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Froid comme l’enfer de Lilja Sigurdardottir

Présentation de l’éditeur :

Aurora vit en Angleterre et sa sœur Isafold en Islande, elles sont très différentes et ont des relations compliquées.
Isafold disparaît et leur mère, ne faisant pas la différence entre enquêtrice financière et enquêtrice policière, supplie Aurora d’aller chercher sa sœur. Aurora ne peut pas s’empêcher de pratiquer ce qu’elle fait de mieux, démasquer les fraudeurs et les faire payer. Elle va donc profiter de ce voyage pour examiner de près certains investissements financiers douteux, et analyser la corruption islandaise tout en testant ses capacités de séduction sur deux hommes.
Elle découvrira surtout la violence domestique à laquelle était soumise Isafold et qu’elle niait farouchement subir ; au cours des témoignages qu’elle reçoit, elle voit évoluer les nuances de ses sentiments pour sa sœur. En même temps, des personnages inquiétants émergent peu à peu.

Mon avis :

Merci aux éditions Métailié et à Netgalley pour ce partenariat.

Ce livre parle d’abord pour moi (et je dis bien « pour moi ») d’un fait dont on parle peu : les enfants dont les parents viennent de deux pays, deux cultures différentes sans que l’on puisse pourtant dire que ses enfants sont métisses. C’est vrai : la mère est anglaise, le père islandais, et pourtant, que de différences. Vraiment ? J’arrive ensuite au second point, le fait que les parents aient fait des distinctions entre leurs deux filles, et rien n’est plus ravageur pour un enfant, même si les parents sont pleins de bonne volonté, même si les dégâts causés ne sont pas toujours visibles. L’une est la fille de son père, enfant islandaise, donc, l’autre est celle de sa mère, anglaise donc. Leur morphologie serait, d’après leurs parents toujours, très différentes. Or, quand on voit Aurora dans le regard des autres, ce qui les frappe d’abord est sa grande ressemblance avec sa soeur. Pourquoi n’ont-elles rien vu ? Surtout, l’une vit en Angleterre, l’autre en Islande. Je ne dis pas qu’elles y ont construit leur vie, parce que c’est beaucoup plus compliqué que cela. Aurora est enquêtrice financière, elle retrouve l’argent caché et adore cela, comme elle adore multiplier les coups d’un soir. Isafold, ce sont plutôt les coups de son conjoint qu’elle subit, et pourtant, elle finit toujours par revenir avec lui, tant elle est sous son emprise, tant personne ne reste suffisamment longtemps à ses côtés pour l’aider, pour tenir à distance toutes celles et ceux qui la culpabilisent de pousser à bout le « gentil » Bjorn. Aider une femme sous emprise est un travail de longue haleine et là, cela fait six mois qu’Aurora et Isafold ont coupé les ponts, deux semaines d’Isafold n’a pas donné de nouvelles à sa mère. Aurora enquête donc, en Islande – en dilettante. Oui, elle a d’autres préoccupations, d’autres centres d’intérêt, et la disparition de sa soeur la met plutôt en rogne. Inquiète ? Il faudra vraiment qu’elle soit mise face à la douloureuse réalité pour éprouver enfin quelque chose.

Non, Aurora n’est pas sympathique, mais qui l’est dans cette enquête ? La voisine du gentil oncle Daniel ? Elle, en tout cas, n’en a que faire de la norme. Sinon, j’ai eu l’impression que cette oeuvre offrait un concentré de personnages détonants. Prenez l’oncle Daniel, par exemple, ou plutôt l’ex-oncle Daniel : il a très envie de nouer une relation avec Aurora alors que ce n’est pas vraiment le moment – Aurora est occupée avec un autre homme de toute façon. Et ce voisin, qui n’a pu terminer ses études, qui ne voit plus ses enfants, qui passe son temps à se raser compulsivement et à espionner sa voisine – il est plus inquiétant que sympathique. Olga est trop occupée à préserver le réfugié sans papier qu’elle héberge, et qui a une large part d’ombres, pour s’occuper de la jeune femme qui vit dans le même immeuble, pour même se préoccuper de ce qui peut lui arriver. Sans doute Olga a trop souffert pour avoir encore la force de prendre soin de plus d’une personne : la rencontre avec Omar, ou quel que soit son vrai prénom, lui permet de se reconstruire, de surmonter ses douleurs, de s’ouvrir à d’autres choses. Elle est trop occupée à cacher son secret pour chercher à découvrir celui des autres.

