Archive | août 2019

Taqawan d’Eric Plamondon

Quatrième de couverture

« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mi’gmaq. Emeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.
Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source…

Mon avis :

Je ne suis jamais vraiment à l’heure, et ici, une semaine avec la magnifique rencontre avec l’auteur Eric Plamondon, je chronique enfin son roman (je vous rassure, je l’avais lu avant la rencontre).

Bienvenue au Québec en 1981. Les québécois veulent leur indépendance, ils veulent que l’on respecte leur langue, leur culture. Ils ont raison ! Par contre, il n’est pas question pour le gouvernement québécois de reconnaître la langue et la culture des Indiens Mi’gmaq. Ce n’est pas la même chose, voyons ! Pourquoi ? Parce que ce sont des sauvages incapables de respecter les lois. La preuve : il a fallu envoyer trois cents policiers à la réserve de Restigouche parce que les Mi’gmaq étaient incapables de respecter les nouveaux quotas de pêche. Il était pourtant simple de comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de continuer à pêcher comme ils l’avaient toujours fait, bien avant l’arrivée de ceux qui deviendraient les canadiens et les québécois, qu’ils ne devaient pas prélever six tonnes annuelles alors que les bateaux usines au large des côtes en prélèvent trois mille tonnes.

Vous l’aurez compris, cette loi n’est qu’un prétexte, un de plus, pour s’en prendre aux Mi’gmaq – mais tous les prétextes sont bons pour parvenir à ses fins. Ce livre ne nous livre pas le récit de manière linéaire. En des chapitres courts, il nous permet de découvrir le présent de cette réserve, mais aussi le passé, les légendes, et même une recette de cuisine ! Les personnages principaux sont attachants, par leur diversité même. J’ai aimé le personnage de Corinne, parce qu’elle est enseignante, parce qu’elle est française, parce qu’elle porte un regard autre sur ce pays, voyant les failles qui échappent à d’autres. Je n’ai garde cependant d’oublier les personnages d’Océane et de William, deux personnes qui parlent peu, mais dont la volonté est chevillée au corps. Il leur en faut. Agir, c’est important, et ne surtout pas faire comme si on ne voyait pas, ne savait pas, n’était pas concerné : c’est parce que certains ne font jamais rien que ceux qui agissent mal peuvent continuer.

La vie en rose de Marin Ledun

édition Gallimard – 310 pages

Présentation de l’éditeur :

Ses parents partis parcourir la Polynésie, Rose – qui s’est installée avec le lieutenant Personne – se retrouve seule pour s’occuper de ses frères et sœurs.
Coup sur coup, elle est confrontée au cambriolage de Popul’Hair – le salon de coiffure où elle fait la lecture –, à la découverte inopinée de sa grossesse et au meurtre de l’ex-petit ami de sa sœur. Bientôt, c’est le meilleur ami de Camille que Rose découvre poignardé.

Mon avis (avec beaucoup de moi en prime) :

J’ai commencé la lecture de ce livre à la bibliothèque Parment, le 27 août, j’en ai lu cent cinquante pages et j’ai beaucoup aimé, au point, bien sûr, de l’emprunter. Et le lendemain, coup de mou, dû à un pépin de santé, un pépin matériel, et l’annonce de mon emploi du temps de l’an prochain, suivi par la jolie liste de mes futurs élèves. Un coup à ralentir nettement la lecture. J’ai choisi donc de programmer cet article pour le 30, alors que je serai en pleine pré-rentrée.

Ce livre est un tourbillon de folie, avec une héroïne… Ah, comment la qualifier ? Non, ce n’est pas qu’elle ne pourrait vivre une vie ordinaire, c’est qu’elle, les membres de sa famille, ont choisi une vie singulière. Certes, elle vit avec un lieutenant de police, ce que sa mère, dont la dernière garde à vue date de 2017. Ce n’est pas être différent qui est difficile, c’est être soi, pleinement, sans tricherie, sans jamais chercher à être ce que les autres veulent que vous soyez qui est compliqué – pour les autres qui sont un tantinet plus conformiste. L’avocat de la famille est blasé – ou présumé tel. Il est pourtant franchement réjouissant de voir Antoine organiser des parties de poker dans l’EHPAD où il travaille – enfin, de strip poker, pour être précise, avec des vertus pour la réappropriation du corps, la connaissance du matériel de soin et le resserrage des liens entre les différents pensionnaires. Ils sont bien sûr tous pleinement consentants, finalement, les seuls qui ne sont pas d’accord, ce sont le personnel soignant traditionnel et le directeur, qui appelle généreusement madame Mabille-Pons – il appelait Adélaïde, la mère, il rencontre Rose, la fille, avec un résultat tout aussi positif, pour le soutien inconditionnel à Antoine.

