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La règle de l’or de Juana Salabert

Présentation de l’éditeur : 

Tout commence en 2012 à Madrid avec le cadavre d’un bijoutier égorgé, un message épinglé sur la poitrine. Il vendait et achetait de l’or aux familles victimes de la crise, il était aussi usurier. Mais c’est le troisième cadavre de la série. Le jeune inspecteur Alarde, perspicace et réfléchi, est chargé de l’enquête, et il tente de recomposer le puzzle. Les suspects sont nombreux et les mécanismes complexes de la cupidité prennent des formes variées : évasion des fortunes vers les paradis fiscaux, vol d’héritages, fausse croisade contre les usuriers…

Mon avis : 

Ceci est le dernier titre que je propose pour le mois espagnol « officiel » – je terminerai peut-être quelques titres en juin. En effet, depuis huit jours, j’ai mis volontairement en pause mon mois espagnol personnel – et je tape avec une main gauche presque guérie.

Ce roman n’est pas seulement un roman policier, il est surtout un roman noir, très noir, qui nous plonge dans une Espagne en pleine crise. Les Espagnols n’en peuvent plus, les espagnols ne s’en sortent pas, eux qui se sont endettés sur quarante ans pour payer leur logement. Et quand les banques ne veulent plus ou ne peuvent plus prêter, la seule solution qui reste, c’est recourir à des prêteurs sur gage ou, pour mieux dire, des usuriers. Ils sont nombreux, très nombreux, bien plus que je ne pouvais le penser. Depuis le début de l’année 2012, ce sont déjà trois usuriers qui ont été tués. Etaient-ils détestés ? A des degrés divers, oui, même si certains tentaient de faire « honnêtement » leur travail. Certains auraient-ils pu passer à l’acte ? Oui, peut-être, mais pour l’usurier qui les avait mis encore plus bas que terre, pas pour trois usuriers, même si, forcément, quand on doit recourir aux services de ces personnes, l’on a tendance à en consulter plusieurs.

L’on presse l’inspecteur Alarde de trouver le coupable. Cela ne peut durer, un tueur en série à Madrid, cela fait désordre. Alarde enquête, oui, mais il est aussi sensible, sensible aux personnes qu’il rencontre, qu’il interroge, dont il voit les douleurs, les souffrances. Sa propre histoire en a fait un enquêteur particulièrement attentif à ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Et s’il arrêtera le/la coupable (ne divulguons rien), j’ai aimé que la fin du roman ne soit pas consacré à lui, mais à des personnes qu’Alarde a croisé et apprécié au fil de l’enquête.

La fiancée gitane de Carmen Mola

Présentation de l’éditeur :

Une jeune gitane disparaît après l’enterrement de sa vie de jeune fille. On retrouve le cadavre deux jours plus tard. Elle a été torturée selon un procédé aussi macabre qu’insolite. Sa soeur Lara a connu le même sort quelques années plus tôt mais son assassin est sous les verrous. Si ce dernier n’a pas fait d’émules, la police a arrêté un innocent.
L’enquête est confiée à l’inspectrice Blanco, née sous la plume d’un auteur mystérieux qualifié par El País d’Elena Ferrante espagnole.

Mon avis : 

Groumpf.

Oui, j’ai vraiment écrit « groumpf », ce n’est pas un chat qui a sauté sur le clavier, j’en profite d’ailleurs pour dire que, pendant que je tape cet avis, Annunziata est très sagement assise à mes côtés, et Sultan se blottit contre elle, Pétunia, elle, est sur la box internet. Oui, je sais, cela peut paraître un peu inutile de dire ceci, et je me dis que mêler mes chats à l’écriture de cet avis n’est peut-être pas la chose la plus délicate à faire – pour eux.

J’ai lu le livre en entier, ce qui est une évidence, et en le refermant, je me suis dit qu’il serait très facilement adaptable à la télévision, d’ailleurs son scénario m’a fait penser à des films, des téléfilms que j’avais vus. Je ne me suis pas trompée, je suis allée plus loin que le quatrième de couverture, et j’ai découvert que, sous le nom de Carmen Mola, se cachaient trois scénaristes de télévision Jorge Díaz, Agustín Martínez et Antonio Santos Mercero. Cela a fait, d’après Babelio, grincer les dents de certaines féministes, qui considéraient ces oeuvres comme des romans féministes – preuve que les auteurs sont doués, non ?

