Archive | mars 2020

Oh happy day de Anne-Laure Bondoux et Jean-Claude Mourlevat

Présentation de l’éditeur :

Après quatre ans de silence, Pierre-Marie se décide à envoyer un mail à Adeline au sujet d’un carnet noir qu’il aurait oublié et dans lequel il cherche à retrouver une petite phrase de trois lignes qui serait, dit-il, un excellent début de roman. Prétexte évidemment pour reprendre contact après une longue période passée prostré après son « grand malheur » comme il l’appelle. Mais Adeline a bien d’autres projets que de chercher ce carnet. Sa vie est à un tournant puisqu’elle est à quelques semaines de déménager à Toronto avec le nouvel homme qui partage sa vie. Pourtant la correspondance finit par prendre de l’ampleur, entraînant les deux personnages dans un tourbillon inattendu.

Merci à Netgalley et à Fleuve édition pour cette belle découverte en temps de confinement.

Mon avis :

J’ai l’impression que tout avis sur ce livre que je pourrai écrire serait fortement réducteur. Mais tant pis ! Il est tellement de richesse dans ce livre, tellement à lire, tellement à explorer.
Déjà, c’est un roman épistolaire moderne, mais pas que : les deux protagonistes, Pierre-Marie et Adeline échangent des emails, certains personnages secondaires aussi, mais attention, des emails construits, développés, ils en ont à dire, à se dire, pour rattraper quatre années de silence. Les emails, d’ailleurs, ne constituent pas seuls le roman, il contient des parties narratives plus classiques qui contribuent à la progression de l’action, et introduisent un autre point de vue sur le récit.
Pierre-Marie et Adeline sont les héros d’un précédent volume, Et je danse, que je n’ai pas lu, parce que j’ai découvert son existence en progressant dans ma lecture. Sa lecture aurait-elle changé quelque chose ? Je ne sais pas, mais j’ai fortement apprécié ce roman !
Pierre-Marie, Adeline. Pierre-Marie a fait une énorme erreur en quittant Adeline. La vie a continué pour elle, et elle a construit « quelque chose » de son côté. Pierre-Marie a lui vécu un « grand malheur » qui en est vraiment un, malheureusement. Il se relève à peine de ce qu’il a vécu, et c’est là qu’il recontacte Adeline, pour un prétexte futile. Tout est bon, après tout, pour renouer le fil de leurs échanges.
Et il est renoué. Nous avons même les brouillons des mails non envoyés – parce qu’ils n’existent pas de touche « oups » pour ramener au bercail un mail parti trop tôt, sans que l’on ait bien réfléchi à son propos. L’intrigue ne traîne pas, et si nous en savons plus, parfois, que l’autre personnage, il finira par être au courant aussi – les non-dits, les secrets, ne sont bons pour personne.
Livre avec vampires aussi, un vrai, celui qui vous ôte toute votre énergie, toute votre volonté, qui vous prive de votre force vitale bien plus qu’une maladie – alors si la maladie devait se trouver là, n’en parlons pas. Il est des personnes qui irradient, qui apportent du bonheur autour d’eux, qui aident à voir claire, à chercher ce qui est bien. Il en est d’autres qui sont d’autant plus effrayants qu’ils me questionnent : sont-ils conscients que tout ce qu’ils font n’est pas normal ? Oui, sans doute : pour manipuler, pour enfoncer, pour souffler le chaud et le froid à ce point, il faut véritablement savoir ce que l’on fait.
Et l’écriture ? Pierre-Marie est un écrivain qui n’écrit plus, qui ne parvient plus à écrire, et à qui son éditeur a une forte envie de botter les fesses. En quoi la vie et l’écriture s’imbrique-t-elle ? Le récit montre que l’écriture, la vraie, n’est pas la transposition du réel, mais sa réinvention. A méditer.