Mais un meurtre est commis, puis un second – deux jeunes gens, deux proches de Camille, la soeur cadette de Rose. Deux adolescents très différents, l’un très ordinaire, l’autre qui voyait enfin le bout du tunnel après des années d’errance. Un troisième est gravement blessé, et son statut de fils unique du plus gros patron de la région met tout de suite le feu aux poudres.

Richard, le lieutenant et compagnon bien aimé de Rose, enquête. Rose continue sa vie, et surtout débute une grossesse inattendue, en se demandant quelle conjonction de ratage pilule/capote a pu produire ce foetus. Elle doit aussi mener de front son travail de lectrice à Popul’hair, et son rôle de chef de famille par interim du fait de la croisière de ses parents. Elle découvre ainsi les délices des réunions parents-professeurs, un vrai bonheur. Alors oui, Rose s’offusque du discours de certains enseignants, et elle a raison ! L’important (et là, c’est la prof qui parle) de trouver sa voie, même si elle est hors-norme. Quant au professeur de mathématiques, monsieur Blache, qui s’acharne à voir réussir ses élèves, et bien j’ai envie de lui dire, en tant que prof, qu’à un moment il faut lâcher prise, et des mauvaises notes, en quelques matières que ce soit, n’empêche pas de réussir sa vie.

Ce que j’ai aimé, c’est à quel point ce livre contient une culture littéraire parfaitement intégrée au récit, nous présentant une galerie de fans de romans noirs issus de milieux différents, mais affirmant tous leur goût, sans souci. Et c’est vraiment tant mieux. Oui, il est agréable de rencontrer des lecteurs, des vrais, des personnes qui intègrent véritablement l’oeuvre qu’ils ont lu. Il en est de même pour la musique : Rose aime ce qu’elle écoute, et elle ne ressent pas le besoin de justifier ses préférences détonantes. Elle est aussi la preuve qu’en dépit des aléas, la grossesse ne transforme pas radicalement une femme. Ouf.

 

Le carnet de Maden par Cloé Duc, Tatiana Duc

Présentation de l’éditeur :

Retrouvez les aventures de Maden avant sa rencontre avec Naola, la petite serveuse du Mordret’s Pub !
Maden mène une vie tranquille, entre son frère, les entraînements à la voile et la pêche, loin des conflits de la Fédération.
Mais la paix ne peut pas durer éternellement, et tout bascule quand les sorciers attaquent son petit village breton et enlèvent tous les jeunes enfants.
Parti à la recherche de son frère kidnappé, une périlleuse quête débute pour Maden. Elle le mènera au cœur des Halles Basses de Stuttgart, un monde dont il lui faudra rapidement comprendre les règles, s’il ne veut pas y perdre un morceau de lui-même…

Merci à Netgalley et aux éditions HLAB pour ce partenariat.

Mon avis :

Je suis très heureuse d’avoir pu découvrir le carnet de Maden, qui est mon personnage préféré du Mordret’s Pub. Ce carnet, nous avons pu en découvrir des extraits dans le second tome du Mordret’s pub – des extraits, entendons-nous, cet opus va beaucoup plus loin.
Nous suivons le parcours de Maden, un jeune adolescent ordinaire dans un monde qui ne l’est plus vraiment. Il vit en Bretagne, dans un village de pêcheurs. Les temps ne sont pas faciles, cependant la paix est là. Sauf que… certains se moquent pas mal de la paix, les sorciers pour les nommer. Ils n’hésitent pas à faire un raid sur le village dans lequel vivent Maden et son frère Kimon et enlèvent des enfants  – dont Kimon. Mordred part à sa recherche.
Avant l’enlèvement, c’est une vie banale que nous compte Maden. Après, il nous dit sa volonté de retrouver son frère, et quels moyens il met en oeuvre pour y parvenir.
Naola vivait dans une société protégée, qu’elle n’a jamais remis en cause, au milieu de la communauté des sorciers, elle découvre peu à peu le monde qui l’entoure réellement. Mordred, humain ayant connaissance de l’existence des sorciers, découvre une société clivée, sectaire, à Paris, ville qui paraît très tolérante par rapport à Stuttgart. Grâce à Kristen, sa mère adoptive, il apprend aussi ce qu’était le monde avant – avant que sorciers et humains ne se séparent irrémédiablement, avant que les humains qui fréquentent les sorciers ne soient ostracisés. C’est un univers sombre, tragique, empli de douleurs – alors que tant de sorciers de la nouvelle génération semblent avoir une vie extrêmement facile. Au fil de ses annotations, Maden nous montre ce qu’apporte la magie, et ce que subissent ceux qui, comme lui, n’en ont pas, surtout ceux que les aléas de la vie, ou une décision consciente, ont amené à devenir des mécamages. Rares sont ceux qui ne les rejettent ou ne les exploitent pas – les deux en même temps sont totalement possibles.
Un moment de lecture fort prenant au côté de Maden.

