
Mon avis (attention, il est long et bourré de digressions).
Divine est un roman dont j’avais entendu parler à sa parution au tout début des années 90. A l’époque, Françoise Mallet-Joris était une autrice connue, connue notamment pour son « amitié » avec Marie-Paule Belle. Je mets des guillemets parce que je cite ce que les journaux disaient à l’époque Maintenant, l’on sait très bien qu’il ne s’agit pas que d’une amitié. La parution de Divine avait été saluée, y compris dans des journaux plus populaires, avec le résumé suivant : Divine est grosse, son poids ne lui pose pas de problèmes, jusqu’au jour où l’ascenseur de son immeuble tombe en panne et où elle doit descendre les trente et un étage à pied. Elle n’y parvient pas. Elle décide alors de se mettre au régime. Le regard des autres change alors. Je précise qu’il s’agit du résumé de l’époque, non du mien (oui, j’ai une bonne mémoire). Je me souviens aussi qu’au début des années 90 de nombreuses nouvelles à l’eau de rose sortaient et que l’on voyait ainsi une jeune femme forte se mettre au régime, devenir belle et trouver l’amour, que les magasines féminins disaient qu’être un peu ronde, un peu potelée, ce n’était pas grave, mais attention !!! il fallait quand même faire un régime et mettre des crèmes amincissantes, parce que, parce que, il ne fallait pas avoir trop de rondeurs tout de même ! C’était aussi l’époque où « l’affaire du voile » avait lieu, où certaines lois n’avaient pas été votées, où le système scolaire était différent – du moins, vu comme je le vois en lisant ce roman, moi qui enseigne depuis plus de vingt ans.
Je tiens à le préciser, je n’ai pas aimé ce livre, j’ai souvent bondi en le lisant. Ce qui m’a fait bondir en premier ? Les viols que subit Divine. Quelqu’un la retrouve régulièrement dans son appartement, la viole (je n’ai pas d’autres mots) et elle ne réagit pas. Il ne s’agit pas de la sidération, non, mécanisme de défense normal. Elle s’enchante de ce qu’elle a vécu, elle attend le retour de son agresseur – et il revient à plusieurs reprises. Vous qui passez sur mon blog, ne venez pas me dire que je ne comprends rien (j’y ai déjà eu le droit une fois). Ne me faites pas croire qu’une victime de viol puisse parler de « violence délectable » et apprécie ainsi d’être violée, chez elle, avec régularité. Je ne comprends pas que personne n’ait bondi, à l’époque.
De sexualité, de mariage, d’enfants, il sera question dans ce livre. Je poursuis avec les faits qui m’ont choqué. Sélim, le concierge du lycée, bat sa seconde fille. Attention ! Il la bat discrètement, pour que cela ne se voit pas trop, et si d’aventures, en serrant trop fort, il devait casser le bras de Jacqueline, sa seconde fille … on ne sait pas trop ce qui se passerait. Jacqueline se confie à Jeanne, son enseignante, qui estime (à juste titre) avoir merdé avec Geneviève, sa soeur aînée. Geneviève est obèse, comme Divine. Contrairement à Divine, Geneviève porte de jolies djellabas. Geneviève est croyante, et se voile. Geneviève, qui veut désormais être appelé Fatima, ne veut pas faire d’études, contrairement à Divine, elle veut se marier et avoir des enfants, et pense, toujours contrairement à Divine, qu’elle y arrivera – son poids n’y changera rien. Bon. Vous voulez une bonne dose de clichés racistes ? Regardez la manière dont est dépeinte la famille de Sélim, regardez surtout la manière dont Jeanne les voit, elles, les jeunes filles. Parce que, figurez-vous qu’il y aurait un pays où les femmes sont « énormes, indolentes ». Pardon ? J’ai bien lu ? Ah oui, j’ai bien lu. J’en reviens à Jacqueline, battue, qui continue malgré tout à tenir tête, avec les moyens du bord, à son père. Et Jeanne ? Je cite : « Jeanne se demande si, malgré sa brutalité, ce n’est pas Sélim qu’elle plaint le plus ». Variante, par un professeur anonyme, membre du choeur antique qui saluera le départ en ambulance de Jacqueline : « Un père a bien le droit …. » Père qui se justifiera en disant qu’il a agi ainsi « pour la France ».
