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Terre noire de Rita Carelli

édition Métailié – 240 pages

Mon avis : 

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

J’ai déjà évoqué ma difficulté à lire de la littérature brésilienne. Je crois que ce livre marque une étape, parce que je l’ai vraiment beaucoup apprécié. Il s’agit d’un premier roman, qui joue avec la temporalité : nous suivons en effet Ana qui, après la mort de sa mère, rejoint son père archéologue dans le Xingu. Elle vivra avec lui au sein d’une tribu indienne. Avec elle, nous découvrons leur mode de vie, leurs rites, leur manière très différente de la nôtre d’appréhender le corps humain, mais aussi la nature. Certaines coutumes peuvent étonner, choquer même – et Ana de comparer la manière dont elle vit et la fille du chef vivent leur adolescence. L’une est libre de découvrir le village, la nature, l’autre vit recluse pour un an, cela fait partie du rite d’initiation pour devenir une femme. Rien pourtant de lourd ou de didactique dans ce récit : comme Ana, le lecteur est immergé dans cette tribu. Ni les uns ni les autres ne portent de jugement sur leur mode de vie mais Ana découvrira la richesse, la profondeur de leur culture, la culture que certains appellent encore des sauvages.

Oui, nous retrouverons Ana adulte, étudiante à la Sorbonne. Nous découvrons comment elle a quitté le Xingu, coupé les ponts aussi, presque malgré elle avec son père, nous découvrons aussi comment elle renoue avec son passé, en retournant là-bas, en découvrant les ravages commis par ceux qui pensent d’abord aux profits avant de penser à la vie. Cette dernière partie m’a semblé plus brève que les précédentes, peut-être aussi parce qu’elle est davantage centrée sur les sentiments d’Ana, sur sa vie à Paris et ce sentiment d’inachevé qu’elle ressent. J’aurai aimé que les retrouvailles durent plus longtemps, que l’on voit ce qui avait changé au sein de la tribu. Ce n’est pas un reproche, cela montre simplement à quel point j’ai apprécié la lecture de ce livre.

Un premier roman à découvrir.

 

Portrait huaco par Gabriela Wiener

édition Métailié – 160 pages

Présentation de l’éditeur : 

Ici, vous allez trouver un arrière- arrière-grand-père pilleur d’objets incas au XIXe siècle, la mort d’un père aimant qui avait une double vie et leur descendante, une femme curieuse et résolue, aussi provocatrice que jalouse, qui vit une relation polyamoureuse brinquebalante. Cela commence avec un choc : la narratrice visite le Musée du quai Branly et regarde une pièce où elle croit se voir dans un miroir brisé par les siècles. Cette pièce est un portrait huaco, une statuette de céramique préhispanique représentant un visage indigène. Et la salle d’exposition porte le nom de son aïeul, Charles Wiener. Un explorateur connu pour avoir « failli » découvrir Machu Picchu et présenté ses trouvailles dans le cadre de l’Exposition universelle de Paris, comptant entre autres attractions un zoo humain. Et il est à l’origine de la lignée des Wiener péruviens.

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Vu de France, comment ce roman autobiographique sera reçu ? Moi même, je me suis questionnée sur ma légitimité à chroniquer ce livre. Certes, j’aime la littérature sud-américaine, mais les problématiques évoquées par l’autrice me sont presque totalement inconnues.

Il commence en France, pourtant, au musée du quai Branly. Il n’est pas vu du point de vue d’un visiteur français, voire occidental, il est vu par l’autrice : ce qui lui saute aux yeux n’est pas ce qui nous saute aux yeux. Elle y voit l’absence de classement, de réelles explications quand à ce qui est exposé. Elle y voit surtout le pillage de civilisations, la sienne n’en étant qu’une parmi d’autres, son histoire, celle de son peuple, écrite par d’autres. Et ce ne sera pas le seul moment dans ce texte où l’on verra des occidentaux, détenteurs de savoir universitaire, récrire son histoire, voire même douter de son histoire.

En effet, Gabriela Wiener est la descendante d’un authentique pillard, ou plutôt un authentique explorateur, qui a eu un enfant au Pérou, avant de rentrer tranquillement en Europe, où il tâcha d’obtenir toute la reconnaissance auquel il pensait avoir droit. Ce qui est intéressant dans la vie de Charles Wiener est ce qu’il n’a pas fait, mais aussi ce dont les chercheurs actuels se sont désintéressés. Ainsi, Wiener a emmené un enfant péruvien en Europe – et ce qu’il est devenu n’intéresse pas grand monde, si ce n’est Gabriela Wiener.