Plumes et emplumés de Gérard Chevalier

édition du Palémon – 167 pages

Présentation de l’éditeur :

Je suis sur une grande poubelle dans la petite rue de la Providence. J’attends Gérard Chevalier… Ah, le voilà, avec sa dégaine de John Wayne anémié.
— Bonsoir Catia. Alors, pourquoi vouliez-vous me voir ? dit-il en posant sa tablette à côté de moi.
Je tape à une vitesse stupéfiante le plan phénoménal que j’ai imaginé pour me rendre plus célèbre encore. Enfin… NOUS, hélas… À la fin de sa lecture il reste figé.
— Mais… C’est insensé! bredouille-t-il. Pourquoi voulez-vous disparaître aussi ? Vous n’êtes que l’héroïne de mes romans ! Il n’y a que moi qui dois disparaître, si j’accepte votre combine fumeuse…

S’ensuivront des investigations et une pagaille médiatique hallucinante, de quoi atteindre une notoriété quasi-mondiale!

Mon avis :

Qu’on se le dise ! Catia est une plume, une autrice, une romancière de notoriété… et même plus encore. Seulement, là, elle se sent négligée, oubliée, mise de côté. Ne parlons même pas de la personne qui lui sert… et bien de plume, justement, et qui recueille toute la notoriété ou presque. Oui, le monde des lettres n’est pas près pour un chat auteur qui mène l’enquête. Aussi, Catia, qui manque de tout sauf d’idée, lance une opération de grande envergure pour retrouver toute l’attention qu’elle mérite.

Mégalo, Catia ? A peine. Et pourtant… quel grand écrivain ne rêverait pas d’attirer toute l’attention sur lui ? Quel enfant gâté ne voudrait pas que l’on ne fasse attention qu’à lui ? Oui, depuis la naissance de Rose, Catia n’est plus la personne la plus importante dans la vie d’Erwann ou de Catherine, et elle doit faire avec Rose, leur fille. Ce qu’elle a mis en scène aura des conséquences inattendues, dont une magistrale dispute entre Erwann et son beau-père – ne jamais se fâcher avec la police, ja-mais, même si c’est à titre privé, même si l’on se comporte comme un gaffeur de compétition. Il faut dire que le beau-père d’Erwann, le père de Catherine donc, a pour compagne l’ex de son gendre, de quoi rendre la moindre réunion de famille hautement explosive, pour peu que chacun n’y mette pas du sien. Il est bon de bien réfléchir avant de parler, ce que tout le monde ne fait pas.

Ne pas négliger non plus les pouvoirs de la presse, et sa capacité à diffuser une information, sans trop approfondir les sources – une disparition, c’est une disparition, qu’on se le dise et que la police se mette un peu au travail. Ne pas négliger l’appât du gain, qui peut bloquer ou débloquer bien des situations, ou encore la volonté de revanche de … et bien de personnes qui ont publié un livre et n’en sont pas devenus les auteurs reconnus qu’ils auraient voulu être. Je ne sais pas s’il faut chercher une référence bien réelle à ce personnage de voyant qui ne voit rien, mais son nom, Castan, m’a irrésistiblement fait penser à une célèbre marque bien connu des amateurs de félins.

Ce troisième volume des enquêtes aventureuses de Catia est l’occasion, aussi, de rendre hommage à des auteurs des éditions du Palémon, mêlés bien malgré eux à cette enquête abracadabrante.

Je terminerai avec ce remerciement spécial de Catia : Toujours pas de remerciements de la part de Catia. Dire merci à cette bande d’exploiteurs qui n’ont pas honte de me pressurer le citron pour alimenter leur boutique ? Jamais !

Le monde de Llena de Fabien Clavel

Présentation de l’éditeur :

Dans notre monde, un auteur entreprend l’écriture d’un roman de fantasy en s’inspirant de sa fille, Léna.
Dans ce roman, Le monde de Lléna, Fidnuit, un orphelin, est approché par des Dormants, des moines qui maîtrisent la magie du Dérêve. Ils lui ordonnent de rallier le Refuge de Lléna, leur déesse. Poursuivi par des créatures de cauchemar, Fidnuit s’enfonce dans une étrange forêt aux arbres inclinés…
Au même moment, la jeune Fadlune, perturbée par des rêves prémonitoires, apprend de l’uraus Timagro qu’elle aussi doit se rendre au Refuge de Lléna.
Bientôt, le déroulement du roman semble interférer avec la réalité et Léna est victime d’une étrange maladie qui la plonge dans un sommeil sans fin…

