Archive | septembre 2019

Un couple irréprochable d’Alafair Burke

Présentation de l’éditeur :

Angela, trente ans, vit une vie confortable et routinière avec son fils surdoué de treize ans et Alex, son mari, professeur d’économie en pleine ascension professionnelle. Mais leur bonheur de façade explose lorsque Alex est soupçonné d’être un prédateur sexuel, et que l’une des deux jeunes femmes qui l’accusent disparaît. Tandis que la presse de tout le pays se repaît du scandale, Angela est partagée entre la honte, le désir de défendre son mari, et le besoin de préserver un sombre secret.

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier les éditions Presse de la Cité et Netgalley pour leur confiance.

Je l’admets, j’avais une petite appréhension en ouvrant ce livre, peur de ne pas aimer autant les livres de la fille que ceux du père. Il faut dire aussi que l’écriture, le lieu, sont bien différents. Assez de ces considérations, entrons dans le vif du sujet.
Tout d’abord, je dois dire que je n’ai pas apprécié le personnage d’Alex, ce professeur d’économie à qui tout réussit dans sa vie personnel et sa vie professionnelle. Il est beaucoup trop lisse, et tient à ce que cela se sache. Il semble toujours d’humeur égale, rien ne paraît pouvoir le contrarier, il protège sa femme et son fils avec limpidité.
Angela, c’est autre chose. Elle a plus d’aspérité, mais est-elle attachante pour autant ? Je n’ai toujours pas d’avis à ce sujet. A vrai dire, seule Trisha, sa meilleure amie, déterminée à avoir une vie meilleure que celle à laquelle elle était promise, m’a touchée. Trisha, qui a quitté leur ville natale voilà une bonne douzaine d’années, comme elle avait toujours projeté de le faire. Angela cache un secret, oui, ou plutôt, elle le partage avec sa mère, qui est prête à tout pour défendre sa fille, et l’a prouvé – prête à tout, cela veut dire pousser à bout la police qui a considéré Angela comme une fugueuse quand elle a disparu, alors qu’elle avait bel et bien été enlevée. Elle a retrouvé la liberté, au bout de trois ans, avec un bébé en prime. Alors, non, elle n’a pas envie d’en parler, seuls de très proches, en plus de sa mère, sont au courant – son mari Alex en fait partie. Elle n’a pas envie que son mari s’en serve pour sa carrière, encore moins pour sa défense, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit.
Nous le savons dès le début de l’oeuvre : une jeune femme, qui accusait Alex de harcèlements sexuels, est portée disparue. Une autre jeune femme l’a aussi accusée de harcèlement – une de ses étudiantes. Pour Angela, au début, il est totalement impossible qu’Alex ait commis ce dont on l’a accusé. Puis le temps passe, les faits s’accumulent, et les questionnements surviennent.
Le roman se focalise sur Angela, sur son passé, sur son présent pendant lequel elle fait tout pour éviter ce qui peut lui rappeler son passé – y compris rendre visite à sa mère, ou même lui téléphoner. Pourtant, elles restent très liées, leur affection est sincère, la mère d’Angela n’a jamais cherché, contrairement à ce que l’on peut lire dans d’autres romans, à profiter matériellement de ce que sa fille a subi. Il n’est pas question pour Angela de consulter un psy, il n’est pas question aussi de creuser ce qui concerne son passé, il est parfois même peu question d’approfondir certains événements vécus avec Alex. Ou jusqu’où est-on prêt à aller pour préserver la bulle de tranquillité dans laquelle on vit ? Pas de chance pour Angela : elle éclate.
Il est peu de dire que rien n’est simple. Surtout pas pour les femmes. Et si nous avions là, le sujet central du livre ? On peut penser que la condition féminine progresse, on peut en douter. Quoi qu’il arrive, quoi qu’ait fait l’homme, c’est trop souvent parole contre parole. Même les preuves, quand elles existent, sont sujettes à caution, et n’empêchent pas l’opinion publique de parler, de chercher ce que la femme a pu faire pour provoquer cela. Et si, avant, on pouvait espérer ne pas entendre tout ce qui se disait au café du commerce, l’usage des réseaux sociaux n’arrange rien, à moins de résister à la tentation d’aller lire ce qui se dit sur vous.
Alors, oui, j’ai pensé en lisant ce livre à des oeuvres que j’avais déjà lus auparavant, parce que les mêmes thématiques étaient explorées. Ce qui distingue ce livre est peut-être de montrer que quel que soit le milieu dans lequel on évolue, que l’on soit riche, moins riche, que l’on ait quitté l’école tôt ou que l’on ait brillamment étudié, que l’on vive dans un trou perdu ou dans un très beau quartier résidentiel avec une maison pour épater la galerie, les violences faites aux femmes existent partout.
Quant à l’intrigue, je pense que son déroulement surprendra plus d’un lecteur, même si elle a été un peu lente à se mettre en place.

