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La mauvaise habitude d’Alana S. Portero

Présentation de l’éditeur : 

Jeune fille coincée dans un corps de garçon qu’elle ne sait habiter, la narratrice de La Mauvaise Habitude retrace son parcours, de son enfance dans les années 1980, où elle grandit dans une famille ouvrière de San Blas, un quartier populaire madrilène dévasté par l’héroïne, à ses nuits clandestines au coeur du Madrid des années 1990. Telles la Margarita, diva fanée qui hante le quartier, la fière Moraíta à la sauvagerie de chimère, ou la Cartier, toujours parée de ses rutilants bijoux de pacotille, nymphes triomphantes et anges déchus l’accompagnent dans son odyssée personnelle.
Une odyssée envers et contre l’asphyxie des faux-semblants, la lâcheté et la violence qui la guettent à chaque pas, pour apprendre à exister en habitant sa propre légende et marcher la tête haute.

Mon avis : 

Ceci est ma deuxième lecture pour le mois espagnol, et j’ai l’impression qu’elle risque de marquer le coup d’arrêt de mes lectures espagnoles (heureusement, il me restera les lectures sud-américaines). En effet, cette lecture a été une vraie souffrance, et je n’aime pas quand lire un livre me fait souffrir. Note : l’autrice a bien sur nettement plus souffert que moi, je soupçonne hélas ce livre d’être autobiographique.

Actuellement, en France, les médias donnent beaucoup la parole aux personnes transphobes (oui, j’ai des noms en tête). En revanche, pour donner la parole aux personnes trans… on peut toujours attendre. La narratrice sait, depuis toujours, qu’elle est une fille, puis une femme. Son corps lui dit autre chose. Elle grandit dans un quartier pauvre de Madrid, quartier qui semble à des années lumières de Madrid même, tant les pouvoirs publics se moquent allègrement de ceux qui y vivent et surtout, de ceux qui y meurent. La violence est omniprésente, j’ai eu l’impression que personne n’essayait de faire quoi que ce soit pour que cela change. Tout ceux qui le peuvent, au contraire, usent de leur petit pouvoir pour faire un petit peu de mal, jour après jour, notamment renvoyer l’autre, celle qui est différente, à son identité « génétique », à ce « monsieur » qui est inscrit sur sa carte d’identité. L’on attend des personnes trans qu’elles soient irréprochables. Note : trente ans après, c’est toujours ce que l’on attend des personnes trans et des personnes homosexuelles, comme si elles n’étaient pas avant tout des êtres humains comme les autres.

Au cours de ce récit, j’ai croisé des personnes fortes, des personnes qui ont souffert, des personnes, aussi, qui ont accompagné la narratrice qui a vécu énormément de temps dans un placard, portant un masque pour dissimuler qui elle était vraiment, tâchant d’adopter le comportement que l’on attendait d’elle, c’est à dire, aux yeux de la société, de lui. Le pire a été sans doute de me dire, en lisant ce récit, que l’attitude de trop nombreuses personnes n’a pas tant changé que cela, trente ans après.

La mauvaise habitude est un récit très intéressant, mais véritablement très dur (et c’est une personne qui n’a pas une sensibilité exacerbée qui vous le dit).

Je précise que cette chronique a été écrite avec Grisette sur mes genoux, Roselyne à ma gauche, et Lisette qui m’a sautée dessus.

Roi blanc de Juan Gomez-Jurado

Présentation de l’éditeur :

Lorsqu’Antonia Scott reçoit ce message, elle sait parfaitement qui le lui a envoyé. Elle sait aussi que la partie qui se profile est presque impossible à gagner. Mais Antonia n’aime pas perdre. Et elle renoncera d’autant moins que si elle perd cette bataille, elle les aura toutes perdues. Tandis que l’heure du bilan a sonné, elle se lance corps et âme dans un face-à-face avec son ennemi numéro un, le mystérieux monsieur White. Un combat sans merci, une cruelle et désespérée course contre la montre dans laquelle chaque étape sera plus dangereuse que la précédente.