Merci à Netgalley et aux éditions Rageot pour leur confiance

Mon avis :

Etre écrivain, c’est tout sauf facile. Demandez à monsieur Clavel, marié, un enfant, qui n’a pas hésité à se mettre en scène dans son propre roman : que faire, comment réagir quand votre propre femme, qui n’a pas trouvé le temps de lire votre dernier roman, lit et surtout apprécie fortement le roman d’un certain Fabrice C*** ? Et bien, on peste, on râle, on continue à raconter des histoires le soir à sa petite fille de quatre ans, et surtout, à partir de ses histoires, on se met à écrire un roman de fantasy pure.

C’est ainsi que nous nous plongeons dans le monde de Lléna, qui doit son nom au prénom de la fille de l’écrivain. Nous découvrons un héros, Fidnuit, et une héroïne, Fadlune. Nous découvrons surtout comment l’auteur construit un univers, son univers, comment il bâtit l’intrigue, avec des passages obligés, qu’il traite de manière originale (la rencontre entre les deux héros). Il montre aussi les ingrédients qui font partie de tout bon roman de fantasy. Ces chapitres ne sont jamais invasifs, et créent, finalement, du suspens entre les pans du roman principal – comme si nous étions invités en cuisine avant que chaque plat ne nous soit servi, non sans que l’auteur cuisinier ne fasse preuve d’une bonne dose d’auto-dérision.

Le monde de Llena  emprunte à de nombreux classiques de la fantasy – j’ai pensé à Princess Bride avant qu’il ne soit cité, et même à Edward aux mains d’argent, bien que ce soit un film. Il montre comment les rêves, les cauchemars envahissent le monde, comment, aussi, il est important de garder l’espoir, et de ne pas se laisser dévorer par son ambition. Surtout, rien n’est figé puisque l’auteur joue avec les attentes du lecteur, en le surprenant à chaque fois.

Le monde de Llena est un livre très réussi : j’espère qu’il trouvera un large public en dépit d’une date de sortie compliquée.

Et surtout, surtout : n’oubliez pas les dragons.

Kim Jiyoung, née en 1982 par Cho Nam-Joo

Présentation de l’éditeur :

Kim Jiyoung est une femme ordinaire, affublée d’un prénom commun – le plus donné en Corée du Sud en 1982, l’année de sa naissance. Elle vit à Séoul avec son mari, de trois ans son aîné, et leur petite fille. Elle a un travail qu’elle aime mais qu’il lui faut quitter pour élever son enfant. Et puis, un jour, elle commence à parler avec la voix d’autres femmes. Que peut-il bien lui être arrivé ? En six parties, qui correspondent à autant de périodes de la vie de son personnage, d’une écriture précise et cinglante, Cho Nam-joo livre une photographie de la femme coréenne piégée dans une société traditionaliste contre laquelle elle ne parvient pas à lutter. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Kim Jiyoung est bien plus que le miroir de la condition féminine en Corée – elle est le miroir de la condition féminine tout court.

Mon avis :

