons connaissance. Elle est mère au foyer, son petit dernier, Callum, a huit mois. Elle et sa famille ont emménagé dans un quartier ultra-sécurisé, qui offre toutes les protections possibles et imaginables à ceux qui y vivent. Certes, il ne faut pas oublier de fermer les portes à clef. Certes, il faut que le gardien garde l’oeil ouvert. Certes, il ne faut pas que l’on tombe sur cette « heure pour la planète », cette heure où, pour mieux faire prendre conscience du réchauffement climatique et des dépenses engendrées, tous doivent éteindre les lumières. Quand elles furent rallumées, la vie d’avant n’avait pas vraiment repris.
C’est peu de dire que les enquêteurs sont sur les dents. C’est plutôt qu’ils doivent parvenir aussi à régler les conflits internes afin d’enquêter. Ce peut être des conflits intimes, comme celui entre Persy et Tucker, coéquipiers et amants, le tout sous la direction de Dina, métisse et femme de Tucker. Persy est née dans les townships – et oui, sa couleur de peau peut poser problème. Tucker est blanc, et il a l’impression que la nouvelle politique le défavorise, qu’il ne montera jamais en grade puisqu’il est un homme, puisqu’il est blanc. Et pourtant, il est un excellent enquêteur, méticuleux, soigneux, précis – un policier qui veut que ceux qu’il arrête soient condamnés. Comme si ce n’était pas le cas de tout le monde.
Des policiers, il en est d’autres, qui ont une certaine vision de leur mission, une certaine manière de nettoyer les rues de ceux qui gênent – SDF, prostituées, drogués, personnes qui ont réussi à survivre envers et contre tout. Ce qui m’a frappé dans ce roman est le logement – ou comment se loger est extrêmement difficile, et devient un marqueur de votre position sociale. Persy ? Elle a eu la chance de trouver un logement, petite maison dans la cour d’une autre maison. Elle n’est pas la seule à sous-louer ainsi, elle a seulement la chance d’avoir un logement décent, ce qui est pas le cas de tous, surtout pas de Mandisa, qui grandit entre sa soeur aînée, le bébé de celle-ci, son frère et sa mère, femme de ménage dont elle a l’impression qu’elle préfère la famille de blanc qu’elle sert à la sienne. Il peut en naître, des drames, sur une incompréhension mutuelle.
Une enquête, puis deux enquêtes. Deux disparitions, puis une troisième, et l’arrivée dans l’enquête de Marge Labuschagne. Elle a déjà travaillé avec Persy, elle la connait en fait depuis très longtemps, du temps où Marge était profileuse, et Persy, diminutif de Perséphone, une petite fille dont le frère avait disparu, avant que ce soit sa mère qui lui fasse faux bond – définitivement. Marge connaît les failles de Persy, ses douleurs, elle est sans doute la seule. Et Marge ? Elle aussi n’a pas eu l’existence « facile » que certains pourraient croire et, à 53 ans, elle entend bien garder son indépendance, tant pis pour ce qu’en pense son fils aîné (le portrait de son père, dont elle est divorcée), sa belle-fille, totalement azimuthée, et sa capricieuse de belle-petite-fille. Marge est psy, et elle est aussi apte à réviser ses jugements quand elle se trompe. S’occuper des autres, c’est bien, être capable comme elle le fait de se remettre en cause, c’est encore mieux, ce qui prouve toute la richesse de ce personnage. Bien sûr, lle est aussi apte à enquêter, même si ce n’est pas sa tâche, même si cela peut provoquer quelques catastrophes en cascade quand on approche de trop près de certaines vérités.
Une heure de ténèbres est un roman très intéressant, et, j’ai eu beau chercher, je n’ai pas l’impression que l’auteure ait écrit d’autres livres depuis.

