Archive | décembre 2014

Le complexe d’Eden Bellwether de Benjamin Wod

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Présentation du livre :

Cambridge, de nos jours. Au détour d’une allée du campus, Oscar est attiré par la puissance de l’orgue et des chants provenant de la chapelle de King’s College. Subjugué malgré lui, il ne peut maîtriser un sentiment d’extase. Premier rouage de l’engrenage. Dans l’assemblée, une jeune femme capte son attention. Iris n’est autre que la soeur de l’organiste virtuose, Eden Bellwether, dont la passion exclusive pour la musique baroque s’accompagne d’étranges conceptions sur son usage hypnotique…

1312260953408502211846257Défi premier roman

Mon avis :

Comme le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, je suis quasiment en retard pour rédiger mon avis sur ce pavé (496 pages) et surtout, j’ai beaucoup de mal à le rédiger. Non que je ne l’ai pas aimé, c’est juste que j’ai vraiment du mal à mettre des mots sur mes impressions.

Tout d’abord, mon personnage préféré est vraiment Oscar, lui qui est seul contre tous ou presque. Oscar pourrait passer pour un naïf, un candide dans cet univers universitaire, lui qui a arrêté ses études très tôt, en partie parce que ses parents souhaitaient qu’il devienne très vite indépendant, qu’il mène une vie comme la leur (une meilleure position dans la société ? Vous plaisantez !) et qu’il leur offre un jour ce dont ses parents pourront être fier : un petit-fils. Dans un tel contexte socio-culturel, il est presque miraculeux qu’Oscar cherche à se cultiver, comme un moyen de couper définitivement le cordon avec ses parents. Leur opinion sur la lecture est à ce titre très significative : Pour eux, les livres étaient facultatifs, un truc que des professeurs de lettres débraillés imposaient aux enfants à l’école. Oscar avait été élevé dans l’idée que s’il restait dans sa chambre plongé dans des histoires et des mondes imaginaires, c’était qu’il n’appréciait pas la vie qui était la sienne. Dire qu’Oscar exerce le métier d’aide-soignant est réducteur : il aime vraiment prendre soin des autres.

Le roman pourrait être celui de son apprentissage, il est celui de la manipulation et du narcissisme – et ce n’est pas de son côté qu’il faut chercher cela, mais de celui d’Eden Bellwether, qui donne son nom au roman. Il est son opposé, et plus encore : fils aîné, aimé, choyé, adulé (je pourrai continuer à empiler les adjectifs), il fascine ses parents, sa soeur, ses amis, qui lui passent tout. « Je lui faisais entièrement confiance », dit sa soeur en parlant de leur enfance. Pas un ne s’oppose réellement à lui, à ses théories, sa folie, dirai-je. Oh, il y a bien Oscar, dès qu’il a conscience, du moins, de la manipulation exercée par Eden. Mais qui est-il pour cela ? Un tout jeune aide-soignant face à des étudiants hautement qualifiés et surtout, à une famille unie, prête à tout pour protéger son fils prodige.

Bien sûr, dès l’ouverture du roman, le lecteur savait que la tragédie serait là, et plus le récit se déroulait, plus l’on pouvait se demander comment et pourquoi elle allait survenir. Au fil du roman, et de ses chapitres, de petits événements annonçaient la tragédie, et les manipulations d’Eden jetaient le trouble sur cette linéarité retrouvée du texte. Le doute sera toujours là, comme si, finalement, Oscar n’avait pas été choisi au hasard dans cette histoire où se côtoient le génie et la folie. Et l’amour aussi, même si ce sentiment, à aucun moment, n’est assez fort pour protéger ceux qui sont aimés, ni même pour rendre heureux ceux qui l’éprouvent, si ce n’est pour un très bref laps de temps.

Oui, le complexe d’Eden Bellwether est un premier roman, mais il est avant tout une oeuvre singulière et troublante, où se détachent de fortes personnalités. Je me rends compte, en achevant ce billet, que je n’ai parlé à aucun moment de musique, ni de son pouvoir hypnotique (je rédige pourtant mon texte en écoutant la musique de chambre d’Henry Purcell). Mais que nous raconte ce roman, si ce n’est comment l’une des plus belles créations humaines puissent servir à sa plus grande folie ?