Encore un livre que j’ai lu, et dont j’ai peiné à rédiger mon avis. Pourquoi ? Peut-être parce que j’ai enchaîné des livres sur la même thématique, et qu’il était important pour moi de distinguer les uns des autres.
Alors oui, pour moi, ce livre est effrayant, parce que l’on se rend compte qu’à chaque étape de sa vie, une femme souffre – si tant est qu’elle vienne au monde. L’avortement de foetus féminin existe, quoi qu’en disent certains esprits optimistes. Ce constat n’est pas seulement valable dans la jeunesse de Kim Jiyoung : adulte, elle sait, elle entend ses femmes qui disent qu’elles sont fières d’attendre un garçon, qu’elles honorent leur belle-famille, qu’elles n’ont plus honte. Au delà du réflexe de base – personne ne leur a donc jamais appris que c’était l’homme qui déterminait le sexe de l’enfant ? – je me rends compte que ce discours n’est pas si éloigné que cela de ce que j’ai pu lire dans la littérature française contemporaine – je me souviens d’un extrait de livre dans lequel une femme se sentait éminemment supérieure à une autre, puisqu’elle avait mis au monde un fils.
Chaque chapitre, chaque étape de la vie de Kim est une lutte perpétuelle : les filles sont préférés aux garçons, surtout au sein de la famille. Les garçons passent en premier à l’école. Ne parlons même pas des études : je me souviens qu’en 2017 un élève (j’insiste sur le masculin) m’avait dit qu’il existait encore des familles où les études des filles étaient sacrifiées au profit de celles des garçons. Tout cela pour dire que l’action a beau se dérouler en Corée, elle a beau être éloignée géographiquement, elle doit nous amener à nous interroger sur ce que nous vivons en France. Rien n’est jamais gagné.
Et à l’âge adulte ? Pas mieux. En Corée, les mariages sont arrangés le plus souvent, les naissances viennent très vite, et la femme est le plus souvent, pour ne pas dire toujours, obligée d’arrêter sa carrière pour élever son enfant, au moins pour un certain temps, sans avoir la certitude de retrouver du travail, dans un mode où être une femme vous ferme encore et toujours énormément de porte. Quant à être mère au foyer, c’est être immédiatement taxé de « mère parasite », vivant aux crochets de son mari – comme si elle-même n’accomplissait pas des tâches répétitives, ingrates, soulageant son mari de beaucoup de préoccupations, et ce, pour aucune rémunération. L’aveuglement masculin sur la condition féminine est unanime, y compris du point de vue de ceux qui ont fait des études, de ceux qui les soignent et voient au quotidien leur tourment.
Oui, c’est une lecture très pessimiste, finalement, parce que, pour obtenir quelques avancées dans la société, il faut mener un combat constant, quel que soit le pays où l’on vit. Il suffit de pas grand chose pour faire régresser les droits chèrement acquis.

 

Maldonne au festival de Cannes d’Alice Quinn

Edition Bookélis – 280 pages

Quatrième de couverture

C’est le Festival de Cannes. Rosie est de nouveau dans la dèche. Grâce aux Gilet Jaunes, tous les samedis, elle est assurée de pouvoir offrir des croissants à ses enfants. Elle rencontre un footballeur devenu acteur qui l’engage comme Body Guard pour une soirée de gala. Mais pourquoi ce type a-t-il besoin d’un garde du corps ? Que lui veut la productrice du film, qui ne la lâche plus d’une semelle ?