Coeurs solitaires de John Harvey

Présentation de l’éditeur :

Shirley Peters a été tuée, et son ancien amant l’avait menacée de mort. Pour l’inspecteur Resnick, il s’agit là d’un drame passionnel, ce genre de drame auquel il a l’impression d’être confronté tous les jours. Mais quand une seconde femme est sauvagement violée et assassinée, il semble évident qu’un « serial killer » est à l’œuvre et qu’il choisit ses victimes parmi les femmes esseulées qui cherchent un compagnon dans la rubrique locale des cœurs solitaires. Journaliste, poète, scénariste et romancier, John Harvey est une révélation majeure du roman noir anglais.

Mon avis :

Comment cuisiner quand on a, comme Charlie Resnik, quatre chats ? Difficilement ! Les chats en question ont beau être brillants, trouvant toujours la bonne gamelle dans les quatre qui ornent la cuisine, ils peuvent cependant commettre quelques gaffes, comme s’endormir et se retrouver coincé dans le panier à linges, ou encore de faire une petite sieste dans une casserole, la même bien sûr dont son maître a besoin pour cuisiner les deux patates qu’il a trouvées. Vous l’aurez compris, Charlie Resnik, inspecteur de son état, ne pouvait que m’apparaître immédiatement sympathique. Il est aussi profondément humain. Ne lui demandez pas de prendre fait et cause pour les personnes qui violentent les autres, d’autant plus que les statistiques, à ce sujet, semblent vraiment grimper en flèche. Ne lui demandez pas non plus de ne pas pousser dans ses retranchements un suspect. Attention ! Il ne s’agit pas d’user de violences, comme certains policiers auraient trop tendance à le faire ; il s’agit de chercher, de fouiller, d’appuyer là où cela fait mal – on ne se retrouver pas au poste en garde à vue par le plus grand des hasards.

Oui, ce polar date de plus de vingt-cinq ans, et pourtant, il est toujours aussi lisible. Les temps ont changé, il nous parle d’une époque où l’on se rencontrait par le biais des petites annonces, non par celui des applications de rencontre sur son téléphone portable. Il fallait écrire, l’annonce, d’abord, puis la lettre en réponse, et ensuite seulement on pouvait se rencontrer et voir si cela « matchait », pour reprendre un terme de notre époque. Le but de ses rencontres pouvait être faire sa vie ensemble, passer un bon moment, voir un moment tout court, surtout si, telle une Cendrillon des temps modernes, la jeune femme se doit d’être rentrée avant minuit pour s’occuper de ses enfants. Oui, nous sommes à une période charnière. Ce n’est plus le temps où le mariage, c’était pour la vie, et l’on restait, quoi qu’il arrive. Ce n’est pas encore le temps où l’union libre est la forme d’union la plus fréquente, où les femmes refont leur vie en étant moins jugées – moins, pas plus, malheureusement, parce que le combat pour mener sa vie de femme comme on l’entend est un combat d’actualité.

Elles s’appelaient Shirley, Mary. Shirley a subi la violence de son compagnon, violence pendant leur vie de couples, menace après leur séparation, qui l’a menée à obtenir une injonction contre lui. Mary a été plaquée par son mari, qui l’a laissé avec deux jeunes enfants pour refaire sa vie – loin. Elles ont toutes les deux été assassinées, pour ne pas dire massacrées, tuées parce qu’elles étaient des femmes, sur lesquelles un homme a pu faire la démonstration de sa force et de son pouvoir, un homme qu’il faut arrêter avant qu’il ne recommence, avant que la peur ne monte. Il s’agit bien de l’arrêter lui, non de dire aux femmes de se comporter autrement.

