Archive | août 2018

Black out de Cécile Delarue

Présentation de l’éditeur :

Los Angeles, années 1980. Le crack a envahi les rues de South Central, un quartier noir, le plus pauvre de la ville. Cinq ou six tueurs en série sévissent en même temps sur ce territoire abandonné de tous. Parmi eux, celui que la presse a surnommé le Grim Sleeper. Son premier meurtre date de 1985, son dernier de 2007. On lui connaît dix-sept victimes, dix-sept femmes noires. Seules deux d’entre elles ont survécu. Quand Cécile Delarue arrive à Los Angeles en 2010, il vient d’être arrêté. Mais c’est aux victimes qu’elle décide de s’intéresser. Elle s’immerge dans leurs vies, rencontre leurs familles, retrouve l’une des survivantes, et retrace avec elles et tous les autres protagonistes de l’affaire (policiers, magistrats, militants…) la longue traque du tueur.Une plongée vertigineuse dans un pays en morceaux, où Noirs et Blancs, riches et pauvres vivent séparés, où la défiance ronge tous les liens.

Merci aux éditions Plein Jour et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Les tueurs en série fascinent. Ils sont les héros de films, de romans, et leur psychologie est plus ou moins construite. En bref, ils ont élevé au rang de héros. En découvrant Black out, ce qui m’a tout de suite plu dans ce livre qui n’est pas un roman mais une véritable enquête, c’est que son centre d’intérêt était les victimes. Celles qui sont toujours les grandes oubliées. L’auteure n’est pas la seule à avoir écrit un livre, un documentaire sur ce tueur qui a sévi pendant des décennies. Elle cherche à savoir pourquoi il a fallu tant de temps pour qu’il soit arrêté, comment la police a enquêté, les magistrats ont instruit cette affaire – explorer ces trois axes n’a pas été simple. Elle nous parle un peu d’elle, aussi, des raisons qui l’ont poussé à vivre aux Etats-Unis, de sa vie, là-bas, pendant ces recherches, mais ces instants de sa vie ne parasitent jamais le récit.
Les points essentiels de cette affaire sont peut-être les suivants : les victimes sont noires. Les victimes sont pauvres. Les victimes vivent à Los Angeles, pas dans les quartiers qui font rêver, non, dans les quartiers à la limite de l’insalubrité, pour lesquels les riches citoyens de la ville n’ont pas vraiment envie que leurs impôts soient dépensés. Dans ces quartiers – aussi – la police est débordée et manque de moyens.
L’auteure n’a pas baissé les bras lorsqu’elle faisait des recherches pour écrire son livre – certains estiment que tout a été dit, d’autres ont des réflexes communautaires. Parler n’est pas si facile que cela, comme le lui confiera une survivante. Surtout, ce qui est frappant est à quel point les familles des victimes ont été laissées dans l’ignorance. Là aussi, on est bien loin des clichés montrant les policiers tenir au courant les proches de la moindre avancée de l’enquête. Rien ne leur était communiqué, et il a fallu bien des années pour qu’ils découvrent toute la vérité, et se retrouvent avec une interrogation de plus – pourquoi ce silence ?
Au final, un livre passionnant, qui nous montre un autre aspect du rêve américain.

Le petit prince de Harlem de Mikaël Thevenot

Présentation de l’éditeur :

Des clubs de jazz aux guerres de gangs : bienvenue à Harlem.
Entre les trafics et la pauvreté ambiante, Sonny fait tout ce qu’il peut pour aider sa mère à joindre les deux bouts. Quitte à basculer dans l’illégalité…
Il n’y a que le soir que son âme s’élève, sur les toits, lorsqu’il souffle dans son saxophone et que le son pur et ensorcelant du jazz enchante sa vie.
Mais entre la rue et les toits, peut-il choisir son destin ?

Merci à Netgalley et aux éditions Didier Jeunesse pour ce partenariat.