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier l’autrice pour sa confiance.
Pour une fois, je commencerai par la fin. Oui, avec ce cinquième tome, c’est un au revoir que nous adressons à Rosie Maldonne. Un au revoir, pas un adieu. Oui, je vous spoile un peu la fin, pour vous rassurer : Rosie Maldonne ne meurt pas à la fin, écrabouillée par un TER ou victime d’un empoisonnement fulgurant. Dire « au revoir », c’est laisser un personnage voguer vers son destin.
Mais pour l’instant, quand nous commençons ce livre, Rosie est là, et bien là, et elle cherche un travail stable pour élever ses trois filles. Note : il est, dans le corps du roman, des personnes pour s’étonner qu’à son âge elle ait déjà trois grandes filles. Enfin, « grandes » pour ces personnes qui ne s’occupent que de ce qui les regardent pas. Rosie, surtout, elle s’occupe des gilets jaunes. Ce n’est pas qu’on les a un peu oubliés, non, c’est que ceux qui portent des gilets jaunes sont, comme Rosie, de grands oubliés, des gens dont on ne parle pas, que l’on ne voit pas, des gens qui travaillent, oui, mais qui, en dépit de leurs salaires, ne s’en sortent absolument pas. On aura beau le dire (et je crois que c’est encore plus d’actualité avec ce que nous sommes en train de vivre pendant que j’écris), il faut vraiment le faire : repenser notre rapport au monde, à la consommation autrement, remettre l’humain au centre, non le profit. Le personnage de Sabrina, fille de Rosie, est à ce propos à la pointe du questionnement de ce que l’on peut faire vraiment pour repenser notre manière de vivre. Oui, soyons optimiste, malgré tout.
Mais (et forcément, le mais est immense), nous sommes à Cannes, et qui dit Cannes dit festival – le téléscopage des deux mondes va faire mal, parce que Rosie n’est pas du genre à se laisser faire (heureusement d’ailleurs). Alors, oui, Rosie retrouve du travail, de la manière la plus improbable qui soit : garde du corps. Si, c’est possible – même elle a dû mal à y croire. Elle se retrouve au centre de magouilles qui dépassent largement les préoccupations du commun des mortels : comment réussir à vendre un film par terrible terrible, avec un acteur plus moyen, ex-footballer plus que moyens, film produit avec des capitaux pas très propres ? Je vous avais bien dit que c’était compliqué, surtout quand un cadavre se mêle à cette affaire, et que la panique gagne certains protagonistes. Surtout, les préoccupations de Rosie, dont la maman décédée lui envoie régulièrement des chansons pour lui annoncer le programme de sa journée, reste toujours très pragmatique : se loger, se nourrir, se vêtir, elle et ses filles, leur permettre de suivre leur scolarité. Rosie a noué des amitiés solides, et ses amis le lui rendent bien.
Elle va aussi, presque involontairement, en savoir plus sur son passé, ou plutôt sur une partie de sa famille dont elle savait peu de choses jusqu’à présent : son père ! Et ses découvertes sont pour le moins surprenantes, mais bien en accord, finalement, avec la personnalité de Rosie.
Bon vent Rosie ! Porte-toi bien !

La justice de l’inconscient de Franck Tallis

Présentation de l’éditeur :

En ce début de XXe siècle à Vienne, où l’on peut croiser Freud, SchSnberg, Klimt et bien d’autres encore, les cafés sont le lieu de débats fiévreux. C’est dans cette atmosphère d’effervescence artistique et scientifique que Max Liebermann, jeune psychiatre et pianiste à ses heures, mène ses enquêtes avec son ami Oskar Rheinhardt, inspecteur et… chanteur lyrique amateur.
Et ils vont avoir fort à faire avec le cas de cette jeune et jolie médium retrouvée morte chez elle dans une pièce fermée de l’intérieur.
Une note griffonnée de ses mains laisse penser à un suicide. Pourtant, les indices déroutants s’accumulent : l’arme du crime, un pistolet, a disparu, et aucune trace de la balle n’est retrouvée durant l’autopsie…
Serait-ce l’intervention d’un esprit maléfique ?

Mon avis :

Le livre était dans ma PAL depuis au moins six ans. Je l’ai lu depuis deux mois, et c’est seulement maintenant que je prends le temps de rédiger mon avis – de mémoire, donc, comme je le fais souvent.
En le lisant, j’ai pensé à Sissi, à sa soeur Sophie, à toutes ces femmes nobles, riches, qui se sont retrouvées enfermées dans des asiles parce qu’elles étaient qualifiées d’hystériques – et il ne fallait pas grand chose pour être qualifiées ainsi. Oui, Sissi n’a pas été internée, mais sa soeur si, la soeur de sa belle-fille également.
Les jeunes filles, les femmes dont on nous décrit les symptômes dans ce roman sont-elles souffrantes ? Oui, certainement. Mais de quoi souffrent-elles ? Qu’expriment leur corps que leurs paroles ne peuvent exprimer ? Ils expriment les contraintes, les souffrances, les violences qu’elles ont subies. Elles sont coincées, parce que la déchéance est à craindre, pour elles, pour leurs enfants, parce que personne ne veut écouter ce qu’elles ont à dire, parce que la société donne toujours raison à l’homme contre la femme, forcément faible, forcément sujettes à inventer, à ne pas comprendre ce qui s’est passé. Il n’existe pas de solutions : les femmes sont toujours perdantes. Toujours.
La preuve : la victime est une femme. Une femme qui a essayé de survivre, de s’en sortir, avec les moyens qui étaient les siens. Max Liebermann croise d’autres femmes qui, elles aussi, veulent s’en sortir, et n’ont pas vraiment d’espoir. D’autres s’accommodent d’une vie faite de réceptions, de dîner, de goûter, de potins divers et variés. Celles-ci iront toujours bien, à moins d’être confrontées à des drames puisqu’elles s’accommodent d’une vie assez vide. Ce n’est pas le cas de Lydia, une jeune femme qui n’a pas reçu la même éducation que les autres, qui a des ambitions scientifiques, et qui doit lutter contre une société presque unanimement misogyne.
J’en oublie presque de vous parler de l’enquête, et pourtant, elle est là, et bien là. Oskar et Max ont bien l’intention de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé, et ils y arrivent. Plus que l’enquête, ce qui compte à mes yeux est l’exploration de cette société d’avant la première guerre mondiale, cette société où l’antisémitisme ne gène presque pas, où la thérapie par la parole n’en est qu’à ses premiers mots, où les militaires jouissent d’un très grand prestige.
Si j ‘ai manqué d’élan après la lecture pour écrire mon avis, j’ai enchaîné avec le tome 2.

