Archive | août 2020

Les princesses de glace, tome 04 : La cascade enchantée d’Astrid Foss

édition Pocket Jeunesse – 128 pages

Présentation de l’éditeur :

Les triplées ont réunie les Lumières Eternelles, mais une dernière mission les attend : les porter tout en haut de la cascade Silfur le jour du Soleil de Minuit. Ainsi seulement la magie de Nordovia sera sauvée. Cette dernière épreuve sera la plus difficile de toutes, et la Sorcière des Ombres plus déterminée que jamais à les vaincre.

Mon avis :

C’est la fin des aventures des trois soeurs et de leur ourson Oscar. Oui, je tiens à l’inclure, d’abord parce qu’il n’est pas oublié sur la couverture, ensuite parce qu’il est vraiment indispensable au bon déroulement de la mission des triplées.
Il ne reste plus qu’une chose à faire : porter les Lumières tout en haut de la cascade. C’est plus facile à écrire qu’à faire puisqu’elles sont un peu prises par le temps, et surtout par le danger : leur tante ne recule devant rien pour parvenir à ses fins, elle n’a pas les scrupules de ses nièces.
Alors, qui triomphera ?

Qui sème le vent de M.C. Beaton

édition Albin Michel – 230 pages

Présentation de l’éditeur :

Persuadée qu’on cherche à la tuer, la riche Jane Wetherby demande à Hamish Macbeth de jouer les gardes du corps en l’accompagnant dans son Spa sur l’île d’Eileencraig, au large de l’Ecosse, avec un petit groupe d’amis.
Dès son arrivée, un mauvais pressentiment chatouille notre flegmatique policier : les habitants sont menaçants et les invités de Jane à peine polis. Et, lorsque Heather, la plus snob d’entre eux, est retrouvée, le cou brisé, au bord d’une falaise, ses craintes se confirment. Sur cette île inhospitalière où les événements étranges ne manquent pas, Hamish va devoir jouer les fins limiers pour retrouver le coupable..

Mon avis :

C’est quasiment la fin du monde pour Hamish ! Il est malade, complètement malade, au point de se contenter de donner des croquettes à son chien, pas plus – par contre, il a encore la force de se lamenter sur son sort, sur sa famille, ses amis, qui ne prennent pas de ses nouvelles ! Forcément, ils ne savent pas qu’il est malade, et ne savent pas qu’il est à l’agonie (ou presque). Heureusement, Priscilla, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis que le château familial a été transformé en hôtel et qu’elle travaille avec acharnement pour que tout aille bien – le colonel se contente de mettre les pieds sous la table et de froisser ses hôtes – arrive chez lui pour lui demander un service : on veut tuer une de ses amies ! Hamish étant seul et abandonné à Noël (décidément, rien ne va pour lui) il accepte.

Il prend alors la direction de l’île d’Eileencraig, accompagnant Jane, et rencontrant les amis qu’elle a invités pour les fêtes de Noël. S’il sympathise rapidement avec Harriet, autrice de livres de cuisine, il se rend vite compte que Heather est totalement insupportable : si elle n’existait pas, il ne faudrait surtout pas l’inventer ! Plus que l’intrigue policière, c’est vraiment le côté psychologique qui est intéressant. Nous avons des personnes, toutes relativement aisées, qui cherchent à donner un sens à leur vie. Jane a usé et abusé des articles de magazines féminins, ceux qui donnent des conseils type « comment rester ami avec son ex » ou « comment séduire à tous les coups » – j’en passe et des pires. Heather, elle, veut régenter la vie de tous, ayant des idées strictes sur à peu près tout, de la littérature à l’écologie, et il faut un Hamish Macbeth pour lui tenir tête, enfin. Avoir des convictions, c’est bien, les appliquer dans sa vie, c’est formidable, pourrir celles des autres, cela l’est nettement moins, et montre un déséquilibre du point de vue de son engagement, surtout quand on voit qu’elle copie Jane en tout point. Chacun semble, finalement, chercher sa personnalité.

Un meurtre va-t-il survenir ? Oui, un seul. Le tout est de faire comprendre aux policiers que c’en est bien un, problème qu’Hamish rencontre dans presque toutes ses enquêtes. C’est Noël, c’est le jour de l’An, alors personne n’a envie d’enquêter, sauf Hamish qui est officiellement en vacances. Il faudra toute sa persévérance, et le soutien d’Harriet, autrice de livres de cuisine qui ne laisse pas Hamish indifférent pour parvenir à arrêter le/la coupable – je ne vais tout même pas dévoiler son identité. Même si le lien n’apparaîtra qu’à la toute fin de l’intrigue, il est question du monde de l’édition, de la capacité à « vendre » un livre et à en toucher le plus possible. Il ne s’agit pas de savoir si le livre est de qualité, ou pas, il s’agit que ce livre soit vendeur.

