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Le siège de Bogota de Santiago Gamboa

Présentation de l’éditeur : 

Bogotá est assiégée depuis des mois. Le gouvernement a fui à Carthagène, la guérilla contrôle le sud de la ville et affronte l’armée et les paramilitaires. Tandis que les obus pleuvent sur la ville, deux journalistes étrangers, la belle Islandaise Bryndis Kiljan et le Maltais Olaf K. Terribile enquêtent sur une sombre histoire de trafic d’armes entre la guérilla et l’armée, dont les ramifications les guideront à travers une Bogotá clandestine jusqu’aux clés d’un conflit inextricable.

Mon avis : 

Ceci est le dernier livre que je chronique dans le cadre du mois espagnol et sud-américain 2023. Je n’aurai qu’un mot à dire : sortez-nous de là ! Mais franchement qui peut avoir envie de se rendre et de rester à Bogotá, assiégé depuis des mois ? La guérilla est là, des horreurs, que je ne listerai pas, ont lieu quotidiennement, ne parlons pas non plus des bombardements. Nulle part, l’on est en sécurité, et certains se dépêchent de vivre plus fort, plus vite, de crainte de ne pas vivre plus longtemps.

C’est exactement ainsi que vit Bryndis, multipliant aventures et expériences, investie à fond dans son travail aussi. Olaf, journaliste maltais, fait presque pale figure face à lui, mais il est cependant tout aussi investi dans son travail.

C’est bref, rythmé, percutant, sanglant. L’on n’a pas le temps de s’ennuyer face à ce que vivent nos deux journalistes.

Un auteur que je suis ravie d’avoir découvert.

L’homme apprivoisé

Présentation de l’éditeur :

La vie d’Erasmo Aragón change soudainement quand il est faussement accusé d’abus sexuel. Il perd son travail dans une université américaine et ne peut plus renouveler son permis de séjour. Après une crise nerveuse il rencontre Josefin, une infirmière suédoise, à laquelle il s’accroche désespérément. Afin d’oublier son passé, ils démarreront une nouvelle vie ensemble à Stockholm, mais les fantômes latino-américains, la monotonie, la dépendance et les anxiolytiques feront ressurgir la paranoïa…

Mon avis : 

Moronga est dans ma PAL, mais je ne l’ai pas encore lu. Je découvre qu’Erasmo, le personnage principal de L’homme apprivoisé, est aussi celui de Moronga. Pas grave : je lirai Moronga plus tard.

Nous découvrons une tranche de vie d’un personnage déraciné, un personnage en errance. Il ne va pas bien, Erasmo, si tant est qu’il ait, un jour, été bien. Il a la cinquantaine. Ayant quitté son pays, le Salvador, il travaillait dans une petite université américaine mais, à la suite de fausses accusations, il a été renvoyé. Son salut ? Josefin, son infirmière quand il a été interné. Ils vivent ensemble, puis, quand elle retourne dans son pays, elle lui propose de partir avec elle en Suède. Nouveau déracinement pour un homme qui tente de se reconstruire et qui ne parvient pas à se reconstruire.

Nous suivons l’histoire du point de vue d’Erasmo, à travers les méandres de son cerveau, qui, en période de crise, tord, retord, et distord tout ce qu’il voit, entend, à la fois à cause de ce qu’il a vécu dans son pays natal, à cause de ce qu’il a vécu dans le Wisconsin, mais aussi à cause des médicaments qu’il prend, ne prend pas, et des interactions avec l’alcool qu’il ne doit surtout pas prendre. Sa dépendance, affective, financière envers Josefin, la seule personne qu’il connait dans ce pays, n’arrange rien. Et Josefin, me suis-je demandé ? Qu’est-ce qui a bien pu pousser cette infirmière, mère célibataire d’une jeune adulte, à tendre la main à Erasmo ? Nous ne le saurons pas, parce que ce n’est pas le sujet du  livre, nous entendrons, comme Erasmo, ces constats, ces reproches aussi, ce qui le force, à (re) prendre sa vie en main.

Retrouvera-t-on ce personnage, délivré de ses calmants, de retour en Amérique du Sud un jour ? J’ai en tout cas apprécié ce mélange d’ironie et de lucidité qui préside à l’écriture de ces tortueux monologues intérieurs.