Madame B de Sandrine Destombes

Présentation de l’éditeur :

Mon avis :

« Allo ? Oui, j’ai un petit souci, j’ai un cadavre dans mon salon. Il est en train de saloper totalement mon canapé neuf ! Je peux compter sur vous, merci ! »

C’est à peu près les phrases que l’on pourrait dire à madame B.
Madame B, c’est Blanche Barjac. Elle a 39 ans, et, en matière d’orientation professionnelle, elle a choisi un métier pour le moins rare : nettoyeuse de scène de crime. Attention ! elle n’est pas aux services de la police, elle travaille pour des particuliers, des gens très bien renseignés, qui ont eux aussi choisi des métiers assez parallèles à ceux que l’on propose d’habitude dans les forums des métiers. Comment a-t-elle eu l’idée d’excercer son métier ? C’est son beau-père qui lui a mis le pied à l’étrier. Mieux : c’est lui qui a pris soin d’elle depuis le suicide de sa mère, suicide causée par la crainte de ne plus pouvoir faire face à la maladie mentale qui gagnait du terrain. Oui, c’est tragique, et je ne peux m’empêcher de penser qu’un beau-père nettoyeur n’est pas forcément une garantie contre cette maladie, apparemment héréditaire. Je dis « apparemment » parce que les zones d’ombre sont déjà là, pour moi : il prend soin d’elle mais la crainte du diagnostique fait qu’elle ne consulte pas.
Et les embêtements commencent. Un maître chanteur est bien décidé à ruiner sa réputation, à la faire douter encore plus de sa santé mentale et, qui sait ? de l’envoyer en prison. Elle a beau puiser dans son carnet d’adresse bien fourni de personnes qui ont un service à lui rendre – c’est bien de tenir ses archives à jour – il n’est pas facile de démêler le vrai du faux, l’aide du coup de pied en douce. Blanche s’aperçoit finalement qu’elle n’en sait pas tant que cela sur ceux qui l’entourent. Ne pas en savoir trop sur les affaires dont elle s’est occupée était un choix de sa part – choix qu’elle regrette presque, au fur et à mesure du déroulement de son enquête.
Oui, ce livre est prenant, parce que nous avons une héroïne terriblement solitaire, qui s’est construit son monde sans jamais le remettre en cause, un monde, finalement, dépeuplé. Il est difficile de vivre en ne se préoccupant pas des autres. Il n’est pas aussi simple de vivre en accordant de l’importance qu’à une seule et unique personne. Regarder en face ce que l’on a fait, ce que l’on a causé, c’est ce que Blanche fera dans ce livre.
Madame B – un roman prenant.

