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Lagarde enquête, tome 1 : Blues mortel de Josie Hack

Présentation :

Lagarde, commissaire à Clermont – Ferrand et son nouvel adjoint, le jeune et séduisant Sven, se trouvent confrontés à une série de meurtres inexplicables; tous semblent avoir un lien avec le milieu des concerts rock de la région. Une des victimes de ces agressions n’est autre que la fille de sa compagne, qui vient de rompre avec lui, le laissant en proie à ses doutes et à son mal-être.

Enquête à La Roche Blanche, à Gergovie et aux environs de Clermont-Ferrand.

Mon avis :

Je voudrai qu’il soit simplement court, je voudrai dire que j’ai aimé lire ce livre, que j’ai passé un bon moment en sa compagnie, et que je pense lire un jour d’autres enquêtes de ce commissaire et de son adjoint. Seulement, je vais tout de même l’étoffer un peu.

En effet, Lagarde n’est pas forcément un personnage sympathique, plutôt un personnage ordinaire. Son histoire avec Hélène s’est terminée en partie parce qu’il manquait d’autorité – pas avec elle non, avec une autre personne qui les harcelait tous les deux, et je reconnais que c’est tout sauf agréable à vivre. Mais il n’y avait pas que cela qui n’allait pas, et surtout certains sujets, l’on peut dire que leurs goûts personnels n’étaient pas très compatibles. Cependant, il faut reconnaître que Lagarde fait bien son travail, ne s’arrête pas à la découverte d’un premier suspect. Et même s’il a des intuitions, il cherche de quoi les corroborer – et n’hésite pas à se remettre en cause, à hésiter, réexaminer les preuves. Je ne dirai pas que Sven est son opposé, je dirai qu’il est différent – déjà, il ne manque pas d’autorité. Ensuite, il est marié, a trois enfants, et expérimente à quel point sa vie de famille pâtie de son métier.

Ce n’est pas que l’enquête prend son temps, c’est qu’enquêter prend du temps, surtout quand les liens entre les victimes semblent vraiment ténus – le dénouement apportera cependant une explication plausible aux actes du tueur. Attention : quand je dis « explication plausible », je ne dis pas compréhension, encore moins justification. Le lecteur en croisera des personnages, dans cette enquête, des personnages hauts en couleur, sympathiques, ou antipathiques, des personnages qui ont vraiment envie d’aider la police, de dire tout ce qu’ils ont vu, tout ce qu’ils savent, des personnages qui seront au mauvais endroit au mauvais moment.

Certains diront peut-être que ce livre donne une mauvaise image des femmes. Mais être féministe (du moins, de mon point de vue), ce n’est pas se voiler la face sur ce qu’une personne est capable de faire, ou de ne pas faire, que cette personne soit un homme ou une femme.

pm (Fidélio).

Une enquête du commissaire Léon : Le silence des canaux de Nadine Monfils

édition Pocket – 256 pages

Présentation de l’éditeur :

Le commissaire Léon est parti en vacances. Oh pas loin ! Il a loué un bateau, pris son tricot, ses pelotes de laine, ses aiguilles et son chien Babelutte et il navigue au fil de l’eau sur le canal de l’Ourcq. Et voici le premier mort… suivi de bien d’autres. Comme si le criminel s’amusait à suivre le commissaire Léon à la trace et à semer des cadavres sous ses pieds. Et quels cadavres ! Chacun a le visage proprement découpé au bistouri et arraché. Et puis il y a cette petite fille qui vit dans une cabane avec sa grand-mère ; cette péniche abandonnée remplie d’instruments de torture ; la maison du Diable avec ses chats de pierre… On se croirait dans un conte de fées. Mais un conte de fées noir, noir !

Mon avis :

Curieuse coïncidence… Mais faut-il accorder du crédit à ce que disent les fantômes ?