Mon avis :

Ce qui m’a attiré en premier dans le livre, c’est le nom de l’auteur. Si, si, il faut bien commencer par quelque chose pour avoir envie de découvrir un livre. Après, je me suis penchée sur le résumé du livre, et c’est seulement après que je l’ai sollicité et que j’ai eu la chance de l’obtenir.
Le roman commence doucement, nous sommes de nos jours, et un policier tente de convaincre un vieil homme, qui vit dans la rue, de rejoindre un foyer pour sans-abris. Il n’y tient pas, il a tant de choses à dire, et à écrire. C’est alors que nous retournons en arrière avec lui, dans le passé – son passé.
En découvrant le récit de sa jeunesse, j’ai pensé à d’autres romans qui parlent de New York, des années d’après-guerre, comme Les saisons de la nuit de Colum McCann. Le petit prince de nous parle de la difficulté de vivre quand on est noir : pour mémoire, les soldats noirs américains, à de très rares exceptions, n’avaient pas le droit de combattre, c’est à dire d’avoir des armes (ils auraient pu se rebeller). Oui, lui et sa mère, et d’autres encore, ont quitté la Louisiane, le Sud, parce que le Nord est plus clément, moins raciste. Pourtant, la ségrégation est bien là, le travail est en priorité pour les blancs, s’ils en demandent. Aller à l’école ? Encore faut-il qu’il y ait de la place dans la salle de classe – et ce n’est pas la faute du maître, rempli de bonne volonté.
Sonny découvre la musique, le jazz presque par hasard, et se trouve projeter dans un univers dans lequel la ségrégation règne. Vous jouez, on vous écoute, noir et blanc ne se mélangent pas. La violence est toujours proche, parce qu’il faut parfois jouer de manière clandestine, la prohibition règne, la guerre des gangs aussi.
Le roman interroge aussi sur la manière dont on veut vivre sa vie avec la musique. Faut-il espérer obtenir un certain confort grâce à elle ? Faut-il le craindre, ce confort, pourtant si dur à obtenir ? Comment jouer de la musique, aussi, quand on a perdu la personne en qui on tenait le plus au monde ? Vaste sujet, auquel Sonny apporte ses propres réponses.
Il est question aussi de transmission – même si le jazz est aussi question d’improvisation. On ne peut jouer sans base, sans technique, sans envie. Charlie les a apportées à Sonny. Lui aussi, de son côté, essaie de montrer qu’il n’est jamais trop tard pour choisir sa vie.
PS : et si vous voulez en savoir un peu plus sur la reine de Harlem, n’hésitez pas à lire le roman de Raphaël Confiant Madame St-Clair, Reine de Harlem .

Ueno park d’Antoine Dole

Présentation de l’éditeur :

Ueno Park, immense étendue de verdure en plein coeur de Tokyo. On y découvre Ayumi, une hikikomori, qui sort pour la première fois de chez elle après plus de deux ans de réclusion. Haruto, un jeune lycéen qui tente de reconstruire sa vie après l’expérience du tsunami de 2011. Noriyuki, un adolescent qui a dû abandonner le domicile familial. Sora, qui affiche son look extrême et asexué de genderless kei et doit résister aux insultes ; Aïri, fan obsessionnelle, qui s’égare dans son fantasme avec son idole… Ces adolescents ne se connaissent pas mais ont en commun de ne pas se conformer, de rejeter les codes traditionnels de la société japonaise et d’affirmer un style de vie, un furieux désir de liberté. À Ueno Park, ils vont se trouver réunis pour Hanami, le spectacle de l’éclosion des cerisiers. Ce moment de renaissance va permettre à chacun d’explorer sa propre solitude.