Plus qu’une histoire policière, c’est aussi une histoire sociale que nous compte M.C. Beaton. Ainsi quand le résumé d’une romance est déroulé sous les yeux ébahis d’Hamish, romance dans laquelle l’héroïne finit par tomber amoureuse de son tortionnaire, Harriet pense ce n’est pas normal – et il ne l’est pas non plus de publier ce genre de livres, qui « normalise » la violence, et donne de sacrés modèles aux jeunes femmes. Dans un autre registre, quand il est dit « Honnêtement, Jane, vous êtes en train de devenir comme ces gens qui se vantent de leur franchise alors qu’ils ne font que piétiner la sensibilité d’autrui », l’autrice, par la bouche de ce personnage sympathique, nous rappelle qu’il est facile de se valoriser, sans penser à la sensibilité d’autrui.

Encore une très bonne et très divertissante enquête à lire.

Flashpoint de Mainak Dhar

édition Actes Sud – 414 pages.

Présentation de l’éditeur :

Scénario catastrophe d’une guerre située en 2009 mais parfaitement possible dès demain, Flashpoint est basé sur les réalités de la région mise en cause, qu’elles soient diplomatiques, militaires, stratégiques ou religieuses. Depuis longtemps, imagine l’auteur, les Pakistanais ont infiltré au compte goutte des moudjahidin au-delà d’une frontière contestée. Le chef de l’État pakistanais, à la fois stimulé et pris en otage par les intégristes, va lancer les premiers attentats suicide dans les grandes villes d’Inde. L’armée indienne a du mal à s’imposer dans les montagnes mais tente de réagir en lançant des offensives terrestres dans le désert de Thar. Des escarmouches aux vraies batailles rangées, dans un conflit fait de technologies avancées qui se jouent sur écrans radars en mortels ballets aériens, aussi bien que de combats à l’arme blanche dans le silence de la nuit, le tableau tragique est complet. La mèche nucléaire a commencé à brûler.

Mon avis :

C’est le seul roman policier indien sur lequel j’ai réussi à mettre la main (en ayant déjà lu auparavant une bonne demi-douzaine) et si je devais le classer, je le mettrai dans la catégorie « thriller politique ». Le roman a été écrit en 2006, et situe l’action en 2009 – c’est donc aussi un « roman d’anticipation » au moment de sa parution. L’action se passe en Inde et au Pakistan, et l’on se repère avec les différents lieux, les différents personnages de manière aisée, grâce à la construction soignée de ce roman. Au Pakistan, le chef de l’état souhaite frapper un grand coup : il veut déclarer la guerre à l’Inde, et pour cela, il agira de manière détournée. Soutenu par l’Iman, en Arabie Saoudite, soutenu d’un point de vue spirituel, religieux, financier et politique (oui, cela comment à faire beaucoup), stimulé, devrai-je dire plutôt, le chef de l’état pakistanais a permis l’infiltration des moudjahidin par des intégristes qui, à coup d’actions savamment dosées, font naître l’insécurité dans certaines régions de l’Inde, espérant à la fois créer des réactions locales, entraîner une répression violente, voire une entrée en guerre dont le Pakistan ne serait pas du tout responsable aux yeux de la scène internationale. Oui, le regard porté par les grandes puissances est important, il ne faudrait surtout pas qu’elles penchent en faveur de l’Inde – voir la décision qui est prise aux Nations Unies, et la neutralité, politiquement pesée, de pays pourtant puissants.

