Archive | février 2015

Tape-Cul de Joe R. Lansdale

Mon résumé :

Hap Collins ne va pas bien, mais alors pas bien du tout. Il squatte lamentablement chez son ami Leonard, se laisse aller, laisse traîner ses affaires sales un peu partout. Il est grand temps de se ressaisir, sauf à vouloir être expulsé à grands coups de pied quelque part ! Il est amoureux d’une charmante jeune femme, Brett, et c’est d’elle que viendra le salut. En effet, Tillie, sa fille, exerce le plus vieux métier du monde et court le risque de ne plus l’exercer longtemps…

Mon avis :

J’ai une tendresse particulière pour ces deux héros totalement déjantés – même si Hap a un gros coup de mou. Il ne durera pas, il n’a déjà que trop duré avant que le roman ne commence. Et Léonard est là pour lui administrer, si nécessaire, pour lui rappeler qu’il vit chez lui, et qu’il est prié de mettre un peu d’ordres dans tout le bordel qu’il a foutu un peu partout dans la maison.

Heureusement, il y a Brett, aussi, la presque femme de la vie de Hap. Il est méfiant, notre ami : il faut dire que Brett a eu une manière très personnelle de régler son problème de violence conjugale. Aujourd’hui, elle a besoin de lui, afin de retrouver sa fille Tillie.

Si vous vous attendez à une gentille quête bien traditionnelle, avec des obstacles, des opposants, des… Avez-vous déjà lu des romans de Joe R. Lansdale ? Sinon, vous sauriez que tous les chemins pris sont de traverses, que les adversaires sont hautement improbables, que le politiquement correct a foutu le camp depuis trèèèèèès longtemps. La rédemption, le rachat ? Il a lieu en espèce sonnante et trébuchante. Gare à ceux qui joueraient sur plusieurs tableaux, les bénéfices sont rarement à compter en argent, plutôt en plomb. Hap et Léonard, eux, ont une ligne de conduite très simple. Pour Hap, aider Brett, pour Léonard, aider Hap – même s’il ne se fait aucune illusion sur la fille de Brett.

Du Texas au Mexique en passant par l’Oklahoma, nos deux héros vivront des aventures extraordinairement inoubliables, qui laisseront des traces et poseront bien des problèmes moraux à Hap. Non, de telles aventures ne laissent pas intacts, sauf dans les mauvais romans.  Elles permettent aussi des rencontres inouies – ce n’est pas le « fils » adoptif de Léonard qui dira le contraire.

Encore un excellent opus signé Joe R. Lansdale.

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Le week-end d’un scénariste

c3a9critoire-vanishingintoclouds3Les mots à placer sont Question, inattendu, merci, gâteau, méditer, souplesse, culot, surprise, hasard, décision, inspiration, trouver, hypocrite, goéland, bataille, réflexion, objectif, tourbillonner, turban, tison

Après Retour de vacances – humeur d’un scénariste, retrouvons ce personnage, les trois autres co-scénaristes et son frère médecin-légiste.