Ce récit est déroutant, bouillonnant, foisonnant. Gabriela ne nous cache rien de sa vie personnelle, elle qui est polyamoureuse, qui montre la difficulté à être acceptée par la famille de sa compagne, non parce qu’elle est une femme, mais parce que dans le système de pensée de certains espagnols, une péruvienne ne peut qu’être une domestique. Le format a beau être court, l’autrice montre que chaque sujet abordé a été pensé, réfléchi, même si certains peuvent, je me répète, nous dérouter, nous forcer à nous questionner nous-même sur des sujets que l’on ne pensait pas aborder.

Une oeuvre singulière, à découvrir pour cette rentrée littéraire 2023.

La transparence du temps de Leonardo Padura

édition Métailié – 448 pages

Présentation de l’éditeur :

Alors qu’il approche de son 60e anniversaire, Mario Conde broie du noir. Mais le coup de fil d’un ancien camarade de lycée réveille ses vieux instincts.
Au nom de l’amitié (mais aussi contre une somme plus qu’honorable), Bobby le charge de retrouver une mystérieuse statue de la Vierge noire que lui a volée un ex-amant un peu voyou.
Conde s’intéresse alors au milieu des marchands d’art de La Havane, découvre les mensonges et hypocrisies de tous les “gagnants” de l’ouverture cubaine, ainsi que la terrible misère de certains bidonvilles en banlieue, où survit péniblement toute une population de migrants venus de Santiago.

Mon avis : 

Je devais lire ce livre pour le mois espagnol, je l’avais commencé en fait, parce que pour moi, un mois espagnol sans Padura n’est pas tout à fait un mois espagnol. Mais il y a eu le 24 mai, qui, raconté à mes collègues fut renommée journée de m***e par leurs soins. J’ai terminé la lecture du livre récemment. Cela n’enlève en rien le plaisir que j’ai eu à retrouver Mario Conde. Il arrive à une étape décisive de sa vie : il fétera ses soixante ans dans quelques jours. Et s’il les fête, c’est qu’il aura réussi à vivre jusque là, contrairement à de nombreux condisciples. Ce n’est pas la seule étape qu’il franchira : certains de ses proches sont en effet irrésistiblement attirés par l’étranger, où des proches vivent déjà, sans avoir l’intention de revenir. Je pense à la soeur jumelle et au fils de Tamara, la compagne de longue date de Conde, qui vivent en Italie. C’est alors qu’un ami d’enfance le recontacte, pour élucider le vol d’une statue de la Vierge noire. J’admets ne jamais avoir entendu parler de ce culte si particulier, la lecture de ce livre m’a permis de le découvrir – sans que cette connaissance nuise à la progression de l’intrigue, elle fait partie intégrante de l’intrigue. En effet, une partie du récit est consacré à l’histoire de la statue, de nos jours à ses origines, nous permettant de revivre des épisodes oubliés de l’histoire de l’Espagne. Ce sont des chapitres dont la chronologie et la localisation sont clairement indiqués, et qui se révèlent passionnant. L’enquête contemporaine l’est tout autant.

La transparence du temps – l’envie de partir, le désir de revenir.

Le siège de Bogota de Santiago Gamboa

Présentation de l’éditeur : 

Bogotá est assiégée depuis des mois. Le gouvernement a fui à Carthagène, la guérilla contrôle le sud de la ville et affronte l’armée et les paramilitaires. Tandis que les obus pleuvent sur la ville, deux journalistes étrangers, la belle Islandaise Bryndis Kiljan et le Maltais Olaf K. Terribile enquêtent sur une sombre histoire de trafic d’armes entre la guérilla et l’armée, dont les ramifications les guideront à travers une Bogotá clandestine jusqu’aux clés d’un conflit inextricable.

Mon avis : 

Ceci est le dernier livre que je chronique dans le cadre du mois espagnol et sud-américain 2023. Je n’aurai qu’un mot à dire : sortez-nous de là ! Mais franchement qui peut avoir envie de se rendre et de rester à Bogotá, assiégé depuis des mois ? La guérilla est là, des horreurs, que je ne listerai pas, ont lieu quotidiennement, ne parlons pas non plus des bombardements. Nulle part, l’on est en sécurité, et certains se dépêchent de vivre plus fort, plus vite, de crainte de ne pas vivre plus longtemps.

