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Flashpoint de Mainak Dhar

édition Actes Sud – 414 pages.

Présentation de l’éditeur :

Scénario catastrophe d’une guerre située en 2009 mais parfaitement possible dès demain, Flashpoint est basé sur les réalités de la région mise en cause, qu’elles soient diplomatiques, militaires, stratégiques ou religieuses. Depuis longtemps, imagine l’auteur, les Pakistanais ont infiltré au compte goutte des moudjahidin au-delà d’une frontière contestée. Le chef de l’État pakistanais, à la fois stimulé et pris en otage par les intégristes, va lancer les premiers attentats suicide dans les grandes villes d’Inde. L’armée indienne a du mal à s’imposer dans les montagnes mais tente de réagir en lançant des offensives terrestres dans le désert de Thar. Des escarmouches aux vraies batailles rangées, dans un conflit fait de technologies avancées qui se jouent sur écrans radars en mortels ballets aériens, aussi bien que de combats à l’arme blanche dans le silence de la nuit, le tableau tragique est complet. La mèche nucléaire a commencé à brûler.

Mon avis :

C’est le seul roman policier indien sur lequel j’ai réussi à mettre la main (en ayant déjà lu auparavant une bonne demi-douzaine) et si je devais le classer, je le mettrai dans la catégorie « thriller politique ». Le roman a été écrit en 2006, et situe l’action en 2009 – c’est donc aussi un « roman d’anticipation » au moment de sa parution. L’action se passe en Inde et au Pakistan, et l’on se repère avec les différents lieux, les différents personnages de manière aisée, grâce à la construction soignée de ce roman. Au Pakistan, le chef de l’état souhaite frapper un grand coup : il veut déclarer la guerre à l’Inde, et pour cela, il agira de manière détournée. Soutenu par l’Iman, en Arabie Saoudite, soutenu d’un point de vue spirituel, religieux, financier et politique (oui, cela comment à faire beaucoup), stimulé, devrai-je dire plutôt, le chef de l’état pakistanais a permis l’infiltration des moudjahidin par des intégristes qui, à coup d’actions savamment dosées, font naître l’insécurité dans certaines régions de l’Inde, espérant à la fois créer des réactions locales, entraîner une répression violente, voire une entrée en guerre dont le Pakistan ne serait pas du tout responsable aux yeux de la scène internationale. Oui, le regard porté par les grandes puissances est important, il ne faudrait surtout pas qu’elles penchent en faveur de l’Inde – voir la décision qui est prise aux Nations Unies, et la neutralité, politiquement pesée, de pays pourtant puissants.

Ce roman met en scène des personnalités fortes, à commencer par le Patriote, dont on ne connaîtra l’identité que lors du dénouement. Il est un agent indien infiltré au sein de l’armée pakistanaise, ou plutôt de ses décideurs : il prend beaucoup de risques pour transmettre des informations au gouvernement indien, dans le but d’éviter la guerre, et de faire tomber le gouvernement pakistanais actuel, si possible. Il agit en ayant pleinement conscience des risques qu’il prend, de tous ceux qu’il a pris pendant toutes ses années. Nous avons aussi une journaliste, Neha bien déterminée à couvrir les événements avec son cameraman, Rahul : tous les deux n’hésiteront pas à prendre des risques pour effectuer leurs reportages, accompagnant les soldats au plus près. C’est là que Neha rencontre le colonel Vikram Rathore. Il ne s’est pas remis d’un accident en manoeuvre survenu deux ans plus tôt. Oh, physiquement, il va bien, c’est le moral qui ne suit pas : pourtant, il parvient à donner le change face à ses hommes, les dirigeant parfaitement, et sachant parfaitement les risques liés à leur métier. Commander, c’est aussi conduire ses hommes à la mort, donc choisir la stratégie qui permettra de causer le moins de morts, le moins de blessés possibles, bref, tout le contraire de la stratégie pakistanaise, qui se préoccupe peu des vies humaines (mais sans le formuler ainsi à ses soldats). C’est un thème que j’ai retrouvé dans un autre roman lu récemment : la guerre est faite par des militaires, mais les civils sont les premières victimes, ceux qu’il faut protéger, ceux qu’il ne faut surtout pas oublier pendant les affrontements. Penser aux sacrifices déjà effectués par les combattants, par les civils, aide la relève à tenir (phrase qui peut être appliquée à tous les romans parlant de guerre).