Nous nous étions congratulés tous les quatre, l’inspiration nous avait visités et notre objectif avait été atteint. Non seulement nous avions trouvé une solution héroïque ouvrant de vastes horizons à notre héros, lui permettant de livrer de nouvelles batailles (l’envoyer en mission humanitaire parce qu’il avait été touché par la grâce, il fallait oser, et nous avions eu le culot nécessaire pour le faire), mais nous avions écrit l’épisode qui racontait l’arrivée inattendue de sa remplaçante. Comme le hasard et les intérêts de la chaîne faisaient bien les choses, le tournage de la nouvelle saison démarra une semaine plus tard.
J’avais bien mérité ce week-end en Bretagne avec mon frère. Tout allait bien, Franck avait joué du saxophone pendant que je préparais le repas, puis nous avions déjeuné en regardant les mouettes tourbillonner dans le ciel (« Ce sont des goélands, insistait Franck) quand le téléphone sonna.
– D’habitude, ce genre de surprise, c’est pour moi ! commenta-t-il.
Au bout du fil, le réalisateur, qui, à la réflexion, me semblait au bord de la crise de nerf.
– Barbara veut tout connaître de son personnage, de sa conception à maintenant.
J’eus un réflexe bête, puis je compris : cette charmante actrice, adepte de je ne sais quelle méthode voulait que j’invente une vie entière pour son personnage.
– Elle a médité longuement, avant de nous dire qu’elle n’arrivait pas à entrer dans la peau de son personnage. Elle a donc rédigé une liste de questions, je vous les envoie.
Je promis de répondre pour lundi.
– Pour ce soir, ce serait possible ? Vous savez, les actrices sont des êtres sensibles – et le tournage est un peu beaucoup paralysé, je suis contraint de tourner toutes les scènes où elle ne joue pas. Merci beaucoup !
J’eus à peine raccroché le téléphone que Franck s’exclamait : « c’est charmant ! Heureusement qu’ils ont embauché un scénariste qui a ta « souplesse ». Heureusement que tu n’es pas resté acteur.
– J’étais extrêmement mauvais.
– Pas du tout, dans Les tisons de novembre, tu étais très bien.
– Je jouais un cadavre !
– Ce n’est pas si facile. Beaucoup veulent y parvenir, toi, tu y es arrivé.
– Et comment cela se passe, à l’institut ?
Grand silence. Mon frère et ses collègues avaient été pris en otage six mois plus tôt.
– Pas bien, reprit Franck. Christian a pris un congé prolongé, nous respectons sa décision. Ce serait hypocrite de croire… qu’on peut se remettre ainsi. Il lit tout un tas de bouquins, sur la résilience, le pardon. Bérénice a été titularisée, elle a une belle cicatrice là (Franck montra son cou), et ne met pas d’écharpe, de foulard ou de turban pour la cacher. Pascal s’est écroulé hier. « Asthénie », d’après son médecin. Il en a tant fait depuis six mois que ce n’est pas étonnant.
– Et toi, tu dors toujours dans ton bureau ?
– Et toi, tu écris toujours des romans à l’eau de rose pour contrebalancer ses horreurs.
– Bien sûr.
– Bien sûr aussi. Ce n’est pas tout ça, mais les caprices de cette actrice ne nous empêcheront pas de profiter de cette magnifique tarte tatin.

La fille sans nom d’Angelika Klussendorf

Présentation de l’éditeur :

C’est l’histoire d’une fille livrée à la fureur destructrice d’une mère infantile et sadique. La fille se défend comme elle peut contre cette femme instable, mais aussi contre le monde extérieur : les adultes qui la jugent, ses camarades de classe qui l’évitent. Elle tourmente son petit frère, vole dans les magasins, partout elle se distingue par son comportement asocial. Jamais elle ne demande d’aide. A qui, d’ailleurs, pourrait-elle s’adresser ? Elle est seule et doit se construire seule. C’est la trajectoire bouleversante d’une fille mal aimée qui, malgré tout, possède une force et un appétit de vivre qui lui permettent d’avancer.

Merci à Babelio et aux éditions Presses de la Cité.

Mon avis :

Avant de rédiger mon avis proprement dit, je sens poindre un léger énervement. Non pas contre ceux qui n’aimeraient pas cet avis – ce qui est leur droit le plus absolu – mais contre ceux qui m’expliqueraient que le comportement de la mère de la « fille sans nom » n’est pas si atroce que cela. Si, si, je vous assure, ce genre de personnes existent, elles sont capables de trouver des signes d’amour dans les coups et les injures, de justifier les comportements les plus destructeurs en disant que l’enfant sent bien l’amour qu’il y a derrière tous ces gestes (explications entendues à la radio il y a quinze jours environ). Si vous pensez ainsi, merci de passer votre chemin.

Ce n’est pas tant que j’ai beaucoup de mal à rédiger cet avis (en retard, selon de bonnes habitudes), c’est que j’ai eu du mal à rentrer dans ce livre. Pourquoi la « fille sans nom » n’est-elle jamais nommée, autrement que par des surnoms péjoratifs et dévastateurs – autrement dit, des insultes ? Parce qu’elle est le symbole de toutes les enfants maltraitées ? Parce que personne, pas même elle, n’est capable de lui accorder une identité ? Parce que ne peut vivre que ce qui a été nommé ? Autant de pistes à explorer, mais surtout une mise à distance qui augmente le sentiment de malaise.

Cette petite n’a ni repos, ni répit, à aucun moment. Et si j’emploie le mot « petite », c’est parce que j’ai pensé à un autre roman, où l’héroïne non plus n’est pas nommé : Muette d’Eric Pessan, dans lequel l’auteur donne la parole à cette adolescente mal-aimée, maltraitée moralement par ses parents. La fille sans nom n’a pas la parole, elle n’a pas les mots pour le dire, d’ailleurs il n’y a aucun dialogue dans ce livre, c’est à dire aucun véritable échange. Juste des insultes, des ordres.