Le plus difficile pour le commissaire ? Partir en vacances sans sa mère ! Il faut dire qu’elle est inquiète : il part en croisière sur un paquebot. Pas tout à fait cependant : il a loué un bateau et navigue sur le canal de l’Ourcq. Mais une maman s’inquiète toujours. Le commissaire Léon, lui, laisse le commissariat et Montmartre entre de bonnes mains, et emmène chien et tricot pour un bon moment de détente. Enfin… presque. Les policiers ne peuvent pas réellement prendre de vacances, c’est bien connu, et il semble qu’un tueur se plait à parsemer le canal de l’Ourcq.

Dans ce roman, j’ai retrouvé des thématiques qui me semblent chères à l’autrice : l’importance de la famille, et de l’amour qui est donné, ou refusé aux enfants, et les conséquences pour eux. J’ai aimé l’atmosphère qui se dégageait de ce roman, qui est loin d’être un roman policier traditionnel. J’ai eu l’impression, parfois, d’être à deux doigts de basculer, comme Alice (ou Violette, dans le tome précédent), de l’autre côté du miroir. Oui, nous sommes dans un conte de fée noir, sanglant, et il faut toute la ténacité du commissaire, le fait aussi, qu’il veuille bien mettre ses vacances entre parenthèses et suivre son intuition, pour empêcher que le pire n’ait lieu. Il reste cependant à définir ce qu’est ce « pire », et se dire que ce qui est déjà survenu est du domaine de l’horreur.

 

Peggy dans les phares de Marie-Eve Lacasse

Présentation de l’éditeur :

Un portrait de Peggy Roche, mannequin, styliste, journaliste de mode, marié à un grand résistant puis à Claude Brasseur avant de devenir la compagne de Françoise Sagan. Respectée et crainte dans le milieu de la mode, elle vivait dans l’ombre de la romancière qui lui imposait une discrétion absolue sur leur relation. La mort de Peggy Roche en 1991 fut pour celle-ci une cassure irréparable.

Mon avis :

Peggy Roche, j’ai entendu parler d’elle, comme beaucoup sans doute, grâce au film Sagan de Diane Kurys et à l’interprétation de Jeanne Balibar. Sinon… rien, strictement rien. Je ne savais même pas qu’elle avait été la première épouse de Claude Brasseur. Je ne parle pas ici de l’importance d’une quelconque information people, mais le fait que Peggy Roche ait côtoyé les milieux artistiques, la vie nocturne bien avant d’être la compagne de l’ombre de Françoise Sagan.
Spontanément, Peggy m’a fait penser aux compagnons de ces créateurs fantasques, qui se chargent de leur rendre la vie facile afin qu’ils puissent créer librement – mais pas forcément sereinement. Qui aurait pu avoir la force de soulager les tourments, physiques, psychiques de Sagan ? Personne. C’est à sa disparition que Peggy, par le vide qu’elle laisse, prend sa juste place auprès de Sagan.
Mais j’anticipe. Françoise et Peggy se sont croisées, se sont frôlées bien des années avant de se rencontrer pour de bon et de commencer une vie commune bien différente de ce qui correspond à notre définition de vie commune. Il est beaucoup question de Sagan, parce que c’est elle qui, me semble-t-il, n’assumait pas cette relation, et donnait le change, autrement, quitte à faire souffrir Peggy. L’une était au coeur de la lumière, et avait déjà tant à cacher, tant à préserver, l’autre, ancienne mannequin cabine, avait un style, de l’élégance. Elle monta une boutique de mode, avec l’appui de Sagan, et c’est quasiment tout. Vivre dans l’ombre, oui, mais avec tant de discrétion qu’il semble presque incroyable que l’on en sache toujours si peu sur Peggy, comme nous le confirme l’auteur en nous racontant ses recherches et ses échecs dans une postface éclairante.
J’ai eu l’impression, en lisant ce livre, que l’on découvrait un peu plus Peggy, sans toutefois prétendre tout savoir sur elle, sur les sentiments qu’elle éprouvait envers Sagan, envers la manière dont elle se retrouvait mise à l’écart tout en prenant soin d’elle et de son fils. Cette discrétion, cette absence d’épanchement sont pour moi dans la droite ligne de ce qu’a montré Peggy Roche au cours de sa vie.