C’est exactement ainsi que vit Bryndis, multipliant aventures et expériences, investie à fond dans son travail aussi. Olaf, journaliste maltais, fait presque pale figure face à lui, mais il est cependant tout aussi investi dans son travail.

C’est bref, rythmé, percutant, sanglant. L’on n’a pas le temps de s’ennuyer face à ce que vivent nos deux journalistes.

Un auteur que je suis ravie d’avoir découvert.

L’homme apprivoisé

Présentation de l’éditeur :

La vie d’Erasmo Aragón change soudainement quand il est faussement accusé d’abus sexuel. Il perd son travail dans une université américaine et ne peut plus renouveler son permis de séjour. Après une crise nerveuse il rencontre Josefin, une infirmière suédoise, à laquelle il s’accroche désespérément. Afin d’oublier son passé, ils démarreront une nouvelle vie ensemble à Stockholm, mais les fantômes latino-américains, la monotonie, la dépendance et les anxiolytiques feront ressurgir la paranoïa…

Mon avis : 

Moronga est dans ma PAL, mais je ne l’ai pas encore lu. Je découvre qu’Erasmo, le personnage principal de L’homme apprivoisé, est aussi celui de Moronga. Pas grave : je lirai Moronga plus tard.

Nous découvrons une tranche de vie d’un personnage déraciné, un personnage en errance. Il ne va pas bien, Erasmo, si tant est qu’il ait, un jour, été bien. Il a la cinquantaine. Ayant quitté son pays, le Salvador, il travaillait dans une petite université américaine mais, à la suite de fausses accusations, il a été renvoyé. Son salut ? Josefin, son infirmière quand il a été interné. Ils vivent ensemble, puis, quand elle retourne dans son pays, elle lui propose de partir avec elle en Suède. Nouveau déracinement pour un homme qui tente de se reconstruire et qui ne parvient pas à se reconstruire.

Nous suivons l’histoire du point de vue d’Erasmo, à travers les méandres de son cerveau, qui, en période de crise, tord, retord, et distord tout ce qu’il voit, entend, à la fois à cause de ce qu’il a vécu dans son pays natal, à cause de ce qu’il a vécu dans le Wisconsin, mais aussi à cause des médicaments qu’il prend, ne prend pas, et des interactions avec l’alcool qu’il ne doit surtout pas prendre. Sa dépendance, affective, financière envers Josefin, la seule personne qu’il connait dans ce pays, n’arrange rien. Et Josefin, me suis-je demandé ? Qu’est-ce qui a bien pu pousser cette infirmière, mère célibataire d’une jeune adulte, à tendre la main à Erasmo ? Nous ne le saurons pas, parce que ce n’est pas le sujet du  livre, nous entendrons, comme Erasmo, ces constats, ces reproches aussi, ce qui le force, à (re) prendre sa vie en main.

Retrouvera-t-on ce personnage, délivré de ses calmants, de retour en Amérique du Sud un jour ? J’ai en tout cas apprécié ce mélange d’ironie et de lucidité qui préside à l’écriture de ces tortueux monologues intérieurs.

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

L’échange d’Eugénie Almeida

Présentation de l’éditeur : 

À la sortie d’un bar, une jeune femme menace un inconnu puis retourne son revolver contre elle-même et se suicide, ça ne regarde pas la police. “Tout au plus un épisode confus. Sans danger pour les tiers.”
Mais Guyot, le journaliste, s’obstine. Il veut comprendre. Il consulte des archives. Il lit les cahiers de la victime. Il cherche. Il ne voit pas les signaux d’alarme.
Parfois, il vaut mieux laisser tomber. L’importance du passé est surestimée. Si les gens restaient tranquilles, tout irait mieux.

Mon avis  (court, parce que je suis fatiguée par des bobos de santé qui s’accumulent) : 

Ce livre est percutant, efficace, que ce soit dans son écriture, sèche et cruelle, ou dans la construction de son intrigue. Un livre dont je n’ai pas vu passer la lecture tant l’action va vite, très vite.