Le Diable s’habille en licorne de Serge Petrosky

Présentation de l’éditeur :

Requiem, votre curé préféré est de retour à… Dunkerque et en plein carnaval ! Pour une séance d’exorcisme. Notre héros, hors norme, est, il faut l’avouer, un peu étonné par cette divine mission. Non pas qu’il ne croie pas au démon, c’est quand même un petit peu son boulot, mais il se méfie, c’est tout. Il faut dire que les festivités donnent lieu à de sacrées fiestas mais aussi à quelques curieux décès. Des lycéens meurent les uns après les autres après avoir ingurgité des bonbons aux saveurs bien peu catholiques. Requiem réussira-t-il à démanteler ce trafic de «Licorne» et à sauver le carnaval ?

Mon avis :

L’affaire qui avait mené Estéban Lehydeux au Havre n’en finit pas d’en finir, et elle a amené son ami Régis à Dunkerque, pour terminer de démanteler le réseau néo-nazi mis à jour dans notre belle Normandie. Et Requiem, me direz-vous ? Lui se trouve à Dunkerque pour mener à bien son travail, celui que l’on avait quasiment perdu de vue dans les deux premiers opus : pratiquer un exorcisme. Hélas, il arrive trop tard, la jeune fille est morte, suicidée.

Seulement, Requiem connaît son métier. Que l’on y croit ou pas, là n’est pas la question, quand on lit un roman mettant en scène un prêtre exorciste, et bien, on croit en ce qu’il fait. Et Requiem conforte ce que je pensais déjà : dans la majorité des affaires qui requièrent sa profession, le démon est absent, l’homme est responsable de ce qui se passe. Mais qui aurait pu pousser une adolescente à se suicider dans ce qui a ressemblé à une crise de délire mystique ? Surtout, les morts succèdent aux morts, toutes plus sanglantes les unes que les autres, et cela commence à faire beaucoup pour le prestigieux établissement catholique dans lequel, bizarrement, tous étaient scolarisés. Requiem se retrouve alors à frayer, ou plutôt à rentrer dans le lard de quelques ecclésiastiques du cru, et il en est des gratinés, dont le directeur de ce prestigieux établissement qui, bizarrement, ne supporte pas, mais alors pas du tout la présence de Requiem dans ses murs. Il a déjà eu assez à faire avec un professeur excentrique, dissident, qui a curieusement disparu sans laisser la moindre explication – bien sûr, Requiem cherche tout de suite un lien possible entre cette disparition et l’affaire qu’il doit résoudre.

Premier pas : la présence de drogue dans l’établissement, dont l’ingestion pourrait expliquer certains comportements dévastateurs. Second pas : Requiem devient professeur dans l’établissement, à la demande de l’évêque, un personnage charmant et excentrique. Il n’est pas aussi hors norme que Requiem, mais il est le seul ecclésiastique que j’ai trouvé attachant dans ce petit monde particulièrement étriqué. Je le dis, je le répète à chaque fois que j’écris une analyse d’un roman mettant en scène Estéban Lehydeux, certains croyants oublient le commandement le plus important : « aimez-vous les uns les autres ». Quand je vois le mal que certains catholiques extrémistes – extrêmement rigides – peuvent faire aux autres, je me dis qu’ils n’ont rien compris, ou qu’ils ne s’aiment pas beaucoup eux-mêmes.

Heureusement, au milieu de cette enquête particulièrement glauque et sanglante, il reste l’humour de Requiem, et la présence de Cécile. Un peu de douceur dans un monde d’esprits étriqués.