Des femmes, nous en croisons d’autres, dans ce roman. Lynn, d’abord, la seule femme du poste de police, qui a pourtant réussi à s’imposer dans un monde d’hommes, avec des collègues pas toujours très fins. Je pense à Divine, qui fait son boulot tout en dissimulant à peine son racisme. Je pense à Naylor et à sa femme – j’en ai rencontré dans la vie – qui mène une vie dont je n’ai jamais voulu, avec Naylor, entièrement sous la coupe de sa femme, planifiant longuement toute leur vie, paniquant quand un imprévu survient. Je pense aussi à Miss Odds, l’avocate qui défend tous les prévenus, et tient à être appelée « Miss » – gare à celui qui ne le ferait pas ! N’oublions pas Rachel, travailleuse sociale absolument débordée, tout comme son compagnon Chris, au point qu’ils n’ont plus vraiment grand chose à se dire, si ce n’est que Chris ne réagit pas formidablement bien quand elle décide de se séparer – disons même plutôt qu’il réagit exactement comme tous les conjoints dont il a le dossier en charger. Aucun milieu n’est épargné par la violence, c’est aussi simple que cela, il est toujours bon de l’avoir à l’esprit.

 

 

Kisanga d’Emmanuel Grand

Mon avis :

Quel désordre est-ce là ! Oui, nous sommes dans un polar politico-judiciaire excellent – dit ainsi, c’est plus simple que de se lancer dans une étude comparative entre roman policier français et roman policier américain, ce ne serait pas rendre justice à Kisanga – et la situation qui y est décrite est tristement réaliste.

Nous sommes au Congo. Tout va bien. La société Carmin, fleuron minier français, a signé un contrat avec une société chinoise pour exploiter un gisement de cuivre magnifique. Si comme moi vous vous posez la question : « mais pourquoi ce ne sont pas les habitants de la RDC qui exploitent eux-mêmes ce gisement ? » vous aurez mis le doigt sur ce qui est tout de même pour moi un des problèmes. Puis, il faut faire vite, très vite : le projet Kisanga doit être inauguré dans trois mois. Faire vite, réfléchir moins. Aussi, l’entreprise envoie la fine fleur de ses jeunes loups, pardon, la fine fleur de ses meilleurs jeunes recrues, doués et plein d’ambition, des personnes qui veulent monter en grade dans l’entreprise, prouver leur valeur, leur capacité d’adaptation, leur aptitude face aux dangers. Oui, les dangers sont là, et l’un des membres les plus éminents de la société a trouvé la mort au cours d’une mission de ce genre, sans que personne ne comprenne réellement pourquoi cet homme si prudent était sorti ce jour-là sans son chauffeur-fixeur. A charge pour les quatre français arrivés au Congo de ne pas commettre la même erreur.

Cinq en fait. Non, le cinquième n’est pas dépêché par carmin, bien au contraire. il vient couvrir la coupe d’Afrique des nations, l’événement qui passionne tout le monde, surtout quand la RDC arrive en finale. Raphaël Da Costa connait très bien la société carmin, il s’y est déjà frotté des années plus tôt, et ce qu’il a cherché à dénoncer, ce n’est pas seulement des magouilles financières – ce qui est déjà pas mal – mais une opération nommée « Antioche », une opération dont personne, en haut lieu, ne veut entendre parler. D’ailleurs, elle n’existe pas et n’a jamais existé, c’est bien plus simple ainsi. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un mercenaire à la retraire ou presque est dépêché sur les lieux, pour que cette affaire ne ressorte vraiment jamais – on n’est jamais trop prudent. Surtout quand il y a un couac dans les rouages.

Ce « couac » porte un nom : Olivier Martel. Cet ingénieur français a une très belle situation, il est marié, père d’une petite fille. Seulement, il a un défaut, il aime aller au bout des choses, et quand il a un doute, il fait en sorte de ne plus l’avoir, ce qui, bien sûr, ne plait pas vraiment à ses supérieurs, d’autant plus qu’il rencontre Raphaël Da Costa. Attention ! Olivier n’est pas naïf, vous l’avez compris, et ne va pas croire le journaliste sur parole. Par contre, au vue des événements qui se déroulent, il va non pas changer d’avis, mais approfondir la question.

Kisanga est un polar prenant, réaliste, parce que ce qu’il nous raconte est totalement crédible, possible, envisageable, écœurant aussi. Désespérant ? Non, pas tant qu’il existera des personnes qui ne mettront pas leur profit personnel en première position.

Pas d’erreur sur la personne d’Ed Dee

Edition Seuil _ 269 pages

Présentation de l’éditeur :

C’est à Kennedy Airport que Johnny Boy Counihan a été tué lors d’un hold-up qui a mal tourné. Détail surprenant, Le jeune homme portait la vareuse des policiers de New York. Pour les inspecteurs Joe Gregory et Anthony Ryan, le hold-up est bidon. Décidés à résoudre l’énigme, ils s’en remettent aux avis du grand-père de la victime, Vito Martucci, qui dit connaître le coupable et le pourquoi de son geste.