Glauque ? Oui. Chacun ses problèmes, ses névroses, ses centres d’intérêt, chacun dans son coin, porte bien fermée, ou au contraire entrebâillée pour regarder un peu ce qui se passe ailleurs, un peu, mais pas trop. Les réseaux sociaux semblent palier la distance et l’éloignement, si ce n’est qu’il est facile de poster uniquement l’image que l’on souhaite donner de soi, l’image et c’est tout.

Commettre un crime en Islande, où tant de personnes disparaissent, semble vraiment très facile. Retrouver des personnes disparues, nettement moins, en dépit des efforts déployés, trop tard.

Les Fantômes de Reykjavik d’Arnaldur Indridason

Présentation de l’éditeur :

Inquiets pour leur petite-fille dont ils savent qu’elle fait du trafic de drogue, un couple fait appel à Konrad, un policier à la retraite, suite à sa disparition. Dans le même temps une amie de Konrad lui parle d’une jeune fille retrouvée noyée dans l’étang devant le Parlement en 1947. Elle lui demande de l’aider car l’enfant hante ses rêves. Il découvre que l’enquête sur la mort de cette dernière a été menée en dépit du bon sens. Lorsqu’on trouve le cadavre de la jeune trafiquante, il met encore en doute les méthodes de la police.

Mon avis :

Je lis à rebours les enquêtes de Konrad – la 1, puis la 3 et maintenant la 2. Si Ce que savait la nuit ne m’a pas laissé de grands souvenirs, si la pierre du remords a été un coup de cœur, je peut dire que j’ai beaucoup apprécié Les Fantômes de Reykjavik.

Konrad agit ici en tant qu’ami – ou plutôt, en tant que veuf d’une amie proche. Erna, sa femme, était très amie avec le couple, et ils lui font confiance pour retrouver leur petite-fille. Parallèlement, il renoue avec la fille de l’associé de son père Eyglo – associé en termes d’escroquerie. Elle croit en l’au-delà, aux esprits, Konrad non. Dans ce second tome, ce ne sont pas des frictions qui les séparent, je dirai plutôt qu’ils ne sont pas encore suffisamment proches pour qu’une dispute ne vire pas au différent irrémédiable. Konrad enquête toujours sur la mort de son père, pas pour lui rendre justice – il est sans illusion aucune sur son père – mais pour enfin savoir. Lui-même s’était disputé avec son père le jour de sa mort, parce qu’il a appris la véritable raison de son divorce d’avec sa mère, du fait qu’elle est partie en catastrophe avec sa fille, pour mettre le plus de distance possible entre elles et lui. La jeune femme est hantée par une vision, celle d’une jeune fille, quasiment une enfant, morte noyée alors qu’elle aurait cherché à repêcher sa poupée. Cold case ? Oui. L’affaire a eu lieu en 1947, et cela n’a pas vraiment été une affaire puisque la thèse de l’accident a été la seule envisagée. Quelle adolescente de 12 ans risquerait sa vie pour sa poupée ? Aucun policier ne s’est posé la question – ou plutôt, aucun n’a voulu se poser de questions, ou que l’on en pose. Cette jeune fille n’avait pas de père, sa mère vivait dans les baraquements qui allaient être démolis. Trop pauvres pour être visibles ? Oui.
Danny, la jeune fille, était trop visible aux yeux de certains, et si Konrad la retrouve, rapidement, il est déjà trop tard pour elle. Cela ne lui ôte pas l’envie, bien au contraire, que justice lui soit rendue. Cela ne semble pas être la préoccupation première de ses grands-parents, et si je peux comprendre leur découragement – retrouver leur unique petite-fille morte est la pire chose qui puisse arriver – j’ai peiné à comprendre leur volonté de ne rien faire pour que l’enquête avance. Et je ne suis pas la seule à avoir trouvé ce postulat étonnant.
Rendre justice à toutes celles qui n’ont pas de voix, qui n’en ont jamais eu, c’est ce que Konrad et les siens (oui, sa sœur interviendra dans l’enquête) vont s’ingénier à faire. Éveiller les consciences, secouer les autres, tout est bon- et tant pis si Martha l’ancienne collègue de Konrad s’emporte quand elle découvre jusqu’où Konrad et surtout sa sœur sont capables d’aller. Si la justice est sourde, il est nécessaire d’agir autrement. Un acte commis par Beta choquera peut-être – il m’a choquée. L’inertie de la justice, le fait que certains préfèrent leur réputation à la préservation des leurs, au soin à leur donner, est pire encore.
Pour faire éclater la vérité, il faut encore que des personnes veuillent l’entendre, veuillent tout mettre en oeuvre pour que l’impunité cesse. La honte doit changer de camp ? J’ai trouvé souvent l’impression que c’est une phrase vide de sens, qui ne correspond à aucune réalité : aucun agresseur, aucune personne qui a fermé les yeux sur une agression ne semble éprouver de honte – je mets le « semble » par optimisme.
Les fantômes de Reykjavik est une oeuvre forte, comme souvent chez indridason.