Le don empoisonné de la folie de Lucia Extebarria

Présentation de l’éditeur :

Lucía a eu une jeunesse tumultueuse et a beaucoup essayé, dans tous les domaines. Elle dit avoir dépensé chez les psys de quoi s’acheter une Porsche. Finalement, sa famille et elle-même se convainquent qu’elle est folle. Jusqu’au jour où elle découvre, à 48 ans, qu’elle est zèbre, c’est-à-dire qu’elle fait partie des 0,5 % de personnes dotées d’un QI supérieur à 140. Quand on est zèbre, on est hypersensible – aux situations, aux personnes, mais aussi aux bruits, aux odeurs… –, ce qui est un don, mais aussi une souffrance. Surtout quand on aime.
Ce texte aurait pu s’appeler La Vie sexuelle de Lucía E. Mais « ça n’a jamais ressemblé à un film porno », dit-elle. Il y a dans ce récit quelque chose d’un journal intime à la sincérité sans fard.
C’est l’histoire d’une femme de sa génération dans un monde désenchanté, une femme très libre, à fleur de peau, qui ne ment pas, ni à elle-même ni à son lecteur.

Merci à Netgalley et aux éditions Fayard/Mazarine pour ce partenariat.

Mon avis :

Je n’avais pas lu d’oeuvre de Lucia Etxebarria depuis longtemps et ce livre fut pour moi l’occasion de redécouvrir cette auteur. Il est différent, puisqu’il est écrit directement en français, corrigé ensuite, et non destiné à un public hispanisant – un peu comme si une auteur française connue écrivant en castillan.
Ce texte a été écrit à la suite du procès qui a failli lui faire perdre la garde de sa fille parce que son père était considéré comme « plus stable ».
Chronologie bouleversée ? Lucia raconte trois ans de sa vie, de ses amours. Ils (pluriel qui englobe aussi bien des hommes que des femmes) ne sont pas désignés nommément mais par des périphrases qui indiquent une caractéristique de ces personnages (l’homme à la moto orange, l’homme qui allait sauver la Catalogne). Volonté de préserver leur anonymat ? Désir de montrer qu’aucun d’entre eux ne lui a apporté ce qu’elle désirait vraiment, c’est à dire une relation amoureuse stable ?
Ce récit est assez souvent cru : les mots choisis sont toujours très précis, et parfois dérangeants, un peu comme si une personne vous faisait des confidences intimes alors qu’on n’en demandait pas tant. Ou plutôt, on ne pensait pas que l’auteur irait aussi loin dans les confidences, la narratrice (j’ai peine à dire « Lucia ») ne se fait pas de cadeaux à elle même, et si elle est lucide envers elle-même, elle ne craint pas d’affronter le regard des autres et de se livre âme et corps.
Il est cependant une personne sur laquelle Lucia veille toujours, et loue les qualités, la sensibilité, tout en prévoyant un avenir difficile à cause de cette même sensibilité : sa fille. Lira-t-elle ce témoignage maternelle une fois adulte ? Je n’en sais rien, ce dont je suis sûre en refermant ce livre montre aussi et surtout l’amour d’une mère envers sa fille.

Un homme, s’il vous plaît d’India Desjardins

couv49963833Présentation de l’éditeur :

India, la vingtaine, célibataire, découvre un matin dans la chronique  » In et out  » de son magazine préféré que le célibat n’est plus à la mode. Elle se lance alors à la conquête de l’homme idéal. Et les spécimens qu’elle rencontre ne vont pas lui faciliter la tâche… Yannick : spécialiste du grand huit amoureux. Déclaration enflammée un jour puis rupture le lendemain. J’ai failli y laisser ma peau (façon de parler, évidemment) et ai contracté une certaine paranoïa depuis. Thomas : généreux en amitié et radin en amour. Charmant-en-plus-d’être-original-et-terriblement-beau mais atteint d’une légère amourophobie. Pas décidé à être amoureux de moi, mais pas décidé à me perdre non plus. Guillaume : un fantasme au long cours. À garder si jamais je décidais de devenir un homme et de subir la grande opération. Là, j’aurais peut-être des chances. Ou encore… Daniel : le maître en drague. Le tombeur de tous les tombeurs… et je n’ai pas fait exception. Dans ce road-trip amoureux, India devra surmonter tous les pièges du célibat pour trouver enfin le grand amour.