Pour ma part, je trouve leur écriture efficace. J’ai eu envie de découvrir la fin de l’histoire, même si les révélations finales m’ont laissée sur ma faim. Nous sommes face à un crime atroce, parce que le coupable a pris plaisir à faire souffrir sa victime. Pire : la soeur aînée de la victime est morte de la même manière sept ans plus tôt. Problème : un homme a été arrêté et condamné, les preuves contre lui étaient irréfutables. Se pourrait-il que quelqu’un l’ait copié ? Ou bien pourrait-il être, malgré tout, innocent ?

Nous découvrons les enquêteurs de la BAC, une section de la police tenue secrète, même pour les membres de la police « ordinaire » – à se demander comment l’on peut être recruté. Pourtant, nous verrons un jeune enquêteur, au culot, réussir à franchir la porte de cette prestigieuse section et devenir le nouveau membre – à l’essai – de celle-ci. Au vue de sa manière d’agir, je ne doute pas qu’il ne devienne un membre définitif de la section.

Le titre annonce que la fiancée, celle qui a été tuée, tout comme celle qui est morte sept ans plus tôt, était gitane, mais elles avaient un autre point commun : comme leur père, elles allaient épouser quelqu’un qui n’appartenait pas à leur communauté, quelqu’un, comme le fiancé de Lara, tuée sept ans plus tôt, allait être rapidement innocenté. S’il est deux choses à retenir du portrait qui est fait de cette communauté, c’est le racisme dont ils sont victimes, même si rares sont les policiers qui veulent bien le reconnaître (des policiers racistes ? Impossible !) et de la solidarité dont ils sont capables quand l’un des leurs est dans la tourmente – et là, cela ne plaira pas toujours aux policiers.

Alors… je sais qu’il existe d’autres tomes des aventures d’Elena, je sais, pour être allée lire les avis sur Babelio, que chaque tome est plus trash que le précédent, ce qui, à la lecture de celui-ci, paraît déjà difficilement possible !

Alors (bis) si vous souhaitez le lire, accrochez-vous !

L’idée ridicule de ne plus jamais te revoir de Rosa Montero

Présentation de l’éditeur :

Chargée d’écrire une préface pour l’extraordinaire journal que Marie Curie a tenu après la mort de Pierre Curie, Rosa Montero s’est vue prise dans un tourbillon de mots. Au fil de son récit du parcours extraordinaire et largement méconnu de cette femme hors normes, elle construit un livre à mi-chemin entre les souvenirs personnels et la mémoire collective, entre l’analyse de notre époque et l’évocation intime. Elle nous parle du dépassement de la douleur, de la perte de l’homme aimé qu’elle vient elle-même de vivre, du deuil, de la reconstruction de soi, des relations entre les hommes et les femmes, de la splendeur du sexe, de la bonne mort et de la belle vie, de la science et de l’ignorance, de la force salvatrice de la littérature et de la sagesse de ceux qui apprennent à jouir de l’existence avec plénitude et légèreté.

Mon avis : 

J’aimerai vous dire beaucoup de bien de ce livre. Malheureusement, ce n’est pas le cas.

Je l’avais commencé pour un précédent mois espagnol (celui de l’an dernier ? Celui de 2021 ? Je ne m’en souviens plus) et je l’ai terminé seulement cette année, parce que je ne sais pas combien de livres je vais réussir à lire, et qu’arriver, au bout de huit jours, à trois livres lus, c’est déjà très bien.

Ce livre parle du deuil, et l’autrice, qui a rédigé l’introduction du journal de Marie Curie, dresse un parallèle entre son deuil (elle a perdu son mari des suites d’une longue maladie) et celui de Marie. Elle nous parle aussi, de façon sporadique et désordonné, de la vie de Marie Curie, choisissant quelle partie est la plus importante, entrant en contradiction avec l’avis d’autres biographes. Mais pourquoi pas ?. Elle nous parle aussi beaucoup d’elle-même, de certains choix de vie, qu’elle semble parfois regretter.

Cependant, ce livre ne m’a rien appris de plus que je ne savais déjà sur Marie Curie. J’ai eu l’impression d’effleurer le sujet, et de lire surtout l’opinion de Rosa Montero sur la scientifique, sur ce qu’elle a vécu – opinion, et parfois jugement aussi, parce que Marie Curie, selon elle, n’a pas assez combattu pour les femmes. N’a-t-elle pas mené assez de combat ? J’ai eu aussi l’impression de lire « Marie Curie qui ne parvient pas à se débarrasser du patriarcat », en tant que femme et fille, à une époque où je n’ai pas l’impression que l’on en parlait tant que cela. J’ajoute aussi que le fait de multiplier les hashtags est agaçant, tout en n’apportant rien à la narration (toujours à mes yeux).