Mon avis ;

Je serai relativement brève : si j’avais commencé la lecture de la série par ce tome, je ne l’aurai jamais poursuivie. Par exemple, Joe Gregory est franchement antipathique dans ce tome, et personne ne l’empêche, parfois, de faire n’importe quoi. Je ne parle même pas des manquements à la loi, mais d’actes pas très moraux. Etaient-ils acceptables, à l’époque ? Il est toujours moyen de donner une humanité à ses personnages, et Joe, malgré ce qu’il découvre dans ce tome, en manque un peu. J’ai du mal aussi, avec ce thème des secrets de famille, ses femmes qui font un peu n’importe quoi dans leur vie privée, privilégiant la sécurité à la vérité. D’ailleurs, mis à part la femme d’Anthony Ryan, est-il une seule femme sympathique dans ce roman ? Non. Leigh fait d’ailleurs une apparition fugitive, dans son rôle de femme de flic, justement, soutien à son mari, désapprouvant son penchant pour l’alcool, étant toujours là pour le ménage, la cuisine, et l’aide. Les enfants ? Ils ont parti depuis longtemps et n’ont pas l’intention de revenir – être fliqué par son flic de père, non merci. Le père de Ryan est lui aussi parti loin de New York, pour la Floride, havre de paix des retraités.
Je me suis perdue dans l’intrigue, entre mafieux, anciens, nouveaux, policiers, anciens, nouveaux, retraités, et le meurtre d’un jeune homme qui portait le pardessus de son grand-père. Perdu, oui, et pourtant, j’ai trouvé l’intrigue lente, poussive, longue. Je ne me suis attachée à aucun personnage, puisque aucun d’entre eux n’était attachant. Le dénouements, les révélations finales arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe, et si Ryan a l’impression de s’être fait rouler, le lecteur se dit qu’il a été perdu en chemin, entre mafia italienne et IRA – ou comment opposer les communautés italiennes et irlandaises qui devraient aussi être, tout simplement, américain.
Bref, un livre que j’oublie au fur et à mesure de l’écriture. Il faut dire que je venais de lire Robicheaux de James Lee Burke, et c’est tout de même plusieurs crans au-dessus.

Des cercueils trop fleuris de Misa Yamamura

édition Philippe Picquier – 250 pages

Présentation de l’éditeur :

Le crime fleurit à Kyoto dans les écoles d’ikebana. Quand l’art floral traditionnel japonais cesse d’être un mystère, meurtres, vengeances et fraudes fiscales se succèdent dans les temples et les pavillons de thé.

Mon avis :

Alerte, tous aux abris ! La fille unique du vice président américaine, Miss Catherine Turner, s’est prise de passion pour l’ikebana, cet art de la composition florale. Mieux (ou pire), c’est selon : elle a lu un article sur une jeune fille très douée, Maiko Ogawa, qui a monté sa propre exposition, et elle veut absolument la rencontrer. Autant dire que le ministre des Affaires étrangères s’arrache les cheveux et charge son neveu Ichiro de servir de guide à Miss Catherine. Son neveu n’est pas intéressé, il n’a surtout pas envie d’être récupéré d’une quelconque manière que ce soit, il préfère nettement poursuivre ses études, lui qui a étudié à Columbia, qui connait bien les Etats-Unis et leurs coutumes. Seulement, il existe plusieurs écoles d’ikebana au Japon, dont trois sont véritablement prestigieuses, et toutes les trois veulent, bien sûr, avoir cette prestigieuse élève dans leur rang. Le ministre convainc donc son neveu de l’aider – rêvant lui donner ainsi, enfin, le goût de la politique.

Voir deux écoles vivement protester quand Miss Catherine en visite une n’est pas la base d’un roman policier. Seulement, un « attentat » est commis lors d’une visite du vice-président – rien de bien grave, heureusement, plus de peur, de bruit, que de véritables dangers. Seulement, un meurtre est commis peu après, et là, cela devient vraiment problématique. Un second meurtre est commis peu après, en chambre close qui plus est. Le commissaire est compétent, sérieux, là n’est pas la question, la présence de la fille du vice-président des Etats-Unis, restée au Japon, lui ajoute une pression supplémentaire. Surtout, Miss Cathy entend bien jouer les Sherlock Holmes en jupon, percer tous les mystères, dont ceux de la chambre close, thème qui revient dans un autre roman policier de l’auteur La ronde noire.