Bref, même si ce roman n’est pas tout à fait un policier au sens strict du terme, j’ai trouvé sa lecture vraiment très intéressante.

Dérive des âmes et des continents de Shubhangi Swarup

édition Métailié – 368 pages.

Présentation de l’éditeur :

Mon avis :

C’est tout de même ennuyeux de ne pas comprendre le pourquoi de ce qu’on lit. Oui, je commence par un constat qui n’est pas très réjouissant, j’admets ne pas avoir réellement compris ce que j’ai lu, ne pas avoir compris où l’auteur voulait en venir. Si encore je m’étais attachée aux personnages – même pas. Certes, il y a eu, dans ce livre, quelques pages que j’ai trouvées fort belle, et c’est déjà cela, comme la rencontre entre le fantôme du geôlier et le fantôme du poète qui fut emprisonnée dans sa prison : la mort a annulé les barrières sociales qui se dressaient entre eux, en plus de la barrière physique. Il en est de peine pour la quatrième partie du récit qui, même si elle contient quelques faits inachevés et quelques affirmations qui m’ont fait bondir, laisse la part belle à la nature.
Il est tant d’autres moments qui m’ont ennuyé, et questionné aussi. Je pensais voir se développer autrement l’histoire entre Girija Prasad et Chanda Devi, qui seront toujours, et constamment nommés ainsi, aussi longuement, dans le récit, ce qui a formalisé les liens entre eux, les liens qui auraient pu se tisser entre le lecteur et eux. Je n’ai pas cru à leur histoire, je n’ai pas été ému lors de certains faits qui auraient dû m’émouvoir tant ces histoires humaines me paraissaient lissées – comme une succession d’événements attendus, pour se fondre plus vite dans la nature. Encore que… la culture et les normes de la société reprennent leur droit, notamment quand Girija envoie sa fille en pension, pour qu’elle fasse un bon mariage. La fille de Girija semble n’avoir eu que cette utilité dans le récit, elle perd sa singularité dès qu’elle devient adulte, se contentant d’être la mère de deux enfants. Son propre fils sera d’ailleurs un personnage secondaire, pour ne pas dire d’arrière-plan de la quatrième partie.
Quatre parties, oui, avec des personnages qui créent des liens entre chaque, mais toujours pas d’attachement, ou même de plaisir de lecture pour moi. Triste constat.
Merci à Netgalley et aux éditions Métaillié pour ce partenariat que j’aurai aimé davantage apprécier.

La mer d’innocence de Kishwar Desai

Présentation de l’éditeur :

Goa, ancien paradis hippie, est une nouvelle destination à la mode pour les jeunes du monde entier. Sauf qu’une jeune touriste britannique y est agressée par des Indiens puis portée disparue…
Simran Singh, piquante travailleuse sociale, y passe justement ses vacances avec Durga, sa fille adoptive, quand elle reçoit une vidéo sur son téléphone portable qui va donner une tournure totalement inattendue à son séjour.

Mon avis:

Ceci est le troisième tome des enquêtes de Simran Singh. « Enquête », c’est beaucoup dire, parce que ce que l’on découvre surtout, ce sont les vacances de Simran et comment elles sont perturbées parce que son vieil ami lui demande d’enquêter sur une disparition.
A la fin, tout s’éclaircit dans l’esprit de Simran. Elle a bien de la chance parce qu’elle a été, comme dans le tome précédent, d’une grande naïveté.
Le sujet est pourtant grave : le viol de jeunes filles, de jeunes femmes, à Goa. De ce lieu, je n’en ai pas vu grand chose dans ce roman. De la population native de ce lieu, de sa culture, non plus. Il s’agit quasi uniquement d’un vaste piège pour touriste, où les jeunes filles ressemblent furieusement à des proies, parfois presque consentantes.
Oui, l’auteure dénonce les violences faites aux femmes, la corruption, la toute-puissance des très riches. En même temps, je n’ai ressenti aucune empathie pour la victime, trop immatérielle. On ne peut demander aux lecteurs ce que le propre père de la disparue et sa soeur ne sont pas capable d’éprouver.
Les bonnes intentions ne font pas toujours les romans réussis.

