Archive | juin 2022

Crimes et jardins de Pablo de Santis

Présentation de l’éditeur :

Buenos Aires, 1894. Le jeune Sigmundo Salvatrio a repris l’agence Craig après la mort de son mentor. Il affronte ici sa première affaire. La découverte d’un cadavre avec une statuette de Narcisse oriente l’enquête vers un groupe de philosophes des jardins aux agissements pour le moins bizarres.

Mon avis :

J’ai réussi ! A quoi ? A lire deux autres titres pour le mois espagnol et sud-américain. Deux titres différents, certes, mais intéressants, intriguants, deux titres que je ne regrette pas d’avoir découvert.

Nous sommes en Argentine, à la fin du XIXe siècle, période historique rarement traitée dans la littérature (à moins que la littérature qui traite de cette période ne vienne pas jusqu’à nous). Le héros est Sigmundo Salvatrio, un détective en devenir : Craig, son mentor est mort, l’académie qu’il avait fondée a été dissoute, mais il a repris le flambeau et se retrouve à enquêter sur sa première affaire de meurtre. Elle sera très vite suivie par un second meurtre, tout aussi énigmatique.

Roman policier ? Oui. Mais il contient tellement plus qu’une intrigue nous permettant de découvrir le tueur et son mobile. Il est question des jardins, des plantes, de ce que l’on veut faire de ses jardins, de la manière dont on les conçoit. Le jardin comme démonstration de philosophie de vie. L’on peut se perdre dans les jardins, on peut vouloir les laisser à l’abandon, ou bien tout détruire pour tout recommencer.

Salvatrio rencontrera au cours de son enquête des personnalités fortement caractérisés. Ce qui m’a frappé aussi est que les personnages que l’on croise le plus souvent dans ce roman sont tous des hommes, sans attache avec des femmes, ou bien, s’ils ont été mariés, leur femme est décédée depuis longtemps. Seul l’un d’entre eux a une fille, incapable de parler depuis un traumatisme trois ans plus tôt. Les seules femmes que l’on croise sont toutes assignées à résidence, ou presque, qu’elles soient mère, femme ou fille. Ne parlons pas des épouses abandonnées, à la triste vie. Quant à l’épouse qui abandonne, elle est vouée à l’opprobre, quand ce n’est pas à la folie. La femme n’est jamais libre, en fait, même veuve sans enfant : Salvatrio s’inquiète de voir madame Craig recevoir un homme chez elle, il a peur qu’elle entache non sa réputation, mais celle de son mari mort. Les femmes, on peut les voir – mais à peine – on peut les entendre, sans faire attention à ce qu’elles disent, à ce qu’elles écrivent, à ce qu’elles dessinent. Dans ce cas, à quoi bon parler ? Cela ne sert pas à grand chose.

Pablo de Santis est un auteur que je suis heureuse d’avoir découvert.

Ecoute, jolie Márcia – Marcello Quintanilha

Présentation de l’éditeur :

Márcia, infirmière respectée et aguerrie d’un hôpital de la région de Rio, vit dans une favela avec son compagnon Aluisio et sa fille Jaqueline, qu’elle a eue très jeune avec un autre homme. Jaqueline est frivole et grande gueule, et mène la vie dure à sa mère. Au grand désarroi de Márcia, sa fille fréquente les membres d’un gang du quartier et les relations deviennent très tendues entre les deux femmes. Marcia demande alors à Aluisio de surveiller Jaqueline, mais celui-ci risque gros…

Mon avis :

J’ai découvert cette bande dessinée grâce au blog de Béa, aux bouquins garnis  et je crois sincèrement que je ne pourrais pas rédiger une meilleure chronique que la sienne.

Marcia, l’héroïne de ce récit, est infirmière à plein temps. Elle et ses collègues bossent énormément à l’hôpital, ne ménage pas ses forces. Une fois sortie, elle prend soin d’une patiente atteinte de la maladie d’Alzheimer. Surtout, elle n’hésite pas à intervenir en pleine rue, aidant une jeune femme n’ayant pas eu le temps de gagner l’hôpital à mettre au monde son enfant. C’est ça, Marcia.