Cette autrice vient de publier un ouvrage avec Olivier Truc – peut-être me laisserai-je tenter.

 

 

Roldan, ni mort, ni vif de Manuel Vasquez Montalban

édition 10/18 – 152 pages.

Présentation de l’éditeur : 

 » Luis Roldán a dirigé la guardia civil de 1986 à 1993, date à laquelle il fut découvert qu’il s’était enrichi de 400 millions de pesetas pendant cette période. Convaincu de corruption, accusé de détournements de fonds, il est rapidement devenu l’homme le plus recherché d’Espagne. L’homme le plus recherché pour les uns et celui qu’on avait le moins envie de voir resurgir pour les autres. Vázquez Montalbán a écrit ce roman à chaud et Planeta l’a publié en 1994, pendant et non pas après l’affaire Roldán. Pepe Carvalho travaille ici sur une affaire en cours, en même temps que (ou « à la place » ou « contre ») la police espagnole. Le projet de Vázquez Montalbán n’était pas bien sûr de résoudre cette affaire (Roldán a finalement été arrêté en février 1995), mais de s’interroger sur le destin d’une démocratie qui s’appuie sur des hommes « aussi dépourvus d’idéologie que de scrupules ».  » Le Matricule des Anges

Mon avis : 

Ce récit, si vous lisez donc le 4e de couverture des éditions 10/18, n’est pas inspiré de faits réels, il est un fait réel à lui tout seul, puisque, quand il a été écrit, tout le monde ignorait le dénouement de ces faits. Par contre, visiblement, il fallait bien se voiler la face pour ne pas savoir l’étendu des fonds détournés par ce charmant personnage.

Par contre, s’il est des personnes que j’ai été ravie de retrouver, c’est Pepe Carvalho, spécialement missionné pour mettre la main sur cet homme, qui a vraiment fait beaucoup, mais alors beaucoup de détournements, y compris le détournement de trop (dans les magouilles, il faut savoir s’arrêter à temps) et Biscuter, qui a fait un stage à Paris, pour parfaire ses connaissances culinaires en matière de soupe. C’est dans une enquête complètement foutraque que l’on met les pieds, elle part dans tous les sens, y compris géographique, et l’on essaie encore de faire dévier Pepe : c’est fou le nombre de personnes, hommes, femmes, sortant non de l’ordinaire, mais se mettant au-dessus de l’extraordinaire, qu’il sera amené à croiser. A croire que les services secrets du monde entier, ou presque, se sont tous réunis pour l’opération Roldán, ni mort, ni vif.

Un livre extrêmement plaisant !

Louve Noire par Juan Gomez-Jurado

Présentation de l’éditeur :

Antonia Scott est la pièce maîtresse du projet Reine rouge, créé pour résoudre les crimes les plus retors. Un soir, elle et Jon Gutiérrez, un flic à l’instinct aiguisé, sont sollicités sur une affaire urgente : la disparition de Lola Moreno, la femme de Yuri Voronin, trésorier d’un clan mafieux qui opère dans la zone de Malaga. Cette dernière s’est évaporée dans la nature juste après que quelqu’un a tenté de la tuer dans un centre commercial et que son mari a été brutalement assassiné dans leur villa. Mais les deux agents ne sont pas les seuls à vouloir la retrouver.

En effet, celle qui répond au nom de Louve noire, une dangereuse tueuse à gages à la solde de la mafia russe, est également sur ses traces. Des paysages ensoleillés de l’Andalousie aux décors enneigés de la Sierra, Antonia Scott, toujours en proie à ses démons, devra affronter cette terrible rivale.

Mon avis : 

Merci aux éditions Fleuve noir et à Netgalley pour ce partenariat. 

J’avais beaucoup aimé le tome 1, la reine rouge, et j’ai été ravie d’apprendre la parution en français de ce tome 2. J’ajoute, pour faire bonne mesure (et sans spoiler le dénouement) que j’ai été ravie d’apprendre qu’Antonia et Jon reviendront pour une nouvelle enquête. Yes !!!

Cette enquête n’est pas la suite de la précédente – même si Antonia y pense toujours, il faut dire qu’elle pense beaucoup – mais elle nous plonge dans le pire de ce que l’être humain est capable pour s’enrichir en asservissant d’autres êtres humains – le trafic de drogues, le trafic d’êtres humains, et ce, sans aucun état d’âme. Avec, parfois même, une once de bonne conscience : chacun a droit à sa part du gâteau, non ? Non. 