Ce roman met en scène des personnalités fortes, à commencer par le Patriote, dont on ne connaîtra l’identité que lors du dénouement. Il est un agent indien infiltré au sein de l’armée pakistanaise, ou plutôt de ses décideurs : il prend beaucoup de risques pour transmettre des informations au gouvernement indien, dans le but d’éviter la guerre, et de faire tomber le gouvernement pakistanais actuel, si possible. Il agit en ayant pleinement conscience des risques qu’il prend, de tous ceux qu’il a pris pendant toutes ses années. Nous avons aussi une journaliste, Neha bien déterminée à couvrir les événements avec son cameraman, Rahul : tous les deux n’hésiteront pas à prendre des risques pour effectuer leurs reportages, accompagnant les soldats au plus près. C’est là que Neha rencontre le colonel Vikram Rathore. Il ne s’est pas remis d’un accident en manoeuvre survenu deux ans plus tôt. Oh, physiquement, il va bien, c’est le moral qui ne suit pas : pourtant, il parvient à donner le change face à ses hommes, les dirigeant parfaitement, et sachant parfaitement les risques liés à leur métier. Commander, c’est aussi conduire ses hommes à la mort, donc choisir la stratégie qui permettra de causer le moins de morts, le moins de blessés possibles, bref, tout le contraire de la stratégie pakistanaise, qui se préoccupe peu des vies humaines (mais sans le formuler ainsi à ses soldats). C’est un thème que j’ai retrouvé dans un autre roman lu récemment : la guerre est faite par des militaires, mais les civils sont les premières victimes, ceux qu’il faut protéger, ceux qu’il ne faut surtout pas oublier pendant les affrontements. Penser aux sacrifices déjà effectués par les combattants, par les civils, aide la relève à tenir (phrase qui peut être appliquée à tous les romans parlant de guerre).

Bref, même si ce roman n’est pas tout à fait un policier au sens strict du terme, j’ai trouvé sa lecture vraiment très intéressante.

Rumeurs d’Amérique d’Alain Mabanckou

Présentation de l’éditeur :

Pour la première fois, j’ouvre les portes de mon Amérique, celles de la Californie où je vis depuis une quinzaine d’années, où j’enseigne la littérature française, mais aussi où j’écris tous mes romans. L’opulence de Santa Monica, l’âpre condition des minorités de Los Angeles, le désespoir des agglomérations environnantes, mais également l’enthousiasme d’une population qui porte encore en elle le rêve américain, c’est aussi mon histoire aujourd’hui. Faits divers, musique, sport, guerre des gangs, enjeux de la race, habitudes politiques et campagne de l’élection présidentielle, mœurs des Angelinos, découverte d’endroits insolites, tout est passé au crible ici pour dessiner le portrait d’une autre Amérique.

Merci aux éditions Plon et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

J’ai un livre d’Alain Mabanckou dans ma PAL depuis quelques temps déjà, et il a fallu la rentrée littéraire non pour que je le lise (mais cela va venir) mais pour que je me replonge dans son œuvre, avec la toute dernière en date : Rumeurs d’Amérique.
Alain Mabanckou, écrivain d’origine congolaise, vit en Californie depuis 15 ans (Santa Monica d’abord, Los Angeles ensuite) et enseigne dans cet état. Dans ce texte, il revient sur ses quinze ans en Californie, tout en nous parlant de l’actualité : la Covid, le confinement en France, les proches, touchés par la maladie. Actualité américaine aussi, avec Trump, son élection, et les réactions qu’elle a pu susciter, la sécheresse en Californie, et le travail des gouverneurs successifs pour gérer au mieux tous les problèmes.
Sujet brûlant entre tous : le racisme. Il est question de la violence faite aux Afro-américains, de la peur, qui est toujours là quand une intervention policière est en cours, de la place des SDF dans la ville, à la périphérie de la ville, de ses personnes (les chiffres sont effarants) qui vivent quasiment dans des campements de fortune : l’autre visage de l’Amérique, celui que l’on ne voit jamais.
Alain Mabanckou est professeur, et s’il nous parle de son enseignement, il nous parle aussi de culture dans ce livre. Il nous parle des écrivains américains, ceux qui parlent de ce sont on n’a jamais parlé avant eux, je pense à James Baldwin, à Ernest J. Gaines, des auteurs qui ne sont pas là pour être plaisants, mais pour dire. Il nous parle aussi des écrivains contemporains, comme Pia Petersen, et des personnalités engagées de notre temps. La culture, c’est aussi le rap, et le sort violent qui est souvent celui des rappeurs (agression, prison, mort parfois). Il nous parle du basket ball, de LeBron James et de Kobe Bryant, élégant jusqu’au bout envers celui qui a dépassé son propre record – Kobe Bryant et sa fille, à qui hommage est rendu aussi.
La culture, c’est aussi pour moi la bien-nommée SAPE (La société des ambianceurs et des personnes élégantes), cette passion pour les vêtements et l’élégance, les codes qui la régissent, ce sujet est d’autant plus intéressant que l’on n’en parle pas souvent.
Ces « rumeurs » furent très agréables à lire, par leur richesse, leur variété, leur questionnement aussi, entre sujets graves et le fameux « culte du corps » des californiens, sans oublier les restaurants et les cafés qui ne sont pas toujours des modèles d’équilibre diététique. Paradoxe californien ? Oui, un peu.