Mon avis : 

Mon premier sentiment est la colère. Oui, ce n’est pas ainsi que je devais commencer mon avis, et tant pis s’il m’en coûte, mais, en lisant la postface de l’auteur, j’ai découvert que ce roman n’était pas le troisième tome mettant en scène les aventures de la reine rouge alias Antonia, mais le cinquième, les tomes 1 et 2 n’ayant à ce jour pas été traduits en français. C’est la troisième série que je connais pour laquelle les premiers tomes n’ont pas été traduits, ou ont été traduits plus tardivement. Serait-ce parce que l’on a choisi de traduire en premier le tome qui a eu le plus de succès ? Je ne saurais dire. Avec le recul, cela a gâché un peu ma lecture plaisir. Et c’est vraiment dommage.

En effet, j’ai véritablement aimé retrouvé Antonia Scott et Jon Gutiérrez. Il faut dire que la fin du précédent roman nous avait laissé sur un coup de théâtre qui bouleverse la vie d’Antonia. Elle mettra tout en œuvre pour retrouver Jon, toutes les ressources dont elle dispose. J’ai apprécié la manière dont l’intrigue est construite, ne nous amenant pas tout à fait là où l’on s’y attendait, nous réservant des surprises, nous montrant aussi toutes les lâchetés dont les hommes sont capables. Ah, bien sûr, ils ne nomment pas toujours cela ainsi, certains parlent plutôt de concessions nécessaires, d’intérêts plus haut, et tant pis pour ceux et celles (surtout celles) qui se sont retrouvés sacrifiés sur leur chemin. Parce que les intérêts qu’ils servent, ce sont le plus souvent leurs ambitions personnelles. Reconnaître leurs erreurs ? Au mieux, ils y parviennent, mais trop tard, au pire, ils ne le font jamais.

Je reconnais que l’intrigue est tellement bien construite que l’on n’a pas vraiment le temps de se pencher sur certains faits qui sont à la limite de la vraisemblance, un peu comme l’existence de ce « roi blanc », qui damne le pion à tout le monde. Comment est-il parvenu à devenir aussi puissant ? Et comment mettre un terme à sa capacité de nuisance ? Je me suis demandé aussi si l’épilogue n’ouvrait pas la porte à une suite possible. Qui sait ?

J’ajoute que mon personnage préféré reste encore et toujours Jon, l’un des rares personnages à ne jamais rien avoir à cacher, un des seuls personnages toujours parfaitement sincère, à ses risques et périls. Un des personnages, aussi, à qui l’on doit une des pages les plus drôles du roman.

Ceux qui ont aimé les deux premiers tomes liront forcément celui-ci.

 

L’inconnue du port d’Olivier Truc et Rosa Montero

Présentation de l’éditeur :

Une jeune femme est retrouvée ligotée et droguée dans un container vide en plein port de Barcelone. Elle respire encore. Anna Ripoll, inspectrice à la PJ, est chargée de l’enquête qui s’avère ardue car la victime est amnésique.
À Lyon, Erik Zapori, flic à la brigade des mœurs, est dans de sales draps. Il est visé par une plainte déposée par son indic. Quand un lien est finalement établi entre l’inconnue du port et une adresse à Lyon, Zapori part à Barcelone pour prêter main forte à Anna…

Mon avis :

Ce roman a été bâti à la suite d’un défi lancé lors d’une édition de quai du Polar. Il faut le savoir avant de rédiger un avis, parce que cela a changé ma façon de voir ce texte – j’aurai aimé qu’il soit plus long, mais ce n’était pas possible. Les deux auteurs n’avaient en effet que trois mois pour relever le défi. Ils devaient écrire un nombre limité de mots, et l’intrigue devait être contenu dans huit chapitres. Les lieux de l’histoire étaient imposés : Lyon et Barcelone.