Mon avis :

Huit adolescents, huit vies très différentes, dans le parc des cerisiers en fleurs pour le rituel de l’Hanami. Huit destins très différents, saisis dans un moment particulier, en cette unité de temps et de lieu. On pourra se demander quel seront leur devenir, leurs forces, leurs faiblesses. Ils semblent tous seuls, très seuls, même s’ils ont un point commun : ils rejettent la société telle qu’elle est. Auront-ils la force de s’affirmer, de ne pas faire ce que l’on attend d’eux ? Pour certains, c’est quasiment sûr. Pour d’autres, le chemin vers eux-mêmes sera long, si tant est qu’ils le suivent. Affronter les morts, leurs souvenirs est plus difficile que de se confronter aux vivants.
L’on découvre ainsi, dans ce parc, ceux que la société exclut, méprise, selon un système de valeurs qui n’est pas le nôtre – même si, pour certains points, elles se recoupent quand même. En France, la débrouillardise, l’art de s’en sortir en faisant des petits boulots, la faculté à en changer si nécessaire est plutôt valorisé. Pas ici.
Nous avons huit points de vue différents, ou plutôt sept, puisque le dernier nous ouvre à la fois un point de vue sur lui-même et sur les autres qu’il voit sans que les autres l’aperçoivent. Il est des êtres invisibles. Ce qui manque, dans ce Japon qui fait tant rêver, la solidarité. Être une femme, plus encore qu’un homme, est avoir un avenir tut tracé, identiques pour toutes – mariage, maternité, éducation des enfants dans le respects des traditions.
Mon personnage préféré est Sora, parce que même s’il subit des attaques bien réelles, même si le négatif est bien présent dans la vie qu’il s’est choisie, il se raccroche à ce qui peut lui arriver de positif dans sa vie hors-norme.
Merci aux éditions Actes Sud Junior et à Netgalley pour ce partenariat.

Une douce lueur de malveillance de Dan Chaon

Présentation de l’éditeur :

Dustin Tillman est psychologue à Cleveland. Une partie de sa famille a été assassinée pendant son enfance et son frère adoptif a été condamné pour ce crime. Celui-ci est finalement innocenté.
Dustin s’intéresse alors aux crimes non élucidés de la région, notamment une série de disparitions dont lui parle un de ses patients, Aquil Ozorowski, ancien policier. Dustin se passionne pour cette affaire.

Merci à Léa et à son PicaboRiverBookClub et aux éditions Albin Michel pour ce partenariat.

Mon avis :