Serait-ce une tragédie ? Après tout, le lecteur sait très bien, en tournant les pages qu’il n’y aura pas de fin heureuse, qu’il n’y aura même pas d’amélioration, mais une succession d’humiliation. La fille sans nom rend les coups, aussi. Les paroles, les actes, blessent, et la naissance d’Elvis, le petit frère désiré (par la mère) au prénom si déroutant en RDA (les communistes n’avaient-ils pas accusé Elvis et le rock d’avoir perverti la jeunesse occidentale) n’est même pas un moment de bonheur, juste un contraste entre lui et sa soeur aînée, qui va le chercher régulièrement à la crèche : en RDA, les femmes n’avaient aucun problème pour faire garder leurs enfants, et les aînés sont là pour s’occuper des plus jeunes. Non, cette dernière phrase n’est pas exclusivement est-allemande, ni datée « années 80 ». C’est un discours que j’entends encore, y compris venant de futures mamans, qui comptent bien sur leurs aînées pour leur suppléer.

Mais que se passait-il, en RDA, pour ses enfants dont les parents étaient inaptes à s’occuper ? La même chose que pour les enfants dit « difficiles » : ils ont placés dans des foyers. La « fille sans nom » partagera le sort de près d’un demi-million de jeunes allemands de l’Est dans ses années-là : la violence quotidienne, l’orientation précoce, l’accent mis sur les travaux manuels. Angelika Klüssendorf s’est très bien documentée pour écrire ce premier roman, cependant elle a mis tellement de distance dans son écriture que je n’ai que trop rarement ressenti de l’empathie pour son personnage principal. Peut-être était-ce le but recherché. Peut-être pas. Je garde cependant l’impression d’avoir raté ma rencontre avec cette héroïne.

 

 

Le quinconce, tome 1 de Charles Palliser

Présentation de l’éditeur :

Nous sommes dans l’Angleterre du début du XXe siècle – celle des romans de Dickens – et nous découvrons avec le petit John Huffam, élevé dans un village perdu, la cruauté qui fonde les castes sociales et celle qui déchire les êtres. A l’occasion d’une rencontre avec une gamine de son âge, Henrietta, fille des chârelains de l’endroit, il croit comprendre que sa mère et lui, pauvres parmi les pauvres mais attachés au maintien d’une improbable dignité, sont mystérieusement apparentés aux propriétaires du vaste domaine voisin: Hougham, lieu de sinistre réputation s’il en est. Mais il s’agit là d’un secret qu’il vaut mieux ne pas trop creuser si l’on tient à avoir la paix- car « l’ennemi » dans la terreur duquel vit sa mère pourrait bien être plus réel qu’il n’y paraît…

Merci à Babelio et aux éditions Libretto pour ce partenariat.

Mon avis :

 L’action se passe dans un petit village anglais, quasiment coupé du monde. Rien d’étonnant : nous sommes au début du XIXe siècle, la révolution industrielle n’a pas encore commencé, et seule le passage de la diligence sur la grand route vient troubler le calme de ce village. Parfois, des étrangers traversent le village, il ne manque pas d’être repérés, puis chassés : ces chemineaux n’ont rien à faire ici.

Attardons nous dans cette belle maison, justement, là où ce chemineau vient de se faire rembarrer de la belle manière. Y vivent une femme seule, et son fils John, le narrateur de cet histoire, tout jeune garçon dont le lecteur suivra la croissance. Ils sont entourés par la nourrice, la cuisinière, une jeune servante, un jardinier aussi, occasionnellement. La jeune femme pourrait respirer la tranquillité – pas du tout. Les ordres sont stricts, son fils ne doit parler à aucun étranger (cette consigne n’est pas si différente de celles que donnent les parents contemporains à leur progéniture), son fils n’a pas le droit de s’aventurer dans telle ou telle partie du village. Il ne peut non plus poser des questions sur son père, ou sur le père de Sukey , la jeune domestique superstitieuse. Ses interdits lui pèsent-ils ? Il est un enfant, un enfant solitaire, qui n’a pour compagnon de jeu que sa mère, les lectures qu’elle ou sa nourrice lui font. Aussi transgresse-t-il parfois, les interdits, se questionne-t-il sur tout ce qui l’entoure, attentif aux symboles et aux objets.

Le quatrième de couverture compare ce roman à Dickens, et je ne puis qu’être d’accord. Il montre la misère noire qui sévissait jusque dans les villages les plus paisibles, la difficulté à simplement vivre – et je ne parle même pas « vivre décemment » pour les domestiques trop âgés pour servir, ou pour les jeunes domestiques en charge de leurq nombreux frères et soeurs. J’ai surtout pensé aux Contes des deux villes, pour les procédés narratifs (ah ! ce narrateur omniscient qui s’introduit jusque dans les logis les plus secrets de la capitale anglaise, qui suit pas à pas des êtres qui pourraient être des disciples de Fagin) et à David Copperfield, pour les descriptions particulièrement évocatrices, qui s’intègrent parfaitement au récit et  pour le destin contrarié de John. Sa mère a la douceur de celle de David, la naïveté aussi, sans pour autant être tombée dans les griffes d’un nouveau mari. Ses adversaires n’en sont pas moins redoutables, et elle semble terriblement démunie, terriblement seule aussi – et les paroles de Bissett sonnent comme autant d’inquiétantes anticipations.