Parmi ces personnages, j’ai préféré celui d’Erik Zapori, un personnage délicieusement imbuvable, y compris aux yeux de sa hiérarchie. Une enquête des « boeufs carottes » est même diligentée contre lui – corruption. Seulement, Zapori a beau être imbuvable, il est aussi, du moins c’est ainsi que je l’ai perçu d’entrée de jeu, intègre, totalement. Aussi veut-il comprendre qui veut le faire tomber, et pourquoi – qui a été dérangé par ses enquêtes. Aussi, ces investigations barcelonaises sont une opportunité qu’il ne laissera pas passer, surtout que l’enquêteur qui avait été désigné de prime abord pour soutenir Anna Ripoll lui déplait fortement – et à moi aussi.

Anna Ripoll, quant à elle, a aussi une forte personnalité – aller jusqu’au bout des choses ne l’effraie pas. Ce n’est pas main dans la main qu’ils iront jusqu’au bout, mais rarement deux enquêteurs seront allés aussi loin. A force de vous parler d’eux, j’en oublie la victime, une jeune femme qui a été sauvée in extremis par un vigile, qui a fait confiance à sa chienne, qui avait flairé quelque chose qui sortait de l’ordinaire. Ce sont deux personnages qui peuvent sembler secondaires, mais qui sont importants, à cause de cette confiance entre l’homme et l’animal (je reviens là dessus parce que c’est vraiment important) mais aussi parce qu’ils font partie des rares personnages que les enquêteurs croiseront dans leur enquête qui sont parfaitement honnêtes, qui sont prêts à soutenir les plus faibles – deux êtres capables d’aller jusqu’au bout, eux aussi.

A découvrir.

La règle de l’or de Juana Salabert

Présentation de l’éditeur : 

Tout commence en 2012 à Madrid avec le cadavre d’un bijoutier égorgé, un message épinglé sur la poitrine. Il vendait et achetait de l’or aux familles victimes de la crise, il était aussi usurier. Mais c’est le troisième cadavre de la série. Le jeune inspecteur Alarde, perspicace et réfléchi, est chargé de l’enquête, et il tente de recomposer le puzzle. Les suspects sont nombreux et les mécanismes complexes de la cupidité prennent des formes variées : évasion des fortunes vers les paradis fiscaux, vol d’héritages, fausse croisade contre les usuriers…

Mon avis : 

Ceci est le dernier titre que je propose pour le mois espagnol « officiel » – je terminerai peut-être quelques titres en juin. En effet, depuis huit jours, j’ai mis volontairement en pause mon mois espagnol personnel – et je tape avec une main gauche presque guérie.

Ce roman n’est pas seulement un roman policier, il est surtout un roman noir, très noir, qui nous plonge dans une Espagne en pleine crise. Les Espagnols n’en peuvent plus, les espagnols ne s’en sortent pas, eux qui se sont endettés sur quarante ans pour payer leur logement. Et quand les banques ne veulent plus ou ne peuvent plus prêter, la seule solution qui reste, c’est recourir à des prêteurs sur gage ou, pour mieux dire, des usuriers. Ils sont nombreux, très nombreux, bien plus que je ne pouvais le penser. Depuis le début de l’année 2012, ce sont déjà trois usuriers qui ont été tués. Etaient-ils détestés ? A des degrés divers, oui, même si certains tentaient de faire « honnêtement » leur travail. Certains auraient-ils pu passer à l’acte ? Oui, peut-être, mais pour l’usurier qui les avait mis encore plus bas que terre, pas pour trois usuriers, même si, forcément, quand on doit recourir aux services de ces personnes, l’on a tendance à en consulter plusieurs.