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

L’échange d’Eugénie Almeida

Présentation de l’éditeur : 

À la sortie d’un bar, une jeune femme menace un inconnu puis retourne son revolver contre elle-même et se suicide, ça ne regarde pas la police. “Tout au plus un épisode confus. Sans danger pour les tiers.”
Mais Guyot, le journaliste, s’obstine. Il veut comprendre. Il consulte des archives. Il lit les cahiers de la victime. Il cherche. Il ne voit pas les signaux d’alarme.
Parfois, il vaut mieux laisser tomber. L’importance du passé est surestimée. Si les gens restaient tranquilles, tout irait mieux.

Mon avis  (court, parce que je suis fatiguée par des bobos de santé qui s’accumulent) : 

Ce livre est percutant, efficace, que ce soit dans son écriture, sèche et cruelle, ou dans la construction de son intrigue. Un livre dont je n’ai pas vu passer la lecture tant l’action va vite, très vite.

Nous sommes en Argentine, et la dictature, ce n’était pas si loin. Il est encore des personnes qui sont nostalgiques de cette période, des personnes qui ont encore de lourds secrets à cacher, et des personnes qui sont assez bêtes pour vouloir parler de leur passé, sans penser aux conséquences – pour eux, pour les leurs, pour les autres. Surtout quand leur ami, leur protecteur est froid, cynique, et prêt à tout pour être totalement tranquille.

Il faut dire que ceux-ci, ces nostalgiques, ces profiteurs, ceux qui s’en sont mis plein les poches et ont profité aussi pour faire à peu près tout ce qu’ils voulaient, sont partout, y compris dans la police : il est dur de revenir à une vie où tous les coups ne sont plus permis. Dans ce roman, on n’est plus au stade où l’on ramasse les pots cassés, l’on en est à celui où, si l’on survit, l’on se planque le plus loin et le plus vite possible. Si l’on parvient à survivre.

J’ai tellement aimé ce roman que je suis allée emprunter à la bibliothèque un autre titre de cette autrice.

Le royaume du dragon d’or d’Isabel Allende.

Présentation de l’éditeur :

De retour de leur incroyable expédition dans la jungle amazonienne, Kate Cold et son petit fils Alexander s’attendent à prendre un repos bien mérité. C’était sans compter sur le National Geographic, l’employeur de Kate qui lui propose un reportage dans le pays asiatique du Royaume du Dragon d’or.
Totalement isolé du monde moderne, ce pays n’ouvre ces portes que très rarement aux yeux étrangers, défendant son trésor national : la statue du Dragon d’or qui possède la capacité de prédire l’avenir.
Dans le monde occidental, son existence fait jaser, entre railleries et fascination car aucune preuve de son existence n’a jamais été fournit. L’occasion est trop belle, l’instinct journalistique de Kate ne peut résister, embarquant dans ses bagages Alexander et Nadia Santos, rencontrée lors de leur précédente aventure, devenue amie de la famille et plus particulièrement du jeune homme. Tout semble s’annoncer sous les meilleurs hospices mais c’est sans compter sur la vanité d’un milliardaire désirant s’approprier par tous les moyens la statue… encore un voyage qui ne sera pas de tout repos !

Mon avis : 

J’ai emprunté ce livre à la bibliothèque municipale, et j’ai découvert que c’était un tome 2. Je m’en suis rendu compte à la lecture, parce qu’il était évident que les personnages avaient vécu d’autres aventures avant, et cette évidence se poursuit au cours de la lecture, puisque les personnages évoquent clairement les expériences qu’ils ont faites. Tant pis, surtout que, renseignements pris, la bibliothèque ne possède ni le tome 1 ni le tome 3.

Je ne sais pas trop, finalement, que penser de ce livre. Certes, il est facile à lire, certes, les péripéties sont nombreuses, et l’on a envie de découvrir la suite des aventures. Mais j’ai eu du mal avec le personnage de la grand-mère exploratrice, que j’ai trouvé peu sympathique, au contraire de son petit-fils Alexander et de ses amies. Kate est aventurière, uniquement aventurière, et paraît peu douée pour éprouver, manifester des sentiments, de l’empathie envers autrui. J’ai eu l’impression d’avoir un rôle stéréotypée en face de moi, non un personnage à part entière. Il faut attendre les deux tiers du récit pour qu’elle montre un aspect plus humain – il était temps.