Sa vie privée est tout aussi tumultueuse. Pas à cause de son compagnon, non : Aluisio est un homme rare, qui prend des risques pour elle et pour Jacqueline, la fille de Marcia. Ce qui caractérise la jeune femme est sa désinvolture, en tout point : elle se moque de tout, des risques qu’elle prend, et des risques qu’elle fait prendre à Marcia et à Aluisio. Les conséquences ? Je vous le dis, elle s’en moque, tout comme elle se moque de l’amour inconditionnel que lui voue sa mère. Nous sommes au Brésil, nous sommes dans les favelas, les guerres entre gangs font rage, l’un supplantant l’autre, après avoir laissé morts et blessés derrière eux.

Et Marcia ? Femme hors-norme, elle ira jusqu’au bout pour ceux qu’elle aime, ceux qu’elle peut aider – et le « jusqu’au bout », ce n’est pas forcément ce que l’on penserait en France. Nous ne sommes pas dans un mélodrame, nous sommes dans un récit brut, de chair et de sang, de passion aussi, et le dessin suit : les personnages sont particulièrement expressifs dans cette oeuvre hors-norme.

A découvrir !

 

Un peu d’écriture …. humoristique

Je n’ai pas eu envie d’écrire un texte, c’est à dire d’inventer une histoire depuis longtemps. Mais pourquoi pas ? Nous revoici donc dans l’univers des loups-garous et des dragonniers. 

Bonjour à tous

Vous vous souvenez de moi ? Non ? Alors, ça, par exemple ! Alexielle ! Je suis l’infirmière du pensionnat des louveteaux. Le directeur du pensionnat a même donné mon nom à l’infirmerie, parce qu’avant d’être en poste, j’y faisais de fréquents séjours. Avant (adverbe que j’utilise souvent), j’étais kiné des dragons de combat. Je pense que je suis toujours apte à exercer, même si notre chef d’escadre m’a bien fait comprendre qu’il préférait que je reste ici, occupant le poste d’agents de liaison entre les chevaliers dragons et les loups garous.

J’ai pourtant dit, répété, insisté : je ne suis pas totalement responsable des catastrophes qui surviennent. J’avais dit que Balthazar n’était pas encore apte à revoler, mais non, son dragonnier a insister, il avait hâte de renouer les liens avec lui. Je lui avais dit qu’il ne maîtrisait plus tout à fait l’art d’atterrir correctement, qu’il maîtrisait également difficilement son feu. Rien à faire : il a tenu à voler, au dessus de la roseraie de notre chef d’escadre. Vous la voyez venir, la catastrophe ? Moi aussi. Dix buissons de roses n’ont pas survécu à une toux intempestive, suivie d’un atterrissage en catastrophe, Balthazar ne parvenant plus à maintenir sa ligne de vol. Je n’ai pas dit « je vous avais prévenu », parce que cela n’aurait fait qu’enflammer davantage le débat entre madame de Saint-George et le chevalier Frumence, le cavalier de Balthazar. Elle l’a contraint à l’aider à nettoyer ses rosiers, pour tenter de sauver ce qui était sauvable, bref, il a dû prendre des cours accélérés de jardinage. Jules Dacier m’envoie des nouvelles fréquemment, il paraît que les progrès du chevalier Frumence dans l’art de faire des boutures de rosier sont spectaculaires. C’est après ce spectaculaire accident qu’il fut décidé de me mettre au vert au pensionnat des louveteaux « pour mon bien ». Il fait dire qu’à dix centimètres près, je me prenais la patte arrière de Balthazar sur la tronche, et je pense que cela ne m’aurait pas fait de bien.

Les oups garous sont sympas et ne m’imputent que les catastrophes dont je suis réellement responsable. Hier, par exemple, en plein bal de fin d’année conçu en toute simplicité (apparemment, des catastrophes sont survenus les années antérieures), les plombs ont sauté, ce qui a contraint les louveteaux à danser dans le noir. Et bien, personne n’a pensé que c’était ma faute. Par contre, je reconnais que pour le pianiste qui les accompagnait (le bal des louveteaux est un classique, c’est à dire ils valsent, ils marzurkent, ils découvrent la polka), jouer dans rien voir n’était pas chose aisée.