L’on presse l’inspecteur Alarde de trouver le coupable. Cela ne peut durer, un tueur en série à Madrid, cela fait désordre. Alarde enquête, oui, mais il est aussi sensible, sensible aux personnes qu’il rencontre, qu’il interroge, dont il voit les douleurs, les souffrances. Sa propre histoire en a fait un enquêteur particulièrement attentif à ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Et s’il arrêtera le/la coupable (ne divulguons rien), j’ai aimé que la fin du roman ne soit pas consacré à lui, mais à des personnes qu’Alarde a croisé et apprécié au fil de l’enquête.

La fiancée gitane de Carmen Mola

Présentation de l’éditeur :

Une jeune gitane disparaît après l’enterrement de sa vie de jeune fille. On retrouve le cadavre deux jours plus tard. Elle a été torturée selon un procédé aussi macabre qu’insolite. Sa soeur Lara a connu le même sort quelques années plus tôt mais son assassin est sous les verrous. Si ce dernier n’a pas fait d’émules, la police a arrêté un innocent.
L’enquête est confiée à l’inspectrice Blanco, née sous la plume d’un auteur mystérieux qualifié par El País d’Elena Ferrante espagnole.

Mon avis : 

Groumpf.

Oui, j’ai vraiment écrit « groumpf », ce n’est pas un chat qui a sauté sur le clavier, j’en profite d’ailleurs pour dire que, pendant que je tape cet avis, Annunziata est très sagement assise à mes côtés, et Sultan se blottit contre elle, Pétunia, elle, est sur la box internet. Oui, je sais, cela peut paraître un peu inutile de dire ceci, et je me dis que mêler mes chats à l’écriture de cet avis n’est peut-être pas la chose la plus délicate à faire – pour eux.

J’ai lu le livre en entier, ce qui est une évidence, et en le refermant, je me suis dit qu’il serait très facilement adaptable à la télévision, d’ailleurs son scénario m’a fait penser à des films, des téléfilms que j’avais vus. Je ne me suis pas trompée, je suis allée plus loin que le quatrième de couverture, et j’ai découvert que, sous le nom de Carmen Mola, se cachaient trois scénaristes de télévision Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Santos Mercero. Cela a fait, d’après Babelio, grincer les dents de certaines féministes, qui considéraient ces oeuvres comme des romans féministes – preuve que les auteurs sont doués, non ?

Pour ma part, je trouve leur écriture efficace. J’ai eu envie de découvrir la fin de l’histoire, même si les révélations finales m’ont laissée sur ma faim. Nous sommes face à un crime atroce, parce que le coupable a pris plaisir à faire souffrir sa victime. Pire : la soeur aînée de la victime est morte de la même manière sept ans plus tôt. Problème : un homme a été arrêté et condamné, les preuves contre lui étaient irréfutables. Se pourrait-il que quelqu’un l’ait copié ? Ou bien pourrait-il être, malgré tout, innocent ?

Nous découvrons les enquêteurs de la BAC, une section de la police tenue secrète, même pour les membres de la police « ordinaire » – à se demander comment l’on peut être recruté. Pourtant, nous verrons un jeune enquêteur, au culot, réussir à franchir la porte de cette prestigieuse section et devenir le nouveau membre – à l’essai – de celle-ci. Au vue de sa manière d’agir, je ne doute pas qu’il ne devienne un membre définitif de la section.

Le titre annonce que la fiancée, celle qui a été tuée, tout comme celle qui est morte sept ans plus tôt, était gitane, mais elles avaient un autre point commun : comme leur père, elles allaient épouser quelqu’un qui n’appartenait pas à leur communauté, quelqu’un, comme le fiancé de Lara, tuée sept ans plus tôt, allait être rapidement innocenté. S’il est deux choses à retenir du portrait qui est fait de cette communauté, c’est le racisme dont ils sont victimes, même si rares sont les policiers qui veulent bien le reconnaître (des policiers racistes ? Impossible !) et de la solidarité dont ils sont capables quand l’un des leurs est dans la tourmente – et là, cela ne plaira pas toujours aux policiers.