Cézembre noir d’Hugo Buan

édition du Palémon – 350 pages

Présentation de l’éditeur :

Que se trame-t-il à Cézembre, cette île mystérieuse de la côte bretonne ? Petite terre, riche d’Histoire et, interdite aux touristes. Cette question, Berty, tueur à gages intérimaire, vieux rocker parisien, tourmenté et endetté jusqu’au cou, ne se la pose pas. Sa cible il devra l’atteindre coûte que coûte. « Il n’y a pas un chat sur ce foutu rocher en plein hiver ! » lui avait dit Kolo. « C’est du billard ! », lui affirma-t-il. En effet, il n’y avait presque personne sur les dix-huit hectares de l’île. Hormis deux agents de la C.I.A., cinq officiers de la Police Judiciaire, un ancien para de Diên Biên Phu, des séminaristes et une famille d’accueil particulièrement troublante.

Mon avis :

Le commissaire Workan n’a pas de chance, non, vraiment pas. Rien ne va plus pour lui si tant est que quelque chose soit bien allé un jour. Il a eu l’idée formidable d’un séminaire pour… je crois qu’à la fin, il ne savait même plus pourquoi, tant il était dévasté par ce qui se passait. Il a beau trouver la situation anormale, il est le seul, et cela l’agace encore plus.

Jugez plutôt : lui et ses quatre policiers séminaristes se retrouvent à Cézembre, petite île au large de Saint-Malo, qui a été largement et abondamment bombardée pendant la seconde guerre mondiale : les allemands ne voulaient pas se rendre. Et quand je dis « bombardée », je parle de bombes au phosphore et au napalm. J’ajoute qu’en dépit de plusieurs campagnes de déminage, une partie de l’île est interdite d’accès – trop dangereuse, il reste des bombes qui n’attendent que cela, exploser. Autant vous dire que ce n’est pas vraiment un site touristique de référence, malgré la présence d’un restaurant. Aussi, le commissaire fait les comptes : ils sont 14 sur l’île, 14, alors qu’à la même période de l’année, un an plus tôt, et bien il n’y avait personne.

Et ce qui devait arriver arriva, immanquablement : un meurtre est commis. Nous, lecteurs, nous le savions depuis le début, parce qu’un tueur à gages était en route pour Cézembre, à cause de la colle, de Patrick Bruel et de l’amour. Oui, cela fait beaucoup de cause, surtout quand on est davantage un tueur improvisé qu’un réel tueur à gages, que l’on a l’impression de débarquer en pays hostile, dans lequel on risque de vous faire danser la gavotte et boire du lait ribot. Surtout, Berty découvre que la réalité est tout autre, que la « bonne » victime a été tuée, mais pas par lui, et que, avec la tempête, on ne capte rien, même pas au sommet de l’armoire de sa chambre (je propose, pour sa prochaine incarnation, qu’il devienne un vampire).

Bref, nous sommes dans un huis-clos îlien, avec un commissaire divisionnaire parfois joignable (il n’y a pas que les tueurs qui ont des soucis avec leur portable), des personnes qui se demandent bien comment tout cela a pu arriver, des histoires d’amour et de jalousie, des neurones qui fichent le camp et des preuves matérielles à foison, le tout prenant racine, comme très souvent, dans le passé des personnes réunis à Cézembre.

Et le futur ? Il s’annonce compliqué. Le commissaire Workan fait un choix simple, j’ai envie de dire un choix en conformité avec la loi et avec la justice. Je suis déjà convaincue, pour ma part, que la vengeance ne sert à rien. Montrer à quel point ceux qui ont préféré la vengeance à la justice avaient tort ne fera qu’aggraver leur situation.

Annunziata a dix ans

Bonjour à tous

Aujourd’hui, Annunziata fête ses dix ans.

Voici ce que j’écrivais sur mon journal des chats le 24 mars 2010 :

« Maman a laissé un message [j’étais au collège, c’était un mercredi] pour me dire qu’Espéranza était en train d’accoucher ; quand je suis arrivée, le cinquième était en train de naître, elle s’était très bien débrouillée, puisqu’ils avaient tous chaud, ils avaient tous leurs cordons coupés, ils tétaient tous, le petit roux était encore relié par le cordon ombilical à sa maman, mais il a été [tété ? je n’ai pas corrigé] quand même pendant une heure avant que son placenta soit expulsé ; au final, les chatons sont roux, noir, marron (Sherlock, tu n’y serais pas pour quelque chose ?), écaille de tortue, et roux, elle a accouché à même le transporteur, mais elle va bien, et les chatons vont bien »

Les chatons furent nommés (par ordre de couleur) Fidélio, Cacao, Mycroft, Annunziata et Rodéo. Je ne l’ai pas noté, mais déjà Annunziata s’accrochait fermement à sa mère, et repoussait son plus jeune frère, Rodéo.