Il fallait noter ce livre sur 5 selon ces critères :

– Qualité de l’écriture : 5/5
– Plaisir de lecture : 4/5
– Originalité du livre : 5/5

Lu dans le cadre des Matchs de la rentrée littéraire 2014 de Price Minister.Logo MRL PM2014

 

Moriarty d’Anthony Horowtiz

Mon avis :

« Quelqu’un croit-il réellement à ce qui s’est produit aux chutes de Reichenbach ? De nombreux articles ont paru dans la presse sur le sujet mais il semble que tous ont laissé de côté un élément important. La vérité. »

Voici comment débute ce roman. L’écriture en est cependant rétrospective, puisque Frederick Chase, le narrateur, n’ignore pas que Sherlock Holmes a survécu et est réapparu trois ans après les événements. S’il relate les faits, il s’interroge sur les causes de sa disparition, et analyse les incohérences dans les actions du détective. Les commentateurs n’ont qu’à bien se tenir.

Qui est Frederick Chase ? Un Pinkerton – ou comment la fine fleur des enquêteurs anglais croise les plus connus des enquêteurs américains. Quand je parle de « fine fleur », je ne parle pas des enquêteurs de Scotland Yard, non, mais de Sherlock Holmes, de ses méthodes, qui inspire Altheyney Jones, un inspecteur fortement marqué par ses rencontres avec le détective. La première rencontre entre Jones et Chase sera déterminante : en analysant l’apparence de Chase, Jones sèmera ainsi la graine d’où naîtra leur amitié. Et comme Chase est le narrateur, il serait presque tentant de voir en lui le Watson d’Altheyney. Ce serait très réducteur.

Quel est le but de leur (ré)union ? Non pas arrêter Moriarty (c’est un peu tard) mais empêcher un criminel américain de prendre sa succession, et d’étendre sur le Royaume-Uni les méthodes violentes qui ont cours sur le nouveau monde. Torture, meurtre, meurtre, torture, enlèvement, attentat, rien n’est épargné à nos enquêteurs qui n’ont qu’une volonté : que tout ceci cesse.

Le récit est brillant, brillamment mené, sans complaisance, ou presque. Trop en dévoilé vous gâcherait le plaisir de lire cet excellent roman, que je ne peux que recommander.

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2014 en révision

Les lutins statisticiens de WordPress.com ont préparé le rapport annuel 2014 de ce blog.

En voici un extrait :

Le Concert Hall de l’Opéra de Sydney peut contenir 2 700 personnes. Ce blog a été vu 22 000 fois en 2014. S’il était un concert à l’Opéra de Sydney, il faudrait environ 8 spectacles pour accueillir tout le monde.

Cliquez ici pour voir le rapport complet.

Papillon de nuit de James Sallis.

Présentation de l’éditeur :

A la fin du Faucheux, Lew Griffin avait décidé de vivre de sa plume.
Lorsque commence Papillon de nuit, La Verne, ancienne prostituée de grande classe, sa meilleure amie et son grand amour, est morte et sa fille, Alouette, a disparu dans une de ces impasses à junkies. Lew Griffin décide de partir à la recherche de la jeune femme. Sa quête va le ramener dans le Sud profond, celui qu’il avait cru fuir dans sa jeunesse.

Mon avis :

Ce que j’apprécie dans l’oeuvre de James Sallis (oui, je parle d’oeuvre, et non simplement de romans), c’est que l’auteur a vraiment conçu les romans qui mettent en scène Lew Griffin comme un ensemble, et non comme un empilement de romans, utilisant le privé/garde du corps/romancier comme personnage principal.