Cette enquête, qui mènera Antonia sur le terrain, la fera basculer. Elle est submergée parce qu’elle voit, par ce qu’elle doit faire, parce qu’elle ne veut pas s’avouer, même si elle en a conscience depuis longtemps. Elle qui n’a pas les codes sociaux et est même à côté; largement, de ceux-ci, a pour contrepoint humain, si humain, Jon, celui qui lui a été assigné comme co-équipier et qui remplit parfaitement sa tâche, simplement parce que ce n’est pas une simple mission, des liens se sont créés avec Antonia. 

Louve noire – derrière ce nom, se cache l’étape ultime de la deshumanisation. Les différents camps, celui que l’on pourrait qualifier du bien, celui que l’on pourrait qualifier du mal, sont renvoyés dos à dos parce qu’ils emploient quasiment les mêmes moyens. Le tout est d’être le premier camp à les maîtriser. Et tant pis pour ceux que cela choque, comme Jon Gutiérrez, être humain terriblement et profondément humain. 

Dans une Espagne qui a lutté contre les violences faites aux femmes, qui se montre féministe dans le vote de certaines lois, la place des femmes n’est pourtant pas aussi assurée que cela. Je ne parle même pas de la place des femmes dans la police : pour monter en grade, il est attendu (encore et toujours) que les femmes doivent se comporter comme des hommes – la référence, comme en beaucoup de domaines, restant encore et toujours l’homme. Lola Moreno est recherchée, menacée parce qu’elle était la femme d’un mafieu – la mafia n’est plus italienne, mais russe. Louve noire est une tueuse, la meilleure qui soit, paraît-il : elle sera là où on ne l’attendra pas, et c’est tout de même bien de lire une intrigue policière qui n’est pas prévisible, ce qui se confirmera encore avec le dénouement. 

En l’absence de Blanca

éditions Points – 124 pages

Présentation de l’éditeur :

Mario aime passionnément sa femme Blanca.
Son insouciance bourgeoise et sa fantaisie le fascinent.
Mais une menace inquiétante pèse sur son couple : l’incompréhension et la souffrance s’installent, Blanca s’évade peu à peu. L’amour peut-il survivre à sa propre disparition ?

Précision :

Le mois espagnol aura bien lieu, en voici un avant-goût.

Mon avis :

C’est un roman très court, que j’ai lu rapidement, et pourtant, tout est dit.

Mario est un provincial. Non, il n’est pas monté à Madrid, il est monté de sa campagne à Jaen où il est dessinateur industriel – un fonctionnaire. Or, pour Blanca, sa femme, qu’il aime passionnément, rien n’est pire que l’esprit fonctionnaire, même si elle lui assure qu’il n’en est pas doté. Blanca, c’est tout le contraire de Mario : elle vient d’une famille aisée, elle a toujours vécu dans l’aisance, elle abandonne un travail du jour au lendemain parce qu’il ne lui convient plus, elle est profondément artiste dans l’âme, et souffre de tous les opéras qu’elle ne pourra pas entendre, de toutes les expositions qu’elle ne pourra pas voir. Avant de connaître Mario, elle partageait la vie d’un peintre en pleine ascension, peintre qu’elle a soutenu, et qui l’a laissée dans une profonde dépression. Alcool et drogue ne l’ont pas aidée non plus. Nous sommes dans l’Espagne des années 80, celle qui s’apprête à entrer dans l’Otan puis dans l’union européenne (alors, la CEE), celle qui rentre dans l’Otan, qui est en pleine modernité et ne connaît pas encore la crise. Mario, lui, pense comme ses parents, le monde est une « vallée de larmes », et ne comprend pas, finalement, l’appétit de vivre de sa femme, sa passion pour toute chose – même s’il l’aime, même s’il pense qu’elle le quittera un jour, ce qui finit par arriver. Mario se rejoue le film de leur vie, de leur rencontre à cet instant présent, il pense ne pas avoir assez profité de chaque instant, lui qui ne vivait pourtant que pour ses instants, partageant peu avec ses collègues, puisque l’essentiel pour lui, était d’être avec elle. Mario qui avait toujours peur – pour elle.

Si je retiens une chose de ce livre, c’est qu’il est avant tout une grande histoire d’amour – et que tout espoir n’est pas forcément perdu.