Nous sommes en Argentine, et la dictature, ce n’était pas si loin. Il est encore des personnes qui sont nostalgiques de cette période, des personnes qui ont encore de lourds secrets à cacher, et des personnes qui sont assez bêtes pour vouloir parler de leur passé, sans penser aux conséquences – pour eux, pour les leurs, pour les autres. Surtout quand leur ami, leur protecteur est froid, cynique, et prêt à tout pour être totalement tranquille.

Il faut dire que ceux-ci, ces nostalgiques, ces profiteurs, ceux qui s’en sont mis plein les poches et ont profité aussi pour faire à peu près tout ce qu’ils voulaient, sont partout, y compris dans la police : il est dur de revenir à une vie où tous les coups ne sont plus permis. Dans ce roman, on n’est plus au stade où l’on ramasse les pots cassés, l’on en est à celui où, si l’on survit, l’on se planque le plus loin et le plus vite possible. Si l’on parvient à survivre.

J’ai tellement aimé ce roman que je suis allée emprunter à la bibliothèque un autre titre de cette autrice.

Le royaume du dragon d’or d’Isabel Allende.

Présentation de l’éditeur :

De retour de leur incroyable expédition dans la jungle amazonienne, Kate Cold et son petit fils Alexander s’attendent à prendre un repos bien mérité. C’était sans compter sur le National Geographic, l’employeur de Kate qui lui propose un reportage dans le pays asiatique du Royaume du Dragon d’or.
Totalement isolé du monde moderne, ce pays n’ouvre ces portes que très rarement aux yeux étrangers, défendant son trésor national : la statue du Dragon d’or qui possède la capacité de prédire l’avenir.
Dans le monde occidental, son existence fait jaser, entre railleries et fascination car aucune preuve de son existence n’a jamais été fournit. L’occasion est trop belle, l’instinct journalistique de Kate ne peut résister, embarquant dans ses bagages Alexander et Nadia Santos, rencontrée lors de leur précédente aventure, devenue amie de la famille et plus particulièrement du jeune homme. Tout semble s’annoncer sous les meilleurs hospices mais c’est sans compter sur la vanité d’un milliardaire désirant s’approprier par tous les moyens la statue… encore un voyage qui ne sera pas de tout repos !

Mon avis : 

J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque municipale, et j’ai découvert que c’était un tome 2. Je m’en suis rendu compte à la lecture, parce qu’il était évident que les personnages avaient vécu d’autres aventures avant, et cette évidence se poursuit au cours de la lecture, puisque les personnages évoquent clairement les expériences qu’ils ont faites. Tant pis, surtout que, renseignements pris, la bibliothèque ne possède ni le tome 1 ni le tome 3.

Je ne sais pas trop, finalement, que penser de ce livre. Certes, il est facile à lire, certes, les péripéties sont nombreuses, et l’on a envie de découvrir la suite des aventures. Mais j’ai eu du mal avec le personnage de la grand-mère exploratrice, que j’ai trouvé peu sympathique, au contraire de son petit-fils Alexander et de ses amies. Kate est aventurière, uniquement aventurière, et paraît peu douée pour éprouver, manifester des sentiments, de l’empathie envers autrui. J’ai eu l’impression d’avoir un rôle stéréotypée en face de moi, non un personnage à part entière. Il faut attendre les deux tiers du récit pour qu’elle montre un aspect plus humain – il était temps.

Les véritables héros, ce sont Alexander et Nadia, qui font preuve de courage voire même d’abnégation au cours des épreuves qu’ils vont traverser. Il faut dire que les méchants peuvent être vraiment méchants, cruels, sournois, cupides, comme si l’argent n’avait pour seule utilité que de posséder encore et toujours plus. L’on découvre cependant les chamans, leurs pratiques, leur ascèse et leur intérêt pour les autres, bref, tout le contraire de ceux qui s’opposent à eux. Nous découvrirons aussi des créatures de légende mais chut ! je n’en dirai pas plus sur eux. Ce roman est très différent de ceux que j’avais déjà lus d’Isabel Allende, et que j’avais préférés. Mais, je me répète, cette lecture n’a pas été désagréable.