Lew n’est plus le jeune homme bagarreur du Frelon noir, mais un romancier, un enseignant qui aime la littérature française et transmet sa passion à ses étudiants. Il est surtout un homme, avec un passé qu’il assume, des erreurs qu’il a commise, comme celle de perdre La Verne, qui fut l’amour de sa vie. Elle est morte, et ceux qui l’ont aimé la pleurent. Si nous étions dans un mélo, elle emporterait son secret dans sa tombe. Ce livre se veut au plus près du réel, et le lecteur découvre, comme Lew, qu’elle a eu une fille, Alouette. Pas de mélo, vous dis-je, mais la stricte réalité : avec beaucoup d’argent et d’avocat, on peut séparer définitivement une mère de son enfant. Et son cas ne semble pas isolé. Pas de leçon de morale non plus, juste, en filigrane, le fait que l’argent ne fait pas tout et que personne ne peut décider pour quelqu’un ce qui est bien, ou pas. Et Alouette de disparaître, laissant derrière elle un bébé prématuré. J’oubliai : Alouette est une junkie, et son bébé n’est qu’un enfant de plus dans ce qui devrait être un service de grand prématuré, mais se révèle être un mouroir pour ces bébés littéralement abandonnés par leurs parents.

Il en faut du talent pour ne pas verser dans la sensiblerie, dans la leçon de morale. James Sallis nous montre des parents dépassés, des enfants à la dérive, des couples qui ne savent pas ce qu’ils veulent et qui se rendent compte trop tard qu’ils ont fait les mauvais choix. La misère, qui n’est pas seulement matérielle, n’est jamais très loin, et Lew, qui n’hésite jamais à payer de sa personne, ne dira pas le contraire.

Après cette seconde lecture, je reste persuadée que James Sallis est un auteur à découvrir absolument.

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Journal d’un louveteau garou – XII

Cher journal

c’est la catastrophe. Comment ai-je pu faire ce que j’ai fait ? C’était plus fort que moi. Il avait un parfum enivrant de mouton ! Bref, j’ai croqué le bras du nouvel infirmier.

Je ne suis pas autorisé à lui présenter mes excuses, il paraît qu’il est encore « un peu fragile ». Il a pourtant été soigné, recousu, que sais-je encore !

Mes parents ont été convoqués – qu’ils le soient à cause de Valère, soit, mais à cause de moi ! Notre directeur, qui est aussi médecin spécialiste, m’a mis au régime strict ! Arghhhhhhhhhhhhh ! Je l’entends encore :
– Pas de viandes pendant un mois ! Pas de produits laitiers. Pour déxintoxiquer, vous mangerez des carottes, des choux et des haricots.
– C’est trop horrible ! dis-je.
– Anatole, intervint papa, il y a cent ans, tu aurais reçu une balle en argent en plein coeur pour ce que tu as fait, et on t’aurait tranché la tête pour plus de sûreté. Dans quel état est le malheureux jeune homme ? demanda-t-il pour la troisième fois.
Oui, il est traumatisé, stressé, sous le choc, j’en passe et des pires. Oui, ce que j’ai fait est horrible mais ce n’est pas la peine de me le rappeler constamment.

Sur ce, je te laisse, cher journal, mon petit frère Valère vient de me narguer avec un pot de moutarde et un flacon de sauce tomate. Aux dernières nouvelles, j’ai encore le droit de lui faire bouffer le contenu du matelas. Je sens que cela me détendra.

Anatole Sganou, 4e Bleu.

PS : je suis privé de bal, comme de juste. Du coup, Mathieu boude, il ne veut pas aller au bal sans moi. C’est mignon. C’est bizarre.a_Nina_encore_des_moutons_d'hiver_et_des_pierres_!

Le roi disait… de Clara Dupond-Monod


Ma présentation :

Ce roman retrace quinze années de la vie d’Aliénor d’Aquitaine, de son mariage avec Louis VII à sa rencontre avec le futur Henri II.

Mon avis (attention, je suis bavarde) :

J’ai tourné longtemps autour de ce livre. J’avais un peu de mal avec le titre, qui montrait déjà une modalisation et un implicite, Aliénor prenant la parole et rapportant des paroles attribués au roi, c’est à dire à Louis VII (cela aurait pu être Henri II, après tout). Puis, ce titre mettait déjà l’accent sur toute la légende noire d’Aliénor, forcément réductrice. Il a fallu que le livre soit présenté en ebook par le réseau de bibliothèque de Rouen pour que je l’emprunte et le lise.