Raconté ainsi, le roman pourrait sembler simplement plaisant. C’est, bien sûr, bien plus compliqué. Les morts sont là, et bien là, les suspects aussi. Tout semble tourner autour des écoles d’Ikebana, des luttes de pouvoir entre les différents directeurs et sous-directeurs. Nous sommes dans une société patriarcale, où l’on transmet son école à son fils, éventuellement sa fille, certainement pas à un ou une de ses élèves, si doué(e) fusse-t-il (elle). Se faire un nom dans ce milieu en toute indépendance est également très difficile, aussi l’attention qu’a porté Miss Cathy à l’énigmatique Maiko Ogawa ne plait pas à tout le monde. Je dis « énigmatique », parce que, finalement, on la verra peu, on saura au cours de l’enquête pour quelles raisons elle s’est montrée si fuyante. Les journaux se délectent des histoires, des « potins » qu’ils peuvent dénicher, plus encore de ceux qu’ils peuvent suggérer, Ichiro le découvre bien assez tôt – et son oncle de ministre aussi.

Anecdotique, la présence de Cathy ? Non, pas vraiment. Elle offre un regard extérieur à la société japonaise, et voit des petits détails du quotidien auquel les enquêteurs ne font pas attention – parce qu’ils ont toujours vécu ainsi, ont toujours appris à faire ainsi, et donc ne se questionnent pas à ce sujet. Il est cependant des sentiments qui sont universel, l’amour, le désir de vengeance. Aucun rapport entre les deux, sauf si l’amour défunt donne envie de se venger.

Des cercueils trop fleuris se rattache véritablement à la tradition du roman policier anglais, n’hésitant pas à citer Agatha Christie. Il nous montre aussi une société japonaise figée, normée, où l’ascenseur social n’est pas en panne, il n’existe pas.

 

 

Un saut dans le vide d’Ed Dee

Présentation de l’éditeur :

Les inspecteurs Anthony Ryan et Joe Gregory sont bloqués dans la circulation de Times Square lorsqu’une silhouette tombe d’une terrasse et s’écrase sur une camionnette en stationnement.
La victime est une jeune actrice, Gillian Stone. Accident ? Suicide rituel ? Assassinat ? Ryan, qui s’est précipité pour tenter de la sauver en lui faisant du bouche-à-bouche, croit l’avoir entendue dire  » Je t’aime  » avant de mourir. Une chose est sûre : elle avait les lèvres poisseuses. Empoisonnement ? Anthony Ryan se lance dans l’enquête. Et, horreur, découvre que son neveu, Danny, a connu l’actrice et était avec elle quelques heures avant sa mort.

Mon avis :

Quatrième et dernier volume des enquêtes de Ryan et Gregory, Un saut dans le vide nous offre un dénouement mélancolique. Le titre peut en effet se voir comme une référence à leur enquête, et comme un rappel de la mort du fils de Ryan, décédé lors d’un accident d’ULM, dans l’Utah. C’était il y a un an : Ryan et sa femme font avec, leur douleur, l’absence, tout ce qui n’a pas été dit et fait. Nouveau point commun avec Gregory qui lui aussi a perdu son fils.

L’enquête pourrait ne pas en être une : pour tout le monde, Gillian s’est suicidée. Point. Fin de l’histoire. Gillian était sur le point de subir un test anti-drogue, à la demande du producteur du spectacle dont elle devait faire partie, et pourtant, tout son entourage en était sûr, elle ne se droguait pas, ce que l’enquête confirmera. Alors, que se passait-il donc ?

J’ai envie de vous faire la version courte de ce polar, qui, comme certains l’oublient trop souvent dans une société de l’immédiateté, puise ses racines dans le passé des différents protagonistes, y compris les personnages secondaires : Gillian avait une soeur, récemment retrouvée, et celle-ci doit faire avec, une enfance ballotée de famille d’accueil en famille d’accueil pas toujours bienveillante, pour finir avec une mère biologique culpabilisante, qui « avoue » ce qu’elle a fait et recherche le bébé qu’elle a abandonné quand elle avait quinze ans. Vous avez dit « poids de la religion ? » Oui, et poids de la culpabilité aussi, que beaucoup se retrouve à porter – et le recours à la psychanalyse, pour certains, ne change strictement rien, et ne vient qu’ajouter de la culpabilité à la culpabilité. Et ce sentiment, on peut l’exploiter, d’une manière ou d’une autre, à moins que sa victime ne finisse écrasée sous son poids. La mort de Gillian n’est qu’un fait, dans un plus vaste réseau où chacun cherche avant tout le profit pour soi. A quoi bon faire semblant de se préoccuper d’autrui ?