Les véritables héros, ce sont Alexander et Nadia, qui font preuve de courage voire même d’abnégation au cours des épreuves qu’ils vont traverser. Il faut dire que les méchants peuvent être vraiment méchants, cruels, sournois, cupides, comme si l’argent n’avait pour seule utilité que de posséder encore et toujours plus. L’on découvre cependant les chamans, leurs pratiques, leur ascèse et leur intérêt pour les autres, bref, tout le contraire de ceux qui s’opposent à eux. Nous découvrirons aussi des créatures de légende mais chut ! je n’en dirai pas plus sur eux. Ce roman est très différent de ceux que j’avais déjà lus d’Isabel Allende, et que j’avais préférés. Mais, je me répète, cette lecture n’a pas été désagréable.

Il pleut sur Managua de Sergio Ramirez

Présentation de l’éditeur : 

Entre deux orages, Managua est traversée par des processions religieuses délirantes, des manifs de toubibs, des embouteillages monstres, au milieu des ruines du tremblement de terre de 1972, des bidonvilles et des quartiers chics. La guérilla est loin désormais, on inaugure en grande pompe des stations-services rutilantes et les évangélistes vendent du savon miracle. Les anciens guérilleros sont devenus flics, bandits, notables, employés, les trahisons vont bon train, et les narcos courent toujours.
Ce jour-là la Vierge de Fatima entre dans la ville, au son d’un orchestre de chicheros, escortée par les officiers de la police nicaraguayenne. L’inspecteur Morales regarde la scène de son bureau de la plaza del Sol. Il est chargé d’enquêter sur un yacht abandonné à Laguna de Perlas, sans doute une histoire de narcos, et pas des moindres. Flanqué d’un lieutenant cynique et d’une ex-guérillera coriace devenue femme de ménage, il traque les coupables avec sa Lada bleue et son P38 sur fond de chaos social et politique.

Mon avis :

Je ne vous dis pas, le mois espagnol et sud-américain, c’est parfois vraiment épuisant. Tenez, après avoir visité le Vénézuéla, me voici au Nicaragua, et après, je pars pour le Salvador. Si je ne recommande pas le Venezuela, je ne peux pas dire que le séjour au Nicaragua ait été reposant.

Pourtant, tout va bien, officiellement, dans ce pays. Ce n’est pas du tout un lieu de villégiature pour narcos en vacances. D’ailleurs, ce pays n’est pas du tout un lieu de transit pour leurs marchandises, non du tout. Pays très calme, là où les médecins et les infirmières manifestent régulièrement – c’est sans doute que quelque chose ne va pas, non ?

L’inspecteur Morales, lui, est chargé d’enquêter sur un yacht retrouvé abandonné. Ancien guerilleros (il a même perdu une jambe au cours d’un combat), il est assisté par une ancienne guerillera, devenue femme de ménage : elle est restée très à cheval sur certains principes moraux, et n’apprécie pas vraiment la liaison de l’inspecteur avec Fanny, une femme mariée, mais pas avec lui. L’inspecteur a une vie sentimentale tout sauf reposante, comme nous pourrons le découvrir au fil du récit.

Cela n’empêche pas Morales et ses collègues de mener l’enquêter, et de découvrir des choses pas forcément jolie-jolie – ce n’était pas le but non plus. L’on vit très bien en étant complice de trafic de drogues. L’on vit simplement moins longtemps, ou bien l’on risque de voir ses proches disparaître très vite. Curieux pays où la religion est encore très présente, une certaine morale aussi. Je ne dirai pas que j’ai apprécié ce roman, je dirai qu’il y a eu des temps forts dans cette lecture, et d’autres qui l’étaient nettement moins. Cela ne m’a pas empêché de poursuivre ma lecture jusqu’au bout.