La lecture en e-book influence-t-elle le jugement sur un livre ? En version papier, ce livre mesure 240 pages, en version numérique, 103 ! Le livre « papier » serait-il écrit très gros ? Si vous comptez de plus que les chapitres ne sont pas très nombreux (quatre, de mémoire) et que je tenais à les terminer à chaque session de lecture, vous vous rendez bien compte que cette lecture fut un peu lourde.

Je retiens tout de même un point positif : le style est agréable à lire, très contemporain, tout en restituant « la vie quotidienne au moyen-âge », le contraste entre Paris, et l’Aquitaine, ses parfums, ses puanteurs, ses guerres incessantes. Trois voix s’élèvent dans ce roman, Aliénor et Louis en alternance, puis Raymond d’Antioche, oncle d’Aliénor, pour conclure le roman. Je ne crois pas être la seule lectrice à préférer Louis à Aliénor, Louis le sage, le pieu, qui sera poussé à toutes les extrémités, toutes les violences pour plaire à sa reine, lui qui était destiné à entrer dans les ordres. Aliénor n’est qu’orgueil, violence, colère, mépris aussi pour cet homme, pour cette cour, pour tous ceux qui l’entourent. Elle paraît, de plus, maîtresse de son corps, elle qui choisit quand elle donnera un enfant au roi – elle avait quinze ans à son mariage, dix-huit à la naissance de Marie, sa fille aînée, future protectrice de Chrétien de Troyes et de Gace Brûlé.

Ce qui m’a dérangé est cette volonté de faire de Louis et d’Aliénor un couple moderne, avec des sentiments, des émotions, une psychologie en bref, qui font d’eux nos quasi-contemporains. Bien sûr, c’est une volonté de l’auteur d’avoir écrit son roman en se basant sur les faits historiques et en romançant tout ce que l’on ne savait pas. C’est aussi une volonté de se cantonner aux années pendant lesquelles Aliénor était reine de France – elle n’est pas encore la maman de Richard Coeur de Lion (clin d’oeil personnel). Bien sûr, on ne sait pas exactement ce que pouvaient éprouver roi et reine de France en ces années-là – mais je ne suis pas certaine qu’il fut question de tels tourments amoureux.

Une lecture que je suis heureuse d’avoir terminé, tout comme je suis heureuse d’avoir fini d’écrire cet avis.

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Le bal des louveteaux – de deux maux, il faut choisir le moindre

Et parfois, on se trompe !

Face à l’épidémie de puces, Gaël de Nanterry choisit d’envoyer tous les louveteaux prendre un « petit traitement d’appoint » à l’infirmerie. Ce serait de plus l’occasion de mettre le pied à l’étrier au tout nouvel infirmier, Loïc Moncontour. Son prédécesseur venait en effet de prendre sa retraite, après quarante ans de service dévoué à la meute et au pensionnat.

Il était charmant, presque … mignon. Gaël se reprit. Pas le moment d’avoir le béguin pour qui que ce soit. Vive le célibat, et à bas les scènes de ménage. Pourtant, il y avait quelque chose de… vraiment attirant chez ce délicat et ferme jeune homme.

Tout allait très bien, les louveteaux et les louvetelles défilaient avec empressement (se gratter au beau milieu du bal, impossible !) et Gaël, ma foi, déambulait dans le couloir, ravi de constater que le calme régnait enfin, quand un hurlement strident retentit. Le genre de hurlement qui vous glaçait le sang et vous faisait partir en courant. Sauf que Gaël, lui, courut bien, mais en direction de cet insupportable cri de douleur. Ouvrant tout grand la porte de l’infirmerie, il trouva… je vous préviens, c’est un peu horrible… il trouva Anatole Sganou en train de croquer/machouiller/déguster le bras de l’infirmier.