Merci aux éditions Michel Laffon et au forum Livraddict pour ce partenariat.

Mon avis :

 Jasmine, l’héroïne de ce roman, est une jeune femme d’aujourd’hui. Pour employer une expression communément utilisée, elle se cherche : elle ne sait pas encore quelle orientation donner à sa vie professionnelle, elle se fit à ce qu’elle lit dans les magazines pour peaufiner son style, et surtout, elle a été horrifiée de constater que le célibat était out d’après un de ses magazines préférées. Elle va donc essayer de trouver un homme, et surtout, elle se penche sur sa vie amoureuse.

Ce roman me paraît vraiment être représentatif d’une génération, ceux qui ont entre vingt et trente ans aujourd’hui – et que l’action se passe près de Montréal ne change rien à l’affaire.  Jasmine sent l’obligation qui lui est faite d’être en couple, et c’est ce que lui renvoie non seulement sa famille mais aussi la société. Et si elle est célibataire, gare à elle : c’est forcément qu’elle a un problème ! D’ailleurs, elle se doit d’avoir un corps parfait – pour le jour où elle rencontre l’homme de sa vie. Lire à ce sujet les pages consacrées à ses séances de gymnastique, dans lesquelles elle oscille entre envie de se muscler et son absence d’envie totale de faire des efforts ou de se montrer sous un jour défavorable.

Ses deux meilleures amies ne font pas exception à cette volonté de se conformer à cette norme. L’une s’est mariée tôt, a eu deux enfants, elle a une belle maison, une belle voiture. La seconde vit en couple, ça y est, elle est casée, et même si tout n’est pas parfait, loin de là, elle préfère cette situation plutôt que d’être célibataire. Bien que nous soyons au XXIe siècle, j’ai eu l’impression que ces jeunes femmes se croyaient encore obligées de respecter des paliers dans leur vie, qu’il y avait des âges pour telles choses, et un âge où ce n’était plus possible. Ainsi, Geneviève, la petite sœur de Jasmine, a encore le droit d’avoir un sex friend – parce qu’elle a vingt-deux ans. Sa soeur, qui approche le quart de siècle, doit s’engager. Seule leur mère est presque libre, sans échapper aux clichés : son meilleur ami est gay.

 Bien sûr, la tonalité de ce livre est légère, humoristique. Bien sûr, il reste agréable à lire, les chapitres sont courts, ils paraissent presque conçus comme un journal intime, avec ces titres qui annoncent leur contenu ces récapitulatifs de fin de chapitre dans lesquels l’héroïne fait le point de sa vie amoureuse. Jasmine peut être attachante,comme lorsqu’elle essaie, dans ses chroniques télévisées, de faire passer des messages féministes contre le gré de la productrice. Ou comment les femmes formatent les autres femmes et veulent les cantonner dans le registre de la futilité. Mais Jasmine peut être aussi très agaçante, voire très immature, pour ne pas dire capricieuse, purement et simplement.

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Bain de lune de Yanick Lahens

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Présentation de l’éditeur :

Après trois jours de tempête, un pêcheur découvre, échouée sur la grève, une jeune fille qui semble avoir réchappé à une grande violence. La voix de la naufragée s’élève, qui en appelle à tous les dieux du vaudou et à ses ancêtres, pour tenter de comprendre comment et pourquoi elle s’est retrouvée là. Cette voix expirante viendra scander l’ample roman familial que déploie Yanick Lahens, convoquant les trois générations qui ont précédé la jeune femme afin d’élucider le double mystère de son agression et de son identité.