La pierre du remords d’Arnaldur Indridason

Présentation de l’éditeur :

Une femme est assassinée chez elle. Sur son bureau, on retrouve le numéro de téléphone de Konrad, ancien policer. L’enquête révèle rapidement qu’elle l’avait contacté récemment pour lui demander de retrouver l’enfant qu’elle avait mis au monde cinquante ans plus tôt, et qu’elle avait abandonné juste après sa naissance. Maintenant désolé de lui avoir refusé son aide, Konrad s’emploie à réparer son erreur. Il retrouve les membres d’un mouvement religieux contre l’avortement et reconstruit l’histoire d’une jeune fille violée dans le bar où elle travaillait. Il retrouve aussi un clochard équivoque, des trafiquants de drogue et même des fragments de l’histoire de la mort violente de son père. Au fil de l’enquête, il mesure l’ampleur de la tragédie dans laquelle son intuition et son entêtement l’ont plongé. Konrad se révèle un enquêteur sensible à la souffrance des autres, d’une humanité touchante.Dans une construction particulièrement habile et haletante, La Pierre du remords est un roman captivant et impitoyable sur la honte, le désespoir et l’intensité des remords qui reviennent nous hanter.

Mon avis :

Mes chers élèves
Je suis au regret de vous dire que je n’ai pas fini de corriger vos copies. En effet, je me suis plongée dans le tout dernier roman d’Arnaldur Indridason, et si au début, mon rythme était cinq copies, un chapitre, il est très vite devenu cinq chapitres, une copie, puis cinq chapitres plus de copies. Vu le nombre d’excuses originales que je reçois chaque semaine, j’ai un peu le droit aussi à des moments de lecture privilégié.
Coup de coeur ? Oui. Sauf que je serai bien en peine d’expliquer cette luminosité ressentie à la lecture, cette chaleur qui irradiait de ce récit. Et pourtant, les thèmes ne sont ni chaleureux, ni joyeux, ni lumineux. Je ne vous parle même pas du dénouement, qui nous entraîne vers la tragédie la plus sombre, la plus imprévisible, celle qui, peut-être, ne pouvait prendre place qu’en Islande. Alors ?
Alors, il est à chercher dans l’humanité des personnages. Martha, tout d’abord, policière qui n’a pas l’intention de fermer les yeux quand elle voit des violences, quand elle sait que les victimes, hélas, le plus souvent n’osent pas parler, n’osent pas demander l’aide et la protection qu’elles sont en droit d’avoir. Martha, que la participation de Konrad à son enquête agace parfois, même si elle sait se servir des renseignements qu’il aura glaner ici ou là.
Konrad est en proie à des remords. Oui, il n’avait pas envie de mener cette enquête, oui, il n’a pas insisté, il n’a pas cherché à faire tomber les réticences de cette femme discrète, Valborg, qui voulait savoir ce qu’était devenu l’enfant qu’elle avait abandonné quarante-sept ans plus tôt, enfant dont elle n’avait pas voulu savoir s’il était un garçon ou une fille, enfant dont elle n’a pu trouver elle-même la trace dans les registres, comme si elle n’avait jamais accouché. Est-ce possible ? Oui. Dans ces années-là, on ne se posait pas tant de questions, et avec la complicité d’une sage-femme, il était facile de faire passer le bébé adopté pour son propre enfant – en déménageant dans la foulée.
Passé et présent hantent le roman. Konrad n’en finit pas de chercher la vérité autour de l’assassinat de son père, un homme fort peu sympathique, un mari et un père détestable, un escroc n’hésitant pas à exploiter la douleur de personnes vulnérables. Est-ce que cela a fini par lui coûter la vie ? Konrad, en tout cas, ne recule pas face à ce qu’il apprend de son père, sa famille ayant été la première victime de cet homme. J’ai aussi beaucoup apprécié le personnage d’Eyborg, plus discret, fille du complice du père de Konrad, qui s’est refusée à exploiter ses dons, pour des raisons que je ne peux m’empêcher de trouver poignantes.
Le passé, c’est aussi celui de Valborg, ce qui l’a amené à abandonner son enfant et à ne pas vouloir parler de lui. C’est l’Islande des années 60, 70, cette jeunesse qui avait soif de liberté, ce pays où tout le monde ou presque pouvait se connaître. Ce pays aussi, où les militants anti-avortements n’hésitent pas à influencer des jeunes femmes fragilisées par leur vécue, par leur solitude. C’est notre époque, où la violence faite aux femmes est toujours bien présentes, l’emprise des hommes sur elle bien réelle.
Je suis heureuse d’avoir renoué avec l’écriture d’Indridason avec ce roman, et je commence à apprécier Konrad, ce héros qui va parfois trop loin dans ses propos mais qui sait le reconnaître.