Une datcha dans le Golfe d’Emilio Sánchez Mediavilla

Présentation de l’éditeur :

Lire ce livre s’apparente à boire un verre dans un bar avec un inconnu, un inconnu intéressant. Ce premier récit est l’histoire d’un journaliste qui a vécu à Bahreïn mais qui n’était pas censé y aller. Il nous raconte son voyage, d’abord avec l’étonnement d’un premier regard, puis avec la profondeur d’un excellent chroniqueur : des détails les plus simples (et pourtant invraisemblables), comme chercher une maison à louer, jusqu’aux détails plus précis de l’implantation chiite dans les pays du Golfe.
La voix de l’auteur, sérieuse et profonde quand il faut, mais aussi candide, drôle et subjective, se balade entre la finesse du regard et humour, loin de l’attitude du vaillant reporter de guerre qui a tout vu et tout vécu. C’est pourquoi on a envie de le suivre, parce qu’on se sent proche de lui, et on l’écoute nous décrire les subtilités géopolitiques du Moyen-Orient mais aussi les visites rocambolesques de Michael Jackson et Kim Kardashian à Bahreïn, les manifestations et répressions de 2011 et les menus des restos des expatriés, la construction des îles artificielles faramineuses et le sort de la moitié de la population, composée d’esclaves modernes.
En prenant ce qu’il y a de mieux dans le récit de voyage et dans le reportage, ce récit nous émerveille en nous montrant l’une des meilleures qualités d’un livre de non-fiction : il rend passionnant un sujet auquel nous ne nous serions jamais intéressés si on n’avait pas rencontré ce type sympa et intéressant au bar.

Merci à Netgalley et aux éditions Métailié pour ce partenariat.

Mon avis :

Ce titre fait presque rêver. Il m’a communiqué une idée d’exotisme et de secret : que vient faire une datcha, résidence secondaire russe, dans le Golfe ?

L’auteur Emilio Sánchez Mediavilla nous parle de lui, de sa compagne Carla, des raisons qui les ont faits s’installer à Bahreïn : elle est là pour le travail, envoyée par sa société, lui, journaliste, l’a accompagnée, tout simplement, et déjà, les démarches pour pouvoir vivre avec sa conjointe, pour pouvoir louer un appartement, ont de quoi nous étonner, nous, occidentaux. Il a du temps, il travaille à domicile. Il parle des rencontres qu’ils ont faites, des amitiés qu’ils ont nouées, et qui furent pour lui une des portes d’entrée pour connaître Bahreïn, son présent et son passé.

En refermant ce livre, j’ai éprouvé de la colère, non envers l’auteur et son essai, dont l’écriture renoue avec le genre du récit de voyage, mais parce que j’ignorai tout ce qui est narré dans ce livre. Je ne me rappelle pas avoir lu ou vu quoi que ce soit sur les événements survenus lors des manifestations de 2011, sur la répression, les actes de torture, les exécutions, la fuite des dissidents ou de ceux présentés comme tels. Nous ne savons rien, ou presque rien. Rien ne se passe non plus de la part des puissances mondiales (comme au Yémen, me souffle-t-on).

Pourquoi ? Est-ce à cause du poids financier de ce petit pays ? De la puissance de la monarchie qui est à sa tête ? De la complaisance des grandes sociétés qui, comme pour ce qui se passe dans la Formule 1, feignent de se renseigner mais ne veulent surtout pas perdre leurs avantages financiers ? Faut-il voir aussi le travail (si, si) fait par la monarchie bahreïnienne pour donner une image lisse de son pays ? Après tout, elle ne réprime pas l’homosexualité – même si elle n’apprécie pas du tout les homosexuels. Elle accueille fréquemment des stars occidentales, qui disent tout le bien qu’elle pense de ce pays – pensons à Kim Kardashian ou à Michael Jackson, qui vécut un an dans ce pays, sous la protection d’un des princes de Bahreïn (oui, même Emilio Sánchez Mediavilla avait du mal à y croire, et pourtant, c’est bien vrai).

Bahreïn est un petit pays, au vue de sa superficie. Il est très grand au vue des terres inoccupées par la populations, toutes celles qui appartiennent à la famille régnante. Pour des expatriés, qui vivent plutôt bien, qui peuvent avoir des loisirs, découvrir la culture et le poids de la religion dans ce pays, combien de travailleurs immigrés mal traités, combien d’esclaves modernes ? Difficile à chiffrer.