Par contre, je reconnais que c’est peut-être un peu de ma faute si le mur de l’infirmerie s’est effondré. J’ai voulu me faire un café très corsé, et boum ! le mur a eu un léger souci technique. Croyez-moi, j’étais la première étonnée, je peine à voir le lien de cause à effet entre les deux. D’ailleurs, tous ceux qui étaient dans la cour, c’était la récréation, ont pu voir mon étonnement non feint. « Ce n’est pas grave, m’a dit monsieur de Nanterry, j’ai vu pire, et peut-être verrai-je encore pire. » Chic : j’ai hâte.

 

Le challenge Polar et Thriller reviendra pour une nouvelle édition

Bonjour à tous

Je ne reviendrai pas sur une année personnelle, familiale et professionnelle compliquée  : cela a souvent pris le pas sur mes activités de blogueuses. J’ai aussi moins fait de bilans et moins lu de romans policiers.

Cependant, le challenge polar et thriller sera reconduit à partir du 12 juillet 2022.

Les principes du challenge ne changent pas : partager nos lectures autour du polar et du thriller et surtout, surtout, se faire plaisir en lisant. Je ne me vois pas reconduire ou animer un challenge qui soit basé sur la souffrance des futurs participants ou la mienne. Je sais que certains aiment sortir de leur zone de confort, pour ma part, je trouve la zone « polar » très confortable. Je veux vraiment que tous les genres, toutes les destinations littéraires soient possibles, sans aucune restriction : des romans, des romans noirs, des recueils de nouvelles, des thrillers, des romans policiers fantastiques, des romans historiques, des mangas, des bandes dessinées, des romans de littérature jeunesse, des essais, des biographies, des mémoires. Le genre policier est vaste, ne nous privons pas d’une de ses catégories ! Ne nous privons pas non plus de découvrir les polars des cinq continents, les auteurs et les autrices de toutes les époques, les précurseurs, les pionniers, ou les tout derniers titres qui viennent de paraître.

Comme l’année précédente, je poursuis l’option film/série.

Alors, partant (e) ?

Bordeaux voit rouge d’Anne-Solen Kerbrat-Personnic

édition du Palémon – 288 pages.

Présentation de l’éditeur :

Lorsqu’un pêcheur harponne une blonde sirène – ou plutôt ce qu’il en reste – Bordeaux s’émeut. D’autant plus que deux autres victimes également mutilées sont retrouvées. Une enquête haletante va mener le commandant Perrot et son fidèle acolyte Lefevre des quartiers populaires à ceux de la haute bourgeoisie bordelaise vers le bassin d’Arcachon.

Mon avis :

Le tout est de ne pas trop en dire… parce que je me sens d’humeur bavarde. Perrit et Lefèvre devront enquêter sur trois affaires de disparition, mutilations et suivis de la mort des victimes. Je le précise parce qu’une victime peut disparaître et être retrouvée en parfaite santé physique, même si, pour la santé psychique, c’est autre chose.

Il n’est pas facile, d’enquêter, il n’est pas facile non plus de tout dire aux proches. Si j’utilise ce terme, plutôt que le terme « famille », c’est parce qu’il est des personnes qui font partie de l’entourage qui sont plus proches, qui se préoccupent plus de l’être qu’ils côtoient tous les jours que leur propre famille. Cela nous questionne aussi, en passant. Pourquoi avoir des enfants ? Parce qu’il faut avoir des enfants, d’un point de vue social ? Et cet enfant, à quoi doit-il ressembler ? Doit-il être un clone des parents (beaucoup semblent en rêver) ? Doit-il être un modèle parfait de ce que l’on attend d’un enfant, puis d’une adolescente et d’une jeune adulte ? Quand j’emploie les mots « modèle parfait », je parle toujours d’un point de vue social, et non d’un point de vue humain : l’enfant parfait devrait être celui qui s’épanouit, qui est heureux, qui parvient à vivre la vie qu’il voulait, et tant pis si ce n’est pas celle dont ses parents rêvaient pour lui – ou pour être bien vu par autrui.