Glory d’Elizabeth Wetmore

Un garçon c’est presque rien de Lisa Balavoine

Présentation de l’éditeur :

Une chambre d’hôpital. Dans le lit, un garçon. À côté, une fille, qui attend qu’il se réveille. Au travers du coma de Roméo, son histoire : pourquoi, comment, la vie l’a-t-elle amené là ?

Merci aux éditions Rageot et à Netgalley pour leur confiance.

Mon avis :

Je commence la rédaction de mon avis et je raisonne en professeure, parce que j’ai très envie de faire découvrir ce titre à mes troisièmes. Soucis : certains adultes pourraient être choqués par le réalisme de ce qui est raconté ? C’est justement ce qui est intéressant dans ce livre, le réalisme des situations racontées, et c’est bien le problème.
Roméo, le narrateur, est un garçon hors-norme, un garçon qui ne rentre pas dans les cases, et qui ne veut pas y rentrer. En revanche, il est des personnes – beaucoup – qui ne voit pas plus loin que les clichés dont ils ont la tête remplie, et qui essaient de le faire rentrer dans ces fameuses cases. Ses parents sont les premiers à vouloir le faire entrer dans cette norme, eux qui assurent ses besoins matériels, le questionnent sur sa scolarité et pensent qu’il a un problème – forcément, puisqu’il n’est pas dans leur norme. Il est cependant un adulte qui ne demande rien à Roméo, avec lequel il peut être lui : son oncle, le frère de son père, qui n’est pas non plus vraiment dans la norme (disquaire, célibataire après des échecs amoureux).
Plus nous avançons dans le récit, plus nous nous rendons compte qu’il ne s’agit pas seulement de ce harcèlement ordinaire que l’on regarde peu, mais qu’il s’agit aussi de parler d’un autre phénomène de société dont on parle encore moins, le revenge porn, si ce n’est pour accabler les jeunes filles, les jeunes femmes qui en sont victimes, donnant l’impunité à ceux qui sont les auteurs de ce harcèlement en ligne.
Oui, ce roman est, à travers le personnage de Roméo, son raisonnement, une réflexion sur ce qu’est la masculinité aujourd’hui. Il est ce que l’on attend d’un jeune homme, ce que l’on tolère même d’un homme, ce que l’on accepte pas de lui, et Roméo ne veut pas être ce genre d’homme. Auprès de lui, Justine, une jeune fille féministe, qu’il amène aussi à se questionner sur ce qu’est le féministe, pour que cela ne reste pas seulement un mot. J’ai apprécié aussi qu’au sein de ce lycée, l’infirmière, la professeure de français puis le proviseur se comportent comme des adultes responsables.
Un dernier mot pour la forme que prend ce livre, ces vers libres qui épousent les pensées de Roméo. Cela m’a semblé faciliter la lecture, avec le décalage qu’elle offre un contraste entre la gravité des sujets traités et la poésie de l’écriture.
Un beau roman à faire découvrir.

Twisted tree de Kent Meyers

Présentation de l’éditeur :

Twisted Tree, dans le Dakota du Sud, a tout de la petite ville silencieuse, au coeur de la nature sauvage qui s’étend à perte de vue. Mais l’infinie solitude des grands espaces rend chacun prisonnier de ses obsessions : sur l’autoroute 1-90, un tueur en série assassine la jeune Hayley Jo. Dans un troublant jeu d’écho, les âmes tourmentées des habitants se racontent alors tour à tour, dévoilant les minuscules tragédies de cette communauté du Midwest. De Sophie Lawrence, qui fait mine de s’occuper de son beau-père invalide pour mieux se venger de lui, à Shane, qui se recrée une vie au fil des lettres adressées à sa mère, douze voix se font entendre, comme autant de pièces décisives pour reconstituer le puzzle complexe des relations humaines.

Mon avis :

Le Dakota du Sud fait partie de ses états dont on parle peu, qui est le sujet de peu de romans – du moins, de peu de romans traduits en français. Chacun des chapitres de ce livre est consacré à un personnage. Il ne s’agit pas de nouvelles, non, il s’agit plutôt de morceaux d’un puzzle qui, une fois tous lus et assemblés, créer un portrait d’une communauté, des éléments dévoilés dans un chapitre éclairant des faits racontés dans un autre chapitre.