Les origines de l’amour de Kishwar Desai

Présentation de l’éditeur :

Dans ce nouveau roman de l’Indienne Kishwar Desai, ce sont deux univers que nous découvrons. Celui de celles et ceux qui donneraient tout pour fonder une famille et celui de celles qui vont porter leurs enfants. Et, entre les deux, il y a ceux qui tirent profit de ce business… Cette nouvelle enquête de la charmante et tenace travailleuse sociale Simran Singh a pour premier objectif de sauver la petite Amelia, née par mère porteuse dans une clinique de Delhi. Ses parents, d’origine britannique, sont morts dans un accident suspect et la mère porteuse a mystérieusement disparu. Il faudra aller jusqu’à Londres pour tenter de retrouver les proches d’Amelia, mais aussi découvrir comment le bébé a pu naître séropositif…

Mon avis :

J’ai lu ce second tome des aventures de Simran Singh très rapidement. Alors, oui, l’écriture est efficace mais il est tout de même des petites choses qui me dérangent.
Comme dans le premier tome, Simran s’aperçoit qu’il est des faits qu’elle aurait pu découvrir plus tôt si seulement elle avait été plus attentive, ou moins naïve. Non, parce que, franchement, la naïveté de Simran est parfois étonnante, alors qu’à d’autres moments elle devient une empêcheuse de tourner en rond.
Les opinions de Simran ne sont pas nécessairement celles de l’auteur, dit Kishwar Desai dans la post-face. J’espère tout de même que l’auteur est pour l’adoption, et prend ses distances avec ce commerce des embryons. La problématique du roman est là. D’un côté, nous avons des occidentaux, de riches indiens, prêts à tout pour devenir parents parce qu’ils sont stériles, parce qu’ils ont laissé passer le moment de faire un enfant, parce qu’ils sont homosexuels ou même pour des raisons bien plus sujettes à caution. De l’autre, nous avons des femmes indiennes pauvres, qui vendent leur corps, avec l’approbation de leur mari, de leur famille parfois, qui deviennent mères porteuses. Du coup, leur condition de vie s’améliore (si, si) : le temps de leur grossesse, elles sont bien soignées, bien nourries, elles reçoivent même des soins esthétiques. Il ne faut pas que la mère porteuse d’un joli bébé blanc aux yeux bleus ait une peau trop foncée. Ou comment se donner bonne conscience.
Si déjà cette situation vous choque, sachez que, dans la clinique tenue par les amies de Simran, clinique où elle apporte son grain de sel pour que les mères porteuses soient un minimum respectée et ne s’attachent pas à leur enfant (et oui, ce sont tout de même les leurs), nous sommes plutôt face à des exceptions. Ailleurs (voir les reportages récents à la télévision), les femmes sont parquées telles des vaches dans une étable, sans espoir de voir le pré un jour, elles doivent subir une césarienne, le plus souvent à la demande des parents de l’enfant – il faut bien programmer les vacances pour venir chercher le bébé – et enchaînent les grossesses jusqu’à épuisement.
L’action a beau se passer en Inde, certains combats pourraient se passer en France – même si les mères porteuses n’y sont pas officiellement autorisées. Vous noterez que je ne parle presque pas de l’intrigue policière parce qu’elle passe quasiment au second plan. Elle montre cependant à quel point les occidentaux sont prêts à tout pour avoir l’enfant de leur rêve, pour s’assurer une descendance. Ou comment, aussi, on appelle altruisme ce qui n’est que de la légèreté et de l’égoïsme. A ce sujet, le dénouement du roman est presque trop beau, trop moral pour être crédible – encore une de ses petites choses qui m’a dérangé.

Témoin de la nuit de Kishwar Desai

Présentation de l’éditeur :

Violence au cœur de l’Inde. Une jeune fille de bonne famille est retrouvée, violée et battue, entourée de treize cadavres, dans une immense maison incendiée. La police locale la soupçonne d’être la responsable de cette tragédie. Simran Singh, une travailleuse sociale peu conventionnelle, décide alors d’intervenir. Pour comprendre l’histoire familiale de Durga, Simran dévoile peu à peu un monde épouvantable dans lequel chaque petite fille qui naît n’est jamais sûre de vivre bien longtemps…

Mon avis : 