 

Les valises de Juan Carlos Méndez Guédez

Présentation de l’éditeur :

La vie est un match de boxe, tendance lucha libre. A Caracas quand on sort le matin on n’est jamais trop sûr de pouvoir rentrer vivant chez soi.
Donizetti, fonctionnaire ordinaire, employé dans une agence de presse gouvernementale, bonhomme et maladroit, est chargé de convoyer des mystérieuses valises à travers le monde. Dans une ville en perpétuelle pénurie, il a désespérément besoin de cet extra pour nourrir ses deux familles, dont un fils taiseux, une ex-femme qui fait des fleurs en porcelaine et son amant qui passe ses journées dans son hamac. Antihéros tendre et obstiné, il effectue ses missions docilement, sans trop (se) poser de questions.
Mais à force de prendre des coups sans trop savoir d’où ils viennent, même quand on n’est pas un caïd, on finit par s’énerver. Avec Manuel, ami d’enfance, ex-animateur de radio, fan de boxe, qui survit en travaillant dans le magasin de chaussures de ses parents, ils vont tenter de prendre une revanche éclatante et définitive sur tous les profiteurs corrompus, les espions cubains et les mafias russes, la seule façon, peut-être, de survivre au marasme.

Mon avis : 

C’est un livre que j’avais commencé voici deux ans, puis que j’ai reposé, que je n’ai pas repris pour la session 2022, et qui, finalement, se retrouve pour la session 2023. C’est un roman vénézuélien, un pays que je connais peu, un pays dont je ne connais pas du tout la littérature, et, de nouveau, un roman publié par les éditions Métailié.

Le personnage principal, c’est Donizetti (et j’ai envie d’ajouter : pourquoi pas Mozart ?) Il est un fonctionnaire qui passe totalement inaperçu, tellement inaperçu qu’il est chargé de convoyer de mystérieuses valises et leur contenu à travers le monde. Ne cherchez pas, il a un bilan carbone absolument abominable, mais c’est pour la bonne cause. Non, pas la cause de son gouvernement, mais le fait de faire vivre sa famille, sa femme, la fille de celle-ci (adorables toutes les deux au demeurant), mais aussi son fils, son ex-femme, artiste presque incomprise, et le nouveau compagnon de celle-ci, qui sait totalement tiré partie de la situation, en travaillant le moins possible. D’emblée, Donizetti paraît immédiatement sympathique, et il le restera – même s’il commence à se poser des questions. La blessure de trop, c’est l’assassinat de sa voisine et de sa fille, parce que Donizetti a beau être gentil, très gentil, il comprend très bien que l’on s’est trompé de cible et que c’est sa compagne et la fille de celle-ci qui étaient visées. Pourquoi ? Il a toujours été un employé modèle, avalant couleuvre sur couleuvre, se mêlant le moins possible de toutes les magouilles politiques qui gangrènent la ville et le pays. Ce n’est pas tant qu’il se rebelle, ce serait beaucoup trop visible, c’est qu’il est bien décidé à faire la lumière sur tout ce qui se passe, et qui sait ? prendre sa revanche.

Il retrouve Manuel, un ami d’enfance, un autre personnage que j’ai trouvé immédiatement sympathique. Il a des convictions, et celles-ci lui ont couté son poste à la radio. Il n’est pas vraiment le fils qu’auraient désiré ses parents – il est gay, et l’assume parfaitement, hors de questions pour lui de faire semblant. Cet ex champion de boxe sera un soutien très solide pour Donizetti, sûr, fiable, prêt à prendre des risques et aussi à « secouer » qui doit l’être (non, pas Donizetti, celui-ci a bien pris conscience de ce qui se passait) afin de parvenir à ses fins.

Immoral ? Non. Ce qui l’est, c’est la corruption qui règne à tous les étages, c’est le fait qu’être honnête ne permet même pas de survivre. Le strict minimum n’est pas assuré. C’est un portrait très sombre du Vénézuela qui nous est donné dans ce roman, aussi dense que prenant.

 

Kramp de Maria José Ferrada

Quidam éditeur – 132 pages

Présentation de l’éditeur :

Chili, années de la dictature Pinochet. M, une petite fille, accompagne D, son père représentant en quincaillerie, dans ses tournées et se passionne pour les objets qu’il vend tant ils lui paraissent être l’ordre même de l’univers. Elle rencontre ainsi les autres voyageurs de commerce, qui constituent « une famille sans parents et donc plus supportable qu’une autre », aide son père à falsifier ses notes de frais, écoute les histoires, drôles ou tragiques, des uns et des autres…jusqu’au jour où son monde se délite.