Alors… je sais qu’il existe d’autres tomes des aventures d’Elena, je sais, pour être allée lire les avis sur Babelio, que chaque tome est plus trash que le précédent, ce qui, à la lecture de celui-ci, paraît déjà difficilement possible !

Alors (bis) si vous souhaitez le lire, accrochez-vous !

L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir de Rosa Montero

Présentation de l’éditeur :

Chargée d’écrire une préface pour l’extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montero s’est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l’analyse de notre époque et l’évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l’homme aimé qu’elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l’ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l’existence avec plénitude et légèreté.

Mon avis : 

J’aimerai vous dire beaucoup de bien de ce livre. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Je l’avais commencé pour un précédent mois espagnol (celui de l’an dernier ? Celui de 2021 ? Je ne m’en souviens plus) et je l’ai terminé seulement cette année, parce que je ne sais pas combien de livres je vais réussir à lire, et qu’arriver, au bout de huit jours, à trois livres lus, c’est déjà très bien.

Ce livre parle du deuil, et l’autrice, qui a rédigé l’introduction du journal de Marie Curie, dresse un parallèle entre son deuil (elle a perdu son mari des suites d’une longue maladie) et celui de Marie. Elle nous parle aussi, de façon sporadique et désordonné, de la vie de Marie Curie, choisissant quelle partie est la plus importante, entrant en contradiction avec l’avis d’autres biographes. Mais pourquoi pas ?. Elle nous parle aussi beaucoup d’elle-même, de certains choix de vie, qu’elle semble parfois regretter.

Cependant, ce livre ne m’a rien appris de plus que je ne savais déjà sur Marie Curie. J’ai eu l’impression d’effleurer le sujet, et de lire surtout l’opinion de Rosa Montero sur la scientifique, sur ce qu’elle a vécu – opinion, et parfois jugement aussi, parce que Marie Curie, selon elle, n’a pas assez combattu pour les femmes. N’a-t-elle pas mené assez de combat ? J’ai eu aussi l’impression de lire « Marie Curie qui ne parvient pas à se débarrasser du patriarcat », en tant que femme et fille, à une époque où je n’ai pas l’impression que l’on en parlait tant que cela. J’ajoute aussi que le fait de multiplier les hashtags est agaçant, tout en n’apportant rien à la narration (toujours à mes yeux).

Cette autrice vient de publier un ouvrage avec Olivier Truc – peut-être me laisserai-je tenter.

 

 

Roldan, ni mort, ni vif de Manuel Vasquez Montalban

édition 10/18 – 152 pages.

Présentation de l’éditeur : 

 » Luis Roldán a dirigé la guardia civil de 1986 à 1993, date à laquelle il fut découvert qu’il s’était enrichi de 400 millions de pesetas pendant cette période. Convaincu de corruption, accusé de détournements de fonds, il est rapidement devenu l’homme le plus recherché d’Espagne. L’homme le plus recherché pour les uns et celui qu’on avait le moins envie de voir resurgir pour les autres. Vázquez Montalbán a écrit ce roman à chaud et Planeta l’a publié en 1994, pendant et non pas après l’affaire Roldán. Pepe Carvalho travaille ici sur une affaire en cours, en même temps que (ou « à la place » ou « contre ») la police espagnole. Le projet de Vázquez Montalbán n’était pas bien sûr de résoudre cette affaire (Roldán a finalement été arrêté en février 1995), mais de s’interroger sur le destin d’une démocratie qui s’appuie sur des hommes « aussi dépourvus d’idéologie que de scrupules ».  » Le Matricule des Anges

Mon avis : 

Ce récit, si vous lisez donc le 4e de couverture des éditions 10/18, n’est pas inspiré de faits réels, il est un fait réel à lui tout seul, puisque, quand il a été écrit, tout le monde ignorait le dénouement de ces faits. Par contre, visiblement, il fallait bien se voiler la face pour ne pas savoir l’étendu des fonds détournés par ce charmant personnage.