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Mon avis :

Bain de Lune nous fait pénétrer dans un autre monde que le nôtre. Et pourtant… l’action est contemporaine de ma jeunesse, j’ai eu l’impression que les personnages vivaient dans une époque lointaine. Le poids de l’église, d’abord, ou plutôt des prêtres, qui tentent de lutter contre les religions traditionnelles. Le poids des dirigeants, jamais nommés mais suffisament bien décrit pour qu’on les reconnaisse, là, au loin, qui décident pour tous, qui à détruire et dévaster tout. Le poids des petites puissances locales, qui ont su s’acoquiner avec le pouvoir. La violence, l’insécurité sont omniprésents. Faut-il rester ? Faut-il partir ? Certain(e)s ont fait ce choix, laissant les leurs dans l’incertitude. La plupart sont restés, (sur)vivant de leur mieux, peinant à nourrir et plus encore à soigner leurs enfants.

Puis, il y a ses chapitres en italiques. Ils ne sont pas des retours dans le passé, non, ils nous ancrent dans le présent en nous faisant entendre la voix d’une morte – la voix d’une assassinée, comme on le comprend très vite. D’ailleurs, certains jetteraient bien son corps à la mer, pour ne surtout pas à avoir à savoir, à découvrir qui a tué. Les puissants contre les pauvres, depuis quatre générations ou presque.

C’est avec une langue éminemment poétique que Yannick Laurens nous conte cette histoire. Il faut vraiment se laisser porter par ce texte, même si parfois, ce qui est narré est véritablement dur. Il faut aussi parvenir à se retrouver parmi ces personnages, ces noms, ces prénoms aussi, et l’arbre généalogique placé à la fin du roman n’est vraiment pas superflu.

Bain de Lune, ou une immersion réussie dans la culture haïtienne.

 

La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu

Présentation de l’éditeur :
Quelque part à l’est au début du XXe siècle, Gheorghe Marinescu se fait faire une beauté chez le barbier.
Déboule un homme à longue moustache qui réclame la meilleure lame du commerçant. Gheorghe lie amitié avec le moustachu, découvrant qu’il ne jure que par la bouillie de haricots blancs.
Accessoirement ce bandit de grand chemin, qui amasse des trésors pour les redistribuer aux nécessiteux, révèle sa planque.
Ni une ni deux, l’envieux Marinescu commet l’irréparable. Voilà comment une malédiction s’abat sur Gheorghe et toute sa descendance, jusqu’en l’an deux mille. Et en effet.
Le rythme est trépidant, le ton enlevé, un premier roman tragique et loufoque à la fois.

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Mon avis :

Ceci n’est pas un conte, disait Diderot. Ce roman en est un, mais un conte cruel.

J’aurai aimé que l’on en sache plus, sur ce mystérieux bandit moustachu qui donne son nom à ce roman. Il n’a pu se sauver lui-même quand il tomba aux mains de Gheorghe Marinescu, mais il fut assez puissant, tel Laton dans Les métamorphoses d’Ovide, pour le maudire, lui et sa descendance. Tels sont faits les contes.

Comment venir à bout de la malédiction ? Personne ne songe à apaiser les mannes du bandit, en vouant soi-même sa vie aux pauvres qu’il défendait ou en redistribuant sa fortune. Non, chaque membre de cette famille, si fière de son sang qu’elle ne veut surtout pas contaminer, n’aura de cesse de vivre le mieux possible, de s’enrichir, de préserver ses biens. Il y aura quelques exceptions, mais à l’exception d’Emil, aucun membre, même ceux qui paraissent les plus désintéressés, les plus altruistes sont en fait très égoïstes, et cruels – nous ne sommes plus au moyen-âge, mais certains agissent comme s’ils y vivaient. La religion, telle qu’elle est pratiquée dans ce roman-conte, ne peut rien contre les instincts, la sexualité crue et violente des différents protagonistes.

Apparaît une voix, au dernier tiers de ce roman au rythme enlevé. A qui appartient-elle ? A des descendants de la lignée maudite, guère plus sympathique que ses aïeux. Dans un mariage où l’on aime si peu l’autre, où l’on cherche qu’à détruire ce qu’il est, il ne faut pas s’étonner que la continuité romanesque aille jusqu’au bout de la malédiction.