J’ai l’impression, en rédigeant cet avis, d’entretenir un flou volontaire, comme si, finalement, sans l’acharnement des enquêteurs, les coupables auraient pu continuer longtemps ainsi. Je ne peux pas m’empêcher de le penser, de penser aussi que l’intrigue qui nous est raconté est possible – encore et toujours.

 

 

Voici trois ans….

Bonjour à tous

Je ne me souviens pas précisément ce que je faisais voici trois ans jour pour jour. Je me souviens simplement que la France traversait un épisode caniculaire, que le brevet avait été repoussé, et que j’avais organisé un goûter de fin d’année avec une de mes classes de 6e.

Cette année est un peu identique. Les révisions pour les troisièmes commencent demain, et aujourd’hui a eu lieu un goûter (sur une matière qui n’est pas au brevet). Mes troisièmes sont venus m’apporter des gâteaux (quatre en tout), pour que je ne sois pas laisser de côté.

Plus tard, dans l’heure de cours, une collègue m’a fait parvenir un cookie.

Cela peut sembler anodin.

Voici à peu près trois ans, une seule élève de la classe de 6e avait pensé à me réserver un gâteau, un cookie.

Détails anodins, me direz-vous.

Et pourtant, c’est toujours étonnant, le 23 juin 2022, de voir apparaître un cookie dans votre salle de classe.

C’est presque amusant de recevoir un cookie à trois ans d’écart.

Parce que je ne voulais pas penser à ce cookie chocolat au lait/noix de coco d’il y a trois ans.

Parce que je ne voulais pas penser que trois jours plus tard, cette élève nous quittait.

L’inconnue de Nantes d’Hervé Huguen

Présentation de l’éditeur :

Une nuit d’hiver au cœur de la banlieue nantaise Milène Estaguy est retrouvée morte au volant de sa voiture dans une rue déserte. Hypothèse banale du triangle amoureux. Entre un mari célèbre et un amant délaissé, la jeune femme était loin de mener l’existence paisible de la quadragénaire tranquille dont elle s’efforçait pourtant d’adopter l’apparence.
Mais nul n’est à l’abri de la folie. L’affaire s’avère en réalité beaucoup plus complexe. Qui était véritablement Milène Estaguy ?
Le commissaire Baron va découvrir que la victime sombrait dans une névrose obsessionnelle. Que s’est-il passé vingt-cinq ans plus tôt, quand le docteur Liberg dont elle portait le nom est décédé dans des conditions dramatiques ? Qui était la femme dont la dépouille avait été rapatriée d’Afrique des années auparavant ? Milène Estaguy voulait savoir qui elle était.

Mon avis :

Hervé Huguen fait partie de ses auteurs que j’aime lire quand cela ne va pas, un de ces auteurs qui possède des qualités du point de vue de l’écriture et du point de vue de la construction de l’intrigue.

Tout paraissait simple, pourtant, dans ces nouvelles enquêtes du commissaire Nazer Baron. D’un côté, nous avons deux retraités morts dans un accident de la route – la faute à pas de chance, au hasard, à une légère consommation d’alcool. Rien qui ne semble nécessiter une enquête, si ce n’est que l’un des morts était aussi un jeune marié, et qu’il laisse à sa jeune veuve un confortable pactole. Il n’en faut pas plus pour faire jaser, et pour ouvrir une enquête, même si rien d’anormal n’a été décelé de prime abord. De l’autre, nous avons une quadragénaire, directrice d’une entreprise d’événementiel qui marchait assez bien, trouvé assassinée à la sortie de son club de gym. Mariée à un auteur célèbre, elle avait un amant qu’elle devait quitter – ce qu’elle s’est bien gardé de faire. Alors, est-ce le mari ou l’amant qui est responsable ?

Tout est trop simple, et chacun s’applique dans l’affaire Estaguy à ne pas tout dire, à l’exception d’une personne que je nommerai le « témoin involontaire », libraire qui vit en face de l’entreprise de la défunte et qui a vu des choses que l’on ne pensait pas qu’il verrait. Comme il n’a rien ni à perdre, ni à gagner, il peut par conséquent tout dire.