Bon anniversaire Annunziata !

Etrange printemps aux Glénan de Jean-Luc Bannalec

Présentation de l’éditeur :

Les Glénan, au large du Finistère. Comment croire que dans cet archipel paradisiaque, où la mer est bleu lagon, on découvrirait en ce matin de mai trois cadavres, échoués sur le rivage ? A-t-on affaire à un naufrage dû à la tempête de la veille ? Dur, dur, pour le commissaire Dupin : lui qui déteste le bateau, le voilà sur le pont dès le petit matin, sans avoir pu siroter son premier café de la journée. Tout prête à croire que les victimes se sont simplement noyées. Mais l’une d’elles se révèle être un sombre entrepreneur et acteur non négligeable de la politique locale, et une autre, un navigateur hors pair collectionnant les ennemis. Dupin flaire l’embrouille. L’enquête l’entraînera au plus profond de l’histoire de l’archipel et de ses inénarrables habitants – chercheurs d’or, biologistes militants, belles plongeuses et nombreux intrigants – et révélera au grand jour une réalité aussi complexe que dramatique. Avec le retour du commissaire Dupin égal à lui-même : ronchon, imprévisible, caféinodépendant, mais diablement efficace !

Mon avis :

Je lis la série quasiment à l’envers, puisque ce tome est le tome 2 – j’ai déjà lu les tomes 3, 4 et 5, au gré des disponibilités à la bibliothèque. Le moins que je puisse dire est que ces romans sont faciles et agréables à lire, tout en parlant de sujets graves.

Ce n’est pas que le commissaire Dupin n’aime pas enquêter, c’est plutôt qu’il n’aime pas devoir rendre des comptes au préfet matin, midi et soir du bon déroulement de l’enquête. En effet, trois cadavres ont été retrouvés et l’un d’entre eux était un ami du préfet. Au fur et à mesure de l’enquête, au fur et à mesure des découvertes du commissaire et de son équipe, le préfet deviendra bizarrement nettement moins ami avec cet homme, en une inimitié posthume due aux secrets, aux magouilles, et pire encore si affinités que le commissaire exhume patiemment. Trois cadavres, et trois jours d’enquête qui plonge le lecteur dans le passé de cette archipel, que ce soit un passé relativement récent ou un passé plus éloigné – les trésors que cherchent certains datent des siècles derniers, alors que d’autres veulent à tout prix faire entrer l’archipel dans le domaine du tourisme de masse. Ils trouvent tous leur place, au cœur de cette intrigue qui charrie pas mal d’ordures.

Il n’est pas facile de se rendre aux Glénan – pas facile pour quelqu’un comme le commissaire ou comme moi qui apprécie modérément le bateau (l’option hélico me séduirait bien plus). Pourtant, ceux qui y vivent n’ont pas du tout envie de quitter ce cadre, tous se connaissent, et la majorité d’entre eux n’ont pas envie que ce site exceptionnel soit dégradé pour de bas motifs économiques. Je me plais à espérer qu’il en sera toujours ainsi et que l’intérêt du plus grand nombre sera préféré aux profits d’une pincée d’industriels. Il n’est pas facile de communiquer aux Glénan – il n’est pas de lignes fixes, simplement des portables, qui peuvent ne pas fonctionner en cas de tempête. La fin de l’enquête tourne alors quasiment en huis clos, dans ces îles où tout le monde connaît les habitudes de tout le monde, où les femmes ont l’habitude de faire face, seules, où les accidents sont fréquents, même pour les marins, plongeurs, nageurs les plus expérimentés, où les secrets finissent par être découverts. Justice finit par être rendue, pas forcément de la manière dont on pouvait le penser.