J’ai choisi ce livre parce que je cherchais à lire un roman policier indien, après avoir aimé, voici quelques années, les romans de Kalpana Swaminathan.
Tout d’abord, je voudrai dire, de façon presque docte, que j’ai apprécié cette lecture et que j’ai réservé à la bibli le tome 3 (ils n’ont pas le 2) même si la réalité décrite dans ce roman est atroce – il s’agit ni plus ni moins d’infanticide et de féminicide.
Commençons par l’héroïne Simran Singh, une jeune femme extrêmement chanceuse. Elle a 45 ans, elle est célibataire, sans enfant (pas d’enfant hors mariage), et ses parents n’ont pas été déçus d’avoir une fille, même si sa mère aimerait bien que sa fille unique mène une vie un peu plus conventionnelle. Simran n’est pas obligée de travailler, elle est donc travailleuse sociale bénévole et en a déjà vu des vertes et des pas mures. Oui, le langage que j’emploie est un peu cru, Simran mène une vie peu conventionnelle et assez alcoolisée. Elle pourrait presque me faire penser à l’instit (pour ceux qui ont connu cette série) parce qu’elle résout les conflits sans rencontrer trop de soucis personnels, alors que d’autres ont énormément souffert.
Oui, Simran est née dans une famille aimante, ce qui n’est le cas ni de Durga, ni de sa soeur Sharda, disparue depuis cinq ans. Je ne vous résumerai pas ce qu’elles ont subi, il faut le lire pour le croire, même si c’est un roman – fortement inspiré de faits bien réels en Inde.
L’immense solitude de Durga serait un moindre mal si elle n’avait dû supporter la cruauté et la maltraitance ordinaires de ceux qui l’entouraient. Les extraits de son journal, publiés en tête de chapitre, montrent à quel point elle était une proie facile. Oui, mais pour qui ? L’enquête m’a laissé un petit goût d’inachevé, comme si, face à la corruption généralisée, il était impossible de véritablement élucider ce crime et que pouvoir « sauver » Durga (et d’autres encore) était nettement suffisant.

Souvenirs d’enfance de Rabindranaht Tagore

Présentation de l’éditeur :

Ce petit livre des Souvenirs d’enfance est l’une des dernières œuvres importantes de Rabindranath Tagore.Il a été écrit pendant l’été de 1940 dans la petite bourgade de Kalimpong, près de Darjeeling.

Mon avis :

L’auteur nous raconte ici, au soir de sa vie, ses souvenirs d’enfance, entre un frère aîné et son cadet – ceux, sans doute, dont il était le plus proche. Ce qui m’a frappé en premier, c’est son attachement au bengali, tout comme les autres membres de sa famille, dans un pays sous domination anglaise, qui était en train de s’occidentaliser.

Il parle de ses études, ou plutôt de son caractère rétif aux études, préférant lire ou faire de la musique. Il se souvient de la nourriture frugale, des jeux simples, et de sa santé de fer. Il n’est pas question de détails pittoresques, plutôt une volonté de se rappeler des moments heureux, ou moins heureux, comme lorsqu’il parle de sa belle-soeur et de sa mort.

Il nous fait partager aussi l’effervescence de la création littéraire en Inde à cette époque, où journaux et poésie étaient particulièrement vivaces.  Bien sur, ce livre n’est pas aussi exhaustif qu’une biographie, il a cependant le mérite de nous plonger dans l’Inde du début de la fin du XIXe siècle, plus connu vu par un regard occidental que par un regard indien.

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La confrérie de la conque, tome 2 : le miroir du feu et des rêves.

Présentation de l’éditeur :

Dans la Vallée d’Argent, Anand et Nisha perfectionnent leurs dons magiques au sein de la Confrérie des guérisseurs. Mais bientôt une vision avertit Anand : le mal est en marche ! Pour venir en aide à des villageois qu’un très puissant djinn vide de leurs âmes, ils vont se trouver projetés loin dans le passé de l’Inde, à l’époque du nawab Haider Ali.

Mon avis :

Le deuxième volet des aventures de la confrérie de la conque nous emmène cette fois-ci dans le passé, jouant avec le cadre spatio-temporel. Ce sont bien les mêmes personnages, mais dans d’autres lieus, à la fois dans le présent, puis dans le passé. Je vous rassure : les changements temporels restent faciles à suivre.

En revanche, il n’est pas facile pour Anand se s’adapter aux moeurs du temps, même si des éléments merveilleux maléfiques sont bien présents, histoire de lui rappeler qu’il ne voyage pas dans le passé pour son plaisir personnel. Anand est quasiment seul puisque non seulement lui et ses compagnons ont changé d’identité mais certains ont aussi perdu la mémoire, quand ce n’est pas leur don. Ce n’est guère pratique, même si Anand découvre un autre objet de pouvoir et parvient à nouveau à presque bien communiquer avec lui. « Presque », parce qu’Anand est un personnage qui évolue, qui grandit. Les personnages de cette saga ne sont pas manichéens. L’erreur est humaine, les sentiments, les impulsions aussi. Certains savent très bien reconnaître leurs erreurs et tenter de les réparer. Il faut parfois plus de courage pour le faire que pour livrer un combat, aussi il est bon qu’un livre jeunesse montre que les conflits peuvent aussi se régler par des mots.

