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Bienvenue à l’hôtel Savoy – tome 3 Complots à Wanderworth par Prudence Emery, Ron Base

Présentation de l’éditeur :

Le temps où seuls les groupes de rock des fringantes « Swinging Sixties » (les années 60 à Londres) faisaient trembler les murs du Savoy semble bien loin pour Priscilla Tempest. À peine l’attachée de presse du célèbre hôtel londonien s’est-elle remise de sa précédente enquête qu’elle se retrouve impliquée malgré elle dans une vaste conspiration qui vise à renverser le gouvernement britannique – rien de moins ! Une conspiration fomentée par un des richissimes clients de l’hôtel, of course !

Mon avis : 

Merci aux éditions de la Martinière et à Netgalley pour ce partenariat qui m’a permis de lire ce roman en avant-première.

Que dire ? Si ce n’est qu’être attachée de presse au Savoy n’est pas de tout repos. Dans le tome précédent, Priscilla Tempest avait été en contact avec la pègre londonienne, et avait pu se rendre compte de très près de leur dangerosité. Mais elle verra dans ce tome qu’il y a pire, bien pire : les grands de ce monde. Ils sont l’essentiel de la clientèle de l’hôtel, il est vrai, il ne faut surtout pas les contrarier, et céder à toutes leurs demandes – même celles qui paraissent totalement absurdes. Il ne faut pas non plus penser faire le poids face à eux, et Priscilla, qui s’en doutait déjà, en fera l’amère expérience, une fois de plus. L’aristocratie anglaise n’est pas la seule à être pourrie, l’aristocratie italienne l’est tout autant !

Et pourtant, j’ai aimé suivre ses aventures, parce qu’il en faut beaucoup pour que la jeune femme renonce à ce qu’elle pense être juste. Le danger ? Il est là, pas de doute, le danger aussi de perdre son poste, définitivement (cela fait déjà trois tomes que certains n’attendent que cela, renvoyer Priscilla), mais plus encore le danger de laisser faire certaines choses, et de ne rien avoir tenté pour l’empêcher.

Ce tome nous permet aussi de voir ce qu’il peut y avoir de pire chez les grands, ou ceux qui se voient ainsi : un racisme parfaitement assumé, un suprémacisme blanc qui ne dit pas encore son nom mais ne demande qu’à s’exprimer, un désir de renverser la démocratie qui s’affiche vaillamment, mais seulement auprès de personnes choisies, aptes à partager les mêmes aspirations dégueulasses (oui, l’adjectif est de moi, il n’est pas du tout inclus dans le roman).

J’ai été emportée par l’intrigue, ayant envie de découvrir jusqu’où certains étaient près à aller – très loin, vous vous en doutez. Priscilla pourra compter sur ses amis, ses soutiens sans faille, elle qui a en plus le défaut d’être une femme des années 60, une femme qui assume qui elle est, ce qu’elle aime – et cela peut défriser plus d’un(e). J’ai pris plaisir à me promener dans Londres et ses environs, de découvrir à quel point certains se comportaient de manière totalement anachroniques. Oui, être une femme à cette époque n’était pas facile, et même si cela nous paraît plus facile maintenant, il ne suffirait de pas grand chose pour que l’on retourne en arrière.

Si un tome 4 devait paraître, je le lirai avec plaisir.

 

Bienvenue à l’hôtel Savoy – Tome 2 Qui a tué Miss Kane ? par Prudence Emery, Ron Base

Présentation de l’éditeur :

Quand Miss Kane, une jeune danseuse du cabaret du Savoy, est retrouvée morte étranglée dans les loges à la fin d’une représentation, un nouveau scandale menace l’établissement. Qui a bien pu faire une chose pareille, alors que seules les personnalités les plus éminentes résident dans l’hôtel ? Serait-ce David Merrick, le célèbre producteur américain ? Les gangsters londoniens Reggie et Ronnie Kray ? Ou bien… Non ? Se pourrait-il que Miss Diana Dors, l’actrice britannique la plus en vogue du moment, soit impliquée dans cette affaire de meurtre ? Pire encore, le premier Ministre canadien, Pierre-Eliott Trudeau ? Soumise au chantage d’un détective de Scotland Yard, courtisée par un gangster notoire et traquée par la presse, Priscilla Tempest, l’attachée de presse du Savoy, et héroïne de notre savoureuse série cosy mystery, va devoir à nouveau faire preuve d’esprit et d’ingéniosité pour survivre dans les sphères perfides de la haute société londonienne. Et peut-être démasquer le véritable tueur ?