Une joie féroce de Sorj Chalandon

Présentation de l’éditeur :

Jeanne est une femme formidable. Tout le monde l’aime, Jeanne.
Libraire, on l’apprécie parce qu’elle écoute et parle peu. Elle a peur de déranger la vie. Pudique, transparente, elle fait du bien aux autres sans rien exiger d’eux. A l’image de Matt, son mari, dont elle connaît chaque regard sans qu’il ne se soit jamais préoccupé du sien.
Jeanne bien élevée, polie par l’épreuve, qui demande pardon à tous et salue jusqu’aux réverbères. Jeanne, qui a passé ses jours à s’excuser est brusquement frappée par le mal. « Il y a quelque chose », lui a dit le médecin en découvrant ses examens médicaux. Quelque chose. Pauvre mot. Stupéfaction. Et autour d’elle, tout se fane. Son mari, les autres, sa vie d’avant. En guerre contre ce qui la ronge, elle va prendre les armes. Jamais elle ne s’en serait crue capable. Elle était résignée, la voilà résistante. Jeanne ne murmure plus, ne sourit plus en écoutant les autres. Elle se dresse, gueule, griffe, se bat comme une furie. Elle s’éprend de liberté. Elle découvre l’urgence de vivre, l’insoumission, l’illégalité, le bonheur interdit, une ivresse qu’elle ne soupçonnait pas.
Avec Brigitte la flamboyante, Assia l’écorchée et l’étrange Mélody, trois amies d’affliction, Jeanne la rebelle va détruire le pavillon des cancéreux et élever une joyeuse citadelle.

Mon avis :

On ne me l’aurait pas offert, je ne l’aurai pas lu. J’ai le mérite d’être claire. Il faut dire que les deux sont arrivés dans la même journée, ce livre, et ma lecture de sa critique cinglante dans le magazine Lire – oui, j’ai retenu la cinglante, pas celle qui est positive, parce qu’elle faisait écho à ce qu’avait dit Sorj Chalandon lors d’une rencontre à la librairie l’Armitière : il est toujours quelqu’un pour lui conseiller d’aller voir un psy. Pour ma part, le travail d’un critique n’est pas d’expliquer à un auteur comment il aurait dû écrire son livre mais d’analyser ce qu’il a écrit. Après, on peut aimer, ne pas aimer, trouver une partie plus faible que l’autre : tous les goûts sont dans la nature.

Alors oui, j’ai lu ce livre presque d’une traite, et je rédige mon avis dans la foulée, sans brouillon, comme ça, à chaud, avec une syntaxe un peu désordonnée. Lire le premier quart du livre fut pour moi une épreuve, parce que cela fait 15 mois, à peu près, qu’un très proche « a chimio ». Et nous, ses proches, respectons ses choix. Jeanne, elle, n’a pas de choix, elle est la gentille Jeanne, celle qui est toujours gentille avec tout le monde, celle qui ne se rebelle devant rien, pas même face à un mari qui s’éloigne d’elle parce que c’est mieux pour elle. Pas la peine de se mettre en rogne, c’est possible, c’est même le cas (dans des statistiques lues voici quelques années) de 25 % des personnes atteintes d’un cancer de se voir ainsi quittées par leur conjoint(e). Jeanne qui a perdu son fils unique d’une maladie rare et qui a eu droit au traditionnel commentaire de sa belle-soeur (oui, si vous lisez le livre, ce genre de phrase est malheureusement possible/courante/fréquente) ne trouve du soutien qu’auprès du personnel soignant, qui a hélas beaucoup de malades dont il faut prendre soin, auprès de son fidèle médecin de famille et d’autres patientes, qui la prennent sous son aile, notamment Brigitte, qui est la maman de toutes, elle dont le fils ne veut plus la voir.

Alors… je n’ai pas forcément envie de vous conter la suite et la fin de ce récit, avec ces moments de joie quand Gavroche, le survivant, continue à suivre les cygnes, au parc et que Jeanne y voit la réussite de son combat. La férocité, aussi, quand Jeanne se rebelle, qu’elle en a assez d’être la gentille Jeanne. Il n’est qu’avec Hélène, la libraire, celle qui l’a connue avant sa maladie, qu’elle ne change pas, sans doute aussi parce qu’Hélène n’a pas changé à son égard. J’ai noté aussi que c’était un roman dans lequel on racontait beaucoup d’histoires, notamment à Jeanne, qui se rend bien compte que les personnes ne s’intéressent pas à elle, mais aiment raconter les cas de maladies qu’ils/elles ont eu dans leur entourage, sans s’apercevoir (là, encore une fois, ce n’est que mon point de vue) qu’ils ne sont pas capables de s’intéresser réellement à autrui. Jeanne elle-même d’ailleurs en vient à raconter des histoires, notamment à cette femme dont la fille est malade aussi, et qui tente, en plus des soins, une autre méthode pour la soulager. Oui, le roman ne fait pas l’impasse sur ses personnes qui craquent, qui n’en peuvent plus, qui arrêtent les soins, et tant pis pour leur corps.

Après, comme je le disais plus haut, on aime ou on n’aime pas ce récit. Mais il ne peut pas laisser indifférent.