Les fils de la poussière par Arnaldur Indriðason

Présentation de l’oeuvre :

Paru en 1997, Les Fils de la poussière, premier roman d’Arnaldur Indridason, a ouvert la voie au polar islandais en permettant à ce genre littéraire d’accéder enfin à la reconnaissance et d’acquérir ses lettres de noblesse en Islande.
Le récit s’ouvre sur le suicide de Daniel, quadragénaire interné dans un hôpital psychiatrique de Reykjavík. Au même moment, un vieil enseignant, qui a eu Daniel comme élève dans les années 60, meurt dans un incendie. Le frère de Daniel essaie de découvrir ce qui liait ces deux hommes et comprend graduellement que, dans les années 60, certains enfants ont servi de cobayes dans le cadre d’essais pharmaceutiques et génétiques qui ont déraillé…
L’enquête est menée parallèlement par le frère de Daniel et par une équipe de policiers parmi lesquels apparaît un certain Erlendur, accompagné du jeune Sigurdur Oli et d’Elinborg.

Mon avis :

Plus d’un an que je n’ai pas lu d’auteurs islandais. Trois ans que je n’ai pas lu un roman d’Arnaldur Indridason. Vingt-deux ans depuis l’écriture de ce premier roman.
Après tout, en Islande, les crimes sont rares. La petite délinquance, non. La drogue, les vols, non plus. Mais les crimes…

Nous avons là un crime particulièrement tragique : un professeur nouvellement retraité a été brûlé vif. Il n’avait pas d’enfants, sa soeur aînée est bien plus âgée que lui – sa demi-soeur, en fait, leur père ayant semé des enfants à travers tout le pays. Parallèlement, nous suivons une autre enquête, plus intime, celle de Palmi. Son frère, atteint de schizophrénie depuis son adolescence, vient de se suicider. Il ne prenait plus son traitement, le tout dernier de la liste, ce qui faisait penser à la mère de Daniel et Palmi, et plus tard à Palmi seuls, que les psychiatres successifs qui ont été chargés du cas de Daniel ont davantage expérimenté que soigné. Si les psychiatres français tirent la sonnette d’alarme sur ce qui se passe chez nous, que dire de l’Islande ? Je ne peux que vous recommander, sur le sujet, la lecture de Les anges de l’univers d’Einar Mar Gudmundson, un livre éclairant sur l’évolution de la manière dont on traitait les malades en Islande.
Intéressant aussi que le bilan de l’éducation islandaise – ou plutôt de son système éducatif. Certains regrettent les classes de niveau, parce que l’on pouvait mettre tous les cancres ensemble, ou ceux qui étaient estimés tels, et les oublier consciencieusement. Pour être dans une telle classe, il ne fallait pas nécessairement être très mauvais, ou très violent, non, appartenir à un milieu socialement défavorisé, être l’enfant d’une mère seule ou de parents négligents suffisait largement. Alors, qui va se préoccuper du devenir des onze gamins de cette classe ? Qui ? Ce qu’ils sont devenus est pourtant effrayant.
Dans ce premier volume des aventures d’Erlendur, nous sommes à la fois dans le roman policier pur et dur et aussi dans la dystopie, créant un présent légèrement différent du nôtre. On peut s’interroger sur beaucoup de sujets, notamment sur l’indifférence des pouvoirs publics sur certains sujets, sur les négligences qui peuvent être commises, mais aussi sur les rêves de puissance et de pouvoir que certains peuvent avoir. Si l’argent ne fait pas le bonheur, il permet d’accomplir certains rêves complètement cinglés.
Alors, oui, il y a de l’espoir, un peu, vers le dernier tiers du livre, mais combien de désespérance a-t-il fallu traverser ?
Erlendur est là, et bien là, capable d’une violence qui m’avait semblé assez inusitée chez lui. Il fait équipe avec Sigurdur Oli, Erlinborg est très en retrait. Apparaissent aussi d’autres enquêteurs que je n’ai pas vraiment eu l’impression de revoir après – ou alors, je les ai oubliés.
Allez, je ne resterai pas trois ans sans relire Indridason.