Mon avis : 

Soyez les bienvenus à l’hôtel Savoy où tout va très bien. Ce n’est pas Priscilla Tempest, l’attachée de presse du Savoy, qui vous dira le contraire. Oui, tout allait bien, tout allait presque bien, jusqu’à cette nuit fatale qui a vu l’assassinat d’une jeune danseuse employée au Savoy. D’autres événements survinrent également cette nuit-là mais chut ! Il faut être discret.

C’est un plaisir de retrouver Priscilla. C’est un plaisir encore plus grand de retrouver ses amis, Noël Coward en tête, sir Laurence Olivier jamais très loin non plus : leurs échanges sont particulièrement savoureux à lire. Leur présence nous vaut également des scènes d’anthologie, pendant lesquels l’on ne sait plus très bien s’il faut rire ou avoir peur pour eux. Priscilla a le don de se retrouver dans des situations pour le moins improbables, et de se poser des questions qu’une attachée de presse du Savoy ne devrait pas avoir à se poser (non, je ne vous dirai pas lesquelles, si ce n’est qu’elles sont totalement incongrues !).

Priscilla peut être bien entourée, elle peut aussi être très mal entourée, et de deux maux, devoir choisir le moindre, elle qui a à coeur de découvrir qui a bien pu tuer miss Kane. Etre une femme qui ne rendre pas dans la norme n’est déjà pas facile de nos jours, alors imaginez à quel point cela l’était dans ces années soixante que certains regardent avec nostalgie. La violence qui peut s’exercer contre elle est à peine masquée.

Cosy mystery ? Pas seulement. Les couloirs feutrés du Savoy, où les clients passent, et repassent, sans se douter des drames qui se jouent non loin, servent de décor à une oeuvre dramatique, sombre, proche du roman noir, finalement : les gangsters ne sont pas seulement ceux que l’on nomme comme tel.

Merci aux éditions de la Martinière et à Netgalley pour ce partenariat.

Cinq petits indiens de Michelle Good

Présentation de l’éditeur : 

Canada, fin des années 1960. Des milliers de jeunes autochtones, libérés des pensionnats, essaient de survivre dans le quartier d’East Vancouver, entre prostitution, drogue et petits boulots.
Il y a Maisie, qui semble si forte ; la discrète Lucy, épanouie dans la maternité ; Clara, la rebelle, engagée dans l’American Indian Movement ; Kenny, qui ne sait plus comment s’arrêter de fuir, et, enfin, Howie, condamné pour avoir rossé son ancien tortionnaire.
D’une plume saisissante, Michelle Good raconte les destins entremêlés de ces survivants. Un roman choral bouleversant.

Mon avis : 

Merci à Babelio et aux éditions Seuil pour ce partenariat.

J’ai déjà lu, par le passé, des livres qui parlaient des indiens, et du sort qui leur avait été réservé par les blancs. Je pense à Phoenix, Arizona de Sherman Alexie ou La cérémonie d’hiver d’Elise Fontenaille (que je recommande fortement). Ici, nous sommes au Canada, dans les années soixante. Les policiers, sans aucun souci, viennent prendre les enfants chez eux et les parents, même s’ils ne démènent, n’en auront plus de nouvelles avant leur seize ans – si tant est qu’ils retrouvent leurs enfants le jour de leur seize ans. L’on a mis à jour des centaines de corps d’enfants – ceux qui n’ont pas survécu, ceux qui ont été battu à mort, maltraité à mort, ceux que l’on a privé de soin.

Maisie, Lucy, Clara, Kenny et Howie ont survécu. L’on voudrait croire que tout ira bien pour eux, que tout est derrière eux, qu’il suffit d’avoir survécu pour ensuite mener une vie heureuse. C’est ce que pensent ceux qui n’ont pas vécu ce qu’ils ont vécu, ce qui ne peut pas être dit – qui les écouterait ? Qui auraient envie de les écouter ? Certainement pas ceux qui les ont mené, ou ramené dans ce pensionnat. Pensaient-ils vraiment bien faire ? Il fallait « tuer l’indien dans l’enfant », et tous les moyens étaient bons. Je ne crois pas me tromper en disant que le clergé avait un poids très important au Canada pendant ces années-là. Le père et la soeur qui s’occupaient du pensionnat m’ont fait penser à des prêtres qui sévissaient en France, dès les années 30 (pour avant, je n’ai pas de référence) : quand personne ne vous demande de compte, l’on peut alors faire endurer tout ce que l’on désire aux enfants qui vous sont confiés.