Dire. Tout est là. Si les personnes qui savaient avaient dit, maints événements ne seraient pas survenus. L’on peut vouloir garder un secret pour préserver une personne, je peux éventuellement le concevoir, à condition que ce secret ne dure qu’un temps – sachant que le récit se chargera d’illustrer à quel point maintenir un secret peut être nocif et avoir des conséquences dévastatrices. Je comprends encore que l’on garde pour soi un fait important, que l’autre cherche absolument à savoir. C’est jouer avec la vie des gens en s’accordant – moralement – le beau rôle. Après, il faut faire face aux conséquences : vous l’aurez compris, elles sont à nouveau dévastatrices.

L’inconnue de Nantes – chercher à préserver les autres, c’est avant tout chercher à se préserver soi, et certains sont prêts à tout pour cela.

Donjons et dramas de Theo Kotenka

Présentation de l’éditeur :

Sur la chaîne YouTube Donjons et Dramas, Al, Marcus, Petrus et Mathieu incarnent quatre aventuriers vivant des péripéties dans un univers de fantasy. Et leurs parties de jeu de rôle attirent de plus en plus d’abonnés ! Pourtant, malgré ce succès, des tensions naissent entre les quatre amis, tiraillés entre la pression familiale pour les uns, de nouveaux centres d’intérêt pour les autres… Alors, quand Coralie, une camarade de classe, leur avoue qu’elle est harcelée par un de leurs amis YouTubeurs, le groupe, déjà affaibli, se disloque.

Entre harcèlement, trahisons et secrets, peut-on encore jouer quand tout devient plus sérieux ?

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les éditions Scrineo et Netgalley pour leur confiance.

En lisant ce roman, je ne me suis pas dit que j’étais âgée, plus âgée que les lecteurs visés, non. Je me suis dit que j’avais toujours été en décalage, et que, si j’étais ado aujourd’hui, je serai très éloignée du monde des youtubeurs – peut-être même serai-je la seule adolescente de la classe à ne pas avoir de téléphone portable. Cependant, cela ne m’aurait pas empêché – et cela ne m’empêche toujours pas – de constater à quel point ce roman traite des sujets qui sont cruellement d’actualité. Je citerai en premier le cyberharcèlement. Il paraît que la lutte contre le cyberharcèlement est très efficace de nos jours. Il me paraît, à la lecture de ce livre, qu’elle n’est efficace qu’à la condition que les adultes prennent enfin au sérieux la parole des adolescents, et fassent enfin attention aux signaux faibles émis par les mêmes adolescents. Ce n’est pas, sur ce point, que le roman n’est pas réalisme, c’est qu’il est strictement réaliste.

Je citerai en second l’homophobie et la transphobie. Dit ainsi, cela semble froid, factuel, alors que le roman nous montre à quel point l’homophobie (qui est un délit, il est toujours bon de le rappeler) et la transphobie peuvent être banalisés par certaines personnes, combien il est facile de se défouler, de s’acharner – et pas seulement par écran interposé – sur des personnes qui ne rentrent pas dans les cases que la société hétéronormée a tracées. Rien n’est jamais acquis : voir ses droits, ses choix respectés devrait toujours être parfaitement normal. Ce long travail éducatif semble toujours à refaire.

Je ne suis fan ni de jeux de rôles ni de chaînes Youtube, aussi, j’ai un peu décroché lors de certaines parties du récit. Cela ne m’a pas empêché de trouver certains de ses adolescents particulièrement attachants – je pense à Petrus, notamment.

Je me dis aussi que cette lecture n’est pas à aborder à la légère, notamment si le jeune lecteur/la jeune lectrice a été touchée par le harcèlement. Cela pourrait raviver des douleurs encore présentes. Se remettre du harcèlement peut être très long. Et si je suis si sombre en rédigeant cet avis, c’est peut-être aussi parce que je sors tout juste de ma seconde journée de formation contre le harcèlement.

Les enfants sont rois de Delphine de Vigan

Présentation de l’éditeur :

« La première fois que Mélanie Claux et Clara Roussel se rencontrèrent, Mélanie s’étonna de l’autorité qui émanait d’une femme aussi petite et Clara remarqua les ongles de Mélanie, leur vernis rose à paillettes qui luisait dans l’obscurité. “ On dirait une enfant ”, pensa la première, “elle ressemble à une poupée”, songea la seconde.Même dans les drames les plus terribles, les apparences ont leur mot à dire. »À travers l’histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d’une époque où l’on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s’expose et se vend, jusqu’au bonheur familial.