Ce tome 1 du Quinconce est terriblement prenant. Quelles nouvelles épreuves attendent la mère et son fils dans les tomes suivants ?

Meurtres en neige de Margareth Yorke

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Présentation de l’éditeur :

Que faire dans une station de ski, aussi charmante soit-elle, quand neige et vent vous empêchent de mettre le nez dehors ? Confinés dans leur hôtel, les vacanciers s’inventent des occupations. Mais celles-ci sont loin d’être innocentes… Il n’en faut pas plus pour éveiller la curiosité de Patrick Grant, venu prendre quelques jours de détente dans les Alpes autrichiennes…

Circonstance d’écriture :

Mon tout premier billet anglais après la fin du challenge God Save the Livre. Émotions.

Mon avis :

Je serai brève dans un premier temps : je me suis rarement autant ennuyée à la lecture d’un roman policier, j’ai rarement ressenti aussi peu d’émotions, même quand j’étais confrontée à une situation tragique (trois pages sur l’ensemble du roman, j’ai compté).
Pour quelles raisons ? Le tout premier chapitre était très prometteur, il semblait nous plonger dans l’action sans attendre. Il faudra plus de 170 pages pour que cette scène prenne un sens, et que d’ennui entre les deux.

Nous sommes ensuite confrontés à des touristes, venus plus ou moins bien skier sur des pistes blanches, noires ou rouges. Pendant ce voyage organisé, certains sont devenus amis, d’autres s’isolent. Liz, elle, en a assez de skier avec un moniteur, d’être seule (elle est divorcée, ses cinq années de mariage se soldèrent par un échec). Aussi, qu’elle n’est pas sa joie de retrouver Patrick, le charmant universitaire qui fit battre son cœur des années plus tôt, et qu’elle n’épousa pas, parce qu’il n’a pas songé qu’elle pouvait être amoureuse de lui  – et lui ne l’était pas d’elle.

L’intrigue s’emballe… Non. Les skieurs skient moins, le temps ne s’y prêtent pas. Du coup, ils dînent, dansent, des intrigues amoureuses se nouent et le lecteur continue à s’ennuyer ferme. Je ne passerai pas sous silence les doléances d’un éleveur de vison, les aléas de l’élevage de ses « sales bêtes » et le manque de bénéfice : l’éleveuse est contrainte de porter du faux vison. Un peu plus, et je verserai des larmes. De crocodiles, bien sûr. Ne parlons pas d’écologie en 1972. Ne parlons pas non plus de féminisme. Si la jeune mariée est abandonnée à l’hôpital par son tout jeune époux, qui a trouvé des bras consolateurs, cela dérange – un peu. Personne ne va cependant le traîner au chevet de sa femme – il a peut-être la phobie de la maladie, le pauvre chéri – ni lui dire ce qu’il pense de lui – sa femme n’avait qu’à épouser un meilleur mari. En fait, si, deux personnes agissent, l’une serait tentée de tout dire à la jeune mariée, mais l’autre (Patrick) la convainc de n’en rien faire : certaines jeunes femmes pas jolies et sottes sont faites pour être mariées, et avoir des enfants gentils mais sots. Elles seront très heureuses ainsi, et ne supporteraient pas de divorcer. Quelle perspicacité ! Non, ce n’est pas moi qui le dis, c’est Liz.

Et l’intrigue de démarrer enfin, au bout d’une centaine de pages. Oui, le meurtre sera résolu, par Patrick – les valeureux skieurs sont bloqués par la neige, il est le héros de la série, lui qui voit des meurtres là où d’autres ne voient que des accidents,  il était évident qu’il découvrirait le coupable, le mobile et tacherait que justice soit rendue. Il est bon qu’il ait réussi à tout trouver, parce que quasiment rien dans le récit ne laissait présager ce que les trente dernières pages révèleraient au lecteur. C’est d’autant plus dommage que les thématiques développées, pour être un peu datées, n’en étaient pas moins passionnantes.

 Meurtres en neige est à lire si vous n’avez pas d’autres romans sous la main. Si vous êtes coincé dans un chalet à cause de la neige, je vous recommanderai plutôt Le mystère Sherlock de J.M. Erre.