Une datcha dans le Golfe est un livre à découvrir : il vient de recevoir le prix Nicolas Bouvier – Étonnants voyageurs 2022.

Reine rouge de Juan Gomez-Jurado

Présentation de l’éditeur :

Antonia Scott est spéciale. Très spéciale.
Elle n’est ni flic ni criminologue. Elle n’a jamais porté d’arme ni d’insigne, et pourtant, elle a résolu des dizaines d’affaires criminelles.
Avant de tout arrêter. Depuis un tragique accident, Antonia se terre dans un appartement vide et n’aspire qu’à une chose : qu’on lui fiche la paix.
C’était compter sans l’inspecteur Jon Gutiérrez. Missionné pour lui faire reprendre du service, il parvient à la convaincre d’étudier un dernier dossier, celui d’un assassin sans scrupule qui s’en prend aux héritiers des plus grandes fortunes d’Espagne. Sa particularité ? L’homme ne semble motivé ni par l’appât du gain, ni par le plaisir de tuer.
Un cas complexe auquel la police madrilène n’entend rien.
En un mot, le terrain de jeu favori d’Antonia Scott.

Mon avis :

Faites comme moi : ne lisez pas le quatrième de couverture. Je me suis simplement laissée porter par trois choses : le titre (la couleur rouge dans un titre me parle toujours), le genre et la nationalité de l’auteur. Il précise à la fin qu’il ne veut surtout pas lire un avis dans lequel on parlerait, on « spoilerait » le dénouement. Je ne le ferai pas, je dirai simplement que je l’ai lu, ce qui est la moindre des choses quand on commente un livre.

J’ai aimé, tout d’abord, le personnage de Jon Gutiérrez. Il est policier. Il est gay. Il est monogame, autant dire que sa vie amoureuse n’est pas des plus trépidantes. Il aime beaucoup sa maman et la cuisine de sa maman. Il a « merdé » dans son métier, comme d’autres avant lui, si ce n’est qu’il s’est fait prendre. Il n’y a pas mort d’hommes, je vous rassure, c’est simplement sa carrière qui est fichu. On lui offre cependant une planche de salut : faire reprendre du service à Antonia pour une affaire qui ne pourra que l’intéresser. Va-t-il y parvenir ? Oui. Sinon, le roman tournerait vite court.

J’ai aimé le personnage d’Antonia – brisée, il faut bien le dire. Elle consacre son existence au strict nécessaire, ni plus, ni moins. Et pourtant, elle vit « avec ».

J’ai aimé lire ce livre, tout simplement, j’ai aimé le temps que j’ai passé en compagnie de Jon, mon personnage préféré, mais aussi Antonia, qui en a beaucoup trop vu. Oui, elle a résolu des dizaines d’affaires criminelles, et, comme si elle était un être de chair et de sang, j’ai envie de lui souhaiter d’en résoudre encore des dizaines d’autres parce qu’elle accomplit sa tâche jusqu’au bout, pour les victimes avant tout, celles qui sont mortes, mais aussi celles qui ont été blessées, et celles dont on pourra empêcher la mort parce que le tueur aura été mis hors d’état de nuire. J’ai aimé les rebondissements que contiennent ce récit qui a su me surprendre jusqu’au bout.

Une réussite.

Des palmiers dans la neige de Luz Gabas

éditions Charleston – 888 pages

Présentation de l’éditeur :

« Elle va bien, elle est très forte, elle n’a pas eu le choix. » Un fragment de lettre, découvert par hasard, et toutes les certitudes de Clarence de Rabaltué s’effondrent. Bercée dès l’enfance par les récits de son père, elle croyait tout savoir de cette jeunesse passée sur l’île tropicale de Fernando Póo, en Guinée espagnole. De l’odeur enivrante du cacao, de la richesse de la végétation et du soleil écrasant… Mais elle ignore tout de cette mystérieuse « elle » et de son lien avec son père. Et s’il existait une tout autre vérité, loin de l’histoire familiale officielle ? Un passé fait de secrets, d’amours interdites, de conventions sociales bafouées et de danger… Clarence s’envole pour la Guinée, déterminée à remonter le temps jusqu’à cet hiver 1953 où tout a commencé. À la fois grande saga familiale et fresque épique, le récit traverse les océans, les générations et nous confronte à l’un des aspects les plus sombres de notre passé colonial.

Merci aux éditions Charleston et au forum Partage-Lecture pour ce partenariat.