 

 

En son absence de Bill James

Présentation de l’éditeur :

Que signifie envoyer un flic en infiltration ? apparemment, c’est simple : il s’agit d’espionner de l’intérieur une organisation criminelle que la police n’arrive pas à démanteler. le flic infiltré devra donc s’y faire admettre, gagner la confiance des responsables, comprendre tous les rouages de l’entreprise… un rôle dangereux, qui exige non seulement des nerfs d’acier, mais surtout de respecter toutes sortes de précautions. au séminaire de Fieldfare house, Esther Davidson écoute avec intérêt l’expérience de collègues infiltrés, ce qui doit l’aider à planifier ses propres opérations. Iles est absent de ce séminaire car, justement, une infiltration relevant de sa responsabilité s’est mal terminée. s’il avait été là, peut-être aurait-il pu convaincre Esther de renoncer à ses plans ? Iles est un flic parfois douteux, parfois violent, mais en général efficace et compétent. ici, c’est son absence qui se fera cruellement sentir.

Mon avis :

Pas un avis sur Babelio, mais une moyenne faite avec quatre notes, que j’aimerai bien voir expliciter, parce que si je devais noter ce livre (je déteste noter des livres, je suis déjà contre les notes au collège, alors pour les livres, n’en parlons pas), je lui mettrai au-dessus de la moyenne.

Il n’est pas un roman policier comme les autres, il est le roman policier des coulisses. Non, nous ne suivrons pas le policier en mission d’infiltration, nous ne serons pas derrière lui, pas à pas, nous ne tremblerions pas derrière lui quand il sera à deux doigts d’être découvert, nous ne nous réjouirons pas quand il fera des découvertes significatives pour l’enquête qu’il sert. Nous ne partagerons pas ses sentiments, sa fierté, sa solitude, sa volonté d’en mettre un bon coup pour faire progresser cette enquête qui dure depuis huit ans. Huit ans sans que jamais la police, qui a mobilisé bon an mal an une dizaine d’hommes, ne parvienne à trouver la moindre preuve contre cette entreprise criminelle, qui n’est pas jugée criminelle puisqu’en vingt ans d’existence, elle semble ne jamais être sortie des clous. Non, nous ne lirons rien de toutes ses étapes imposées, davantage par le cinéma que par la littérature policière.

Nous nous dirons simplement : « la police, quelle bande de couillon ». Oui, c’est abrupte.

Esther Davidson est adjointe de la police, et elle a envie d’infiltrer un de ses hommes. Le séminaire de la police à laquelle elle assiste la convainc : oui, c’est possible, c’est faisable, et les témoignages de l’agent A et de l’agent B la confortent dans cette décision, qu’elle avait fortement envie de prendre. Puis, elle a elle-même été une agent infiltrée, elle sait donc ce que cela fait d’être ainsi sur le terrain, seule d’être quelqu’un d’autre, et d’être quelqu’un qui permet à l’enquête d’avancer de manière significative. Elle a sans doute oublié qu’elle a dû être exfiltrée en urgence, contre l’avis de son supérieur, qui s’est retrouvé à vendre des saucisses sur les marchés, parce qu’elle avait raison, elle avait vraiment été découverte.

Elle oublie aussi une absence, celle d’Iles, policier charismatique s’il en est. L’infiltration, il sait ce que c’est : il a infiltré un agent et des années après tout le monde s’en souvient, tout le monde, surtout lui : son agent a été massacré, les deux coupables supposés acquittés, puis retrouvés mystérieusement massacrés. Cet agent infiltré, il pense à lui sans arrêt, et si Esther l’avait écouté ne serait-ce qu’une seule fois, elle aurait renoncé. S’il était venu au séminaire, il l’aurait peut-être fait reculer, sauf qu’il a pensé que son absence en dirait bien plus que sa présence. A-t-il eu tort ? Il était en tout cas attendu par les deux ex-agents infiltrés, qui pensaient riposter vaillamment à ses questions. Comment riposter à une absence ?

Iles est également absent, quasiment absent de l’intrigue. Ses rares apparitions n’en sont que plus cinglantes. En effet, le livre devient un livre de procès, du coupable possible, des résumés de la juge – j’ai découvert cette pratique anglaise – et du fait que la justice semble ne pas pouvoir passer – tout simplement parce qu’il manque encore et toujours ses fameuses preuves, et que la police a manqué de prendre des précautions.