La malédiction du bandit moustachu est un roman hors-norme, hors du temps, qui tranche avec les préoccupations réalistes de la rentrée littéraire 2014.

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Tes yeux bleus occupent mon esprit de Djilali Bencheikh

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Présentation de l’éditeur :

« Avant d’apprendre la profession de son père, j’étais prêt à me damner, à devenir daltonien. À inventer de l’iris vert dans le bleu de son regard ! J’étais prêt à tout accepter, tout admettre. Tout mais pas un militaire ! Pas un officier ennemi alors que les frères se battent, les mains presque nues, face à une puissance surarmée ! Au maquis ou en prison, ils meurent par dizaines depuis quatre ans, pour reconquérir notre dignité bafouée. »

Algérie, la guerre d’indépendance couve. Salim, un jeune garçon du douar, rentre à l’école et s’éveille aux autres, à ses désirs, ses révoltes et à ce déchirement qui le gagne inexorablement. Tel est le propos de ce roman d’apprentissage qui répond autant à l’exigence d’une mémoire personnelle qu’au souci de célébrer l’amour de vivre dans un pays en proie au fracas de l’histoire.

Merci aux éditions Elyzad et au forum Libfly pour cette découverte.

Mon avis :

« Je ne pense jamais comme ceux de mon clan. Les miens n’ont rien à m’apprendre. Je sais tout d’eux, ils savent tout de moi. Avec les étrangers, quelle que soit leur origine, je m’instruis en permanence, j’ai l’impression d’être en perpétuel voyage ».

Ainsi parle Salim, le narrateur de ce roman, qui nous aura mené du tout début des « événements » à l’indépendance de l’Algérie. Presque huit ans se seront écoulées entre le début et la fin du récit, qui voit Salim passer de l’enfance à l’orée de l’âge adulte.

Choisir un enfant comme narrateur n’est pas chose aisée, mais Djilali Bencheikh sait les éviter. Déjà, il sait faire évoluer le langage de son héros, mais aussi son regard, son analyse sur ce qui l’entoure. Le petit garçon du douar devient un adolescent qui ne veut surtout pas devenir un berger, comme l’obstination de son père l’y condamne, un temps. Pour lui comme pour ses frères, l’émancipation passe par les études, ce qui ne signifie pas trahir les siens, comme le lui serinent certains de ses camarades.

Pas de manichéisme dans ce roman. La bêtise et la violence ne sont pas l’apanage d’un seul camp. La barbarie n’est pas passée sous silence, elle est racontée de la même manière que l’on conte un événement tragique à un enfant : en lui synthétisant les informations, sans s’étendre dans de longs discours. Peu de mots peuvent avoir beaucoup de poids.

Son frère Elgoum prendra la parole à l’avant-dernier chapitre. Il offre un regard plus mûr. De deux ans plus âgé, il n’a pas la naïveté, l’idéalisme de son frère. Il sait, crument, certains faits, certaines trahisons, certains carnages. Il est d’une grande lucidité, et d’une grande tendresse pour son frère.

 Une très belle oeuvre à découvrir.

Aux frontières de la soif de Kettly Mars

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Mon avis :

Haïti, un an après le séisme. Un camp de réfugié, Canaan, dont le nom a des consonances bibliques. Rien n’est réglé, le provisoire dure, le choléra n’est pas seulement un mot, il est une réalité. Entre les ONG et une star de cinéma – à croire que les catastrophes les attirent – il est difficile de dire qui s’investit le plus sans rien arranger du tout.

Pourtant, ce n’est pas tant le traumatisme des survivants, les difficultés de la vie quotidienne dont parle ce roman. Il est plus pragmatique, plus sordide : comment assurer la nourriture pour toute la famille en prostituant une ou deux filles. Elles ont dix, onze, douze ans maximum, après, elles sont trop vieilles. Elles s’appellent Fabiola, Nadège, Louloune. Parfois, elles ont la parole, en de courts chapitres. Plus que la peur, la douleur de leurs corps malmenés, ce sont leurs espérances détruites, leurs émotions saccagés qui sont poignantes.