Un saut dans le vide est un polar solide, bien construit, dont l’épilogue nous offre non pas un peu d’espoir, mais un peu d’apaisement.

Dernière chance pour Alex Cross de James Patterson

édition Jean-Claude Lattès – 349 pages

Présentation de l’éditeur :

Alex Cross est habitué aux affaires criminelles les plus complexes et les plus atroces, mais aucune d’elles n’aurait pu le préparer à trouver un jour, devant sa porte, une collègue chargée d’une terrible nouvelle.
La famille d’Alex Cross a été kidnappée par un psychopathe du nom de Thierry Mulch, qui menace de la supprimer. Fou de rage, malade d’inquiétude, Cross ferait tout pour sauver les siens – Bree, Nana Mama et ses merveilleux enfants. Mais Mulch se moque de l’argent et plus encore de la pitié ; il a voué son existence à l’étude de la psychologie du criminel parfait. En volant au secours de sa famille, Cross découvre enfin la sinistre vérité : Thierry Mulch ne souhaite pas devenir un criminel parfait, il veut en fabriquer un. Et il a choisi Alex Cross comme cobaye pour son expérience perverse de confrontation du bien et du mal.

Mon avis :

Ceci est la vingt-deuxième enquête mettant en scène Alex Cross, et depuis la douzième, j’ai un peu décroché. J’ai d’ailleurs fait l’impasse sur plusieurs d’entre elles, la vingt-et-unième notamment, et ai constaté quelques ratés dans la série. Si vous souhaitez découvrir cet auteur, tournez-vous plutôt vers les toutes premières enquêtes, là où la vraisemblance a encore droit de cité.

Ici, ce n’est pas vraiment le cas. La famille d’Alex Cross est en danger – depuis plusieurs volumes, elle est toujours en danger. Je ne compte pas le nombre de fois où les compagnes successives d’Alex Cross ne furent des cibles, voire des victimes pour ses adversaires. Femme et mère, dans le cas de Maria et de Christine, enlevée alors qu’elle était enceinte. Seulement, cette fois-ci, c’est sa famille tout entière qui l’est, en ayant été kidnappée par un tueur en série, qui veut forcer Alex Cross à devenir un tueur à son tour. Le marché est simple : soit tu tues, soit je tue un des membres de ta famille. Contrairement à son comportement dans un volume précédent, le docteur Cross n’est pas naïf est il sait pertinemment que Mulch n’épargnera personne. Il n’est à aucun moment question de rédemption possible, et le portrait du tueur, et de ceux qui gravitent autour de lui, est édifiant : ils aiment tuer. Ils n’ont aucune crainte du châtiment, ni de la justice des hommes, ni de la justice divine, puisqu’ils ne croient pas. Par contre, ils excellent à manipuler les autres, en brandissant, justement, cette menace de justice divine. Sauf qu’il ne faut pas confondre meurtre de sang froid et légitime défense, donc acte.

L’auteur utilise toujours la recette qui a fait son succès : des chapitres courts, percutants, une enquête menée tambour battant, et Alex Cross qui reste humain, adjectif qui recouvre beaucoup de comportement, mais certainement pas de sacrifier des innocents pour sauver les siens. Si, comme moi, vous êtes sensibles à la géolocalisation des romans, vous découvrirez que celui-ci se passe en partie en Virginie-Occidentale, dans le Nebraska, et pour terminer en Louisiane – ou comment visiter les Etats-Unis des White trash.

Alex Cross est noir, et cela n’échappe pas aux policiers qui ne le connaissent pas et voient avant tout un noir, et non pas le docteur émérite, qui dut enquêter sur tant de cas difficiles. Damon n’est pas le fils de ce brillant membre du FBI, il est un garçon noir, qui vient d’une banlieue « difficile ». Mulch est blanc, rose, pourrai-je dire, si j’étais aussi moqueuse que ses camarades de classe. Les enfants sont cruels, ils le sont d’autant plus quand leur victime ne reçoit aucun soutien de la part des siens. Même enfance, ou presque, pour son alter ego, si ce n’est que l’élevage d’alligator remplace les cochons. L’absence totale d’empathie est aussi un point commun. Heureusement, une enfance douloureuse ne signifie pas que l’on deviendra un brillant tueur.