Il pleut sur Managua de Sergio Ramirez

Présentation de l’éditeur : 

Entre deux orages, Managua est traversée par des processions religieuses délirantes, des manifs de toubibs, des embouteillages monstres, au milieu des ruines du tremblement de terre de 1972, des bidonvilles et des quartiers chics. La guérilla est loin désormais, on inaugure en grande pompe des stations-services rutilantes et les évangélistes vendent du savon miracle. Les anciens guérilleros sont devenus flics, bandits, notables, employés, les trahisons vont bon train, et les narcos courent toujours.
Ce jour-là la Vierge de Fatima entre dans la ville, au son d’un orchestre de chicheros, escortée par les officiers de la police nicaraguayenne. L’inspecteur Morales regarde la scène de son bureau de la plaza del Sol. Il est chargé d’enquêter sur un yacht abandonné à Laguna de Perlas, sans doute une histoire de narcos, et pas des moindres. Flanqué d’un lieutenant cynique et d’une ex-guérillera coriace devenue femme de ménage, il traque les coupables avec sa Lada bleue et son P38 sur fond de chaos social et politique.

Mon avis :

Je ne vous dis pas, le mois espagnol et sud-américain, c’est parfois vraiment épuisant. Tenez, après avoir visité le Vénézuéla, me voici au Nicaragua, et après, je pars pour le Salvador. Si je ne recommande pas le Venezuela, je ne peux pas dire que le séjour au Nicaragua ait été reposant.

Pourtant, tout va bien, officiellement, dans ce pays. Ce n’est pas du tout un lieu de villégiature pour narcos en vacances. D’ailleurs, ce pays n’est pas du tout un lieu de transit pour leurs marchandises, non du tout. Pays très calme, là où les médecins et les infirmières manifestent régulièrement – c’est sans doute que quelque chose ne va pas, non ?

L’inspecteur Morales, lui, est chargé d’enquêter sur un yacht retrouvé abandonné. Ancien guerilleros (il a même perdu une jambe au cours d’un combat), il est assisté par une ancienne guerillera, devenue femme de ménage : elle est restée très à cheval sur certains principes moraux, et n’apprécie pas vraiment la liaison de l’inspecteur avec Fanny, une femme mariée, mais pas avec lui. L’inspecteur a une vie sentimentale tout sauf reposante, comme nous pourrons le découvrir au fil du récit.

Cela n’empêche pas Morales et ses collègues de mener l’enquêter, et de découvrir des choses pas forcément jolie-jolie – ce n’était pas le but non plus. L’on vit très bien en étant complice de trafic de drogues. L’on vit simplement moins longtemps, ou bien l’on risque de voir ses proches disparaître très vite. Curieux pays où la religion est encore très présente, une certaine morale aussi. Je ne dirai pas que j’ai apprécié ce roman, je dirai qu’il y a eu des temps forts dans cette lecture, et d’autres qui l’étaient nettement moins. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre ma lecture jusqu’au bout.

 

Les valises de Juan Carlos Méndez Guédez

Présentation de l’éditeur :

La vie est un match de boxe, tendance lucha libre. A Caracas quand on sort le matin on n’est jamais trop sûr de pouvoir rentrer vivant chez soi.
Donizetti, fonctionnaire ordinaire, employé dans une agence de presse gouvernementale, bonhomme et maladroit, est chargé de convoyer des mystérieuses valises à travers le monde. Dans une ville en perpétuelle pénurie, il a désespérément besoin de cet extra pour nourrir ses deux familles, dont un fils taiseux, une ex-femme qui fait des fleurs en porcelaine et son amant qui passe ses journées dans son hamac. Antihéros tendre et obstiné, il effectue ses missions docilement, sans trop (se) poser de questions.
Mais à force de prendre des coups sans trop savoir d’où ils viennent, même quand on n’est pas un caïd, on finit par s’énerver. Avec Manuel, ami d’enfance, ex-animateur de radio, fan de boxe, qui survit en travaillant dans le magasin de chaussures de ses parents, ils vont tenter de prendre une revanche éclatante et définitive sur tous les profiteurs corrompus, les espions cubains et les mafias russes, la seule façon, peut-être, de survivre au marasme.

Mon avis : 

C’est un livre que j’avais commencé voici deux ans, puis que j’ai reposé, que je n’ai pas repris pour la session 2022, et qui, finalement, se retrouve pour la session 2023. C’est un roman vénézuélien, un pays que je connais peu, un pays dont je ne connais pas du tout la littérature, et, de nouveau, un roman publié par les éditions Métailié.