Je terminerai cependant par un regret : certains personnages du passé sont véritablement attachants, et il est dommage de ne plus les revoir.

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Charulata de Rabindranath Tagore

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Présentation de l’éditeur :

Bhupati consacre sa vie au journal anglophone qu’il a fondé. Il en délaisse sa femme, la belle et jeune Chârulatâ, et confie à son cousin Amal, étudiant qu’il héberge, le soin de la distraire… A sa parution, au tout début du XXe siècle, Chârulatâ scandalise la bonne société bengalie

Mon avis :

Ce roman a été écrit en 1901. Inédit en français, il a été traduit en français par les éditions Zulma en 2009. Court (une centaine de pages), il nous en apprend pourtant beaucoup sur la bonne société indienne au temps de l’empire britannique.
C’est vrai : nous avons tous le souvenir littéraire de ses officiers anglais revenant au Royaume-Uni après avoir séjourné en Inde. Je pense aux romans de Sir Arthur Conan Doyle (le colonel Moran…) ou à ceux d’Agatha Christie. Mais qu’en était-il chez les indiens qui s’étaient intégrés à cette bonne société ? Nous avons ici Bhupati et Charulata, son épouse, Charu pour presque tous. Lui dirige un journal publié en anglais. Elle dirige sa maison, attend le retour de son mari. Union arrangée ? Bien sûr, comme toutes celles de cette période. Cependant, Bhupati a tenu cet union pour acquise, et n’a jamais vraiment cherché à avoir une communion, pour ne pas dire une communication avec sa femme. Et pourtant, ils ont été mariés pendant douze ans, et lui s’impliquait énormément dans son travail.
Il n’est pas un monstre d’égoïsme, pourtant. Juste quelqu’un qui a tout pris pour acquis et ne s’est jamais posé de question – ou alors, trop tard. Pour pallier la solitude de son épouse (ils n’ont pas d’enfants), il invite à vivre chez lui son neveu, étudiant. Et Bhupati est vraiment le seul à ne pas voir non la liaison de sa femme et de son jeune neveu, rien de tel ici, mais la profondeur des sentiments que Charu éprouve pour lui.
Nous ne sommes pas, à mes yeux, dans un vaudeville. Nous sommes dans une tragédie intime. Les sentiments sont impossibles à dire, encore plus à partager et à vivre. Chacun souffre, sans remède pour cette douleur. Ni le rapprochement, ni l’éloignement ne peuvent soulager les trois membres de ce trio amoureux. L’écriture, qui avait permis à Amal et Charu de se rapprocher, de s’opposer, inconsciemment peut-être, à Bhupati (lui publie un journal anglais, eux deux écrivent en bengali), est un nouvel instrument de séparation, prouvant l’impossibilité de dire, renvoyant aussi Bhupati à sa médiocrité.
Ce roman est à lire pour découvrir une autre facette de la littérature indienne. Son auteur a eu le prix Nobel de littérature en 1913.

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La confrérie de la conque, tome 1

Présentation de l’éditeur :

La rencontre d’Anand avec un vieil homme inconnu va décider de sa vie. Pour lui et pour un coquillage merveilleux – la conque – il quittera, par une nuit d’orage, sa cabane des bidonvilles de Calcutta pour courir après des rêves d’aventures et de magie, qui le mèneront dans une vallée de l’Himalaya, auprès de la Confrérie des guérisseurs. Mais le chemin est long jusqu’à la Vallée d’Argent. En compagnie de Nisha, une petite balayeuse têtue, Anand devra échapper aux sortilèges de Surabhanu et affronter ses propres démons intérieurs.

Mon avis :

Ce roman est le premier tome d’une trilogie (pratique quand votre bibliothèque ne possède que les deux premiers tomes). Il emprunte à la fois à la littérature contemporaine et à la fantasy. Littérature contemporaine, parce qu’il nous montre la vie quotidienne à Calcutta pour un adolescent pauvre. fantasy, parce que les épreuves qu’il va devoir surmonter pour protéger la conque et gagner le lieu de retraite de la Confrérie nous emmène réellement dans un autre univers.