Mon avis :

Livre choc, livre coup de poing, livre qui devrait remettre les idées en place à certains, mais je serai juste : les personnes qui exhibent leurs enfants sur les réseaux sociaux ne seront pas ceux qui lisent ce livre. Ils n’ont pas le temps, il faut bien qu’ils montrent leur vie plutôt que de la vivre vraiment.

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, la lecture de ce livre prouve que Delphine de Vigan est une grande autrice.

Le sujet de ce livre est tragiquement contemporain : l’addiction aux réseaux sociaux, et la surexposition dont peuvent être victimes les enfants, à leur corps défendant. Oui, il est des parents qui collent leurs enfants devant des écrans pour être tranquilles, parce qu’ils sont fatigués, parce qu’ils veulent, parfois, un peu de répit. ce sont des choses qui peuvent arriver. Il est des parents qui filment leurs enfants. Ce n’est pas très grave, j’ai moi-même vu des vidéos de ma petite-nièce. Oui, mais c’est toute la différence : les vidéos en question sont d’ordre privée, et plus tard, quand elle les reverra, cela lui rappellera de jolis moments de bonheur familial simple. Ici, ce n’est pas le cas. Mélanie Claux, épouse Diore (avec un -e, à son grand désappointement) met en scène ses deux enfants quasi quotidiennement, pour une chaine youtube. Tout au log du récit, sera décrite la typologie des différentes vidéos postées. Edifiant, même pour quelqu’un qui, comme moi, fréquente tout de même régulièrement les réseaux sociaux – pas si régulièrement que cela, finalement.

Ce qui fait la force de ce roman, c’est sa brutalité. Delphine de Vigan nous livre les faits, rien que les faits, et ne juge pas, elle laisse ses lecteurs se faire leur opinion eux-mêmes avec ce qui est raconté, et avec l’après, le devenir de ses enfants dont l’enfance a été livré à des milliers, des millions d’internautes que ce soit pour un instant (les fameuses « story ») ou pour l’éternité : rien ne se perd jamais sur internet.

J’en viendrai presque à oublier le point de départ du roman, l’enlèvement de Kimmy, la fille de Mélanie, la vedette de sa chaine Youtube. J’ai pensé à tous ses enfants qui avaient été enlevés, et jamais retrouvés, ou alors si, mais avec quelles séquelles. J’ai pensé (saut du coq à l’âne) à l’enlèvement de Mélodie, la fille de Kiméra, dans les années 80 (sans doute à cause du jeu des sonorités). L’enquête policière est menée par Clara, qui est l’antithèse de Mélanie. Elle est toute entière dévouée à son travail, elle n’expose pas sa vie sur les réseaux sociaux, qu’elle connaît à peine. Elle tend non pas à l’effacement, mais à l’épure – laisser le moins de trace possible derrière soi. Elle n’est pas mariée, n’a pas d’enfants, et n’est pas carriériste non plus : elle donne le meilleur d’elle-même pour son métier, sans chercher une promotion, elle aime ce qu’elle fait, point. Et quand le roman se prolonge dix ans plus tard, nous ne sommes pas vraiment dans une dystopie, nous sommes presque, déjà, dans ce monde qui nous est décrit, dans lequel le numérique a entraîné de nouvelles pathologies, qu’il faut soigner, et qu’il n’aurait pas été nécessaire de soigner si…. Je me demande si je dois compléter la phrase, parce qu’elle peut se terminer de plusieurs manières. Si les parents avaient joué leur rôle ? S’ils n’avaient eu, comme Mélanie Claux, le désir d’être aimé, non par leurs proches, mais par le plus grand nombre ? L’image qui est donné de soi est très importante pour Mélanie, on le voit avant même qu’elle ouvre sa chaine Youtube. Sa vie, c’était le virtuel, elle qui passait ses journées sur les réseaux, elle qui veillait à toujours dire d’elle ce qui donnait une bonne image d’elle. Elle, elle, toujours elle. Même parler au sujet d’une fin de grosses difficile lui était impossible puisque cela ternissait l’image de bonne mère qu’elle voulait donner. Et si cela vous paraît insensé, allez jeter un coup d’oeil sur les comptes insta dédiées à la maternité ou à l’allaitement. Il est heureusement des femmes qui osent dire ce qu’elles ressentent, ce qu’elles vivent réellement et disent bien qu’il est important de parler, de ne pas s’isoler. Je m’écarte presque du sujet du livre, du sujet d’écrire une chronique sur un livre, pourtant, il offre matière à maints débats, tant le virtuel envahit nos vies peu à peu.