Je me rends compte que je parle plus de moi, que du roman, et pourtant, je voudrai parler aussi de Lily, qui n’a pas eu la chance de survivre. Je voudrai parler des parents, qui eux aussi ont tenté de survivre, qui ont sombré, souvent, dans l’alcool. Je voudrai parler aussi de l’hostilité que les blancs pouvaient distiller envers les indiens – voir l’assistante sociale que l’on envoie à Lucy dès le jour de son accouchement et qui ne devra son salut que grâce à l’aide de ses proches, plus aguerris qu’elle. Je citerai aussi Clara, qui tient un rôle central dans cette oeuvre, par son engagement, par son énergie, par sa volonté d’aider les autres de son mieux, par son attachement à John Lennon, son chien.

Ce n’est pas une lecture facile, parce que ce qui nous est raconté est non seulement ce que les enfants ont subi, mais aussi ce qu’ils ont vu que les autres enfants subissaient. Parce que, quand ils revoient leur camarade, s’ils arrivent à se souvenir d’eux, ils se souviennent doublement des sévices – les leurs, les siens. J’aurai aimé ne pas écrire une chronique aussi sombre, mais je n’ai pas vraiment les moyens de terminer cet avis sur une note positive – l’argent touché en réparation ne pourra pas faire oublier ou soigner ce qui a été enduré.

Le promeneur sur le cap de Mike Martin

Présentation de l’éditeur :

Le corps d’un homme est trouvé sur le cap dans une petite communauté de pêcheurs sur la côte est. D’abord, tout le monde croit qu’il s’agit d’une crise cardiaque ou d’un AVC. Mais alors, on découvre qu’il a été empoisonné. Qui ferait cela et pourquoi ? Découvrir cela revient au Sergent Winston Windflower de la GRC avec son acolyte de confiance, Eddie Tizzard. Tout au long, ils découvrent qu’il y a bien plus de secrets cachés dans cette petite communauté et de puissantes personnes qui souhaitent que cela reste ainsi.

Merci à Netgalley et à Mike Martin pour avoir mis ce livre à disposition.

Mon avis :

Voici un roman policier calme. L’adjectif peut sembler réducteur mais si vous êtes adepte de courses poursuites, de coups de feu échangés, voire de tueurs en série sanguinaires se complaisant à torturer ses victimes, ce roman n’est pas fait pour vous. De même, si vous aimez les policiers eux-mêmes torturés et en souffrance, vous pouvez passer votre chemin.

En fait, au tout début de l’intrigue, l’on pourrait presque croire que nous ne sommes pas dans un roman policier. En effet, un homme a été retrouvé mort, mais il est âgé, veuf, c’est un homme qui fait toujours la même chose à la même heure. L’on pourrait donc croire qu’il est mort de mort naturelle, partie retrouver sa femme dans l’autre monde. Il faut une autopsie pour prouver non seulement qu’il a été assassiné, mais en plus qu’il a été empoisonné. Qui ? Pourquoi ? Il paraissait si tranquille ! Et il l’était, à sa façon. Alors ?

Le sergent Winston Windflower, aidé par Eddie Tizzard, mène l’enquête, et tant pis si cela dérange. Il est des hommes qui pensent encore que pouvoir et fortune les dispense des lois. Ont-ils tort ? Pas toujours. Le sergent est quelqu’un de calme, de patient, la bureaucratie ne l’effraie pas, chercher des moyens d’enquêter quand même sans avoir l’air d’y toucher non plus. Il prend le temps, aussi, de vivre sa vie – parce qu’il y a une vie en dehors du travail, parce qu’il veut construire cette vie, et qu’il sait ce qu’il veut.

L’enquête prendra un tournant inattendu aux deux tiers du récit – preuve que le ou les coupables ont toujours fortement à voir avec le passé de la victime.

A découvrir.