J’ai du mal à commencer la rédaction de mon avis pour ce livre, parce qu’il est tellement riche, parce qu’il y a tellement à en dire que j’ai peur d’en dire trop, ou de ne pas réussir à partager ce qui fait la singularité de ce titre.
Il contient 527 pages. Rien n’est à retirer. Même, ce qui est intéressant, ce sont tous les non-dits, les silences, parfaitement matérialisés dans le texte sans en faire trop visuellement. Au lecteur de combler ses courts blancs, ses pauses, ses moments de silence et d’hésitation qui concernent à peu près tous les personnages.
Pourtant, les personnages se parlent, mais n’écoutent pas ce que disent les autres – même s’ils croient le faire. Le personnage emblématique de cette situation c’est Dustin, que je qualifie de personnage principal sans prendre le risque de me tromper. Il mène une vie des plus ordinaires en apparence, marié, deux enfants. Seulement, ses parents, son oncle, sa tante ont été assassinés alors qu’il était enfant, et aujourd’hui, trente ans plus tard, le coupable désigné sort de prison, non parce qu’il a purgé sa peine, mais parce qu’il a été reconnu innocent. Au même moment, la femme de Dustin meurt, des suites d’un cancer qui l’a emportée très rapidement. Elle non plus n’arrivait à dire, à partager. Ne pas dire à ses enfants (pour sa maladie, pour les causes du décès de leurs grands-parents) faisait partie de ses choix – les conséquences, on peut les lire en partie dans l’après.
L’après, c’est l’illusion d’une vie qui continue, alors que Dustin est en décalage complet entre ce qu’il pense être sa vie et ce qu’elle est réellement. L’interrogation sur ce qui s’est vraiment passé la nuit où ses parents sont morts est là, latente : c’est davantage ce que Russel, son frère adoptif sorti de prison peut penser de lui et des autres – ses cousines Kate et Wave – qui le préoccupe que la recherche de la vérité. Il faudrait pour cela qu’il remette en cause ce qu’il a cru, ce qu’il a vu, ce qu’on lui a fait croire. Hier, comme aujourd’hui, les théories du complot fleurissent, et il est intéressant de se replonger dans ses années 80 pour voir et bien, celle qui dominait dans l’opinion publique à l’époque, et qui n’avait pas besoin des réseaux sociaux pour se répandre jusque dans les tribunaux.
A défaut d’enquêter sur son passé, à défaut d’en parler, Dustin se fait un nouvel ami, Aquil, policier mis sur la touche parce que… parce que là aussi, Dustin n’a pas le droit de savoir pourquoi Aquil ne fait plus vraiment partie des forces de police. En revanche, celui-ci, qui devient son nouvel (son seul ?) ami le fait à nouveau plonger dans une affaire de meurtres, dans une nouvelle théorie du complot moderne, et tous deux se constituent enquêteur en dilettante. Dustin se rend à peine compte qu’il a largement franchi les limites des relations patient/thérapeute. Il ne se rend pas compte non plus que son fils aîné s’est éloigné, que son fils cadet se drogue et sombre peu à peu. Tel un grand angoissé de la vie, il se recrée un monde, empruntant à ses propres thérapies pour tenter… de rationaliser ? de trouver un sens à ce qu’il ne comprend pas ? tant le décalage est grand entre ce qu’il perçoit et ce que les autres perçoivent de lui. Autour de lui, comme des satellites, la présence des absentes. Kate, d’abord, la seule avec laquelle il maintient un contact, Wave, la jumelle de Kate, est encore plus nébuleuse, puisqu’elle a choisi la fuite, l’isolement, une vie dans la crainte perpétuelle de… De quoi, au juste ? A quelle théorie du complot a-t-elle souscrit de son côté ?
Autre idée sous-jacente : la norme. Quelle norme ? Wave, adolescente, a déjà soulevé l’idée que ses parents ne sont pas dans la norme, qu’ils ne vivent pas comme les autres, et que l’accident du travail qui a coûté un bras à son oncle ne justifie pas leur mode de vie. Déjà, dans cette génération un peu particulière (les deux frères avaient épousé les deux soeurs) puisqu’elle avait coupé les liens avec les grands-parents : parents et enfant (en l’occurrence Kate et Wave) avaient une vision diamétralement opposée d’une seule et même personne – ou de la diversité des points de vue naît la richesse d’un récit.
Je prends des chemins de traverse pour ce récit, dont la chronologie n’est pas linéaire sans pour autant nous perdre. De même, l’auteur utilise des techniques de narration originale, non dans le seul souci de « faire vraie », mais pour augmenter la richesse de la narration.
Vous l’aurez compris, Une douce lueur de malveillance est un des livres les plus intéressants de cette rentrée littéraire 2018. N’hésitez pas s’il croise votre chemin.

L’île des monstres de Tuutikki Tolonen

édition Robert Laffont – 315 pages.

Présentation de l’éditeur :

La petite Mimi a suivi Grah, son ami monstre, dans son monde souterrain. Mais elle a perdu sa trace et la robe de chambre magique ne lui parle plus… Pendant ce temps, Koby et Halley, restés à la surface, cherchent à tout prix le moyen de retrouver leur sœur.
Nos trois héros ne sont pas au bout de leurs surprises : de nombreuses créatures étranges se cachent au centre de la Terre, et toutes ne sont pas aussi gentilles que Grah !
Le deuxième tome d’une série venue de Finlande qui va réchauffer les cœurs, dans la lignée du Monstre poilu et de Roald Dahl.

Mon avis :

J’ai lu ce second tome, mais je l’ai un peu moins apprécié que le précédent, un peu comme s’il s’agissait d’un tome de transition. L’action principale se concentre sur Mimi, qui a suivi sous terre son monstre préféré. Elle rencontre des créatures étonnantes, notamment le gardien d’une des portes. Elle retrouve également sa robe de chambre, qui se décide à l’aider à nouveau, elle qui l’avait pourtant « laisser tomber ». Normal, pour une robe de chambre, me direz-vous. Elle rencontre également d’autres créatures pas vraiment sympathiques, avant de retrouver Grah, le monstre sympathique qui lui a servi de nounou dans le tome précédent.

