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Le goût âpre des kakis de Zoyâ Pirzad

Edition Zulma – 224 pages.

Présentation de l’éditeur :

Un bassin, des massifs de roses et un plaqueminier donnent de quoi s’occuper au jardinier d’une vieille dame qui, depuis la mort de son mari, se sent très seule et en danger dans sa grande maison au cœur de la ville. Les fleurs donnent des fruits, les kakis mûrissent et elle ne se prive pas d’en offrir, notamment à son locataire.
Des liens subtils se tissent entre eux, que vient troubler l’apparition d’une fiancée…

Mon avis :

Comme je le disais dans mon précédent avis, j’ai enchaîné les lectures de deux livres de cette auteur. Celui-ci est un recueil de cinq nouvelles qui ont sont autant de portraits de femme face au mariage. Un mariage heureux est-il possible ? Oui, mais encore faut-il que les personnes aient les mêmes préceptes. L’amour ne suffit pas, encore faut-il qu’il soit là et que le mariage n’ait pas été arrangé – comme presque tous les mariages, d’ailleurs. Ainsi, les deux héroïnes de la seconde nouvelle se croisent pour une vente d’appartement. L’une est tournée vers le passé, l’autre vers la modernité, leurs maris sont leurs exactes opposés.

Pas de détails superflus dans ces cinq nouvelles, mais des tonalités différentes. Ainsi, la toute première et son héroïne obsédée par les taches a des accents fantastiques, pour ne pas dire absurdes. La troisième montre une héroïne qui choisit un mariage « aventureux » plutôt que d’épouser un homme bien comme il faut (et très ennuyeux). Quant à la dernière, c’est tout un pan de l’histoire de l’Iran qu’elle nous compte à travers la vie de son héroïne et de son mari.

Et la quatrième nouvelle, me direz-vous ? La femme, qui est pourtant cause de tout, apparaît implicitement dans le texte. Ce sont les hommes qui sont les victimes ou les bénéficiaires, parfois involontaires, de ses actions. L’herbe est-elle plus verte ailleurs, loin de l’Iran ? Deux réponses étaient encore possibles à l’époque.

Le goût des kakis est un recueil que je recommande à tous, y compris ceux qui, comme moi, n’aiment pas les nouvelles.

Asie2

Comme tous les après-midi de Zoya Pirzad

Présentation de l’éditeur :

Alieh, Rowshanak ou Raheleh sont souvent à leur fenêtre. Entre riz pilaf aux lentilles et les pétunias, le voile et une paire de bas, le mari, les enfants, les aïeuls ou les voisines, elles guettent ce qui va venir conforter ou bousculer leurs habitudes. Au fil des saisons et des générations de femmes, flotte sur ce recueil de nouvelles un parfum de mystère étrange et pénétrant.

Mon avis :

Cet après-midi-là est un recueil de dix-huit nouvelles, dont la plus longue ne mesure pas plus d’une dizaine de pages.
Que nous racontent-elles ? La vie des femmes iraniennes, femmes qui veillent au bien-être de leur mari, de leurs enfants, ffemmes que, pour certaines, nous voyons vieillir peu à peu, découvrant des moments-clefs de leur vie, ains dans « L’hiver », et « ce ruban orange » qui réapparaît de période en période.
Une phrase, un geste suffisent à caractériser un personnage, à créer l’atmosphère, heureuse, oui, étouffante parfois, comme si les traditions étaient un carcan dont on ne pouvait se défaire (« Les fleurs au centre de ce couvre-lit »).
Un jeune homme, quand même, celui qui regarde le banc d’en face mais pense sa vie en fonction des femmes de sa vie (sa mère, la collègue dont il est amoureux).
Une pincée de fantastique aussi, quand monsieur F* semble rencontrer monsieur F* (L’heureuse vie de monsieur F*) et paraît se transformer en homme au foyer, maison blanche, rajeunie contre murs gris du bureau. Ainsi la femme qui achète le mug oursons à son fils ne parle-t-elle pas à celle qu’elle deviendra plus tard ? De même, « Les sauterelles » ont un côté kafkaïen.
La nouvelle d’ouverture «  »Histoire du lapin et de la tomate » montre la difficulté d’écrire quand les tâches ménagères répétitives et impensables dans notre société occidentale (laver les herbes huit fois…) paraissent insensées. Vie réglée, identiques, interchangeable, ainsi pour « les voisines » (cf : la vision féministe de « La salle de bain ».
Ne croyez pas, pourtant, que l’arrivée du confort moderne résolve tout. L’héroïne de « Dépareillées » sombre peu à peu, celle de « Comme tous les après-midi » constate qu’un fossé se creuser entre elle et sa fille, qu’elle voit peu à cause de son métier.
Comme tous les après-midi est un recueil de nouvelles qui se dévore plus qu’il ne se lit.