Anand est très pauvre. Il a même dû renoncer à aller à l’école pour faire vivre sa mère et sa petite soeur, gravement malade (traumatisée, dirions-nous en occident) depuis qu’elle a été témoin d’un meurtre. Le travail acharné et les humiliations sont son quotidien, jusqu’à ce qu’il rencontre un vieux sage qui, comme dans toute quête, lui propose une mission. Contrairement à un ouvrage de fantasy « ordinaire », nous voyons le héros se questionner – beaucoup – lutter contre les tentations, contre sa nature profonde aussi. Les aventures sont bien là, pourtant, mais la manière de les surmonter est autant spirituelle que physique.

Bien sûr, le héros n’est pas seul. Il est accompagné par un vieux sage, qui devra le mener vers son propre chemin de connaissance, et par une jeune gamine des rues, une orpheline que personne ne voit, donc dont personne ne se soucie. Il n’est pas facile d’être une fille dans cet univers essentiellement masculin. Il est donc bon qu’il y en est une, à la personnalité complexe qui plus est.

Le porteur de conque est un roman de littérature jeunesse indienne à découvrir, surtout que l’auteur est plus connue pour ses livres de littérature contemporaine.

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Pour quelques millards et une roupie de Vikas Swarup

Merci à Babelio et aux éditions Belfond pour ce partenariat.

Présentation de l’éditeur :

Vendeuse d’électroménager pour entretenir sa famille, harcelée chaque jour par sa sœur, starlette en devenir, son propriétaire pressé et son patron incompétent, Sapna Sinha voit s’éloigner toujours un peu plus ses rêves d’avenir. Mais voilà qu’un jour, le plus grand patron d’Inde lui offre sa fortune et son entreprise, à condition qu’elle passe sept mystérieuses épreuves. S’agit-il d’un jeu cruel ou se pourrait-il que ses prières soient enfin exaucées ? Embarquée malgré elle dans d’incroyables aventures auprès de stars désespérées, de jeunes fiancées suicidaires et d’enfants exploités, Sapna devra prouver sa vaillance, son empathie et son honnêteté afin de construire un avenir meilleur pour elle et sa famille.

Mon avis :

Ce roman aurait aussi bien pu s’intituler : ceci n’est pas un conte. Et pourtant, c’est bien un conte de fée que semble vivre Sapna Sinha, avec tous les composants du conte. Ce n’est pas un roi qui lui impose ces épreuves, mais un milliardaire. Elle en subira sept, chiffre symbolique s’il en est. Elle n’agit pas seulement pour elle, mais pour les siens, sa mère, malade, sa soeur, ambitieuse. Elle aura même des adjuvants, dont une journaliste d’investigation très déterminée, et des opposants très nombreux. Le style est lui-même simplement exquis, d’une grande douceur, et la lecture se fait presque toute seule, tant le texte est fluide.

Pour mieux dissimuler le vrai sujet du livre.

Vikas Swarup nous dresse un portrait de l’Inde d’aujourd’hui, et il n’est pas très réjouissant. La corruption règne en maître, à tous les niveaux de la société. Se faire soigner décemment nécessite beaucoup de patience – et parfois, beaucoup d’argent. La police ? Il vaut mieux ne pas avoir affaire à elle, comme si, pour elle, enquêter était une perte de temps. Les politiciens ? Leur poste leur sert à augmenter leur pactole, en protégeant, ou en étant à la tête de trafic de toutes sortes, les pires qui soient, bien entendu. ? Ne songez même pas à vous divertir. Les actrices sont prétentieuses et imbuvables. Comme en France, les émissions de télé-crochet fleurissent, et les jeunes talents y tentent leur cachent quand ils n’y laissent pas des plumes, en plus de leurs illusions.

Bien sûr, la société indienne a évolué – en ville. Dans les campagnes les plus reculés, règnent en maître les traditions. Qui ira voir ce qui se passe, qui s’opposera à ces violences ? La route à suivre est encore longue, et pour une Sapna qui agit, pour une journaliste qui enquête, les tragédies individuelles restent souvent ignorées.  Même en ville, la violence n’est jamais loin – les coupables non plus.  Il faut à l’héroïne beaucoup de force, de courage et de détermination pour surmonter les épreuves que lui impose non son mentor improvisé, mais la vie quotidienne en Inde.

Un beau roman à découvrir.