Mon avis :

Lire ce livre, c’est me plonger dans un genre littéraire qui n’est pas mon genre de prédilection, dans une littérature (la littérature espagnole) que je fréquente peu. C’est aussi découvrir un univers qui est très éloigné du nôtre.

Pourtant, l’action débute quasiment de nos jours – en 2003. Nous découvrons une famille unie, autour de Clarence et de sa cousine Daniela. Elles ont toutes deux entendu les récits de Jacobo, le père de Clarence, et de Kilian, celui de Daniéla, leurs jeunes années en Guinée espagnole. Il faut une lettre, découverte par hasard, il faut le conseil de Julia, une amie de la famille, pour que Clarence souhaite percer ce secret de famille, et décide de partir à son tour pour la Guinée. Je dis bien « à son tour », parce que son père, son oncle, son grand-père avant elle avait fait le chemin. Et voilà le lecteur reparti cinquante ans en arrière, pour le tour premier voyage de Killian de Rabaltué vers la Guinée. Je me suis interrogée, forcément, sur ce qui pouvait pousser des jeunes gens à quitter leur village natal, les montagnes enneigées, leur famille, pour une autre contrée – censée faire tout de même partie de leur patrie. Le goût de l’aventure ? L’argent ? Le fait de devenir un homme loin des regards de ceux qui l’ont vu grandir ? Un peu de tout cela à la fois.

Je vois dans Des palmiers dans la neige le roman de la défaite des femmes, de prime abord. De Mariana, la femme d’Anton, la mère de ses six enfants – dont trois parviendront à l’âge adulte. Elle a dû tout gérer seule, jusqu’au bout. De Catalina, sa fille, dont la santé chancèlera à chaque coup du sort. De ces femmes laissées en Afrique, parce qu’il est celle que l’on épouse, et celle avec qui l’on satisfait ses appétits sexuels. L’autrice ne cautionne pas cet état de fait, elle montre comment les hommes voyaient les femmes – comment certains les voient encore. Il y aura toujours des femmes qui se sentiront supérieures aux autres parce qu’elles seront passées devant monsieur le maire et monsieur le curé, qui fermeront les yeux sur les frasques de leurs maris, parce que c’était il y a longtemps, parce que c’était loin, parce qu’elles ne se sentent pas concernées par ce qui peut arriver à d’autres femmes.

Le roman prend son temps, il pose les personnages, que ce soit dans le passé, ou dans le présent. Il nous montre comment l’on vivait en Guinée espagnole, comment l’on semblait croire que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, que les espagnols avaient amené la civilisation, la religion, une nourriture abondante aussi aux habitants de ce pays qui, sans eux, n’auraient jamais aussi bien valorisé les terres de leur pays, ni autant travaillé. Quand je dis « travailler », oui, les ouvriers touchent un salaire, ne pourront jamais accéder à certains postes – parce qu’on ne les en pense pas capable, parce qu’ils ont réservés aux colons – mais leur condition de travail, l’usage de châtiments corporels, le non-respect de leur coutume, de leur croyance, nous rappellent que le souvenir de l’esclavage n’est jamais loin.

Alors oui, une histoire d’amour impossible prend place dans ce récit, elle n’est pourtant pas la part la plus importante de l’histoire. Elle a existé, mais ce n’est pas seulement elle qui provoquera la prise de conscience de Clarence, les profonds changements qu’elle effectuera dans sa vie. Révéler des secrets de famille peut être libérateur ou dévastateur. Je dirai même qu’il y a eu deux histoires d’amour « impossible », si ce n’est que pour la deuxième, les deux protagonistes ont fait le choix de la séparation, pour des raisons qui leur sont propres, non à cause de la pression de la société.

Des palmiers dans la neige, qui a été adapté au cinéma en 2015, est finalement un mélange des genres, entre roman historique et roman contemporain, sans oublier une touche de romance.

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Pepe Carvalho : Tout fout le camp de Carlos Zanon

Présentation de l’éditeur :

Le héros du romancier M. Vazquez Montalban, auteur de la série Une enquête de Pepe Carvalho, revient dans une Barcelone envahie par les touristes et en proie au mouvement indépendantiste. Il doit résoudre le double assassinat d’une fillette et de sa grand-mère, massacrées dans un appartement du quartier de l’Eixample, alors qu’un tueur en série rôde en ville, ciblant les prostituées.

Merci aux éditions Seuil et à Babelio pour ce partenariat.