Un livre que l’on referme sans savoir si l’on doit être subjugué par la solidité de la construction de ce récit, ou fortement inquiet par toutes les conséquences à venir pour nous de ce monde dans lequel nous vivons déjà.

Qu’est-il arrivé au vol MH370 ? par Sarah Barthère

Présentation de l’éditeur :

Paloma avait 5 ans quand elle a embrassé son père pour la dernière fois. Elle et ses parents habitaient Kuala-Lumpur. Son père a embarqué le 8 mars 2014 à 00 h 10 à bord du vol MH370 de la Malaysia Airlines, pour Pékin. A 01 h 19, le pilote a communiqué avec la tour de contrôle. Puis l’appareil a fait un brusque demi-tour. Et il s’est évanoui ! Après des années d’enquête, les autorités internationales ont conclu que l’appareil s’était probablement écrasé dans l’Océan Indien, au large de l’Australie. Paloma scrute parfois la mer, comme si un miracle pouvait se produire. En 2022, un mystérieux SMS provenant des États-Unis l’incite à mener sa propre enquête…

Mon avis :

Ce livre, comme il nous l’est précisé à la fin, est basé sur une affaire réelle : la disparition du vol MH370 de la Malaysia Airlines. Aucune trace n’a été trouvé de ce vol, rien, il a disparu des radars et son épave n’a pas été retrouvé, pas même des débris – encore faudrait-il savoir où il a disparu, quelle direction il a prise après avoir disparu des radars, et pourquoi. Paloma est une des victimes collatérales de cette disparition : son père était dans l’avion. Elle avait cinq ans, elle en a treize maintenant, et elle a grandi sans lui. Sa mère, après avoir perdu pied, s’est beaucoup investie dans l’association des familles de victime, association qui n’a jamais cessé de vouloir savoir ce qu’il était advenu de l’avion et de ses passagers. Elle est toujours célibataire et peut compter sur ses parents pour l’aider à élever Paloma, qui va aussi bien qu’une adolescente de 13 ans, finalement : elle est proche de son ami Vik qui, précisons-le, est un ami fiable, solide et constant.

Tout aurait pu en rester là, Paloma aurait continué à vivre avec sa mère, confiante en l’espoir de trouver enfin une information, une piste, si elle n’avait été contacté par quelqu’un, l’incitant ainsi à reprendre l’enquête elle-même, avec l’appui de Vik, qui surfe sur le net bien mieux que sur la mer. Ce qu’elle va découvrir ? Elle découvrira beaucoup de choses sur elle-même, d’abord, sur le fait que son père lui manque bien plus qu’elle ne le pensait, sur sa mère et ses grands-parents également : un adolescent ne mesure pas toujours à quel point les personnes qui l’entourent tiennent à elle, s’en font pour elle. Paloma vit, jour après jour, avec la disparition de son père, avec l’association, et elle ne songe pas forcément qu’il est d’autres familles qui souffrent et s’inquiètent autant que la sienne.

Il est question aussi – un peu – des dangers d’internet, des traces que l’on laisse sans y penser, des renseignements que l’on peut obtenir facilement si l’on s’en donne la peine. Il est toujours utile pour les jeunes lecteurs de s’en rendre compte, surtout que la lecture de ce livre ne présente pas de difficultés particulières.

A découvrir si vous voulez initier un jeune lecteur au roman policier t à la manière dont une autrice peut s’inspirer de faits réels pour écrire un roman.

Merci à Netgalley et aux éditions Rageot pour leur confiance.