Oui, s’il n’y avait pas mort d’hommes et de femmes aussi, voir la déconfiture de la police, la manière dont l’agent infiltré a été manipulé serait presque risible. Ce n’est plus (ce n’est pas ?) une mission d’infiltration, c’est une lutte pour imposer l’agent que l’on a choisi, au détriment de celle choisie par le responsable de l’infiltration. Parce que c’est un homme, et que c’est moins risqué. Parce qu’il est célibataire, elle est fiancée, et tant pis si Esther enjolive un peu la réalité : c’est elle qui paiera les pots cassés si la mission foire. C’est elle qui vivra avec, effectivement.

Esther. J’ai eu franchement du mal avec elle, non d’un point de vue professionnel, mais d’un point de vue personnel. Comment peut-elle vivre avec un mari comme le sien ? Merci de ne pas me dire qu’elle l’aime au point d’en oublier ce qu’il lui fait subir. Pour qualifier leur relation, j’hésite entre « elle est toxique », ou « elle est sado-masochiste ». Elle est sans doute un mélange des deux. Leurs dialogues sont d’ailleurs un chef d’oeuvre – ou comment fait-elle tout pour choisir les mots qui ne vont surtout pas mettre le feu aux poudres, un art de la communication trop souvent réservé aux femmes maltraitées.

De nombreuses enquêtes d’Iles restent à traduire… J’aimerai bien lire la suite en VF, nous avons de très bons traducteurs en France (ce volume est traduit par Danièle Bondil), parce que l’absence d’Iles se prolonge – cette enquête date de 2008, dix autres ont été publiées depuis.

L’atelier des sorciers, tome 4 de Kamome Shirahama

Présentation de l’éditeur :

Agathe s’est inscrite au deuxième examen du monde des sorciers qui lui permettra de pratiquer la magie en public. Kieffrey, Coco et les autres apprenties l’accompagnent sur place, mais la présence néfaste de la Confrérie du Capuchon va bientôt venir troubler le bon déroulement de l’épreuve…

Quel est le but de cette étrange organisation ?

Mon avis :

C’est avec plaisir, tant au point de vue de l’intrigue que du graphisme que j’ai lu ce quatrième tome – les dessins sont absolument superbes, ne ratez pas les décors, véritablement réussis, qui donnent envie de s’attarder sur les images.

L’intrigue pourrait paraître simple, dans ce quatrième tome : Agathe et Trice doivent passer le second examen du monde des sorciers. Quatre sont obligatoires, le cinquième, peu de magiciens le passent puisqu’il est destiné à obtenir le droit d’avoir des apprentis, bref, d’enseigner. Un troisième apprenti est présenté à l’examen. Non, pas Coco, ni une autre apprentie de Kieffrey, mais Yinny, nouveau personnage qui a déjà raté cet examen. Pourquoi ? Parce que son maître ne cesse de le dévaloriser, au lieu de l’aider à progresser. Par contraste, il montre à quel point Kieffrey, l’anticonformiste, est un pédagogue doué, qui souhaite uniquement amener ses élèves à trouver leur voie et à aller le plus loin possible sur cette voie. L’élitisme ? Non, ce n’est vraiment pas pour lui. A ce sujet, l’histoire de la ville de Romodon est exemplaire, et montre jusqu’où l’on peut aller au nom d’une soi-disant excellence. Fable ? Pas tant que cela : on peut constater, si l’on se tourne vers le passé, que ce postulat a conduit à sa perte des civilisations, ou , plus modestement, des institutions.

Si nous étions dans un manga ordinaire, tout se passerait presque bien. Passer un examen, quoi de plus banal ? Sauf que tout oppose Agathe et Trice : l’une est parfaitement dans la norme, l’autre veut s’écarter de la norme. Quant à la confrérie du Capuchon, je dirai simplement qu’elle n’y va pas de main morte pour parvenir à ses fins, nous offrant ainsi quelques unes des images les plus spectaculaires et les plus angoissantes aussi.

Un quatrième volume tout en tension, et un cinquième tome qui paraîtra le 2 octobre.

 

 

Ténèbres, ténèbres de John Harvey

Edition Rivages/Noir – 394 pages

Présentation de l’éditeur :

Dans cette douzième et ultime aventure de Charlie Resnick, personnage emblématique qui a conquis un large public sur deux décennies, John Harvey se confronte à un événement majeur de l’histoire sociale de la Grande-Bretagne : la grève des mineurs de 1984. La découverte du cadavre d’une femme qui avait disparu pendant la grève remet l’inspecteur Charlie Resnick en scène et l’amène à se confronter à son passé de jeune flic. Trente ans plus tôt, Resnick était en première ligne en tant que policier chargé de la surveillance des grévistes. Déjà, à l’époque, son sens moral avait été mis à mal par les méthodes employées contre les mineurs. Aujourd’hui, c’est un homme âgé et il se souvient… Une histoire poignante qui s’achèvera sur des notes de Thelonious Monk.