 

Soeurs de sang, tome 1 : L’envol du phénix de Nicki Pau Preto

édition Lumen – 724 pages

Présentation de l’éditeur :

« Autrefois, j’avais une sœur, que j’aimais de toutes mes forces. Pourtant, si j’avais su, je l’aurais haïe. Mais qui a jamais pu contrôler les mouvements de son cœur ? »

Véronika regarde brûler dans l’âtre deux œufs de phénix sur le point d’éclore… Dire qu’il y a quelques années à peine, de puissantes reines sillonnaient encore le ciel sur le dos de ces bêtes légendaires ! Avec sa sœur Val, elle ne veut qu’une chose : chevaucher ces animaux mythiques, comme ses parents avant elles. Mais c’est puni de mort, désormais, et tous ceux qui pratiquent la magie sont traqués sans merci. Toutes deux vivent donc dans la clandestinité…

Si seulement l’un de ces phénix pouvait venir au monde, leur vie en serait bouleversée ! Mais qui, de Val ou de Véronika, l’oiseau de feu choisirait-il ? Et ce n’est pas tout : ce que la jeune fille l’ignore, c’est que tous les dresseurs de phénix ne sont pas morts ou emprisonnés. Un petit groupe, retranché dans une forteresse au sommet des montages, poursuit la résistance. Le seul problème ? Ils refusent, désormais, d’entraîner des femmes.

Merci aux éditions Lumen et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Il est toujours ennuyeux de dire : je n’ai pas apprécié ce livre, et pourtant, j’aurai aimé l’apprécier. Le tout est d’analyser maintenant ce qui fait que je n’ai pas accroché avec cet ouvrage.

Le premier fait qui m’a déplu, ce sont les longueurs. Tout est lent, trop lent, et je suis arrivée page 480 en me disant que j’attendais toujours que quelque chose se passe réellement. Alors oui, il se sera passé des événements, certains véritablement importants, d’autres surprenants, mais il faudra encore attendre un peu avant que l’action se noue réellement.

Le second fait est que je ne me suis pas attachée à la personnage principale, Véronika, qui m’a semblé le plus souvent être une enfant gâtée et naïve. Qu’elle se déguise en garçon me semble réellement un passage obligé dans certains romans, si ce n’est qu’ici, les difficultés proprement féminines ne sont pas passées sous silence – comment dissimuler sa poitrine, ou comment faire pendant les règles. En revanche, la question « pourquoi les femmes ne peuvent pas, ou plutôt plus être dresseuses reste souvent éludée, en vertu d’une règle qui veut qu’un phénix mâle ne peut avoir qu’un dresseur… mâle, en vertu du fait que les femelles sont uniquement considérées comme des reproductrices. Reste à savoir si ce sont seulement les phénix qui sont considérées ainsi, ou si les femmes le sont également. Pourtant, dans le passé, elles ont su prouver leur courage, leur engagement, leur héroïsme, et l’ont payé très cher, comme la mère de Tristan, le fils du gouvernement, ou Morra, ou encore la maiora de Véronika. Craint-on à ce point le non-conformisme des femmes ? Peut-être. Et pourtant, l’on découvre à la toute fin du roman qu’il n’en a pas toujours été ainsi.

Finalement, le plus intéressant, ce sont toutes ces histoires tirées du passé, le récit des temps anciens, de ces reines et de ces rois à qui il est souvent fait allusion. Certaines ont vraiment des personnalités à part, c’est à dire qu’elles sont de véritables combattantes, et c’est d’elles que j’aurai voulu lire l’histoire.

Non, s’il est des personnages véritablement attachants et intéressants, ce sont les personnages secondaires, ou, du moins, l’un des personnages principaux que l’on ne voit pas suffisamment, à savoir Sev. Lui se qualifie de lâche, et il peut l’être, il ne l’est pas tant que cela : nous pouvons suivre tout au long du roman sa progression. J’ai aussi beaucoup aimé le personnage de Mésange, toujours accompagnée de Tchip, que l’on ne voit que de trop rares fois, tout comme Kade, qui ne sera sans doute pas présent dans la suite du roman. J’en suis presque venue à préférer Val, la « méchante » soeur, dont la personnalité est beaucoup plus complexe que celle de sa cadette. N’était un certain choix, fondateur au début du roman, n’était un certain état d’esprit qui montre à quel point elle se sent supérieure à ceux qui l’entourent, elle aurait eu tout pour me plaire. Oui, cela fait tout de même beaucoup de concession, cependant elle a une personnalité beaucoup plus riche que celles de la plupart des personnages principaux du roman. Il est dommage que l’on trouve essentiellement les « méchants » d’un côté, et les « bons » de l’autre.