Asie2

C’est moi qui éteins la lumière de Zoya Pirzad

Mon résumé (celui de l’éditeur porte déjà trop de jugements sur les personnages et l’intrigue) :

Clarisse est mariée à un ingénieur de la compagnie pétrolière, elle a trois enfants, un garçon, Armen, et des jumelles. Elle a aussi une mère, qui a un avis sur la manière dont sa fille tient sa maison, et une soeur, Alice, infirmière, qui ne rêve que de se marier et peine à trouver un fiancé, ou simplement un amoureux. Clarisse vit avec sa famille dans un quartier réservé d’Abadan, elle est arménienne et cotoie, un peu, la communauté musulmane. Un jour, de nouveaux voisins s’installent et … la vie de Clarisse devient moins simple.

Mon avis :

Je ne pesterai presque pas contre ses éditeurs qui orientent, dès le quatrième de couverture, le jugement du lecteur. Egrener les qualités de Clarisse, expliquer qu’elle est « immédiatement attachante », ne serait-ce pas douter des capacités du lecteur à s’en rendre compte ? « Tiens, regarde, c’est Clarisse qu’il faut aimer ! » Comme si le lecteur ne s’en rendait pas compte lui-même, que Clarisse est attachante. Alice, sa soeur, l’est également, en dépit de ses quelques défauts.

Tous mènent une vie paisible, finalement, au moment où commence le roman. Les amis de longue date ont déménagé, sans que cela nuise à leur amitié, et de nouveaux venus s’installent au G4, des nouveaux venus bien différents de Clarisse et des siens. C’est Emilie, la petite fille, que nous découvrons en premier, une apparition assez inquiétante, finalement, puisqu’elle ne dit mot^, pas même un remerciement à Clarisse qui lui a préparé son goûter. Inquiétante aussi puisqu’elle a mangé tout ce qui lui a été proposé, bien que sa grand-mère affirme qu’elle n’aime pas cela – et ce n’est sans doute pas par politesse qu’elle a tout avalé. La grand-mère ensuite, qui semble tout régenter, tout ordonner, qui obtient l’obéissance absolu de son fils, quoi qu’il arrive. Naine, Elmira est précédée par sa réputation de richesse et d’autorité – on peut remercier la mère de Clarisse pour sa connaissance du personnage. Elmira a une volonté de fer, et l’impose aux autres.

Reste Emile, son fils. J’ai eu un sentiment de répulsion à son égard, en partie à cause de son passé (sa femme n’a-t-elle pas été envoyée chez les fous ?), mais aussi par son présent, lui qui est incapable d’imposer ses choix à sa propre mère, lui qui est aussi incapable de prendre soin de sa fille. Et s’il est une métaphore assez facile, qu’autorise la fin du roman, je dirai que le couple père/fille m’a fait penser à des sauterelles.

Si Agatha Christie jetait un coup d’oeil à cette intrigue, elle dirait que, ce qui manque à Emilie, c’est une mère. Une mère qui, comme Clarisse, se préoccupe de ses enfants, enfants qui, s’y commettent des bêtises, comme Armen, sont capables de se rendre compte de ce qu’ils ont fait, et de changer – et de ne pas se laisser entraîner dans d’autres incartades.