Et là, bien sûr, je me retrouve dans la case « invraisemblance » – l’écriture de Patterson est efficace, elle empêche de se poser trop de questions sur comment tels ou tels faits est possible.Par contre, j’ai aimé revoir John Sampson, son éternel coéquipier, aussi présent dans ce volume qu’Aaliyah, la jeune policière qui est un soutien constant pour Alex Cross. Autres figures marquantes : Minerva Frost et son fils alliés précieux – parfois, un coup de pouce du destin ne fait pas de mal.

Les fans apprécieront, les autres devraient commencer par un autre volume, pour mieux cerner l’univers de l’auteur.

Le jardin des papillons de Dot Hutchinson

Présentation de l’éditeur :

Mon avis :

C’est une chance de découvrir un roman policier en avant-première. C’est un peu plus compliqué quand l’on trouve, comme moi, que ce roman est angoissant, étouffant, désespérant.
Oui, nous arrivons quand tout est fini, ou quand tout commence, comme on voudra. Le FBI a retrouvé de très jeunes femmes, toutes tatouées d’ailes de papillon, dans le dos. Pour être précise, il a retrouvé des survivantes. Une jeune femme cependant, est différente parce qu’elle semble indifférente, détachée de tout. Blessée également, c’est elle qui va être interrogée, afin que les trois enquêteurs – Victor, Eddison et Yvonne – fassent la lumière sur celui qui les séquestrait et qui se faisait appeler « le jardinier ».
Tout dans se roman est fait pour que l’on ressente cette sensation d’enfermement. Nous avons la salle d’interrogatoire, fermée. Nous avons le jardin, dans lequel les jeunes filles sont séquestrées, la maison, les pièces, fortement cloisonnées, et les vitrines aussi, qui contiennent les « papillons ». Aucun moyen de s’en sortir. Aucun espoir. Même au début du récit : parmi les jeunes filles qui ont survécu, lesquelles parviendront à retrouver une vie normale ? Ce qu’elles ont subi a été pour moi difficile soutenable à lire. Oui, des scènes douloureuses, sanglantes, cruelles, j’en ai déjà lu. Le pire est sans doute la soi-disant bienveillance dans laquelle est enrobée certains des actes commis.
Le livre nous questionne, et c’est très bien. Il nous questionne sur la parentalité, sur ce que l’on veut transmettre à ses enfants, consciemment ou non, sur ce que l’on est capable de leur transmettre ou pas. Il nous questionne sur le concept de neutralité, et nous renvoie à nos responsabilités, quand on sait et que l’on veut rester « neutre ». Pour faire plus court, il interroge sur les petites et les grandes lâchetés.
Un roman noir, très noir, qui nous fait nous demander si tout ce dont il est question est vraiment possible. Sauf qu’en se souvenant de certaines actualités, il est presque à craindre que oui.

Salut à toi ô mon frère ! de Marin Ledun

édition Gallimard – 276 pages

Présentation de l’éditeur :

« Un père, une mère et leurs six enfants. Deux filles, quatre garçons. Une équipe mixte de volley-ball et deux remplaçants, ma famille au grand complet. Neuf en comptant le chien. Onze si l’on ajoute les deux chats. » La grouillante et fantasque tribu Mabille-Pons : Charles, clerc de notaire pacifiste, Adélaïde, infirmière anarchiste et excentrique, les enfants libres et grands, trois adoptés. Le quotidien comme la bourrasque d’une fantaisie bien peu militaire. Jusqu’à ce 20 mars 2017, premier jour du printemps, où le petit dernier manque à l’appel. Gus, l’incurable gentil, le bouc émissaire professionnel, a disparu et se retrouve accusé du braquage d’un bureau de tabac, mettant Tournon en émoi. Branle-bas de combat de la smala! Il faut faire grappe, retrouver Gus, fourbir les armes des faibles, défaire le racisme ordinaire de la petite ville bien mal pensante, lutter pour le droit au désordre, mobiliser pour l’innocenter, lui ô notre frère.

Mon avis :

Je vous recommande ce livre même si vous êtes patraque, même si vous êtes en pleine crise d’urticaire, parce que ce livre est fort drôle, et aussi parce qu’il gratte là où cela peut faire mal.

