Il y a les mots qui blessent, ceux que l’on n’ose prononcer ou que l’on n’aurait pas dû dire. Et puis il y a les mots qui libèrent. C’est de toutes ces paroles-là qu’il est question dans Doux mots dits. Au travers d’un recueil de poèmes qu’elle a elle-même illustré, l’artiste Clou nous invite à voyager dans son adolescence entre violences familiales et découvertes sensuelles. En trame de fond, le quotidien parisien, et comme lueur, la musique qui rend tout plus beau.
Mon avis :
Ce fut étrange à lire, et pourtant, j’ai lu ce recueil d’une traite. J’ai eu, même si c’est un recueil de poésie publié, édité, disponible en librairie, l’impression d’être une « voyeuse », de plonger dans l’intimité d’une adolescente qui jette sur le papier ce qu’elle ressent, ce qu’elle vit, à défaut de pouvoir l’exprimer à voix haute – parce qu’elle ne serait pas comprise, parce qu’elle serait même sans doute moquée.
J’ai été choquée en lisant ce récit de violences éducatives ordinaires. Les mots blessent, les mots tuent, quoi que certains peuvent en penser, quoi que certains peuvent vouloir normaliser/excuser ce qui est révélé. Les mots restent. Et j’ai eu souvent l’impression que le père de l’adolescente considérait ses filles comme sa propriété, elles doivent être transparentes pour lui. Si l’une tente de surmonter les mots dits par d’autres mots, l’autre ne semble pas avoir cette chance. Fuir comme seule solution. Partir aussi, quand le couple n’offre plus que toxicité, que l’on ne parvient plus vraiment à vivre.
Ce recueil est déjà dur à lire quand l’on n’a pas été soi-même confronté à ces situations, je me demande ce qu’il en serait pour les adolescents qui sont confrontés à ses violences ordinaires. Provoquer un déclic ? Peut-être.
Oui, il est des moments heureux aussi, et il ne faut pas les oublier. Ils sont rares, cependant.
Merci aux éditions Rageot et à Netgalley pour leur confiance.
Résumé.
Une nuit, place de l’Ecole militaire, la narratrice rencontre Michel. Hôte des rues, il murmure silencieusement pour apprivoiser sa solitude, psalmodiant les béatitudes de César Franck. Peu à peu, ils se domptent l’un l’autre. Il lui ouvre les portes du secret de ses nuits, faites d’alcool, de dangers et de frénésies. Elle lui ouvre les portes de son enfance, de sa mélancolie. Elle lui offrira un abri, un accueil, une trêve et lui sa présence, solide et apaisante.
Mon avis :
Ce qui m’avait attirée dans ce livre, plus que le titre, qui trouve pourtant toute son explication au fur et à mesure de la lecture, c’est la couverture, très belle. D’autres dessins (aquarelles ? fusain ? Je ne m’y connais pas assez) vont rythmer cette lecture, d’un texte qui tient à la fois du récit et de la poésie.
Récit, parce qu’il raconte la rencontre entre deux êtres, la narratrice et Michel, un clochard (employons les mots qu’on ne dit plus, plutôt que des euphémismes). Un artiste aussi, un homme qui vit dans la rue, une existence singulière que personne ne veut voir : le mépris, l’indifférence, la violence aussi sont très bien rendus.
Poésie aussi, parce que ce texte est un poème. Prose ou vers libre, quelle importance ? La poésie n’est pas dans le nombre de strophes, de vers, ou de mètres choisis, elle est dans le choix des mots, leur justesse, la résonance qu’ils créent en nous, les images qu’ils font naître. Les parties de ce récit ne sont pas des chapitres, mais des poèmes qui nous racontent Michel, nous font deviner son enfance, ses blessures, physiques et morales, sa capacité, sa lucidité, sa pudeur aussi. Il ne s’agit pas tant de retracer la chronologie d’une vie que de faire rejaillir les événements importants qui ont (dé)construit Michel mais aussi la narratrice, dont la vie apparaît en filigrane dans ce texte. Pas de misérabilisme, des faits, un constat et cette citation de l’abbé Pierre :
« Cessez de vous sentir impuissants
devant tant de souffrance,
évitez que votre inaction ne devienne
un crime contre l’humanité ».
Merci à Publisroom et au forum Partage-Lecture pour ce partenariat.
Les fleurs rouges des pêchers couvrent le sommet des montagnes
Les eaux printanières du fleuve Shu battent la colline
Le rouge des fleurs fanent facilement comme les sentiments de votre amant
Les eaux coulent sans fin comme mon chagrin
Liu Yü Hsi (772-842).
Ce poète satirique qui s’inspirait des chants populaires (son ami le poète Po Chü I (772-846) le surnommait « le héros des chants ») fut exilé plusieurs fois.
Asphodèle revient en poésie. Voici ma modeste contribution.
Dialogue en montagne :
On me demande pour quelle raison j’habite la montagne verte
Je souris alors sans répondre, le coeur spontanément en paix
Les fleurs de pêcher s’éloignent ainsi au fil de l’eau
Il est un autre Ciel, une autre Terre que parmi les êtres.
Li Po
Li Po ou Li Bai (701-762) est un poète chinois de la dysnatie Tang.
Pour cette journée consacrée à la poésie, voici un texte dont je fais étudier des extraits à mes élèves de 3e (merci aux manuels de couper des strophes qui pourraient… choquer ?).
A Juan Guerrero,
consul général de la Poésie.
Ils montent de noirs chevaux
dont les ferrures sont noires.