 

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La chasse au trésor d’Andrea Camilleri

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Mon résumé :

Collectionneurs de croix et fervents dévots, Gregorio Palmisano et sa sœur Caterina se prennent subitement pour le bras vengeur de Dieu. Pour punir les pêcheurs de Vigàta, ils leur tirent dessus depuis leur balcon. N’écoutant que son courage, Montalbano monte à l’assaut et neutralise les fanatiques. Religion et perversion faisant parfois bon ménage, le commissaire découvre que Gregorio partageait sa couche avec une poupée gonflable décatie et rafistolée. Une anecdote sordide dont la presse fait ses choux gras, mais bientôt pour Montalbano un sujet d’interrogation méritant investigation.

Mon avis :

Montalbano est de retour, et la vie en Sicile est parfois très compliquée. Comme dans les tomes précédents, Salvo est à l’affût du moindre signe de vieillissement, du moindre ramollissement de la caboche. Le fait qu’il s’en inquiète est déjà en soi un signe que tout va bien.

Les Etats-Unis n’ont pas le monopole des fusillades – la Sicile aussi est capable de voir les forces de police devenir la cible de dangereux bigots octogénaires. C’est presque drôle dit ainsi, cependant ils sont aussi réactifs que le tueur le plus aguerri.

Salvio a de quoi être épuisé… et puis non. Même si ces émotions ont été vives, force est de constater que c’est le calme plat à Vigatà, en dehors de cette affaire, qui n’en est pas une. Il est si peu occupé qu’il a le temps de signer tous les papiers qui trainaient sur son bureau, et même de remplir les formulaires bien ennuyeux qu’on lui confie. C’est dire ! Il a même le temps de rendre visite à Livia… enfin, de lui promettre qu’il viendra… enfin, de se disputer au téléphone avec elle puis de se réconcilier. La routine, si j’ose dire, à peine rompue par ses retrouvailles avec Ingrid, la belle suédoise, excellente conductrice.

Salvo n’est pas au bout de ses surprises, puisqu’un inconnu le lance dans une chasse au trésor. Aussi mauvais poète qu’il est intriguant, ce mystérieux individu intrigue suffisamment Salvo pour qu’il participe à ce jeu de pistes, qui devient de plus en plus effrayant au fur et à mesure que le jeu progresse. Sauf que pour que le jeu en soit bien un, il faut que les deux parties soient d’accord sur les règles et l’enjeu, et ce n’est pas du tout le cas pour Salvo, amusé d’abord, intrigué ensuite, franchement inquiet. Il fait même appel aux talents pour l’informatique de Catarella, qu’il complimente, et sollicite un proche de la belle Ingrid, un jeune étudiant qui souhaite en savoir plus sur le raisonnement suivi par Montalbano pour résoudre une enquête.

Notre commissaire a-t-il tort d’avoir eu peur ? Je n’aime pas parler d’intuition, parce qu’elle est arbitraire, et peut faire le lit d’erreurs judiciaires. Je dirai simplement qu’à force d’analyser des faits, des indices, depuis des années, Salvo est largement capable d’analyser les lettres qui lui sont envoyés, et les indices qu’il reçoit. Les Etats-Unis n’ont pas le monopole des personnes qui commettent des actes atroces.

La chasse au trésor est à lire pour tous les fans de l’écrivain sicilien, presque nonagénaire.

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Terrain de chasse de Patricia Briggs

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Présentation de l’éditeur :

Unie au loup-garou Charles Cornick, le fils et exécuteur du chef des loups garous du nord-américains, Anna Latham est à présent au courant du danger représenté par un loup garou, plus particulièrement lorsqu’un d’entre eux s’oppose à Charles et laisse son père terrassé. La réputation de Charles fait de lui le principal suspect. La pénalité pour ce crime est l’exécution. Dès lors, Anna et Charles doivent combiner leurs talents pour chasser le tueur ou ce sera Charles qui chutera…

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Mon avis :

J’ai eu envie, pour chroniquer ce livre, de prendre un autre angle que la traditionnelle exploration du loup garou et du vampire dans la littérature bit-lit, mais plutôt de parler du couple formé par Charles et par Anna, et des rapports qui se sont instaurés entre eux.