Rose a grandi dans une famille peu ordinaire, avec des parents dont les principes peuvent en défriser plus d’un. Oui, Charles et Adélaïde sont excentriques – surtout Adélaïde – oui, ils sont pacifistes, anarchistes, et capables d’aller jusqu’au bout de leur conviction. Ils ont adopté parce qu’ils voulaient beaucoup d’enfants. Aujourd’hui, c’est Gus, le petit dernier, qui est accusé d’avoir commis un braquage et d’avoir grièvement blessé un buraliste. Rien que ça ! Oui, mais il est colombien – subitement, aux yeux de l’opinion publique, la nationalité change en cas de problème. Oui, mais il a été adopté – le problème des enfants adoptés, c’est le regard que les autres portent sur eux. Nous sommes là dans une des thématiques fortes de ce roman, à savoir le racisme ordinaire, décomplexé, celui des gens qui disent une chose par devant, et une autre, par derrière, celui des personnes qui hiérarchisent l’importance des enfants selon leur couleur de peau et leur degré de mignonnerie, quand ils ne les descendent pas plus bas que terre, plaignant les parents, qui méritaient mieux, ou les conspuant, pour avoir introduit en France ce genre d’enfants. Oui, je me répète, on catégorise les enfants, il suffit pour cela de se rappeler les propos de la responsable du service adoption du conseil départemental de Normandie, en juin 2018 (une petite recherche internet, vous trouverez facilement).

Rose, ses parents, ses frères et soeur, même ses animaux détonnent – mention spéciale pour le Bouvier bernois baveur. Famille réellement unie, jamais ils ne doutent de l’innocence de Gus, et mettent tout en oeuvre pour le retrouver et l’innocenter. Oui, cerise sur le gâteau de problème, Gus a disparu, et ce n’est pas vraiment volontaire de sa part. Qui peut avoir intérêt à le séquestrer ? Oui, les vrais coupables, on s’en doute, mais qui sont-ils ? Personne ne ménage sa peine, son humour, sa culture, son sens de la révolte et son engagement pour parvenir à leur fin, qui est des plus louables. Tant pis pour les autres : dommages collatéraux à prévoir, surtout pour ceux qui sont, en façade, des familles parfaites, à photographier dix fois dans Gala ou Paris Match – ou sur intagram, soyons moderne.

A lire, pour vous réjouir et réfléchir.

 

 

Detective Conan, volume 3 de Gosho Aoyama

Mon avis :

Comme beaucoup de lecteurs, j’ai découvert ce manga par l’animé, même si je n’avais pas l’âge du public cible – ou comment partager quelque chose avec ses élèves.

Dans ce troisième tome (j’ai prêté le 2 cette année régulièrement), Conan, Ran et Mouri se retrouvent sur un bateau de croisière à la suite d’un concours de circonstances assez complexes. Surtout, cela ne fait pas plaisir à tout le monde : en effet, c’est un bateau de croisière privé, et le chef de famille déteste les détectives privés et les personnages qu’il soupçonne d’être des pique-assiettes. Si les tout nouveaux passagers appartiennent bien à la première catégorie, ce n’est pas le cas de la seconde. Pourtant, le bonheur devrait être au rendez-vous, parce que la petite fille vient de se marier, et j’ai appris ainsi que dans les grandes familles bourgeoises japonaises, le mari prend le nom de son épouse, et non l’inverse. On découvre aussi à cette occasion à quel point un seul être peut mettre à mal toute une famille. Je n’irai pas jusqu’à dire que la mort du patriarche soulage tout le monde, je dirai qu’il n’est pas beaucoup de personnes pour exprimer du chagrin. Las ! Alors que le coupable semblait avoir été trouvé, un nouveau meurtre est commis, puis une agression. Conan enquête, oui, et si le récit est une variation sur le thème du meurtre en chambre close, et autres Meurtre sur le Nil, il montre aussi les failles de la société japonaise, qui ne laisse pas l’individu s’épanouir, ou si peu.

Le second récit commence de manière plus légère, pour finir de manière poignante. Il n’est pas forcément de meurtres, de vol pour qu’une enquête ait lieu. Et l’on peut aussi démontrer à quel point se venger ne change rien, n’ôte rien à la douleur, sans pour autant montrer l’accomplissement de la vengeance. Oui, il est toujours possible de changer d’avis – heureusement.

Pendant ce temps, Ran a tout de même des doutes, Conan et ses déductions ont une forte tendance à lui rappeler quelqu’un. Autant dire que le jeune garçon a souvent très chaud et a la chance de pouvoir compter sur le professeur pour le tirer de ces mauvais pas.