Pourrai-je être amie avec Jeanne ? Non. Mais je ne pourrai pas être amie avec ses amies non plus. Je ne sais pas d’ailleurs sur quelles bases repose leur amitié. Pour Evelyne, je dirai que c’est la durée : elles se connaissent depuis qu’elles ont douze ans. Evelyne est croyante, elle s’est mariée trois fois (passons…. je ne connais pas de catholique pratiquante qui l’ait fait) et aime avoir des relations sexuelles avec son troisième mari. Et tant pis s’il refuse d’offrir un cadeau de Noël aux jumelles. De quoi se plaignent-elles ? Elles ont eu des cours particuliers de maths. Pour moi, je vois de la maltraitance, et quand cela commence comme cela, quand on reproche à des enfants qui ne sont pas les siens ce qu’ils vous coûtent, cela peut mal se terminer dans la vraie vie. Ah mais oui, nous sommes à l’orée des années 90 et je ne suis pas sûre que cela soit perçu à l’époque comme tel. Bon, Evelyne essaie parfois de se gendarmer, mais elle n’y parvient pas – elle ne veut pas se priver de sexe ! Même si nous ne la voyons qu’à travers les yeux de Jeanne, qui la méprise parfois, l’on entend ses paroles, et on la voit mal se mettre en colère, mettre les points sur les i à quelqu’un, y compris à Jeanne. Quant à sa seconde amie, Manon, très proche de la mère de Jeanne dont elle partage les préoccupations, elle me fait penser aux clichés des femmes accaparés uniquement par leur apparence physique, ne sachant pas trop avec quel homme vivre – mais il faut qu’il ait de l’argent. Elle n’a pas besoin non plus de se marier pour désirer avoir un enfant, au grand étonnement de Jeanne – c’est là que l’on se rend bien compte que ce roman a trente ans. Parce que le rapport à la maternité tel qu’il est décrit dans ce récit date d’un autre temps. Ludivine, la grand-mère, a été fille-mère, et c’est pour cette raison qu’elle est partie à Paris – pour cacher son « banal secret ». Elle n’a jamais connu d’autres hommes et en veut à sa fille, Gisèle « mère célibataire » (« les temps ayant changé ») de se marier après avoir été abandonnée. Oui, pour Ludivine, la grand-mère, il fallait rester seule, dans le souvenir de Jean, le père de Jeanne. Ne dit-elle pas à sa petite-fille : « ça ne se fait pas ce qu’elle a fait. Et le souvenir, alors ? On aime une fois, et c’est tout ! » C’est avec « mépris » qu’elle parle de sa fille et ce qu’elle distille n’est pas bon, à mes yeux, pour la construction de cette enfant qui s’appelle encore Ludivine, comme sa grand-mère, et qui choisira de porter son autre prénom à la mort de sa grand-mère.
Je me suis beaucoup écartée de ce que j’aurai dû voir comme le sujet principal du livre, à savoir le rapport au corps, ce corps que Jeanne remplit consciencieusement en mangeant, ce poisson qu’on lui a apporté et qu’elle jette, parce que pour elle, ce n’est pas de la nourriture, ce corps qu’elle n’a jamais entravé, choisissant toujours de porter des vêtements amples et confortables, cette santé insolente qui fait qu’elle n’est jamais malade, qu’elle fume sans aucun problème, se moquant bien d’enfumer les autres – la loi Evin sera voter trois ans plus tard – ce corps qu’elle redécouvre, comme elle s’interroge sur la manière dont les autres la voient, tolèrent aussi des traits de son caractère qu’ils n’auraient peut-être pas supportés si elle avait eu un physique dans la norme. Je suis passée à côté de cette thématique, qui m’a semblé enfoui sous tout le reste, notant bien au passage le paternalisme du médecin scolaire que Jeanne consulte, qui vaut bien celui de sa femme, pour qui rien ne vaut un bon généraliste qui connait bien ses patients, les psychiatres et les diététiciens ne servant à rien, selon elle.
Et j’en viens au système scolaire. Déjà, ils ont un médecin à demeure, ce que je n’ai jamais vu dans aucun des établissements où j’ai enseigné. Ah mais oui, pardon, nous sommes dans un établissement privé. Jeanne est rarement à l’heure, et ses cours débordent… Nous sommes dans le privé, c’est vrai, je l’avais oublié. Ses charmants collègues, sa directrice passent leur temps à la critique – derrière son dos, forcément. Déjà, une chef d’établissement qui passe autant de temps avec ses professeurs, c’est de l’inédit ! J’ajoute qu’un collègue peut démissionner sans problème, ce qui n’est vraiment pas le cas de nos jours.
Malgré tout, je l’inscris au #Challenge Juillet Sororité parce qu’il parle du corps des femmes, du corps des femmes qui doit être désirable pour les hommes, et dans la norme, toujours celles des hommes, pour les femmes. Je terminerai par cette citation : « Comment se résigne-t-on à peser un « poids normal » ? Un peu plus, c’est trop. Un peu moins, c’est inquiétant. La marge est bien étroite. Il faut vivre là-dedans…. »