Mon avis :

Reprendre un héros bien connu semble être devenu fréquent, surtout s’il est détective. Sherlock Holmes, Hercule Poirot y ont eu droit. Aujourd’hui, c’est au tour de Pepe Carvalho, sous la plume de Carlos Zenon, après avoir eu les honneurs d’une adaptation récente en bande dessinée. J’ai lu moi-même une demi-douzaine d’enquêtes originales de Pepe – parce qu’elles ne sont pas faciles à trouver, et parce que l’impulsion m’avait été donnée à la lecture, voici plus de vingt ans, d’une interview de Manuel Vasquez Montalban dans Point de vue – à quoi tient une découverte littéraire.

Verdict ? J’ai aimé, tout d’abord, le point de vue adopté par Carlos Zanon : faire de Pepe Carvalho un véritable détective, devenu héros de papier par la grâce d’un Ecrivain qu’il a rencontré, et qui aujourd’hui n’est plus. Cela ne l’empêche pas d’évoquer les enquêtes dont il a parlé avec lui, de se souvenir de certains personnages, puisqu’il a engagé la petite-fille de l’un d’entre eux. Biscuter est là, lui aussi, pas tout le temps, suffisamment pour se faire rabrouer régulièrement par Pepe.

Il faut dire que tout fout le camp, comme l’indique le titre. Le corps, d’abord. Pepe souffre, et fuit le médecin, même s’il ne digère plus rien, même s’il ne parvient guère à garder un peu de nourriture solide dans son corps. Il ne veut surtout pas savoir. Le coeur, ensuite. Charo n’est plus là, et Pepe ne fait rien pour renouer – non, pas leur histoire d’amour, renouer le contact, tout simplement. Il vit une histoire d’amour et de souffrance avec une femme mariée à un homme puissant, une femme qui souffre, dit-elle, par son mari, et ne fait rien pour mettre fin à cette histoire, une femme qui joue aussi avec Pepe, le fait attendre, promet, et lui seul sait qu’elle ne tiendra pas ses promesses. L’esprit aussi : la Catalogne est en ébullition, veut son indépendance, et Pepe, qui en a vu plus que tout autre, ne croit plus en rien, et surtout pas en cette séparation avec l’Espagne. Même si le catalan est la langue commune de bien des personnages, la langue des poésies lues aussi, la langue que l’on croise au détour d’une page, le castillan reste la langue principale du récit – comme une impossible séparation. Pepe, Biscuter, restent bien ancrés dans notre temps, leur temps, au point que Biscuter a postulé et a été retenu pour un concours de cuisine télévisé, un de ceux où l’on cherche des profils atypiques et où l’on humilie les candidats jusqu’à les amener – ou pas – jusqu’en finale.

Je vous rassure : Pepe est toujours détective. Il enquête toujours, et nous en voyons passer, des enquêtes, quotidiennement. Il a aussi des enquêtes au long cours, comme celles qui forment le nœud du récit. Nous avons des prostituées qui ont disparu. Banal, courant. Des prostituées qui font des passes à 6 € dans un lieu bien connu. Des prostituées dont on retrouve les cadavres enterrés dans la montagne,  corps retrouvés et pas forcément identifiés à la suite d’un glissement de terrains. Il faut arrêter le tueur, que tout le monde semble connaître, mais contre lequel personne n’a suffisamment de preuves pour le mettre hors d’état de nuire. Il est celle, aussi, qui croit encore, comme la mère de Ninata, qui se raccroche au moindre espoir, qui ne veut surtout pas croire, et tant pis pour les vêtements et l’Adn, et tant pis pour l’espoir qui lui a été instillé – pas par Pepe, il n’est pas cruel.

Il est aussi un vendeur à la sauvette qui a été jeté, balancé, par des policiers municipaux, lui qui croyait trouver la liberté n’a trouvé que la mort. Le responsable est en prison, et cela tombe presque bien, parce qu’il pourrait, sinon, être impliqué dans un double meurtre, celui d’une grand-mère et de la plus jeune de ses petites filles. Peut-être l’est-il quand même, après tout, tant la situation semble complexe, tant certains préfèrent se taire, alors que d’autres jettent de l’huile sur le feu. Pour quelle raison ? Pourquoi accabler la soeur survivante, Amélia ? Débrouiller les fils d’une intrigue complexe n’est pas pour effrayer Pepe, il craint simplement, et constamment, de ne pouvoir sauver ce qui ne peut être sauvé. Ce n’est pas vraiment de l’espoir, c’est plutôt de la lucidité.

Et pourtant, de l’espoir, il y en aura, à la fin du récit. Pepe est toujours là, heureusement.