Alors oui, il est de très belles scènes dans le roman (dans les chapitres 39 et 40), mais j’aurai voulu tellement plus, ne serait-ce que de la part des phénix qui n’ont pas, dans ce roman, la place qu’ils méritent, notamment Xoe (diminutif de Xolanthe). A vrai dire, je me dis que l’histoire reste à écrire… côté phénix.

Turbulences de David Szalay

édition Albin Michel – 198 pages

Présentation de l’éditeur :

Douze vols, douze voyageurs en transit à travers la planète, douze destins individuels liés les uns aux autres. Après Ce qu’est l’homme, finaliste du Man Booker Prize, l’écrivain britannique David Szalay nous emmène aux quatre coins du monde, explorant ce lieu de passage par excellence qu’est l’aéroport. De Londres à Madrid, de Dakar à São Paolo, à Toronto et à Doha, ce sont des fragments d’existence qui tissent le récit pour finalement se rejoindre. Avec une impressionnante économie de moyens et une grande subtilité, Szalay en saisit l’essence, captant chez chacun de ces êtres, en suspens à des milliers de mètres d’altitude, les zones de turbulences auxquelles la vie les expose.
En offrant une vision panoramique en perpétuel mouvement, Turbulences esquisse un portrait de l’humanité en temps de crise, et nous interroge sur notre place et notre rapport aux autres dans ce vaste réseau interconnecté qu’est le monde d’aujourd’hui.

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier chaleureusement les éditions Albin Michel et Francis Geffard pour leur confiance.
Turbulences est un titre si proche et si lointain à la fois en cette période, un de ses livres sorti juste avant le confinement, et dont on ne parle pas assez.
Douze destins qui se croisent, douze parties soigneusement reliées les unes aux autres, comme si un des personnages passait le témoin à un autre. Les personnages sont saisis à un moment de leur vie, un moment important, qui nous permet de pleinement de les connaitre. Cela nous permet également de voir à quel point le monde est devenu petit, parce que nous effectuons avec eux un tour du monde, partant de l’Angleterre pour y revenir : Jamie, le patient anglais, réunit presque malgré lui sa famille qui vient d’Espagne (sa mère) ou de Budapest (sa fille) alors que son ex-femme vit au Qatar.
Oui, la maladie et/ou la famille sont les fils conducteurs de ses voyages. Peu partent dans le but de faire du tourisme, voir même pour leur travail, et encore, dans ce cas, ils gardent des liens avec leurs proches, leur famille – ainsi Werner contacte Sabine, à Francfort. Le but des voyages est avant tout de rejoindre un membre de sa famille, en une sorte de réunion (les frères Abir et Abhijit), pour apporter un soutien moral (Anita et sa soeur Nalini) ou assister à un heureux événement : Marion, écrivain étudiée à Hong-Kong « plante » littéralement la journaliste venue du Brésil pour la bonne cause : sa fille est sur le point d’accoucher. D’un côté, cela me questionne : pourquoi prendre l’avion alors qu’il est tant de moyen d’interviewer quelqu’un – ce à quoi se résoudra la jeune femme, finalement, faire parvenir les questions via internet. De l’autre, le lecteur peut voir à quel point il est facile de voyager d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre, même si les vols sont longs, même si des turbulences perturbent les vols, même si la phobie de l’avion existe et si des accidents sont toujours possibles.
Si proche, si loin également : Nalini ne voit son mari Shamar que tous les deux ans, il ne peut pas rentrer plus souvent – ou ses employeurs ne lui permettent pas de rentrer plus souvent (le coût du voyage est assez effarant). Cette absence lui pèse et cette situation n’est pas normale, quelle que soit la manière dont on envisage les faits. Alors, et pas seulement dans le cas de Shamar, l’on en vient à imaginer la vie de l’autre, là-bas, de supposer – et le lecteur, par le biais de ses douze personnages, de découvrir d’autres réalités. IL n’a jamais été aussi facile de fuir, il n’a jamais été aussi facile de se réinventer.

Ghetto X de Martin Michaud

Présentation de l’éditeur :

Alors que Victor Lessard se distancie des Crimes majeurs pour éclaircir le passé de son père, il se retrouve pris pour cible dans un attentat et doit disparaître afin d’assurer sa sécurité et celle de ses proches. Néanmoins, Jacinthe le rejoint en catimini et, ensemble, ils remontent une piste jusqu’à un obscur et dangereux groupe armé d’extrême droite. Au péril de leur vie, ils tenteront de freiner les desseins meurtriers de ces extrémistes et ceux de l’homme mystérieux qu’ils protègent.