Au coeur de l’intrigue se trouve Hayley Jo Zimmermann. Elle est morte, assassinée par le tueur en série de l’autoroute 1-90. Il l’a choisi parce qu’elle est anorexique. Au cours du premier chapitre, nous découvrons comment il choisit ses proies, comment il les isole peu à peu, perfectionnant sa technique à chaque fois. Son scénario est tellement bien rodé qu’il ne supporte pas quand une de ses victimes change le texte qu’il avait prévu pour elle. L’anorexie est une maladie terrible et, malheureusement, il existe des sites pro-ana, ceux qui soutiennent les anorexiques en les confortant dans leur maladie. Problème, pour Hayley Jo : il y a ceux qui ne savaient pas, et on ne peut pas le leur reprocher, et il y a ceux qui savaient, et n’ont rien dit. Hayley Jo était donc seule, totalement seule, à l’exception des personnes qu’elle côtoyait sur le forum, et qui ne pouvaient pas l’aider.

Quelles sont donc ces personnes qui vivent à Twisted Tree et qui vont devoir survivre à l’assassinat de la jeune fille ? Nous avons les parents d’Hayley, bien sûr que nous croisons de loin en loin. Nous avons Angela Morrisson, mère de la meilleure amie d’Hayley Jo, Laura. Nous la découvrons jeune mariée, jeune mariée qui a failli ne pas se marier, et qui ne s’est mariée, finalement, que parce qu’elle n’a pas osée, soutenue par personne, faire marche arrière. Elle ne s’y fait pas, elle ne parvenait pas à vivre dans cette ferme éloignée de tout, ferme où elle ne faisait pas grand chose non plus, regardant la télévision ou attendant le retour de son mari, qui communique peu avec elle, ou imparfaitement, d’où leur incompréhension mutuelle. Nous découvrons Sophie, qui a un passé complexe et prend soin de son beau-père, ou plutôt se venge de lui, nous découvrons qui connaît tous les habitants de la ville, qui scanne leurs courses jour après jour et en déduit ainsi leur situation, leurs états d’âme.

Dis ainsi, le roman pourrait passer pour uniquement réaliste. Il nous entraîne aussi sur la voie des légendes indiennes, du passé de la ville, d’événements déjà sanglants qui nimbent le récit d’un halo pourpre. Oui, il peut se passer des événements atroces dans une toute petite ville, et l’enquêteur n’a pas vraiment envie d’approfondir certains faits – surtout quand le coupable ne fait aucun doute, tout en laissant tout de même derrière lui suffisamment d’énigmes pour écrire un roman à lui tout seul. Et les serpents ! Nous les retrouvons d’un chapitre à l’autre, non seulement parce qu’ils font partie des animaux sauvages dans cet Etat, mais encore parce qu’ils apparaissent comme une anormalité, presque des créatures légendaires qui auraient investi les lieux – à chacun de déterminer ce qu’ils pourraient symboliser, dans un contexte où la religion tient une place importante. Prenons le personnage de Caleb, ancien prêtre redevenu éleveur, qui lui aussi se souvient très bien d’Hayley Jo, et se retrouve à exercer à nouveau, bien malgré lui – parce que tout le monde, finalement, peut apporter du réconfort à quelqu’un qui en a besoin.

S’il est un chapitre que j’ai beaucoup aimé, c’est le tout dernier. Ce n’est pas parce que l’on saura ce qu’il est advenu du tueur, c’est parce que le dernier chapitre est rempli d’humour et est un bel hymne à l’amitié.

Les aérostats d’Amélie Nothomb

Présentation de l’éditeur :

« La jeunesse est un talent, il faut des années pour l’acquérir. »

Mon avis :