Anna est une louve-garou parce qu’elle a été métamorphosée par un loup complètement fou, trois ans plus tôt. Elle n’a pas choisi son destin, comme elle n’a pas choisi d’être pratiquement réduite en esclavage par la meute à laquelle elle appartenait – contre son gré. Dans d’autres séries mettant en scène des lycanthropes, il est présenté comme normal que la louve, du moins, celle qui est au plus bas de l’échelle, soit soumise aux caprices des autres loups, ou bien qu’elle cède à des pulsions irrépressibles et saute sur le moindre loup qui bouge. Rien de tout cela ici : toute relation doit être consentie et les loups semblent plutôt monogames.

Charles a sauvé Anna. Vous allez me dire : encore un cliché, la demoiselle en détresse n’a pu se sortir toute seule de la situation problématique où elle s’était trouvée bien malgré elle. Certes. Pourtant, dans la vie de tous les jours, nul n’en voudra à une personne kidnappée de n’avoir pu se libérer elle-même et d’avoir été secourue par la police, ni à une personne prisonnière des flammes d’avoir été sauvée par les pompiers.

Reste à savoir comment évoluent les relations entre Charles et Anna (oui, je reviens à mon point de départ). Anna est la compagne de Charles, parce qu’elle le veut bien, non parce qu’elle y est forcée. Elle a du mal à se remettre de ce qu’elle a vécu, à faire confiance à nouveau. Et oui, contrairement à d’autres héroïnes, elle se reconstruit peu à peu, elle n’est pas guérie du jour au lendemain de ce qu’elle a enduré. Charles l’aide de son mieux, et son but est louable : non rester son protecteur à vie, mais être celui qui lui permettra d’être à nouveau indépendante. Ils sont sur le bon chemin. Comme le dit Anna : Omega ne veut pas dire paillasson. Cela ne voulait pas dire faible.

Revenons maintenant à l’intrigue principale, un autre topo bien connue de ces séries : la révélations de l’existence des loups-garous aux yeux du monde. Ce n’est rien de dire que cela ne plait pas à tout le monde, c’est même le contraire, l’alpha français (ils sont vraiment casse-pieds, ces français, pour ne pas dire casse-pattes) ne voit pas cela d’un bon oeil. Il n’est pas n’importe qui, il est la Bête – vous savez, celle qui a sévi dans le Gévaudan, avant de se faire très discrète. Elle n’a pas l’intention qu’on l’empêcher de continuer à tuer tranquillement et discrètement. L’Alpha anglais, lui, est plus modéré. Il faut dire qu’il se prend pour le roi Arthur, il a donc d’autres loups à fouetter.

Et oui, ce second tome joue avec des mythes, en toute connaissance de cause, distinguant même plusieurs versions, et se gardant bien de trancher. Les faes, ici, ne sont pas vraiment pétries de gentillesses, comme il est de tradition dans la bit-lit. Mais, après tout, sont-elles si gentilles que cela, les fées, dans les contes ? Je pense à la marraine de Cendrillon, qui a bien tardé avant de la secourir, ou aux fées, du conte éponymes, qui ne laissent aucune chance de rédemption à la sœur aînée, Fanchon. Autant se débarrasser des apparences, et viser à l’essentiel.

Combat, trahison, retournement de situation, péril, Charles et Anna ont fort à faire dans ce second tome, pour lutter, pour se préserver, pour se secourir. Anna n’est ni une faible femme, ni une faible louve. Tant pis pour ceux qui ne l’ont pas compris. J’ai déjà commencé le tome 3.

 

Mauvaises eaux d’Inger Wolf

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Présentation de l’éditeur :

Deux femmes disparaissent sans laisser de traces à Ărhus. Le même automne, un paysan découvre dans un de ses champs, sous un tas de pierres, deux valises contenant deux corps de femmes. La peau de la première victime présente une multitude de traces en « Y » comme autant de petites incisions, les cheveux de la seconde sont piqués d’une fleur rarissime qui pousse essentiellement dans les prairies américaines. Le commissaire Daniel Trokic, en charge de l’enquête, devra s’intéresser de près aux rituels d’Afrique noire, aux vieilles mines de charbon danoises et aux sangsues….

Mon avis :

Les bibliothèques nous réservent de belles découvertes. Ainsi, ce livre faisait partie des nouveautés, j’ai tout de suite été attirée par le quatrième de couverture, et je n’ai absolument pas regretté son emprunt.

Daniel Trokic est l’enquêteur attitré de cette série, qui comporte à ce jour trois tomes (et j’attends avec impatience la parution du troisième). Il est originaire de Croatie, il garde le souvenir de ce pays dévasté, par flash. Il a une compagne, Christiane, et pense que la vie de couple, ce n’est pas facile. Il s’entend bien avec deux membres de son équipe, Jasper, joueur de poker quasiment clandestin à ses heures perdues, et Lisa, qui rentre tout juste de congé maternité (son fils a six mois).