Mon avis :

Le mot « ténèbres » est pour moi un des plus beaux, parce que la lumière ne se voit jamais mieux que lorsqu’elle perce les ténèbres, quels qu’ils soient.
Charlie Resnik est le héros de John Harvey, il lui a consacré douze enquêtes, en vingt-cinq années d’écriture – dans la postface, John Harvey explique comment il a choisi le dénouement pour son personnage, après en avoir écrit un autre. A mes yeux, son choix définitif est bien meilleur que le premier.
Charlie Resnik est officiellement à la retraite, mais il a pu rempiler dans un travail administratif qui l’occupe, et surtout, l’empêche de trop penser, lui qui rentre presque seul chez lui, avec un chat et ses disques de jazz. Ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que l’on retrouverait le corps d’une femme disparue depuis trente ans – et morte depuis trente ans. Les cold case, dans les séries télévisées, c’est bien, c’est facile. Dans un roman qui se veut crédible, cela l’est nettement moins, rares sont les personnes qui n’ont pas déménagées en trente ans, qui n’ont pas changé de métiers, surtout vu le contexte. Trente ans plus tôt, se déroulaient les grandes grèves des mineurs. Resnik était un jeune policier, confronté aux ordres de ses supérieurs et au méthode de certains collègues, sur lesquelles les supérieurs fermaient les yeux – tant que les événements allaient dans le sens qui convenait à la police, tout était bon à prendre.
Resnik jeune, et Jenny, la victime, vivante, voilà les morceaux de passé qui nous sont livrés dans le récit rétrospectif. Jenny, bien vivante, soutenant la grève, participant à des meetings, se débrouillant pour faire garder ses trois enfants, ou pour être revenue à temps pour les chercher à l’école. Un mari, Barry, non gréviste qui ne comprend pas sa femme, qui sort trop du rôle traditionnel des épouses soumises, cantonnées à leur maison, qui ne comprend pas non plus ses grévistes venus d’on ne sait où et qui le traitent de « jaune », lui qui veut seulement continuer à travailler pour que sa famille ait de quoi se nourrir.
Dans le présent, le travail est minutieux, long, fastidieux, surtout que Resnik et Catherine, assignés à cette mission avec deux autres agents, n’ont qu’une semaine pour trouver une piste valable – il est tant d’autres affaires qui attendent, surtout que Picard, le charmant supérieur imbuvable, est assez fataliste, ou réaliste, comme on voudra : le coupable est peut-être mort depuis longtemps !
Petite précision : Catherine Njoroge est noire, pas noire Beyoncé, non, noire noire comme elle le dit elle-même, et j’entends déjà le commentaire (j’en ai déjà eu) précisant que de nos jours, on s’en fout. Ce serait bien, effectivement. Catherine est cependant très consciente que tous ne s’en moquent pas, et qu’elle, son avancement, dérange, certains pensant qu’elle ne l’a obtenu qu’à cause de sa couleur de peau, au nom de la discrimination positive et n’attendant qu’une chose, un bel échec. Ajoutez à cela des parents qui ne comprennent ni son choix professionnel, ni sa rupture avec son compagnon dont, selon eux, elle n’était pas à la hauteur. Ou comment introduire dans un roman, sans jamais utiliser le terme, un personnage de pervers narcissique. Catherine a été suffisamment fine pour s’en rendre compte, de là à dire qu’elle est suffisamment forte pour lui résister constamment, c’est une intrigue qui sous-tend le récit principal.
J’espère que vous apprécierez autant que moi ce roman.

Borgo Vecchio de Giosué Calaciura

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Présentation de l’éditeur :

Mimmo et Cristofaro sont amis à la vie à la mort, camarades de classe et complices d’école buissonnière. Cristofaro qui, chaque soir, pleure la bière de son père. Mimmo qui aime Celeste, captive du balcon quand Carmela, sa mère, s’agenouille sur le lit pour prier la Vierge tandis que les hommes du quartier se plient au-dessus d’elle. Tous rêvent d’avoir pour père Totò le pickpocket, coureur insaisissable et héros du Borgo Vecchio, qui, s’il détrousse sans vergogne les dames du centre-ville, garde son pistolet dans sa chaussette pour résister plus aisément à la tentation de s’en servir. Un pistolet que Mimmo voudrait bien utiliser contre le père de Cristofaro, pour sauver son ami d’une mort certaine.