Tous les ans, c’est une tradition, on m’offre le nouvel Amélie Nothomb, tous les ans ou presque (l’an dernier a fait exception) je le lis et rédige la chronique dans la foulée.
Je pourrai la faire très courte, et dire que ce roman brasse les thèmes chers à Amélie Nothomb : je me retrouverai alors devant une jolie phrase toute faite qui n’exprimerait pas grand chose.
Ce roman est pour moi d’abord celui d’un enfermement. Nous avons Ange, qui porte un prénom épicène, et qui est étudiante en philologie à Bruxelles. Elle vit en collocation avec Donate, son aînée de trois ans. Les règles de vie de celle-ci, qu’elle impose à sa jeune colocataire, sont d’une maniaquerie rare. J’hésite pour les qualifier : utiliserait-elle un vieux manuel de savoir-vivre qu’elle suivrait à la lettre, y compris dans la manière dont un bac à légumes doit être rempli ? Serait-elle une vieille fille en puissance ? Plus simplement, serait-elle atteinte d’une phobie propre à l’hygiène ? Le lecteur ne le saura pas vraiment, il ne pourra que l’imaginer, s’il a envie de s’attarder sur ce personnage assez secondaire, finalement. Enfermement, oui, parce qu’Ange ne quitte ce petit appartement, qui la satisfait, que pour étudier – si elle aime ses parents, elle ne leur rend pas visite très souvent. Enfermement à nouveau, quand elle rencontre Pie, à qui elle doit donner des cours de lecture parce qu’il est dyslexique. Le cours aura lieu chez les parents de Pie, Gégoire et Carole Roussaire, enfermé dans la salle de séjour. L’une des missions qu’Ange s’assignera est de faire sortir Pie de ce lieu, de lui faire découvrir non seulement Bruxelles, mais aussi ce qui entoure sa maison : Pie apparaît presque comme une princesse de conte de fées qu’il aura fallu délivrer de la vacuité de ses parents. La maison est belle, ils ne l’habitent pas réellement. Ils possèdent une immense bibliothèque, remplie de livres non lus, Carole Roussaire collectionne les porcelaines, de manière virtuelle. Ange est la seule personne à venir régulièrement dans leur maison, dont elle n’aurait dû connaître que deux pièces, le séjour et le bureau de Grégoire, où elle reçoit ses émoluments.
Lire, manger, boire, vomir, aimer, détester : six verbes pour caractériser ce roman (oui, je suis assez sensible quand je lis que des personnes vomissent, que ce soit sous le coup de l’émotion, ou pour avoir fait des excès). Parce qu’après l’enfermement, ce roman est celui de la lecture. N’est-ce pas pour donner le goût de lire à Pie qu’Ange a été engagée ? (Pour soigner véritablement la dyslexie, il en faut un peu plus). S’il ne fallait retenir qu’une citation de ce roman, ce serait celle-ci, pour moi :
Nous vivions une époque ridicule où imposer à un jeune de lire un roman en entier était vu comme contraire aux droits de l’homme. Je n’avais que trois ans de plus que Pie. Pourquoi avais-je échappé au naufrage ?
Donner envie de lire est compliqué, je l’expérimente depuis vingt ans. Comme Ange, j’ai des parents qui lisent, et qui m’ont lu des histoires (mes parents lisent toujours abondamment). Alors pourquoi faire lire est-il si difficile ? Je n’exposerai pas ici mon propre questionnement sur le sujet, et les réponses que je tente d’y apporter. Je note cependant que, dans ce roman, Amélie Nothomb montre que l’échange autour de la lecture est important, laisser l’autre dire ce qu’il pense du roman, même si l’on ne pense pas la même chose : « Aimer un roman ne signifie pas nécessairement qu’on aime les personnages. » Il s’agit aussi de ne pas se limiter dans sa lecture, de lire des romans d’époque et de style variés : Stendhal, Homère, Raymond Radiguet, Kafka sont lus, et pas forcément décortiqués comme peuvent le faire certains lecteurs (dont je ne fais pas partie). La littérature pousse-t-elle à l’action ? Pas nécessairement, et heureusement  : même s’il s’identifie à Hector puis à Nemours, Pie n’a besoin ni de l’un ni de l’autre pour changer le cours de sa vie, et faire qu’elle n’ait pas la vacuité de celle de ses parents. Pas de morale dans l’histoire : la littérature n’a que faire de la morale.
Et la jeunesse ? Un état d’esprit plus qu’un âge mesuré, quantifié. Ange n’était pas jeune, elle l’est devenue.

Les lettres d’Esther de Cécile Pivot

Présentation de l’éditeur :

« Cet atelier était leur bouée de sauvetage. Il allait les sauver de l’incompréhension d’un deuil qu’ils ne faisaient pas, d’une vie à l’arrêt, d’un amour mis à mal. Quand j’en ai pris conscience, il était trop tard, j’étais déjà plongée dans l’intimité et l’histoire de chacun d’eux. »

En souvenir de son père, Esther, une libraire du nord de la France, ouvre un atelier d’écriture épistolaire. Ses cinq élèves composent un équipage hétéroclite :
une vieille dame isolée, un couple confronté à une sévère dépression post-partum, un homme d’affaires en quête de sens et un adolescent perdu.
À travers leurs lettres, des liens se nouent, des coeurs s’ouvrent. L’exercice littéraire se transforme peu à peu en une leçon de vie dont tous les participants
sortiront transformés.