Les fans de Camilla Lackberg, je pense, aimeront ce roman. Certaines caractéristiques, la nature des meurtres, le mobile du tueur m’ont rappelé les meilleurs romans de l’auteur suédoise. Maintenant… nous sommes dans le pur roman policier, la vie privée des enquêteurs n’a pas une part importante dans ce roman, non plus que les « intuitions ». Les relevés d’indices, les témoignages, les recherches, sur le terrain ou dans les archives, sont le quotidien des policiers.

Comme c’est presque devenu la coutume, nous entrons dans la tête du tueur. Peu, très peu : les chapitres qui lui sont consacrés sont très courts. Ce n’est pas lui qui est important, ce sont ses victimes, leurs souffrances, la souffrance de celles et ceux qui leur survivent et doivent maintenant vivre sans eux. Le but, bien sûr, est de découvrir l’identité du coupable, non en tant que tel, mais pour l’empêcher de faire une ou plusieurs victimes. Les enquêteurs ne sont pas des personnes animés d’un optimisme foncier, ils ne rêvassent pas en sirotant leur thé. Ils y vont franco, du moment qu’ils ont une piste et des preuves. Il est bon, parfois, de rappeler dans quel ordre les choses fonctionnent, les preuves ne doivent pas se plaquer sur les intuitions des enquêteurs. Ils bousculent, parfois, les personnes qu’ils interrogent, parce que si eux et la procédure ont tout leur temps, ce n’est pas le cas des victimes potentielles.

Pourtant, il était bien joli, ce coin de Danemark où nous a entraîné Inger Wolf. La pêche est bonne (prévoir tout de même un détour par le poissonnier le plus proche si vous souhaitez dîner), la campagne est agréable, la forêt est accueillante, même les pavillons sont sympathiques, on y prend soin des chats errants. Et si la plupart des personnes sont bien ce qu’elles paraissent être, nous découvrons aussi des lâchetés, des errances, des secrets, des coutumes et des traditions qui se mêlent aux découvertes de la science.

Mauvaises eaux, et la maison d’édition Mirobole qui l’édite tout comme elle a édité l’assassinat d’Hicabi Bey d’Alper Caniguz méritent tous les deux le détour.

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Retour de vacances – humeur d’un scénariste.

Revoici le scénariste de Les plumes d’Asphodèle – humeur.

J’avais dit que la reprise serait difficile. Je ne me trompais pas.
Nous avons été réunis tous les quatre, les quatre scénaristes d’une célèbre série télévisée dont j’aurai la correction de taire le nom.
– Le héros de la série a décidé de nous quitter.
Tiens ! Il est plus intelligent que je ne le pensais.
– Il souhaite que son personnage meure, je cite « d’une mort héroïque ».
Je retire ce que je viens de penser.
– Messieurs, je vous laisse donc libre de l’imaginer.

Mouais.
– Il provoque en moi une forte envie de me rendre au cabinet pour satisfaire un besoin naturel.
– Je dirai la même chose, mais en plus bref : il me gonfle, ce crétin prétentieux. Il ne peut tout simplement pas mourir entre deux épisodes ? Comme ça, on enchaîne le suivant avec un bel enterrement, et basta !
– Tu nommes son successeur avant ou après l’enterrement ?
– On verra quand on saura s’il y a un successeur. Pour des questions de parité, ce peut être « une » successeur. Sinon, quelqu’un a une idée neuve ? Parce que les miennes sont toutes usées.
– Qui dit « mort héroïque » dit « mort en protégeant quelqu’un ». Un de ses équipiers ?
– Non, après, on se traînera sa culpabilité sur au moins quatre épisodes, avec le personnage recroquevillé sur son canapé en tenue « cocooning » si c’est une meuf, ou en train d’écluser des bières si c’est un mec. Nan, le mieux, c’est il se sacrifie pour sauver un enfant. C’est juste bête qu’il n’en ait pas – dans l’histoire.
– Idée ! m’écriai-je. Prise d’otages dans une banque, un otage est blessé, il s’offre en échange et… Nan, c’est très bête.
Puis, cela avait été déjà écrit tellement mieux ailleurs. Voir FBI porté disparu pour plus de précision.
– On peut garder le principe de la prise d’otage.
– Mouais, repris-je. Dommage qu’on ne puisse tout simplement pas faire sauter sa voiture. Cela nous évite de nous demander arme à feu ? arme blanche ? dans le cœur ? dans la tête ? Non, parce que ceux qui se prennent une balle dans la tête sont toujours très beaux à la télé, alors que dans la réalité… Franck, mon frère médecin légiste, avait dû reconstituer une victime, et ce n’était beau ni à faire ni à voir.
– Imaginons, je dis bien imaginons
– On ne fait que cela…
– Que ce crétin veuille revenir dans une dizaine d’épisodes, parce que ses projets actuels ont pris l’eau. Non, parce qu’il ne faut pas se leurrer, j’ai lu qu’il était pressenti pour un grand rôle au cinéma. Comment on se dépatouille ?
– On lui crée un sosie ou un frère jumeau. Les spectateurs ont l’habitude. Ils n’attendent même que cela parfois.
– Meilleure idée : il est enlevé, on retrouve le corps des mois après, il est méconnaissable, du coup, ils ne sont pas surs que c’est lui, et cela nous laisse une porte de sortie.
– Objection votre honneur ! Les téléspectateurs regardent les Experts depuis dix ans. Ils savent pour l’ADN et le dossier dentaire, cela ne passera pas.
– Le cabinet de son dentiste a cramé, il a été adopté, donc aucun membre de la famille pour des éléments de comparaison, et comme c’est dommage, on ne possède aucun échantillon de son ADN.
– Adjugé vendu ! Et s’il n’est pas content…
– Qu’il écrive le scénario lui-même !