Et si elles étaient au centre du livre, il serait passionnant. Seulement, elles n’en sont que les personnages secondaires, pour ne pas dire les figurantes. Le vrai héros est Fito, écrivain à succès d’un unique roman. Depuis cinq ans, il est impuissant à produire le moindre texte. Il est impuissant à mener une vie amoureuse et sexuelle normale. En revanche, il assouvit ses pulsions dans le camp de Canaan, sans remords ni regrets.

Il m’est impossible de ressentir la moindre empathie pour lui – et c’est sans doute mieux ainsi. Il abuse d’enfants malmenées par la vie, et s’absout avec une facilité déconcertante. Décrire une réalité sordide est une chose, montrer le plaisir pas du tout coupable du « papy » avec un soupçon de complaisance en être une autre. Les lieux communs du maquereau local (« ils s’en sortiraient comme lui s’en était sorti, p. 95)

J’en aurai presque oublié la gentille Tatsumi, dont le prénom est à peu de chose près l’anagramme de Tsunami. Pourtant, sa venue n’est pas une catastrophe, non. La journaliste japonaise est venue pour enquêter, elle ne connait la réalité d’Haïti et de Canaan que par des rumeurs. Elle va, elle vient, sans rien approfondir, pas même les curieuses relations qu’elle noue avec Fito. J’hésite, pour la définir, entre androgyne et asexuée – exactement comme ses gamines avec lesquelles Fito assouvit ses pulsions. Ne dit-il pas qu’elle a « corps de petite fille », p. 161 ?  Je n’ai pu m’empêcher d’y voir encore la preuve des obsessions malsaines de l’écrivain.

Bref, rien de réjouissant dans ce roman, et le malaise qu’il laisse ne se dissipe pas une fois le livre refermé. Si tel était le but de Kittly Mars, elle est parvenue à ses fins.

J’ai lu ce livre dans le cadre du prix Océans France O .

Le bataillon créole de Raphaël Confiant

Mon avis :

La première guerre mondiale a cent ans cette année. Elle a inspiré les écrivains, qu’ils aient eux-même vécu la guerre (je pense à Erich Maria Remarque ou Henri Barbusse) ou qu’ils aient eu la volonté, en dépit du temps qui passe, de dénoncer ses horreurs (Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot ou Cris de Laurent Gaudé me viennent spontanément à l’esprit).

Des voix s’élèvent dans ce roman, que l’on n’a pas entendu jusque-là : celles des soldats créoles engagés dans ce conflit, et celles de leurs proches, mère, soeur, restées en Martinique, et ne comprenant pas pourquoi ces hommes ont fait le choix de s’engager dans ce conflit. Dès le début, nous savons que certains ne sont pas revenus. J’ai même envie de préciser :  « pas revenus du tout ». Les corps des soldats ne reposeront pas en terre martiniquaise, à de très rares exceptions près, les familles en sont alors réduites à se recueillir au pied de la statue du Soldat Inconnu nègre. Y trouvent-elles du réconfort ? Des réponses à leurs questions ? Rien n’est moins sûr. Questionner les survivants ? Certains ont tellement souffert dans leur chair que leurs mutilations parlent d’elles-mêmes.

Je reviens aux voix, car ce qui m’a vraiment fascinée dans ce roman est ces voix entrelacées, voix des vivantes, voix des morts, restés vivants par leurs lettres, dont les extraits sont insérés dans le roman. Elles matérialisent la distance entre les soldats et leurs familles : écrites dans l’espoir d’être lu, elles ne parviennent pas toujours à destination. Censurées, elles ne peuvent tout dire. D’ailleurs, existent-ils des mots créoles pour transcrire le froid, la neige, les canonnades, pour dire l’horreur des Dardanelles ? Le créole est pourtant là, vibrant, coloré, expressif et expansif, lien indéfectible entre les combattants et leur famille.

Le bataillon créole est un hommage sincère et émouvant à ces hommes et j’espère que ce livre trouvera un large public.

J’ai lu ce livre dans le cadre du prix Océans France O .

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