Oui, la vie de Clarisse était assez simple jusqu’à leur arrivée, jusqu’à ce qu’elle s’interroge sur ces choix, ou ses absences de choix, comme l’on veut. Femme au foyer, elle ne s’est jamais interrogée sur le droits des femmes, le fait d’avoir le droit de vote ne lui semble pas très important, et le fait que son mari fasse de la politique (un peu) ne lui plait pas du tout, mais elle ne s’en mêle pas. Elle est pourtant consciente que tous (toutes) n’ont pas la vie aussi aisée qu’elle – comme peut aussi en témoigner Alice, sa soeur, qui ne lui cache pas ce qu’elle voit à l’hôpital où elle travaille.

Clarisse aurait pu devenir un personnage de comédie – en servant d’entremetteuse. Elle aurait pu devenir un personnage de drame bourgeois. Clarisse s’affirme, tout en restant foncièrement celle qu’elle est. Elle n’est pas Nina, sa meilleure amie. Elle n’est pas non plus Violette, elle est celle à qui l’on se confie, et qui reste lucide en dépit de ce qu’on lui confie.

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Un jour avant Pâques de Zoya Pirzad

Présentation de l’éditeur :

Au bord de la mer Caspienne, un jeune garçon découvre les prodiges minuscules de l’univers, comme la visite d’une coccinelle ou les joies et jeux de l’enfance avec son amie Tahereh. Lui est Arménien. Elle, fille du concierge musulman de l’école. Ainsi se côtoient dans la petite communauté arménienne, entre l’église, l’école et le cimetière, chrétiens et musulmans, crispations anciennes et libres aspirations. Pâques, c’est la fête des œufs peints, des pensées blanches, des pâtisseries à la fleur d’oranger. C’est aussi l’occasion d’allers et retours entre passé et présent, entre Téhéran et le village de l’enfance – tout un quotidien dessiné ici avec virtuosité, un art précieux du détail et beaucoup de finesse.

Mon avis :

Ce court roman nous raconte trois moments importants de la vie d’Edmond : le début de son adolescence (il a douze ans dans la première partie), l’aube de la cinquantaine (sa fille unique est sur le point de se marier) et la vieillesse. Sa vie pourrait sembler toute tracée, si l’on suit son parcours professionnel : il a grandi à côté de l’école, il est devenu directeur d’école et a conservé ses fonctions dans le grand âge, secondé par Danik, sa fidèle adjointe. Il est heureux en ménage avec Martha.

Bien sûr, ce livre ne raconte pas que cela. Il nous parle de la place des femmes, dans une famille traditionnelle arménienne. De l’honneur, également, celui des femmes, bien entendu, et l’on peut voir jusqu’où certains peuvent aller quand une jeune fille ou une femme mariée a une conduite jugée « déshonnête », et jusqu’à quand la « sanction » dure  : Nous étions en visite chez ma grand-mère. « L’honneur d’une femme, dit celle-ci, c’est de se soumettre aux volontés de son père jusqu’à son mariage, et une fois tenue par les liens sacrés du mariage, d’obéir à son mari. C’est pour nous une coutume millénaire. »
Ma mère ironisa : »Et que pensent nos coutumes millénaires de l’honneur des hommes ? »

Edmond est un garçon différent des autres, sensible – et sa sensibilité peut le rapprocher ou l’éloigner des autres personnages masculins. Très tôt confronté aux différences religieuses – sa meilleure amie est la fille du concierge musulman, il développe une ouverture d’esprit plus grande que celle des autres membres de sa communauté, en restant cependant dans des limites bien différentes de celles de nos sociétés occidentales. Si les silences et les non-dits sont nombreux, c’est avant tout par pudeur et par respect, non par indifférence.

Ce livre, bien que le narrateur soit un personnage masculin, contient de beaux portraits de femme, comme celui de la mère du narrateur, de sa grand-mère ou de la meilleure amie de celle-ci, seule survivante d’une époque révolue. Bien sûr, il ne faut pas non plus oublier Danik, et Martha, les deux femmes qui l’accompagnent dans sa vie d’adulte, et Alenouche, sa fille unique, au parcours si singulier.

Je poursuis ma découverte de l’oeuvre de Zoyâ Pirzâd avec Le goût âpre des kakis.

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