Par contre, s’il est des personnes que j’ai été ravie de retrouver, c’est Pepe Carvalho, spécialement missionné pour mettre la main sur cet homme, qui a vraiment fait beaucoup, mais alors beaucoup de détournements, y compris le détournement de trop (dans les magouilles, il faut savoir s’arrêter à temps) et Biscuter, qui a fait un stage à Paris, pour parfaire ses connaissances culinaires en matière de soupe. C’est dans une enquête complètement foutraque que l’on met les pieds, elle part dans tous les sens, y compris géographique, et l’on essaie encore de faire dévier Pepe : c’est fou le nombre de personnes, hommes, femmes, sortant non de l’ordinaire, mais se mettant au-dessus de l’extraordinaire, qu’il sera amené à croiser. A croire que les services secrets du monde entier, ou presque, se sont tous réunis pour l’opération Roldán, ni mort, ni vif.

Un livre extrêmement plaisant !

Louve Noire par Juan Gomez-Jurado

Présentation de l’éditeur :

Antonia Scott est la pièce maîtresse du projet Reine rouge, créé pour résoudre les crimes les plus retors. Un soir, elle et Jon Gutiérrez, un flic à l’instinct aiguisé, sont sollicités sur une affaire urgente : la disparition de Lola Moreno, la femme de Yuri Voronin, trésorier d’un clan mafieux qui opère dans la zone de Malaga. Cette dernière s’est évaporée dans la nature juste après que quelqu’un a tenté de la tuer dans un centre commercial et que son mari a été brutalement assassiné dans leur villa. Mais les deux agents ne sont pas les seuls à vouloir la retrouver.

En effet, celle qui répond au nom de Louve noire, une dangereuse tueuse à gages à la solde de la mafia russe, est également sur ses traces. Des paysages ensoleillés de l’Andalousie aux décors enneigés de la Sierra, Antonia Scott, toujours en proie à ses démons, devra affronter cette terrible rivale.

Mon avis : 

Merci aux éditions Fleuve noir et à Netgalley pour ce partenariat. 

J’avais beaucoup aimé le tome 1, la reine rouge, et j’ai été ravie d’apprendre la parution en français de ce tome 2. J’ajoute, pour faire bonne mesure (et sans spoiler le dénouement) que j’ai été ravie d’apprendre qu’Antonia et Jon reviendront pour une nouvelle enquête. Yes !!!

Cette enquête n’est pas la suite de la précédente – même si Antonia y pense toujours, il faut dire qu’elle pense beaucoup – mais elle nous plonge dans le pire de ce que l’être humain est capable pour s’enrichir en asservissant d’autres êtres humains – le trafic de drogues, le trafic d’êtres humains, et ce, sans aucun état d’âme. Avec, parfois même, une once de bonne conscience : chacun a droit à sa part du gâteau, non ? Non. 

Cette enquête, qui mènera Antonia sur le terrain, la fera basculer. Elle est submergée parce qu’elle voit, par ce qu’elle doit faire, parce qu’elle ne veut pas s’avouer, même si elle en a conscience depuis longtemps. Elle qui n’a pas les codes sociaux et est même à côté; largement, de ceux-ci, a pour contrepoint humain, si humain, Jon, celui qui lui a été assigné comme co-équipier et qui remplit parfaitement sa tâche, simplement parce que ce n’est pas une simple mission, des liens se sont créés avec Antonia. 

Louve noire – derrière ce nom, se cache l’étape ultime de la deshumanisation. Les différents camps, celui que l’on pourrait qualifier du bien, celui que l’on pourrait qualifier du mal, sont renvoyés dos à dos parce qu’ils emploient quasiment les mêmes moyens. Le tout est d’être le premier camp à les maîtriser. Et tant pis pour ceux que cela choque, comme Jon Gutiérrez, être humain terriblement et profondément humain. 