Mon avis : 

J’ouvre le neuvième mois espagnol et sud-américain avec un roman que l’on m’a offert récemment, roman qui est extrêmement surprenant.

Le récit pourrait être lourd, pesant, moralisateur, il n’en est rien. Pourtant, ce sont des thèmes graves qui sont abordés au fur et à mesure de la lecture.

La narratrice, c’est M. Elle est une petite fille. Elle n’aime rien tant qu’accompagner son père dans ses tournées – il est représentant en quincaillerie, la marque Kramp, qui permet au monde de tenir debout selon luiet il vend beaucoup mieux quand la petite fille est avec lui. Pour cela, elle sèche allégrement le collège, sous des prétextes bidons – sa mère n’aurait pas accepté qu’elle fasse l’école buissonnière, surtout pas pour accompagner son père, encore moins pour accompagner S. , autre représentant de commerce, qui lui aussi aura M. comme assistante.

Cela peut paraître drôle, et ça l’est, parce que M. apprend beaucoup plus avec eux qu’elle ne pourrait en apprendre à l’école. Mais nous sommes sous la dictature de Pinochet, et s’il y a des choses qu’une petite fille ignore, elle les découvrira bientôt, ce qui lui causera un choc profond, changera son univers et celui de sa famille. Le récit est raconté avec des mots simples, mais sans naïveté : M. est une petite fille qui avait déjà bien vite grandi au moment de cette révélation. Et si je dois avoir un coup de coeur pour un personnage, c’est pour celui de sa mère, bien plus profond que l’image qu’en renvoyait D, le père.

Une oeuvre à découvrir.

Supermarché de José Falero

Présentation de l’éditeur :

Dans les favelas de Porto Alegre, deux metteurs en rayon d’un supermarché aux allures d’un Don Quichotte lettré et d’un Sancho Pança révolté vont se lancer dans une aventure trépidante pour échapper à leur exploitation dans un travail dénué de sens.
Entre trafiquants, gangsters et vieux manuels d’économie lus dans les transports publics bondés, un premier roman comique, provocateur et excitant.
Un auteur exceptionnel venu directement de la favela sur laquelle il écrit, arrivé à l’écriture grâce à la découverte de la lecture après avoir abandonné l’école à 14 ans. Reconnu et best-seller au Brésil, sa trajectoire ressemble à celle de son unique prédécesseur international il y a 20 ans, Paulo Lins et sa Cité de Dieu. Une voix neuve qui manie la lucidité et l’humour avec une dextérité impitoyable.

Mon avis : 

Et pendant qu’on donnait du Shakespeare ou du Brecht au Renaissance, le prestigieux théâtre du centre culturel, la favela, elle, servait de scène aux tragédies de la vraie vie.

J’ai trouvé que cette citation illustrait parfaitement le roman. Nous sommes dans une tragédie comique. Pedro et Marques sont deux honnêtes travailleurs, ils remplissent les rayons d’un supermarché, travail ô combien ennuyeux et peu rémunérateur. L’un vit avec sa mère, l’autre est marié, a un fils, un autre enfant en route, et il se demande bien comment il pourra faire face. La solution ? Vendre de l’herbe – parce que, pour vendre une autre drogue, il faut être affilié à un gang, et c’est vraiment, mais alors vraiment trop dangereux.

Et pourtant, le danger, la violence sont là, dans ce qui pourrait être un conte, mais n’en est pas un – comme si le bonheur, ou même la tranquillité, n’était pas possible ici. La violence est malheureusement ordinaire, courante, banale, ce qui ne veut pas dire qu’elle est banalisée. Seulement, les habitants des favelas le savent : la violence, ils vivent avec, vivre sans est impossible. Il faut simplement essayer de passer entre les coups, les balles, se tenir le plus loin possible de tout ce qui est susceptible de provoquer cette violence. Difficile ? Impossible ? Oui, pour les deux cas. Ce n’est pas faute de vouloir vivre la vie la meilleure qui soit – une vie qui nous semblerait, pour nous, une vie des plus ordinaires, une vie presque banale en France – vivre dans une maison, manger tout ce qui vous tente, ne pas avoir peur pour l’avenir proche ou lointain de vos enfants.