Le personnage principal, c’est Donizetti (et j’ai envie d’ajouter : pourquoi pas Mozart ?) Il est un fonctionnaire qui passe totalement inaperçu, tellement inaperçu qu’il est chargé de convoyer de mystérieuses valises et leur contenu à travers le monde. Ne cherchez pas, il a un bilan carbone absolument abominable, mais c’est pour la bonne cause. Non, pas la cause de son gouvernement, mais le fait de faire vivre sa famille, sa femme, la fille de celle-ci (adorables toutes les deux au demeurant), mais aussi son fils, son ex-femme, artiste presque incomprise, et le nouveau compagnon de celle-ci, qui sait totalement tiré partie de la situation, en travaillant le moins possible. D’emblée, Donizetti paraît immédiatement sympathique, et il le restera – même s’il commence à se poser des questions. La blessure de trop, c’est l’assassinat de sa voisine et de sa fille, parce que Donizetti a beau être gentil, très gentil, il comprend très bien que l’on s’est trompé de cible et que c’est sa compagne et la fille de celle-ci qui étaient visées. Pourquoi ? Il a toujours été un employé modèle, avalant couleuvre sur couleuvre, se mêlant le moins possible de toutes les magouilles politiques qui gangrènent la ville et le pays. Ce n’est pas tant qu’il se rebelle, ce serait beaucoup trop visible, c’est qu’il est bien décidé à faire la lumière sur tout ce qui se passe, et qui sait ? prendre sa revanche.

Il retrouve Manuel, un ami d’enfance, un autre personnage que j’ai trouvé immédiatement sympathique. Il a des convictions, et celles-ci lui ont couté son poste à la radio. Il n’est pas vraiment le fils qu’auraient désiré ses parents – il est gay, et l’assume parfaitement, hors de questions pour lui de faire semblant. Cet ex champion de boxe sera un soutien très solide pour Donizetti, sûr, fiable, prêt à prendre des risques et aussi à « secouer » qui doit l’être (non, pas Donizetti, celui-ci a bien pris conscience de ce qui se passait) afin de parvenir à ses fins.

Immoral ? Non. Ce qui l’est, c’est la corruption qui règne à tous les étages, c’est le fait qu’être honnête ne permet même pas de survivre. Le strict minimum n’est pas assuré. C’est un portrait très sombre du Vénézuela qui nous est donné dans ce roman, aussi dense que prenant.

 

Kramp de Maria José Ferrada

Quidam éditeur – 132 pages

Présentation de l’éditeur :

Chili, années de la dictature Pinochet. M, une petite fille, accompagne D, son père représentant en quincaillerie, dans ses tournées et se passionne pour les objets qu’il vend tant ils lui paraissent être l’ordre même de l’univers. Elle rencontre ainsi les autres voyageurs de commerce, qui constituent « une famille sans parents et donc plus supportable qu’une autre », aide son père à falsifier ses notes de frais, écoute les histoires, drôles ou tragiques, des uns et des autres…jusqu’au jour où son monde se délite.

Mon avis : 

J’ouvre le neuvième mois espagnol et sud-américain avec un roman que l’on m’a offert récemment, roman qui est extrêmement surprenant.

Le récit pourrait être lourd, pesant, moralisateur, il n’en est rien. Pourtant, ce sont des thèmes graves qui sont abordés au fur et à mesure de la lecture.

La narratrice, c’est M. Elle est une petite fille. Elle n’aime rien tant qu’accompagner son père dans ses tournées – il est représentant en quincaillerie, la marque Kramp, qui permet au monde de tenir debout selon luiet il vend beaucoup mieux quand la petite fille est avec lui. Pour cela, elle sèche allégrement le collège, sous des prétextes bidons – sa mère n’aurait pas accepté qu’elle fasse l’école buissonnière, surtout pas pour accompagner son père, encore moins pour accompagner S. , autre représentant de commerce, qui lui aussi aura M. comme assistante.

Cela peut paraître drôle, et ça l’est, parce que M. apprend beaucoup plus avec eux qu’elle ne pourrait en apprendre à l’école. Mais nous sommes sous la dictature de Pinochet, et s’il y a des choses qu’une petite fille ignore, elle les découvrira bientôt, ce qui lui causera un choc profond, changera son univers et celui de sa famille. Le récit est raconté avec des mots simples, mais sans naïveté : M. est une petite fille qui avait déjà bien vite grandi au moment de cette révélation. Et si je dois avoir un coup de coeur pour un personnage, c’est pour celui de sa mère, bien plus profond que l’image qu’en renvoyait D, le père.

Une oeuvre à découvrir.