Merci aux éditions Kennes et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Victor Lessard est un homme optimiste. Oui, dit ainsi, et si vous découvrez le quatrième de couverture, vous vous dites que ce n’est pas la caractéristique que vous attendez de lui. Et pourtant : il en faut, de l’optimisme, même si le mot n’est pas prononcé, pour continuer à agir alors que tout ou presque s’est effondré autour de vous, et il lui en faudra, jusqu’au dénouement.

Agir, oui, est le maître mot, pour protéger les siens, pour empêcher une opération particulièrement meurtrière d’être mise en œuvre. Non, parce qu’au début du roman, tout était presque paisible, serein. Presque. Victor, en effet, perdait un vieil ami, un des derniers témoins de son enfance, de son passé, du drame fondateur qui a fait de lui l’homme qu’il est devenu, et il a reçu des données qu’il ne possédait pas avant. Alors que fait quelqu’un qui a travaillé aux Crimes Majeurs ? Il cherche, recherche, il se replonge dans son passé, et contacte quelqu’un qui a bien connu ses parents. Cela aurait dû être quelque chose de simple, banal, même si les circonstances évoquées étaient tragiques – si ce n’est que la tragédie s’invite à nouveau dans la vie de Victor Lessard. Quel secret a-t-il bien pu remuer, des décennies après la mort des siens ? Y aurait-il un lien avec la mort de ce journaliste d’investigation, lui aussi très investi dans son travail ?

Victor doit prendre le temps de se poser des questions, il n’a pas le choix, tout en faisant avec la douleur qui l’entoure -Victor a des amis qui tiennent à lui, et qui sont prêts à prendre des risques pour lui, quitte à en payer le prix très cher. On ne lit pas ce livre en se disant que rien ne peut arriver aux héros ou à ses proches, tous peuvent payer les conséquences de leur engagement, surtout face à des ennemies que rien n’arrête. Mais qui sont-ils, ces ennemis, quelles sont leurs motivations ?

Nous les découvrons, au cours du récit, nous suivons le parcours de leur « leader », de son entraînement à son aboutissement. J’ai repensé à un livre de David Vann, en lisant son parcours : l’armée transforme des hommes en tueurs froids, en exécuteurs d’ordre, et ne se préoccupent pas des conséquences quand ses hommes sont démobilisés. Puis, qui se préoccupent aussi de l’évolution de nos peurs ? En effet, ce livre nous montre comment nous sommes passés de la peur du communisme pendant la guerre froide, du « péril rouge » à la peur du terrorisme, de l’immigrant, en un raccourci sidérant. Oui, je dis « nous », dans le sens de la société occidentale, nous qui nous interrogeons (ou pas) sur la manière de vivre après (les attentats) et avec (ceux qui ont projeté d’en commettre).

Et s’ajoute, s’entrelace, quelque chose qui n’a pas changé, quelles que soient les idéologies : la soif de pouvoir. Ceux qui tirent les ficelles dans cette intrigue sont ceux qui désirent en avoir, qu’ils se l’avouent ou non – mais la plupart du temps, ils ne se voilent pas la face. Victor, Jasmine, Gagné, d’autres encore (Virginie, Yako….) ont comme point commun de vouloir mener leurs missions à bien, en en ayant strictement rien à faire de dominer les autres : toute la différence pour mener sa vie, et vivre avec les autres, non contre les autres.

Les écrivements de Mathieu Simard

Présentation de l’éditeur :

Les traces de pas dans la neige finissent toujours par disparaître, comme des souvenirs qu’on est forcé d’oublier, soufflés par le vent ou effacés par le soleil. Celles de Suzor, parti un soir de décembre 1976, n’existent plus depuis longtemps. Pourtant, Jeanne les voit encore chaque jour par la fenêtre du salon.Pendant quarante ans, elle s’est promis de ne jamais le chercher, mais lorsqu’elle apprend qu’il est atteint d’alzheimer, sa promesse ne tient plus : elle doit retrouver Suzor avant qu’il oublie.Dans un Montréal enneigé, aidée par une jeune complice improbable, Jeanne retracera le chemin parcouru par Suzor et devra, pour ce faire, revisiter leur passé. La famille qu’ils n’avaient pas. Leur jeunesse en solitaire. Le voyage en Russie dont elle porte encore les cicatrices. Le trou dans le mur de la cuisine. Le carnet que la petite n’avait pas le droit de lire. Les boutons trouvés sur le trottoir.