Sauf que nous sommes au brésil, le Brésil des années 2000 finissantes, un pays où la corruption régnait, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne règne plus, un pays où, pour s’enrichir, il n’y a que deux solutions, être un footballeur professionnel ou être malhonnête.

Sans espoir ? Je n’irai pas jusque là. Je dirai seulement que le dénouement est à lui bien différent de ce que j’ai pu lire jusque là. Alors, je ne vous dirai pas que c’est un livre à lire absolument, je vous dirai simplement que les éditions Métailié savent véritablement trouver des oeuvres différentes de tout ce que j’ai pu lire jusqu’ici.

Merci aux éditions Métailié et à netgalley pour ce partenariat.

Crimes et jardins de Pablo de Santis

Présentation de l’éditeur :

Buenos Aires, 1894. Le jeune Sigmundo Salvatrio a repris l’agence Craig après la mort de son mentor. Il affronte ici sa première affaire. La découverte d’un cadavre avec une statuette de Narcisse oriente l’enquête vers un groupe de philosophes des jardins aux agissements pour le moins bizarres.

Mon avis :

J’ai réussi ! A quoi ? A lire deux autres titres pour le mois espagnol et sud-américain. Deux titres différents, certes, mais intéressants, intriguants, deux titres que je ne regrette pas d’avoir découvert.

Nous sommes en Argentine, à la fin du XIXe siècle, période historique rarement traitée dans la littérature (à moins que la littérature qui traite de cette période ne vienne pas jusqu’à nous). Le héros est Sigmundo Salvatrio, un détective en devenir : Craig, son mentor est mort, l’académie qu’il avait fondée a été dissoute, mais il a repris le flambeau et se retrouve à enquêter sur sa première affaire de meurtre. Elle sera très vite suivie par un second meurtre, tout aussi énigmatique.

Roman policier ? Oui. Mais il contient tellement plus qu’une intrigue nous permettant de découvrir le tueur et son mobile. Il est question des jardins, des plantes, de ce que l’on veut faire de ses jardins, de la manière dont on les conçoit. Le jardin comme démonstration de philosophie de vie. L’on peut se perdre dans les jardins, on peut vouloir les laisser à l’abandon, ou bien tout détruire pour tout recommencer.

Salvatrio rencontrera au cours de son enquête des personnalités fortement caractérisés. Ce qui m’a frappé aussi est que les personnages que l’on croise le plus souvent dans ce roman sont tous des hommes, sans attache avec des femmes, ou bien, s’ils ont été mariés, leur femme est décédée depuis longtemps. Seul l’un d’entre eux a une fille, incapable de parler depuis un traumatisme trois ans plus tôt. Les seules femmes que l’on croise sont toutes assignées à résidence, ou presque, qu’elles soient mère, femme ou fille. Ne parlons pas des épouses abandonnées, à la triste vie. Quant à l’épouse qui abandonne, elle est vouée à l’opprobre, quand ce n’est pas à la folie. La femme n’est jamais libre, en fait, même veuve sans enfant : Salvatrio s’inquiète de voir madame Craig recevoir un homme chez elle, il a peur qu’elle entache non sa réputation, mais celle de son mari mort. Les femmes, on peut les voir – mais à peine – on peut les entendre, sans faire attention à ce qu’elles disent, à ce qu’elles écrivent, à ce qu’elles dessinent. Dans ce cas, à quoi bon parler ? Cela ne sert pas à grand chose.

Pablo de Santis est un auteur que je suis heureuse d’avoir découvert.