Vous l’aurez compris, la fratrie est séparée, et l’on voit très peut Koby et ses parents, qui sont restés dans le monde d’en haut. De même, j’ai trouvé que les créatures rencontrées étaient certes originales, mais pas suffisamment développées. Par contre, les illustrations sont toujours superbes, et très évocatrices, une vraie réussite.

Une lecture plaisante, et pleine de promesse : j’espère que Mimi et Grah se reverront.

Un gentleman à Moscou d’Amor Towles

Présentation de l’éditeur :

Au début des années 1920, le comte Alexandre Illitch Rostov, aristocrate impénitent, est condamné par un tribunal bolchévique à vivre en résidence surveillée dans le luxueux hôtel Metropol de Moscou, où le comte a ses habitudes, à quelques encablures du Kremlin. Acceptant joyeusement son sort, le comte Rostov hante les couloirs, salons feutrés, restaurants et salles de réception de l’hôtel, et noue des liens avec le personnel de sa prison dorée – officiant bientôt comme serveur au prestigieux restaurant Boyarski –, des diplomates étrangers de passage – dont le comte sait obtenir les confidences à force de charme, d’esprit, et de vodka –, une belle actrice inaccessible – ou presque ­–, et côtoie les nouveaux maîtres de la Russie. Mais, plus que toute autre, c’est sa rencontre avec Nina, une fillette de neuf ans, qui bouleverse le cours de sa vie bien réglée au Metropol.
Trois décennies durant, le comte vit nombre d’aventures retranché derrière les grandes baies vitrées du Metropol, microcosme où se rejouent les bouleversements la Russie soviétique.

Merci aux éditions Fayard et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

La couverture est absolument superbe, et c’est ce superbe écrin qui m’a attiré en premier, pour ce roman de 571 pages. D’où l’importance des belles couvertures qui, si on l’examine de près, en disent beaucoup et laissent planer une part de mystère. Ce qui m’a intéressé aussi, bien sûr, c’est le sujet du livre : l’existence du comte Rostov, assigné à résidence pendant trente ans à l’hôtel Metropol. Libre de ses mouvements, oui, mais à l’intérieur de l’hôtel – et sa chambre ne sera pas la suite où il avait l’habitude de séjourner.
Philosophe, le comte ? Oui, à sa manière. Rentré dans son pays alors qu’il vivait à Paris, il accepte son sort, et l’on peut comprendre ce choix, à la lecture de son passé à la découverte de sa personnalité. A l’intérieur de l’hôtel, il noue des amitiés solides, au fur et à mesure que le temps passe, et même, gardien des traditions dans une société qui du passé semble avoir fait entièrement table rase, il devient serveur dans le restaurant Boyarski. Il assiste ainsi à des ascensions, à des chutes aussi suivies de disparition, ou d’éloignement. Lui qui est véritablement en résidence surveillée connaît le petit monde qui se retrouve à l’hôtel, mais aussi qui se rend au Bolchoi tout proche. Il s’interroge aussi, sur les particularités de l’âme russe, ce qui la différencie des manières d’être des autres nations – lui qui se retrouve à donner des cours de « culture »(devrai-je dire de savoir-vivre mondain ?) à un diplomate du nouveau régime.
Surtout, surtout, c’est l’amour qu’il rencontre dans cet hôtel. Je pourrai vous parler de l’amour dans le sens le plus traditionnel du terme, avec une belle actrice qui saura mener sa carrière devant la caméra comme en coulisse. Non, je vous parle de l’amour à mi-chemin entre le paternel et le fraternel qu’il éprouve pour Nina, et à qui il devra la découverte de maints secrets. Elle lui offrira la plus belle et la plus douloureuse des surprises : des vies n’ont pas fini d’être broyées en Russie.
Une oeuvre dense et intense.

Le brouillard tombe sur Deptford d’Ann Granger

Présentation de l’éditeur :

Une nouvelle enquête de l’inspecteur Ben Ross dans le Londres victorien : secondé par sa femme Lizzie, il devra cette fois innocenter un ami que tout accuse.