Mon avis :

C’est une chose curieuse, que la mémoire. D’ailleurs, quand je suis arrivée au deux tiers du livre, une péripétie m’a rappelé, confusément, un autre livre lu, dans le courant de l’année, un livre dans lequel l’héroïne cherche aussi une personne qu’elle a perdu de vue. Ce souvenir m’a effleuré, puis je l’ai laissé retourner dans les méandres de la mémoire, parce que je me suis souvenue aussi que ce récit avait été très décevant, et il vaut mieux se concentrer sur les bons souvenirs littéraires que sur les romans décevants (rappel après coup : c’était un roman de Wallace Stegner, L’envers du temps).

Jeanne fête le nouvel an, depuis quarante ans, dans sa famille de cœur, ce cercle d’amis très restreint qu’elle connaît depuis très longtemps. Elle a vu les mariages, les naissances, les remariages, les re-remariages aussi. Elle leur a interdit de lui parler de Suzor, l’homme qui a été le grand amour de sa vie, son compagnon, son complice. Elle a tout fait pour ne plus penser à lui. Seulement, aujourd’hui, par la grâce d’un enfant qui n’a pas encore les barrières des adultes, elle apprend que Suzor est atteint d’Alhzeimer. Le retrouver avant qu’il ne l’oublie, avant qu’il n’oublie leurs souvenirs communs, devient pour elle un impératif.

Si je devais trouver deux adjectifs pour qualifier ce roman, je dirai « lumineux et apaisé ». Et pourtant, les souvenirs sont souvent douloureux, comme ceux de ce voyage en Russie, cet acte de coopération entre le Canada et l’ex-URSS qui brisa quelque chose en eux, entre eux. Et si, finalement, c’était mieux si Suzor ne s’en souvenait pas ?

Auprès de Jeanne apparaît très vite Fourmi, adolescente de quinze ans qu’elle n’a pas vu depuis presque une décennie – parce que ses parents ne trouvaient pas convenables que leur fille, dont pourtant ils ne s’occupaient qu’à dose homéopathique, fréquente une vieille dame qui a des soucis de santé. Fourmi, c’est le drame invisible de quelques enfants second nés, pas aussi beaux, pas aussi brillants, pas aussi satisfaisants aux yeux de leurs parents que leurs aînés. Non, ils ne sont pas négligés, rien qui ne permette d’alerter les services sociaux, non, ils sont simplement moins aimés, au point que les parents ne perçoivent pas nécessairement certains appels au secours.

Entre l’adolescente qui aimait raconter des histoires, qui aurait aimé lire le carnet qui lui était interdit, et la vieille femme se noue une alliance pour retrouver Suzor et aussi pour savoir ce qu’il a fait pendant ses quarante années. Puis, c’est l’occasion de dire, enfin, ce qui s’est passé en Russie, de dire ce froid qui ne la saisit à l’apparition des premières neiges, parce qu’elles lui rappellent d’autres neiges, meurtrières, mystérieuses. De dire ce qu’elle sait, elle, ce qu’elle a vu, ce qui l’a bouleversée : Suzor en a su plus qu’elle et n’a jamais rien voulu lui dire.

C’est un livre qui nous questionne, forcément, sur l’autre, sur ce qu’il veut bien livrer de lui-même, sur notre capacité à oublier, à pardonner, à se pardonner. C’est un livre qui nous questionne sur les souvenirs : qu’advient-il d’eux, quand on n’a plus personne avec qui les partager ? Que reste-t-il de nous quand on ne se souvient plus ? Malgré ses questions qui semblent douloureuses, c’est un livre délicat et tendre que nous avons entre les mains.

Taqawan d’Eric Plamondon

Quatrième de couverture

« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mi’gmaq. Emeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.
Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source…

Mon avis :

Je ne suis jamais vraiment à l’heure, et ici, une semaine avec la magnifique rencontre avec l’auteur Eric Plamondon, je chronique enfin son roman (je vous rassure, je l’avais lu avant la rencontre).