L’eau de toutes parts de Leonardo Padura

Présentation de l’éditeur :

Dans ses romans, Leonardo Padura établit un dialogue entre l’Histoire et la littérature, Cuba et l’exil, la puissance de l’amitié et la douleur des rêves frustrés. Dans ce captivant recueil d’essais, il explore les coulisses de ses œuvres les plus célèbres et les plus emblématiques et les sujets qui lui sont chers (l’appartenance, la musique, le cinéma, la littérature, la lecture, le base-ball…). Véritable immersion dans la salle des machines littéraire d’un auteur mondialement reconnu, ce livre personnel et évocateur est également un hommage au genre du roman, qu’il maîtrise et affectionne tant.
Une fascinante fenêtre ouverte sur le métier d’écrivain, sur la création artistique et l’importance de la littérature. Une masterclass humaine, brillante et profonde sur l’art du roman avec le rythme, les contradictions, l’humour et les saveurs de Cuba.

Merci aux éditions Métaillié et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Nous sommes dimanche, nous sommes à la moitié du mois espagnol et ça y est, j’ai pu lire et chroniquer une oeuvre pour ce mois.

Ceci n’est pas un roman, mais une succession d’essais qui porte avant tout sur Cuba, puis sur l’écriture. Leonardo Padura est un écrivain cubain qui a toujours vécu à Cuba, qui a vécu comme tous les autres cubains, qui a cru en les espoirs de son pays, qui, jeune, a coupé pendant deux mois de la canne à sucre « comme tout le monde » pour atteindre les objectifs fixés (et sortir le pays de la misère). Il a aussi été mis au placard, contraint de travailler dans un journal sportif, ce qui lui a permis, paradoxalement, de travailler son écriture et de ne pas être aussi malheureux que le pensait ceux qui l’ont relégué là. Il peut témoigner de la pauvreté de son pays, du fait qu’un chauffeur de taxi gagne mieux sa vie qu’un médecin (« mieux » ne veut aucunement dire « bien »), que s’acheter une voiture est très compliqué, faute de moyen. Je ne parle même pas des besoins « de base », comme se nourrir correctement, avoir accès à l’eau. Quant au système de santé si vanté, Padura admet qu’il est utile d’avoir un ami dans la place – pour se faire soigner plus facilement. Oui, le tableau qu’il dresse de son pays est sombre; Il est surtout réaliste, et c’est parce qu’il y vit qu’il peut en parler, qu’il peut aussi parler des écrivains qu’ils admirent et dont le talent n’a pu s’épanouir – écrire et publier à Cuba, toute une histoire. Padura voudrait d’ailleurs, quand il est interviewé, que les journalistes le considèrent comme un écrivain « ordinaire », comme Paul Auster, c’est à dire qu’on lui pose des questions littéraires, et pas des questions sur la politique cubaine. Etre écrivain, ce n’est pas être un spécialiste politique ou économique.

Il nous parle aussi de la genèse de ses oeuvres – ou comment est né Mario Conde, pourquoi il lui a fait quitter la police pour en faire un détective privé. Il nous parle aussi plus longuement de L’homme qui aimait les chiens, des cinq années de travail qu’il lui a fallu pour écrire ce roman historique, de sa connaissance de l’assassin de Trotski, qui passa les dernières années de sa vie à Cuba – et cette phrase est terriblement restrictive par rapport aux émotions exprimées par Padura, par la douloureuse prise de conscience de tout ce qui a été caché, de tout ce qui l’est encore à Cuba, pour peu que l’on ne lise que les organes officiels. Encore faut-il avoir la chance d’accéder à d’autres médias. Il nous parle aussi de pourquoi écrire, cette question que l’on pose souvent, et surtout, pourquoi avoir écrit ce livre, pourquoi avoir écrit ce sujet – voir l’écriture d’Hérétiques, qui s’imposa à lui juste après l’homme qui aimait les chiens.

J’ai failli oublier de parler du base-ball, ce sport national dont il est fan, et son père avant lui, au point de rêver que son fils aîné devint un excellent joueur de pelota. Il nous parle des clubs pour lesquels leurs coeurs battirent, mais aussi du désamour actuel des cubains au profit du football, sport qui n’est pourtant pas très pratiqué sur l’île.

L’eau de toutes parts ou la déclaration d’amour d’un auteur à son île, son quartier, qui se termine par une évocation de « Notre Havane quotidienne ». J’espère que cet ouvrage ne touchera pas seulement les lecteurs de Padura, mais aussi ceux qui veulent mieux connaitre Cuba.