Mon avis :

Pour cette sixième enquête, Ben Ross n’a vraiment pas de chance. Vous me direz, la victime non plus, mais lui encore moins. Déjà qu’il apprécie modérément Frank Carterton, voilà qu’à cause de lui, Lizzie se trouve plongée dans une affaire de meurtre. Certes, pas tout à fait à cause de lui, mais Ben Ross a trouvé quelqu’un contre qui canaliser sa mauvaise humeur, il ne va pas se priver.
Frank, le neveu de Tante Parry, qui veilla (à sa manière) sur Lizzie orpheline, se marie avec la bien nommée Patience. Hélas, celle-ci est dotée d’un frère, Edgar Wellings, brillant étudiant en médecine et joueur malheureux. Il a des dettes ! Il a demandé à sa soeur si elle ne pouvait lui prêter l’argent légué pour sa dote. Patience est impulsive, elle est une femme de tête : elle ne cède pas ! Frank a une fiancée de valeur. Cependant, Edgar a contracté des dettes auprès d’une prêteuse sur gages, et celle-ci est assassinée peu après une « légère dispute » entre eux. Ce n’est vraiment pas de chance pour personne !
L’enquête mène Ben des milieux aisés aux bas-fonds les plus sombres. Si Patience et Edgar sont en bonne santé, ce n’est pas le cas de tous les enfants qui grandissent dans des masures insalubres, ou plutôt qui ne grandissent pas, car rares sont ceux qui parviennent à l’âge adulte. Britannia Scroggs avait six frères et soeurs, elle est désormais fille unique, à cause des accidents, des épidémies, ou de complications de santé. Elle-même travaille dur et son corps en pâtit.Il croise aussi un chiffonnier et sa petite fille, qui se faufile partout, avec des vêtements tout sauf à sa taille, pour trouver des affaires pour le négoce de son grand-père. Entre les très riches et très dépensiers, et les très pauvres, qui peut bien avoir réellement tué la prêteuse sur gages ? Qui avait le plus à perdre ? Pour revenir à Edgar, il n’avait pas mesuré les conséquences de ses actes pour l’avenir de sa soeur, compromettant son mariage, alors que ses tantes, apprenant ses dettes et les accusations qui pèsent sur lui, s’évanouissent à tour de rôle. Heureusement pour Franck Carteron, sa fiancée ne tient pas des soeurs de sa mère.
Le dénouement ne laisse pas d’être un peu amer, parce que quelque soit le milieu auquel appartient l’assassin, ses proches doivent subir les conséquences de ses actes.

L’âge d’or de Diane Mezloum

Présentation de l’éditeur :

Fin des années 1960. Rock et pattes d’éph, insouciance et soleil sur la peau satinée des femmes. Ce sont les derniers jours de l’âge d’or du Liban, mais personne ne le sait encore. Certainement pas Georgina, jeune chrétienne à la beauté troublante. Ni Roland, son premier amour, qui la guette au bord d’une piscine, dans cette torpeur suave où s’agite leur groupe d’amis noceurs, à l’ombre des conversations d’adultes et des turbines d’avion – grondement de la terreur à venir.
Pendant ce temps, Ali Hassan Salameh, fils d’un leader historique palestinien, s’apprête à prendre les armes. Il deviendra l’homme le plus beau et le plus dangereux du Moyen-Orient.