Des taches d’encre et de cire
luisent le long de leurs capes.
S’ils ne pleurent, c’est qu’ils ont
du plomb au lieu de cervelle.
Avec leur âme en cuir verni
par la chaussée ils s’en viennent.
Nocturnes et contrefaits
là où ils vont ils ordonnent
des silences de gomme obscure
et des pleurs de sable fin.
Ils passent, s’ils veulent passer,
cachant au creux de leur tête
une vague astronomie
de pistolets irréels.
Ô la ville de gitans !
Au coin des rues, des bannières.
La lune et la calebasse
et la cerise en conserve.
Ô la ville des gitans,
qui jamais peut t’oublier ?
Ville de douleur musquée
avec des tours de cannelle.
Comme descendait la nuit,
la nuit la nuit tout entière,
les gitans à leurs enclumes
forgeaient flèches et soleils.
Un cheval ensanglanté
frappait aux portes muettes.
Des coqs de verre chantaient
à Jerez de la Frontière.
A l’angle de la surprise
le vent nu tourne soudain
dans la nuit d’argent de nuit,
la nuit la nuit tout entière.
La Vierge et saint Joseph
ont perdu leurs castagnettes.
Ils vont prier les gitans
de se mettre à leur recherche.
La Vierge avance habillée
d’un costume d’alcaldesse
en papier de chocolat
et colliers d’amandes vertes.
Saint Joseph remue les bras
sous sa cape de satin
suivi de Pedro Domecq
avec trois sultans de Perse.
La demi-lune songeait
dans une extase d’aigrette.
Les terrasses s’emplissaient
d’étendards et de lanternes.
Et des danseuses sans hanches
à leurs miroirs sanglotaient.
L’eau et l’ombre, l’ombre et l’eau
à Jerez de la Frontière.
Ô la ville des gitans !
Aux coins des rues des bannières.
Voici la Garde civile.
Eteins tes vertes lumières.
Ô la ville des gitans !
Qui jamais peut t’oublier ?
Laissez-la loin de la mer
sans peigne à ses longues tresses.
Ils avancent deux par deux
vers la ville de la fête.
Une rumeur d’immortelles
envahit les cartouchières.
Ils avancent deux par deux.
Double nocturne de toile.
Le ciel pour leur fantaisie
n’est qu’un bazar d’éperons.
La ville multipliait
ses portes, libre de crainte.
Quarante gardes civils
pour la piller y pénétrèrent.
Les horloges s’arrêtèrent
et le cognac des bouteilles
se camoufla en novembre
pour que nul ne le suspecte.
Une volée de longs cris
jaillit dans les girouettes.
Les sabres fendent les brises
que les lourds sabots renversent.
Par les chemin de pénombre
s’enfuient les gitanes vieilles
avec leurs chevaux dormants
et leurs jarres de piécettes.
Au haut des rues escarpées
grimpent les capes funèbres,
faisant reluire fugaces
des moulinets derrière elles.
Les gitans se réfugient
au portail de Bethléem.
Saint Joseph, couvert de plaies,
enterre une jouvencelle.
Des fusils perçants résonnent,
toute la nuit, obstinés.
La Vierge applique aux enfants
de la salive d’étoiles.
Pourtant la Garde civile
avance en semant des flammes
dans lesquelles, jeune et nue,
l’imagination s’embrase.
Rosa, fille des Camborios,
gémit, assise à sa porte,
devant ses deux seins coupés
et posés sur un plateau.
Et d’autres filles couraient,
poursuivies par leur tresses,
dans un air où éclataient
des roses de poudre noire.
Lorsque toutes les terrasses
furent des sillons en terre,
l’aube ondula des épaules
en un long profil de pierre.
Ô la ville des gitans !
La Garde civile se perd
dans un tunnel de silence
tandis que les flammes t’encerclent.
Ô la ville des gitans !
Comment perdre ta mémoire ?
Qu’on te cherche dans mon front.
Jeu de lune et jeu de sable.
Federico Garcia Lorca « Romance de la garde civile espagnole », dans Romancero Gitano, 1928.
Je pensais rompre le silence demain, par un nouveau « journal des louveteaux garous ». Je le rompt plus tôt, pour ne pas laisser le silence s’installer, pour ne pas laisser gagner tous ceux qui pensent qu’ils ne sont pas concernés par les actes de barbarie qui se sont déroulés à Paris, le 7 janvier.
J’ai choisi les « Strophes pour se souvenir » de Louis Aragon.
Vous n’avez réclamé la gloire ni les larmes
Ni l’orgue ni la prière aux agonisants
Onze ans déjà que cela passe vite onze ans
Vous vous étiez servi simplement de vos armes
La mort n’éblouit pas les yeux des Partisans
Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes
Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants
L’affiche qui semblait une tache de sang
Parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles
Y cherchait un effet de peur sur les passants
Nul ne semblait vous voir français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
Et les mornes matins en étaient différents
Tout avait la couleur uniforme du givre
À la fin février pour vos derniers moments
Et c’est alors que l’un de vous dit calmement Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand
Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses Adieu la vie adieu la lumière et le vent Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses Quand tout sera fini plus tard en Erivan
Un grand soleil d’hiver éclaire la colline Que la nature est belle et que le cœur me fend La justice viendra sur nos pas triomphants Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline Et je te dis de vivre et d’avoir un enfant
Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant.
Louis Aragon.
J’aurai pu mettre la chanson de Léo Ferré, magnifique, j’ai préféré C’est ça, la France de Marc Lavoine.