Merci aux éditions Calmann-Lévy et à Netgalley pour ce partenariat.

Préambule :

J’ai voulu lire ce livre à cause de son titre : Esther est le prénom de deux sœurs (mes arrière-grandes-tantes). Oui, elles vécurent toutes les deux (elles se sont mariées, elles ont encore des descendants à ce jour) et je n’ai pas d’explication logique au fait qu’elles portèrent tous deux ce prénom (Marie-Esther et Esther, pour être juste) pas même l’existence d’une grand-mère ou arrière-grand-mère à qui rendre hommage. Les trois autres soeurs se prénommaient Aimée Eléonore, Françoise Caroline et Eugénie Caroline.

Mon avis :

Le sujet du livre, la manière dont il est rédigé peuvent presque paraître désuets : cinq personnes participent à un atelier d’écriture épistolaire. Surtout, nous lirons leurs lettres et si Esther leur donne des conseils pour améliorer leur style, si elle leur donne des exercices d’écriture à faire, c’est avant tout le contenu de leurs écrits qui comptent, et pas la recherche d’effets d’écriture artificiels.

Autant le dire tout de suite : le genre épistolaire n’est vraiment pas mon genre de prédilection, à la suite de rencontres littéraires ratées. La rencontre a été ici réussie, due en partie à la personnalité des cinq épistoliers. Nicolas, Juliette, Jeanne, Samuel, Jean. Cinq personnes, cinq volontaires qui vont correspondre, qui vont se choisir sans se connaître réellement, sauf Nicolas et Juliette, qui s’écrivent, sur le conseil du médecin qui suit Juliette. Il est des choses qu’il est plus facile de dire par écrit, ne serait-ce que parce qu’on a le temps de mûrir ce que l’on va écrire, de réfléchir aux mots que l’on emploie, de ne pas répondre au tac au tac, de prendre aussi le temps de lire la lettre de son correspondant, de la relire – sans s’enflammer, parfois. Je pense au personnage de Jean, le quinquagénaire qui a réussi professionnellement, ne s’est pas vraiment donné la peine de réussir sa vie de couple, sa vie de père, et l’assume avec un certain cynisme, sans crainte du jugement d’autrui. Nicolas se lâche lui aussi avec Jean, ose les formules directes – les figures de style, ce n’est pas pour lui. Nicolas, marié à Juliette, qui souffre de dépression post-partum et ne parvient plus à communiquer avec lui, à s’occuper de sa fille. Il fait de son mieux, mais rien n’est facile, même si de nos jours cette maladie est mieux prise en compte (pendant que je rédige le brouillon, je regarde une série dans laquelle un médecin dit à sa patiente que sa dépression post-partum « va passer tout seul, vous allez voir ») bien que la prise en charge reste imparfaite, comme le prouve la réaction de son médecin généraliste. Avec ce couple, nous abordons le thème de la filiation, de la transmission, et si ce n’est pas simple pour eux, ce n’est pas facile non plus pour les autres participants. Si Esther a conçu cet atelier d’écriture, c’est en mémoire de son père avec lequel elle a correspondu jusqu’à sa mort, Jeanne n’a presque plus de contact avec sa fille unique Aurélie. Samuel a perdu son frère, et depuis, il se cherche, il cherche sa place dans sa famille, digne mais dévastée. Se confier est-il plus facile quand on ne connaît pas la personne ? Parfois oui, parfois non – réponse de normande. Il pourrait sembler plus facile de se confier à quelqu’un du même sexe, de la même génération, et pourtant Jeanne et Samuel vont développer un des plus beaux échanges du roman, parce qu’ils doivent réinventer leur vie, parce qu’ils ont une préoccupation commune – l’avenir de la planète, et comment l’homme peut influer sur lui – parce que la re-naissance peut être au bout du chemin épistolaire. N’hésitez pas à lire et relire l’ultime lettre de ce récit.