La proie de Deon Meyer

édition Gallimard – 576 pages

Présentation de l’éditeur :

Au Cap, Benny Griessel et Vaughn Cupido, de la brigade des Hawks, sont confrontés à un crime déconcertant : le corps d’un ancien membre de leurs services, devenu consultant en protection personnelle, a été balancé par une fenêtre du Rovos, le train le plus luxueux du monde. Le dossier est pourri, rien ne colle et pourtant, en haut lieu, on fait pression sur eux pour qu’ils lâchent l’enquête.
À Bordeaux, Daniel Darret, ancien combattant de la branche militaire de l’ANC, mène une vie modeste et clandestine, hanté par la crainte que son passé ne le rattrape. Vœu pieux : par une belle journée d’août, un ancien camarade vient lui demander de reprendre du service. La situation déplorable du pays justifie un attentat. Darret, qui cède à contre cœur, est aussitôt embarqué, via Paris et Amsterdam, dans la mission la plus dangereuse qu’on lui ait jamais confiée. Traqué par les Russes comme par les services secrets sud-africains, il ne lâchera pas sa proie
pour autant…

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour ce partenariat.

Mon avis :

J’aime beaucoup le personnage de Benny Griessel, parce qu’il est un personnage qui évolue. Oui, il reste un policier qui veut toujours aller au bout de ses enquêtes. Oui, il est un alcoolique, mais il fait ce qu’il faut pour ne pas replonger, et il sait très bien que le risque est là, toujours. Sa fille a terminé ses études, son fils est en plein dedans et Benny vit toujours avec Alexa. Vaughn est toujours son coéquipier qui, comme leur colonel en son temps, s’est mis au régime et veille à ce que personne ne soit au courant.

Ce qui évolue aussi est la situation de l’Afrique du Sud, et elle n’évolue pas de façon positive. La corruption est partout, y compris dans la police. Ne parlons même pas des hommes politiques. Le choix est simple : faire avec ou lutter contre, le second choix n’est pas forcément les plus aisé, et demande une attention constante. Prenez Benny Griessel et Vaughn Cupido, ils sont amenés à enquêter sur un meurtre, ce qui est leur métier. Dès le début, pourtant, les complications sont là : le temps qu’il a fallu pour trouver le corps, pour l’identifier. Les témoins ? Encore faut-il les retrouver, vu le temps qui s’est écoulé. L’autopsie ? Le lecteur découvre tout au long du récit à quel point faire des analyses, avoir leur résultat, ce qui nous semble presque de la routine à force de regarder les séries télévisées françaises ou américaines, peut devenir ici un long parcours du combattant, vu le manque de personnel et de moyens. Plus simplement (vraiment ?), il est difficile de mener une enquête quand des instances supérieures vous mettent des bâtons dans les roues ou, miracle ! résolvent le mystère à votre place, et tant pis si cela contredit les indices, les témoignages…. presque rien, au final. Oui, il faut s’accrocher quand on veut que la vérité triomphe.

Alors que ces évenements se déroulent en Afrique du Sud, à Bordeaux, nous trouvons Daniel, dont nous apprendrons petit à petit le passé. Il se contente de peu, Daniel, il exerce un métier peu connu mais qui lui convient parfaitement. Le week-end, il se balade en moto. Il est discret, Daniel. Et puis un jour paf ! la mouche dans le lait : il croise une jeune femme qui se fait agresser dans la rue Il ne peut pas ne pas agir – et c’est là que l’on comprend que Daniel n’est pas un simple restaurateur de meubles. Avec  lui, nous nous retrouvons pris dans un engrenage qui nous dépasse très rapidement, tant il implique pas seulement le passé de Daniel, mais aussi une connaissance des conflits qui ont traversé le continent africain, et même le monde : la guerre froide semble bien oubliée aujourd’hui, et pourtant, elle a laissé des traces profondes dans les coulisses de la politique internationale. Daniel s’est battu pour ses idéaux, ses amis aussi, et si lui a choisi de mettre de la distance entre son pays, son passé et lui, d’autres ont vécu en direct les désillusions, les désenchantements. Ils ont pourtant gardé l’envie…. de quoi ? D’en découdre ? d’un monde meilleur ? De se venger aussi ? Il est difficile de trancher, si ce n’est que les dommages collatéraux seront nombreux.

Plus qu’un roman policier, nous avons là un roman politique, sur les lendemains désenchantés de la société sud-africaine, une société qui pense avoir vaincu ses vieux démons, pour en créer de tout neufs.