Merci aux éditions Jean-Claude Lattès et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Je l’admets : quand j’ai refermé ce livre, j’ai tapé les noms des deux personnages principaux dans un moteur de recherche pour en savoir un peu plus sur eux. Parce que oui, Georgiana, miss Univers et Ali Hassan Salameh ont bien vécu une histoire d’amour alors que, selon une formule bien connue « tout les séparait ». De la guerre du Liban, ou du moins de ce qui se passait au Liban dans les années 80, je ne garde que des souvenirs d’images vues au journal télévisé – et les récits de parents d’élèves qui ont quitté le pays à cause de ce qui s’est passé pendant les années 70.
Plus qu’à l’ascension d’une jeune fille qui rêvait de célébrité, c’est à une période oubliée que s’intéresse ce roman : la période d’avant les guerre, d’où le titre « L’âge d’or ». A l’époque, tous sont insouciants, l’avenir semble quasiment radieux et les préoccupations sont presque toutes futiles. Presque. Parce que le danger est déjà là pour qui veut bien le voir, parce que les troubles, les affrontements sont bien réels même s’ils semblent ne pas avoir encore traversé les frontières. Encore faut-il bien vouloir voir ce qui se passe dans les pays alentours, et ce n’est pas vraiment le cas de Georgiana et de ses amis. Aussi le contraste est-il grand entre elle et Ali Hassan Salameh, qui est engagé dans la lutte pour son pays, la Palestine, pour ses convictions. Alors que Georgiana se laisse porter par les événements, qui ne paraissent pas avoir de conséquences pour elle, Ali ne recule devant rien pour servir sa cause. Rien.
Mais le personnage qui m’a le plus intéressée, même s’il est un personnage secondaire, c’est Ricky, puisque c’est à travers ses yeux d’enfants, d’adolescent et de très jeune adulte que  nous découvrons dix ans de vie au Liban. Il scrute chaque fait qui concerne son pays, qu’il aime et dont il veut devenir un spécialiste. Le contraste est grand entre ce qui se passe au Liban et la vie menée par Georgiana : toujours plus haut, toujours plus riche, pour finalement vivre selon son coeur, à l’opposé de la raison et des conventions.
Ce roman s’est révélé assez facile à lire, plus les pages se tournaient, plus j’avais envie de savoir ce qu’il allait advenir – pour les amis de Georgiana, restés au pays, forcés de vivre autrement. J’ai trouvé la fin un peu abrupte, mais pouvait-il en être autrement ?

La vérité sort de la bouche du cheval

Présentation de l’éditeur :

Jmiaa, prostituée de Casablanca, vit seule avec sa fille. Femme au fort caractère et à l’esprit vif, elle n’a pas la langue dans sa poche pour décrire le monde qui l’entoure : son amoureux Chaïba, brute épaisse et sans parole, ou Halima, sa comparse dépressive qui lit le Coran entre deux clients, ou encore Mouy, sa mère à la moralité implacable qui semble tout ignorer de l’activité de sa fille. Mais voici qu’arrive une jeune femme, Chadlia, dite «Bouche de cheval», qui veut réaliser son premier film sur la vie de ce quartier de Casa. Elle cherche une actrice…

Merci à Babelio et aux éditions Gallimard pour ce partenariat.

Mon avis :

Ceci est quasiment le journal intime de Jmiaa. C’est sa voix, et sa voix seule, que nous entendrons tout au long de ce roman, qui s’étend de 2010 à 2018. Comme un journal intime, les dates y sont notées, la chronologie est respectée, et le lecteur n’en sait pas plus que Jmiaa elle-même. Parfois, cependant, nous nous replongeons avec elle dans son passé, pour comprendre, avec elle, comment elle en est arrivée là.
Jmiaa est une prostituée. Une parmi d’autres. Elles sont toutes solidaires, ou presque : il est toujours des exceptions à la règle. Elle nous raconte sa vie quotidienne, sans pathos, mais avec beaucoup de gouaille. Tout n’est pas tout rose quand on est une femme seule, à Casa. Pour la protéger, elle a confié sa fille aux bons soins de sa mère, qui ne se doute pas de ce que fait véritablement sa fille pour lui envoyer de l’argent, payer loyer et nourriture. Mouy, terme affectueux pour désigner sa mère, vit dans un autre monde, dans une maison où vivent aussi deux de ses fils et les familles qu’ils ont fondées.
L’histoire de Jmiaa est celle d’une jeune fille qui, au début, a cru à un conte de fée puisqu’elle a épousé l’homme qu’elle aimait et qu’elle trouvait magnifique.  Rien n’a pu la protéger, ensuite, des coups, sans oublier les conséquences de sa paresse et de sa capacité à profiter de ce qu’il avait comme moyen de subsistance : sa femme. Et même si Jmiaa nous apparaît comme une battante, il n’y a pas grand chose qu’une femme sans appui masculin peut faire au Marcoc.
Le conte de fée, finalement, revient dans sa vie quand elle est engagée pour tourner dans un film. Elle devient Candide dans un tournage, montrant aussi l’envers du décor, les difficultés – et le public. Difficile de tourner à Casablanca sans attirer des spectateurs. Difficile aussi de se retrouver déracinée, quasiment du jour au lendemain, dans un quotidien qui n’est pas le sien. La vie de Jmiaa, c’était la survie, les passes, la protection d’un souteneur en cas de mauvais payeur ou de clients violents. En cas de problèmes, la responsable est toujours la femme. L’alcool aussi, l’ivresse, pour tenir le choc. Chacune tient comme elle le peut, de manière à pouvoir trouver le nombre quotidien de clients qui lui permet d’avoir une vie… j’allais dire descente, je crois que « supportable » convient mieux. Mais Jmiaa a de grandes facultés d’adaptation, et l’esprit vif – l’aptitude à être heureuse aussi.
La vérité sort de la bouche du cheval est une manière de découvrir le Maroc autrement. Il est surtout un beau portrait de femme.