Sulbime royaume de Yaa Gyasi

Présentation de l’éditeur :

Gifty, américaine d’origine ghanéenne, est une jeune chercheuse en neurologie qui consacre sa vie à ses souris de laboratoire. Mais du jour au lendemain, elle doit accueillir chez elle sa mère, très croyante, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même et reste enfermée dans sa chambre toute la journée. Grâce à des flashbacks fort émouvants, notamment sur un frère très fragile, nous découvrons progressivement pourquoi la cellule familiale a explosé, tandis que Gifty s’interroge sur sa passion pour la science si opposée aux croyances de sa mère et de ses ancêtres. ​

Merci à Netgalley et aux éditions Calmann-Lévy pour ce partenariat.

Mon avis :

Sublime royaume est un roman qui nous offre un voyage dans le temps et dans l’espace avec Gifty. Elle est une jeune femme entre deux mondes, à la fois croyante et chercheuse en neurologie. Paradoxal ? Oui, et tout le roman nous montre comment elle vit avec cette opposition. Gifty a grandi dans une famille désunie. Sa mère a choisi de quitter le Ghana pour les USA, son père l’a suivi, avant de repartir – parce qu’elle voulait vivre dans un pays où son fils pourrait s’épanouir. Gifty ? Elle n’était pas encore née, elle n’était même pas prévue, ni désirée, même si elle a été nommée Gifty.

Le Ghana, finalement, elle en entendra peu parler, jusqu’à ce qu’elle y aille en vacances, jeune adolescente, alors que sa mère était tombée malade : en rencontrant sa tante, en découvrant la culture, les coutumes du pays dans lequel son frère est né (et pas elle), elle s’est rendue compte de ce que sa mère aurait pu devenir si elle était restée dans son pays natal. Quant à la communauté ghanéenne, si elle existe bien en Alabama, en revanche, elle est reste dispersée, et ses membres m’ont semblé peu liés entre eux. Et ce qui m’a frappé – même si le commentaire jaillit en cours de chronique, comme le sujet jaillit lui-même – c’est le racisme, sous-jacent, intégré, voire exprimé sans aucun complexe. Gifty l’a vu à travers son frère – le bon Afro-américain est celui qui fait gagner son équipe, celui qui a des compétences sportives hors-normes. Gare à lui s’il perd, s’il fait perdre : le rejet, la violence verbale n’en sont que plus violents.

Tout tourne en fait autour de ce que Gifty est incapable de dire, de raconter : l’addiction de Nana, sa mort par overdose. Son frère n’a pu se sortir de sa dépendance, en dépit de tout ce que sa mère avait mis en oeuvre. Les recherches de Gifty portent sur les mécanismes de la dépendance. Oui, il y a un lien de cause à effet entre les deux, mais pourquoi Gifty devrait-elle le dire ? Elle peut l’écrire, en attendant. Elle ne pourra en parler réellement qu’à quelqu’un qui n’exige pas de confidences, contrairement à ce que d’autres ont fait, comme si une confidence entraînait nécessairement une autre confidence, si possible intime et sensible, comme si l’amitié et l’amour entraînaient de tout savoir, de tout connaître sur l’autre et sur les siens. Avoir une relation réellement adulte, c’est aussi accepter les sentiments de l’autre.

Comment guérir de la douleur de ne plus vouloir vivre ? C’est la question à laquelle Gifty doit répondre pour sa mère. Ce n’est pas qu’elle cherche le soutien de la religion, c’est qu’elle sait à quel point la religion est importante pour sa père. Gifty s’est posé des questions sur la foi, sur sa foi, elle qui a été confrontée sa vie durante au poids de la religion. Le discours tenu par les membres de la communauté, par certains pasteurs est réactionnaire, clivant, totalement contraignant pour les jeunes filles et les femmes. Les pasteurs que rencontrera Gifty sont figés dans leur conviction. Il est une seule exception : le pasteur John. Sa propre vie de famille l’a forcé à être plus humain avec les membres de sa communauté, lui dont la fille Mary, comme beaucoup d’autres, fut la cible de commérage après sa grossesse à 17 ans. Humain, oui, simplement, et il fut une des rares personnes à soutenir réellement Gifty, une des rares personnes à qui elle put faire confiance.

Sublime royaume, c’est avant tout le portrait d’une jeune femme qui s’est construit avec sa double culture, avec ses recherches autour de sa foi, avec sa volonté d’étudier, de progresser, de concilier son travail et les soins à sa mère. C’est le portrait d’une Amérique qui n’est pas vraiment le lieu de tous les possibles – mais qui peut encore le croire ?