– Je ne sais pas ce qui m’a pris, dit Anatole, confus. Mais il était tellement appétissant !

Ce n’était peut-être pas très pédagogique, cependant le jeune louveteau avait été maîtrisé, et un tout petit peu ligoté.

Loïc, sous le choc, ne parvenait pas à parler. Par contre, il claquait des dents frénétiquement pendant que Gaël :
– constatait l’étendu des dégâts.
– tentait de le soigner.

– Je sais ce qui t’a pris Anatole, dit Gaël. Monsieur Moncontour, vous avez le gène du mouton. Non, je ne dis pas cela parce que vous avez les cheveux frisés. Vous avez un gène qui a fait de vos ancêtres… Nous en reparlerons plus tard, bredouilla-t-il voyant que le malheureux infirmier était sur le point de tourner de l’oeil.

Le gène du mouton, isolé par le brillant lycanthropologue Alexandre MacAbane, fait de ses porteurs des … en-cas de choix pour les loups-garous – ou des partenaires de choix, aussi, leur douceur tempérant un tempérament lupin légèrement belliqueux.

La chambre des officiers de Marc Dugain

tous les livres sur Babelio.com

Mon résumé :

1914, mobilisation générale. Parmi les conscrits, Adrien Fournier, jeune ingénieur. La guerre, il ne la verra pas. Première mission de reconnaissance, et un obus marquera la fin de la guerre pour lui. Non, il n’est pas mort, son visage a été tranchée comme par une hache. Amené à Paris, au Val de Grâce, seul hôpital capable de soigner ses blessure, il est le premier occupant de La chambre des officiers.

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Mon avis :

J’ai lu beaucoup de premiers romans cette année, et rares sont ceux que j’ai pu qualifier de coup de coeur, de parfaites réussites. Vous me direz… On sait, désormais, que Marc Dugain est un auteur connu, reconnu, qui n’en est plus à son coup d’essai. Oui, mais quand La chambre des officiers est paru, on ne le savait pas, on pouvait simplement le prévoir, tant ce roman est époustouflant.

Il est rétrospectif, d’abord. Dès la première page, on sait qu’Adrien, bien que mobilisé, ne verra pas la guerre des tranchées. Pourquoi ? Comment ? Les pages suivantes nous le révèlent, avant de nous raconter sa guerre. La sienne, et celle de ses amis.

Elle ne désemplit pas, cette chambre des officiers. Certains n’y font que passer, parce que leurs blessures sont moins graves que prévues, parce qu’ils n’ont pas survécu, parfois même pas repris connaissance. Parmi les survivants, deux hommes prendront une grande importance dans la vie d’Adrien : Paul Weil et Henri de Penanster. Oui, il serait facile de dire que les trois hommes sont devenus amis parce qu’ils sont des gueules cassées. Ils sont devenus amis parce qu’ils ont la volonté de vivre, malgré tout, la volonté de ne pas se plaindre, la volonté de ne pas achever le travail commencé par les allemands, la volonté d’aider aussi les nouveaux arrivants. Eux aussi mènent leur guerre, contre ceux qui désespèrent, contre le regard des autres aussi. Les infirmières, les médecins, qui s’acharnent à redonner leur humanité aux patients, par des gestes simples (mais auxquels il fallait penser, comme donner à Adrien une ardoise pour qu’il puisse « parler ») se sont habitués à leur visage, et affronter le monde extérieur, c’est aussi se confronter aux regards des autres. Comme une nouvelle bataille. L’une des plus importantes, peut-être.

Ce roman ira jusqu’au bout de l’amitié entre les trois hommes, jusqu’au retour à une vie que l’on peut qualifier de « normale » : un travail, un mariage, des enfants. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, aussi, et voilà deux anciens soldats qui montent au front pour en sauver un troisième. Combattre est toujours possible, transmettre aussi : la dernière phrase du roman est à ce titre exemplaire.

La chance que tu as de Denis Michelis

9782234077416-XMa présentation :

Un jeune homme se rend, véhiculé par ses parents, dans un domaine. Ceux-ci lui ont trouvé un travail. Il ne mesure pas « la chance qu’il a ».