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les éditions Noir sur Blanc et Babelio pour ce partenariat.
Cette lecture, c’est l’histoire pour moi d’un échec, comme si une vitre s’était placée entre le texte et moi. Je suis restée totalement extérieure à ce texte. Ce n’est pas que je ne me suis pas attachée à certains personnages, c’est que l’inespoir m’a submergée. Non seulement la misère est partout, mais la solidarité n’est nulle part, ou si peu. Je me suis perdue dans le quartier, où la misère est partout, où le moindre geste d’amour d’une mère envers son enfant, c’est à dire de Carmela envers Céleste peut être, ailleurs, finalement considéré comme étant encore une forme de la maltraitance. Amour de cette prostituée superbe pour son enfant, sans aucune espérance pour son avenir. Dans quelques directions que l’on se tourne dans le quartier de Borgo Vecchio, à Palerme, il n’est que violence et sa corolaire, la douleur. Parce que la violence a des conséquences et je suis presque tentée de dire « forcément ».
D’ailleurs, au cours de cette écriture, je me suis demandée si le terme « tableau » ne convenait presque pas mieux que roman, tant l’auteur nous dépeint véritablement la vie de ce quartier, dans une langue qui crée un contraste fort avec ce qu’elle nous narre. En effet, cette écriture est toute en poésie, en lyrisme, en harmonie, tout au contraire de Borgo Vecchio. L’oeuvre est courte, oui, mais c’est largement suffisant pour utiliser toute la palette de la douleur et de la misère. Un roman où l’on parle peu, où l’on devrait parler, dire, pour empêcher certains faits, mais où l’on se tait, l’on garde pour soi, parce que l’on reste entre soi.
Borgo Vecchio, une oeuvre désespérée.

Requiem, tome 2 : Dieu pardonne lui pas !

Présentation de l’éditeur :

Ce deuxième épisode des aventures de Requiem est basée sur un fait réel : l’histoire de Jules Durand, qui défraya la ville du Havre en 1910. Cette sorte d’affaire Dreyfus dans le monde ouvrier est encore dans les mémoires de nombreux havrais.

Mon avis :

Je serai claire : j’aime beaucoup le titre, parce que je me verrai très bien dire cette phrase, en changeant simplement le pronom personnel. Maintenant que c’est dire, passons au roman proprement dit, qui se passe en Normandie (ma région, donc) au Havre, pour être plus précise, ville que j’ai visitée en juillet 2019 (j’adore être précise). Requiem découvre cette ville parce qu’il est passionné d’histoire, un certain Jules Durand, docker, est accusé de meurtre, comme un autre Jules Durand l’avait été en 1910. Le dénouement n’a pas été très heureux pour lui, et Requiem voudrait bien qu’il en soit autrement pour son homonyme contemporain.
Oui, il enquête, mais en mode infiltré : il faut dire aussi qu’il a gardé le look qu’il avait à la fin du tome 1 et que Falvo, son correspondant préféré, est plutôt en train de s’arracher les cheveux dès qu’il s’agit d’Esteban Lehydeux, de ses notes de frais, ou de la création d’une couverture crédible. Là, il sera gâté, notre Requiem, surtout quand il verra dans quoi il a mis les pieds.
Non, je ne parle pas du milieu des dockers, profession difficile et respectable. Je parle de tout autre chose, d’un mouvement visant à la suprématie d’une certaine catégorie de la population, et adorant les vieux souvenirs datant de la période sise entre 1939 et 1945 – à ne pas confondre avec la formule  » se souvenir pour que cela n’arrive plus jamais ». Oui, certains pages ne sont pas faciles à lire, et pour ceux qui se diraient que nous n’en sommes plus là, posons-nous la question : combien d’actes de violence dirigés contre des personnes hors-normes sont encore perpétrés en France ? Beaucoup trop est une réponse suffisante.
Oui, l’enquête n’est pas drôle, les résultats non plus, mais le ton caractéristique de ce narrateur charismatique est toujours là, et heureusement pour nous, lecteurs et lectrices. Un narrateur (un auteur ?) qui dit ce qu’il a à dire, et tant pis si cela dérange certains.
Requiem, un prêtre comme il devrait en exister (et tant pis pour son penchant pour les femmes, elles sont toutes majeures et consentantes).
Un extrait : « mais quand je te cause d’être missionnaire, ce n’est pas le genre de con qui veut convertir celui qu’il considère comme un sauvage à ses rites religieux, non, moi je te cause du curé qui va faire de l’humanitaire, le genre de type pour qui la religion, être un bon chrétien ce n’est pas prier à longueur de journée, […]. Non pour lui c’est aider l’autre, celui qui souffre de la faim, de la guerre, de maladie sans ce soucier s’il a espoir dans le même mec s’il brûle des chandelles dans les mêmes lieux. »