Dans une Espagne qui a lutté contre les violences faites aux femmes, qui se montre féministe dans le vote de certaines lois, la place des femmes n’est pourtant pas aussi assurée que cela. Je ne parle même pas de la place des femmes dans la police : pour monter en grade, il est attendu (encore et toujours) que les femmes doivent se comporter comme des hommes – la référence, comme en beaucoup de domaines, restant encore et toujours l’homme. Lola Moreno est recherchée, menacée parce qu’elle était la femme d’un mafieu – la mafia n’est plus italienne, mais russe. Louve noire est une tueuse, la meilleure qui soit, paraît-il : elle sera là où on ne l’attendra pas, et c’est tout de même bien de lire une intrigue policière qui n’est pas prévisible, ce qui se confirmera encore avec le dénouement. 

En l’absence de Blanca

éditions Points – 124 pages

Présentation de l’éditeur :

Mario aime passionnément sa femme Blanca.
Son insouciance bourgeoise et sa fantaisie le fascinent.
Mais une menace inquiétante pèse sur son couple : l’incompréhension et la souffrance s’installent, Blanca s’évade peu à peu. L’amour peut-il survivre à sa propre disparition ?

Précision :

Le mois espagnol aura bien lieu, en voici un avant-goût.

Mon avis :

C’est un roman très court, que j’ai lu rapidement, et pourtant, tout est dit.

Mario est un provincial. Non, il n’est pas monté à Madrid, il est monté de sa campagne à Jaen où il est dessinateur industriel – un fonctionnaire. Or, pour Blanca, sa femme, qu’il aime passionnément, rien n’est pire que l’esprit fonctionnaire, même si elle lui assure qu’il n’en est pas doté. Blanca, c’est tout le contraire de Mario : elle vient d’une famille aisée, elle a toujours vécu dans l’aisance, elle abandonne un travail du jour au lendemain parce qu’il ne lui convient plus, elle est profondément artiste dans l’âme, et souffre de tous les opéras qu’elle ne pourra pas entendre, de toutes les expositions qu’elle ne pourra pas voir. Avant de connaître Mario, elle partageait la vie d’un peintre en pleine ascension, peintre qu’elle a soutenu, et qui l’a laissée dans une profonde dépression. Alcool et drogue ne l’ont pas aidée non plus. Nous sommes dans l’Espagne des années 80, celle qui s’apprête à entrer dans l’Otan puis dans l’union européenne (alors, la CEE), celle qui rentre dans l’Otan, qui est en pleine modernité et ne connaît pas encore la crise. Mario, lui, pense comme ses parents, le monde est une « vallée de larmes », et ne comprend pas, finalement, l’appétit de vivre de sa femme, sa passion pour toute chose – même s’il l’aime, même s’il pense qu’elle le quittera un jour, ce qui finit par arriver. Mario se rejoue le film de leur vie, de leur rencontre à cet instant présent, il pense ne pas avoir assez profité de chaque instant, lui qui ne vivait pourtant que pour ses instants, partageant peu avec ses collègues, puisque l’essentiel pour lui, était d’être avec elle. Mario qui avait toujours peur – pour elle.

Si je retiens une chose de ce livre, c’est qu’il est avant tout une grande histoire d’amour – et que tout espoir n’est pas forcément perdu.

Une datcha dans le Golfe d’Emilio Sánchez Mediavilla

Présentation de l’éditeur :