Bienvenue au Québec en 1981. Les québécois veulent leur indépendance, ils veulent que l’on respecte leur langue, leur culture. Ils ont raison ! Par contre, il n’est pas question pour le gouvernement québécois de reconnaître la langue et la culture des Indiens Mi’gmaq. Ce n’est pas la même chose, voyons ! Pourquoi ? Parce que ce sont des sauvages incapables de respecter les lois. La preuve : il a fallu envoyer trois cents policiers à la réserve de Restigouche parce que les Mi’gmaq étaient incapables de respecter les nouveaux quotas de pêche. Il était pourtant simple de comprendre qu’ils n’avaient pas le droit de continuer à pêcher comme ils l’avaient toujours fait, bien avant l’arrivée de ceux qui deviendraient les canadiens et les québécois, qu’ils ne devaient pas prélever six tonnes annuelles alors que les bateaux usines au large des côtes en prélèvent trois mille tonnes.

Vous l’aurez compris, cette loi n’est qu’un prétexte, un de plus, pour s’en prendre aux Mi’gmaq – mais tous les prétextes sont bons pour parvenir à ses fins. Ce livre ne nous livre pas le récit de manière linéaire. En des chapitres courts, il nous permet de découvrir le présent de cette réserve, mais aussi le passé, les légendes, et même une recette de cuisine ! Les personnages principaux sont attachants, par leur diversité même. J’ai aimé le personnage de Corinne, parce qu’elle est enseignante, parce qu’elle est française, parce qu’elle porte un regard autre sur ce pays, voyant les failles qui échappent à d’autres. Je n’ai garde cependant d’oublier les personnages d’Océane et de William, deux personnes qui parlent peu, mais dont la volonté est chevillée au corps. Il leur en faut. Agir, c’est important, et ne surtout pas faire comme si on ne voyait pas, ne savait pas, n’était pas concerné : c’est parce que certains ne font jamais rien que ceux qui agissent mal peuvent continuer.

Fanny Cloutier : L’année où j’ai failli rater ma vie par Stephanie Lapointe

Présentation de l’éditeur :

Fanny Cloutier est une jeune fille de quatorze ans qui perd tous ses repères le jour où son père, pour des raisons professionnelles, décide de l’exiler chez sa tante. En plus de devoir déménager et de changer d’école, elle découvre que son père lui avait menti jusque-là en affirmant qu’elle n’avait plus d’autre famille que lui. Et s’il lui a menti à propos de sa tante, ne l’aurait-il pas aussi fait au sujet du décès de sa mère, survenu lorsqu’elle avait trois ans ?

Merci à Netgalley et aux éditions Kennes pour ce partenariat.

Mon avis : 

Un journal ? Non, un objet créatif, de par la volonté de l’éditeur. Même en édition numérique, tout fait preuve de créativité, que ce soir les couleurs, le graphisme, les illustrations. Et si Fanny utilise le format sms, parfois, cela ne jure pas avec l’ensemble tant ils sont insérés avec originalité dans le texte.

Ce livre nous montre l’incroyable capacité d’adaptation des enfants, même adolescents, et les difficultés que les adultes peuvent avoir à faire face . Fanny a beau partir loin de Montréal, rien ne change vraiment sous le soleil, chaque établissement scolaire a ses élèves chouchous, ses perturbateurs, ceux qui sont pris en grippe, mis à l’écart, sans oublier les professeurs psycho-rigides et ceux qui ne manquent pas d’idées pour faire passer leur enseignement. Fanny n’est pas partie seule : son furet l’a accompagnée, et c’est plus compliqué pour sa tante Lorette que pour Fanny de vivre avec un tel animal.

C’est aussi l’une des premières brèches dans la vie bien protégée de Fanny. Il est plusieurs moyens pour tenter de préserver son enfant. Couper les ponts avec le passé est celui qu’avait choisi son père, même si cela incluait de lui mentir. Fanny effectue un retour dans le passé, auprès de personnes qu’elle ne connait pas, mais qui ont bien connu sa mère, les circonstances de sa disparition, et n’ont aucune raison, et bien, de ne rien lui dire. J’ai eu l’impression que le monde des adolescents et celui des adultes était deux mondes différents. D’un côté, il y a ceux qui savent, peuvent ne pas dire, voire mentent pour se préserver, de l’autre les enfants qui doivent faire avec et se contenter de ce que l’on veut bien leur dire. Fanny se montre plus mûre que son père sur certains points, même si certaines révélations ont été dures à encaisser. Tout finit toujours par se savoir, même en prenant toutes les précautions. Bref, un livre qui peut autant en apprendre aux adultes, qu’aux jeunes lecteurs.