 

Le dragon d’ivoire de Fatos Kongoli

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Présentation de l’éditeur :

Fortement inspiré de l’expérience de l’auteur, Le Dragon d’ivoire raconte la vie d’un jeune étudiant albanais à Pékin dans les années 60. Il évoque ses rencontres avec la belle Sui Lin et la haine des Chinois pour tous les étrangers blancs. Il sera suivi, épié… son histoire d’amour sera considérée comme de l’espionnage. Peur, chantage et délation sont présents en Chine comme en Albanie. Ce roman poétique est un voyage au bout de l’absurde. On y retrouve les bonheurs d’écriture de Fatos Kongoli et son sens de la métaphore, mais sa force est de faire de l’aliénation, plus qu’un simple témoignage sur la société albanaise, une parabole tragique et grinçante sur la noirceur humaine.

Mon avis :

Le quatrième de couverture de ce roman est pour le coup particulièrement juste, et il devrait être n avertissement pout tout ceux qui se plongerait dans la littérature albanaise.

Que savons-nous de ce pays ? Quasiment rien. Que découvrons-nous à la lecture de ce livre ? Que l’Albanie a eu des échanges avec l’URSS, avec la Chine, que de jeunes albanais sont allés y étudier (tout comme l’auteur en son temps), mais qu’ils pouvaient ne pas y retourner, sans qu’on leur donne d’explications pour ce qui sonnait comme un bannissement. Que ce soit en Chine ou en Albanie, ils sont épiés, espionnés, dénoncés, tout est suspect dans le moindre de leur geste, leur moindre rencontre. Les délateurs, les espions sont anonymes, les mises en garde et les menaces obscures, métaphoriques. Les conséquences sont bien réelles. Est-ce pour cette raison que la fille du personnage principal lui écrit avec tant de détachement, que personne ne s’offusque qu’elle épouse quasiment le premier venu – tant qu’elle est mariée, donc à l’abri. Est-ce le régime communiste qui a privé ainsi les albanais de tous liens amoureux, amicaux, familiaux un peu comme si tous voulaient se venger de leur vie précautionneuse, minutée, en déversant ses rancœurs, ses actes manqués sur d’autres.

J’ai pensé à Kafka aussi, tant les situations sont absurdes, tant les liens de cause à effet sont implicites.

Que dire aussi de la vision de la Chine par les étudiants albanais ? Nous ne savons pas ce qu’ils étudient, nous savons qu’ils sont des idées reçues sur les chinois(es), sur les américains, que tout ce que dit l’organe officiel est forcément vrai. Nous voyons maintes brèves rencontres, maintes occasions perdues, maints petits incidents, alternant chapitres courts et chapitres amples sur le séjour en Chine. Nous avons le personnage principal et un double, qui lui écrit de très longues lettres, avec un destin parallèle au sien, et une vision très différente de ce qu’a été la vie du personnage principal.

De la dimension métaphorique se double une dimension fantastique : il donne voix aux morts, dans la grandeur et la décadence d’un gouvernement. ils sont les témoins involontaires de ce temps qui a passé, de ce temps révolu :  « Toutes ces histoires sont déjà dépassées, chacun de nous les a emportées dans sa tombe. Nous les gardons enfermés dans la prison de notre mémoire d’hommes morts ».

Le dragon d’ivoire est un ouvrage ardu, âpre, pour tous ceux qui s’intéressent à l’Europe de l’Est.

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