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Mon avis :

Hier, je suis allée à Paris, j’ai assisté à la représentation du Misanthrope de Molière, avec l’excellent Loïc Corbery en Alceste. Dans le train du retour, j’ai lu La chance que tu as. Et je n’ai pas du tout aimé ce premier roman.

Ce roman serait-il un conte ? Si oui, ce serait le troisième que je lirai cet année, et, dans un tout autre registre, le troisième à montrer les dures réalités du monde du travail pour les jeunes qui vivent encore au crochet de leurs parents.

Conte ou fable, finalement, sans morale, si ce n’est les phrases assénées au personnage principal, sans nom, sans âge, qui ne sait même plus ce qu’il fait ou ce qu’il ne fait pas, qui perd la notion du temps, qui se perd, se fait exploiter, et finit par se fondre dans le décor. Il subit humiliation sur humiliation, avec ou sans (dé) gradation et ne proteste pas, ne réplique pas. Avec « la chance que tu as », tu ne vas pas en plus te plaindre, tout le monde n’a pas de travail, etc, etc…

Les chapitres, courts, les personnages, nommés, désincarnés, bourreaux après sans doute avoir été victime en leur temps, montrent que le monde du travail est impitoyable, absurde, comme le montre aussi l’absence de liens logiques entre certains épisodes. Rien de neuf sous le soleil, donc, mais l’impression tenace d’avoir perdu mon temps à lire ce livre. challengerl2014

Le frelon noir de James Sallis

couv6436548.gifPrésentation de l’éditeur :

Pendant une période agitée d’activisme, de colère et d’âpre tension raciale, un sniper fait monter d’un bon cran la pression d’un été étouffant de La Nouvelle-Orléans en flinguant les passants comme des cibles de foire. La sixième victime, une femme, est abattue pendant qu’elle marche au côté de Lew Griffin. Elle est Blanche, il est Noir. Il a le cœur durci par l’injustice et la boisson et, même s’il vient juste de rencontrer son infortunée compagne, Griffin sait que c’est à lui de trouver le tueur avant qu’un cinglé ne jette la dernière allumette dans une déjà très volatile poudrière urbaine.

100142514.to_resize_150x3000Mon avis :

La découverte d’un auteur peut provoquer un choc, et celui-ci en est un – pas autant que la découverte de l’oeuvre de Ken Bruen, mais presque. Avoir enchainé un roman de Ian Rankin et celui-ci prouve une chose : la lecture de deux bons romans à la suite ne nuit ni à l’un, ni à l’autre, bien au contraire.

Etre noir à la Nouvelle Orléans (ou dans tout autre état américain) en ce début des années soixante signifie ne pas avoir beaucoup de droit, sauf celui de se faire arrêter par la police sans véritable raison, et relâcher quand elle y aura pensé (ou si elle y pense). Bien sûr, certains militent activement pour l’égalité des droits, d’autres usent de la violence pour que rien ne change, comme ce sniper que la police ne parvient pas à arrêter.

L’enquête n’est pas vraiment le coeur de l’action, plutôt le portrait de cette Amérique des années 60 bien loin des jolies clichés polychrome. Pas de rock, pas de créatures de rêves en bikini, mais des hommes, des femmes, qui peinent à trouver du travail, à s’imposer dans une société qui n’en a rien à faire d’eux. Fait intéressant, on sent que le récit est rétrospectif, puisque le narrateur nous donne des indications sur son avenir, sur celui des personnages qui l’entourent et sur le contexte historique (s’il indique que le premier Kennedy a été assassiné, c’est qu’il sait déjà que le second le sera). C’est sans doute aussi pour cette raison que le ton est si désabusé, et non rempli d’espoir en des lendemains meilleurs. Ne croyez pas cependant que Lew soit un contemplatif, qui attend que les problèmes trouvent ou non leur solution. Il est plutôt du genre à aller au devant du danger – et des problèmes qui vont avec.

Un auteur dont je poursuivrai la découverte dans les jours à venir.