Lire ce livre s’apparente à boire un verre dans un bar avec un inconnu, un inconnu intéressant. Ce premier récit est l’histoire d’un journaliste qui a vécu à Bahreïn mais qui n’était pas censé y aller. Il nous raconte son voyage, d’abord avec l’étonnement d’un premier regard, puis avec la profondeur d’un excellent chroniqueur : des détails les plus simples (et pourtant invraisemblables), comme chercher une maison à louer, jusqu’aux détails plus précis de l’implantation chiite dans les pays du Golfe.
La voix de l’auteur, sérieuse et profonde quand il faut, mais aussi candide, drôle et subjective, se balade entre la finesse du regard et humour, loin de l’attitude du vaillant reporter de guerre qui a tout vu et tout vécu. C’est pourquoi on a envie de le suivre, parce qu’on se sent proche de lui, et on l’écoute nous décrire les subtilités géopolitiques du Moyen-Orient mais aussi les visites rocambolesques de Michael Jackson et Kim Kardashian à Bahreïn, les manifestations et répressions de 2011 et les menus des restos des expatriés, la construction des îles artificielles faramineuses et le sort de la moitié de la population, composée d’esclaves modernes.
En prenant ce qu’il y a de mieux dans le récit de voyage et dans le reportage, ce récit nous émerveille en nous montrant l’une des meilleures qualités d’un livre de non-fiction : il rend passionnant un sujet auquel nous ne nous serions jamais intéressés si on n’avait pas rencontré ce type sympa et intéressant au bar.

Merci à Netgalley et aux éditions Métailié pour ce partenariat.

Mon avis :

Ce titre fait presque rêver. Il m’a communiqué une idée d’exotisme et de secret : que vient faire une datcha, résidence secondaire russe, dans le Golfe ?

L’auteur Emilio Sánchez Mediavilla nous parle de lui, de sa compagne Carla, des raisons qui les ont faits s’installer à Bahreïn : elle est là pour le travail, envoyée par sa société, lui, journaliste, l’a accompagnée, tout simplement, et déjà, les démarches pour pouvoir vivre avec sa conjointe, pour pouvoir louer un appartement, ont de quoi nous étonner, nous, occidentaux. Il a du temps, il travaille à domicile. Il parle des rencontres qu’ils ont faites, des amitiés qu’ils ont nouées, et qui furent pour lui une des portes d’entrée pour connaître Bahreïn, son présent et son passé.

En refermant ce livre, j’ai éprouvé de la colère, non envers l’auteur et son essai, dont l’écriture renoue avec le genre du récit de voyage, mais parce que j’ignorai tout ce qui est narré dans ce livre. Je ne me rappelle pas avoir lu ou vu quoi que ce soit sur les événements survenus lors des manifestations de 2011, sur la répression, les actes de torture, les exécutions, la fuite des dissidents ou de ceux présentés comme tels. Nous ne savons rien, ou presque rien. Rien ne se passe non plus de la part des puissances mondiales (comme au Yémen, me souffle-t-on).

Pourquoi ? Est-ce à cause du poids financier de ce petit pays ? De la puissance de la monarchie qui est à sa tête ? De la complaisance des grandes sociétés qui, comme pour ce qui se passe dans la Formule 1, feignent de se renseigner mais ne veulent surtout pas perdre leurs avantages financiers ? Faut-il voir aussi le travail (si, si) fait par la monarchie bahreïnienne pour donner une image lisse de son pays ? Après tout, elle ne réprime pas l’homosexualité – même si elle n’apprécie pas du tout les homosexuels. Elle accueille fréquemment des stars occidentales, qui disent tout le bien qu’elle pense de ce pays – pensons à Kim Kardashian ou à Michael Jackson, qui vécut un an dans ce pays, sous la protection d’un des princes de Bahreïn (oui, même Emilio Sánchez Mediavilla avait du mal à y croire, et pourtant, c’est bien vrai).

Bahreïn est un petit pays, au vue de sa superficie. Il est très grand au vue des terres inoccupées par la populations, toutes celles qui appartiennent à la famille régnante. Pour des expatriés, qui vivent plutôt bien, qui peuvent avoir des loisirs, découvrir la culture et le poids de la religion dans ce pays, combien de travailleurs immigrés mal traités, combien d’esclaves modernes ? Difficile à chiffrer.

Une datcha dans le Golfe est un livre à découvrir : il vient de recevoir le prix Nicolas Bouvier – Étonnants voyageurs 2022.