7 jours de Deon Meyer

Quatrième de couverture:
Un mystérieux imprécateur menace, dans un mail délirant, d’abattre un policier par jour tant que le meurtrier de la belle avocate d’affaires Hanneke Sloet n’aura pas été arrêté. Et s’empresse de joindre le geste à la parole. La police du Cap, prise de panique, charge Benny Griessel, déjà rencontré dans Le Pic du diable et 13 Heures, de rouvrir l’enquête, au repos depuis plus d’un mois. Pas d’indices, pas de mobile, pas de témoins, juste quelques photos où la victime posait nue, une forte pression venue du sommet de la hiérarchie, et un sniper insaisissable manifestement décidé à poursuivre sa mission. Fragilisé par la piètre opinion qu’il a de lui-même, déchiré entre le désastre de sa vie privée et son exceptionnelle conscience professionnelle, Griessel va devoir repartir de zéro.

Mon avis : 

La journée d’hier a été compliquée, mais cette lecture d’un roman de plus de 500 pages a par contre été très agréable. Contraste.

J’ai vraiment été tout de suite emportée par la manière dont l’auteur nous raconte cette histoire. Pas de digression inutile, de perte de temps en explication ou description inutiles : j’ai eu l’impression de connaître Benny Griessel depuis longtemps, et de suivre avec lui une enquête plus que délicate.
Benny ressemble à des policiers que nous côtoyons dans d’autres polars. Il est divorcé, il a deux enfants, il se sent plus proche de sa fille que de son fils, même s’il ne comprend pas leur choix d’études, ni à l’un, ni à l’autre. Il est un ancien alcoolique, il a la volonté de rester sobre, même si c’est très dur : son amie, artiste, lutte elle aussi contre son alcoolisme, et c’est une lutte qu’il est plus difficile de mener quand on est deux à être concerné dans le couple.
7 jours – c’est le temps que dure cette enquête, le temps que nous passons en compagnie de Benny et des autres enquêteurs. Ils doivent faire face à un… allez, disons un illuminé, qui demande la réouverture d’une enquête qui était au point mort. Sinon, il tirera sur un policier.
Ce n’est pas peu de dire que Benny, et d’autres avec lui, vont remuer ciel et terre pour faire progresser l’enquête tout en cherchant avec tout autant d’énergie qui se cache derrière le sniper. Tout le monde participe, même l’enquêteur qui est sur la touche jusqu’à la fin de sa carrière, parce que sa dernière enquête a été un fiasco complet : cela aurait pu arriver à n’importe lequel d’entre eux, et c’est bien cela le pire.
Ce qu’ils mettent à jour est très éloigné de ce qu’ils cherchaient – l’on vient de très loin pour magouiller en Afrique du Sud. L’auteur a vraiment su m’entraîner là où je ne m’attendais pas.
Il ne me reste plus maintenant qu’à lire un second livre de cet auteur, pour confirmer ma bonne impression.