Treize jours d’Arni Thorarinsson

Présentation de l’éditeur :

13 jours, c’est le délai que sa dernière petite amie, banquière recherchée par la police, a donné à Einar pour la rejoindre à l’étranger.
13 jours, c’est le temps qu’il va lui falloir pour décider s’il veut accepter la direction du grand journal dans lequel il a toujours travaillé.
13 jours, c’est le temps qui sera nécessaire pour trouver qui a tué la lycéenne dont le corps profané a été retrouvé dans le parc. Quelque chose dans son visage rappelle à Einar sa propre fille, Gunnsa, quand elle était un peu plus jeune et encore innocente. Mais aujourd’hui Gunnsa est devenue photographe et travaille dans le même journal que son père ; elle s’intéresse de près à ces adolescents paumés et ultra connectés qui fuguent ou disparaissent, elle a plus de ressources et d’audace pour faire avancer l’enquête – et moins de désillusions.

Mon avis  :

Comment présenter les choses ? Le retour d’Einar, le journaliste ? Cela donnerait l’impression qu’il est parti, ce n’est pas le cas, c’est simplement que je n’ai pas lu un seul roman islandais de toute l’année 2018, et que je ne suis pas sûre d’avoir fait tellement mieux en 2017.
Le journal d’Einar est dans une position critique – comme souvent, vous allez me dire. Il faut trouver un nouveau directeur, et c’est tout naturellement que le poste est proposé à Einar.Seulement, les responsabilités, cela ne le tente pas, il a envie de rester celui qu’il a toujours été, de vivre sa vie de journaliste sans ajouter de pression supplémentaire. Puis, il a d’autres soucis, sa dernière petite amie, qui est recherchée pour quelques petits problèmes financiers, le contacte à nouveau. Cèdera-t-il  ? Il doit aussi veiller sur sa fille Gunnsa, qui veut devenir journaliste comme son père, et commence à enquêter sur un sujet d’actualité : les fugues chez les adolescents. Seulement, la dernière fugueuse en date est retrouvée morte par Einar et Gunnsa, et le résultat est tout sauf beau à voir. Qui a pu tuer la jeune fille ?
Nous nous retrouvons plongés tragiquement dans un sujet d’actualité : le mal être des jeunes, le poids des réseaux sociaux dans leur vie, le harcèlement dont ils peuvent être victimes, mais aussi ce qu’ils sont prêts à faire, à montrer, d’eux mêmes et des autres. Ce mal-être vient aussi de leur immense solitude, de parents qui ont baissé les bras depuis longtemps, qui ont eu d’autres préoccupations, d’autres problèmes à régler, et ont oublié leurs mômes en cours de route.
En contrepoint, nous avons l’interrogatoire de Gunnsa donc nous avons déjà, non pas une idée du dénouement, qui est assez surprenant, mais de ce qui est advenu d’Einar – on se doute qu’il n’en a encore fait qu’à sa tête, pour ne pas perdre les bonnes habitudes. Nous découvrons cependant que Gunnsa est véritablement la fille de son père – et je me demande, après le tout dernier chapitre, ce qu’il en sera du tome suivant.

Le lagon noir d’Arnaldur Indridason

Mon résumé :

1979. Une jeune femme se baigne dans les eaux du lagon parce que sa boue a la vertu d’apaiser les maladies de peau. Ce jour-là, elle a le malheur (pour elle et pour lui) de trouver un corps dans le lagon. Marion et le jeune Erlendur sont chargés de l’enquête. Lui-même, à ses heures perdues (il vient de divorcer) enquête sur la disparition d’un jeune fille, 26 ans plus tôt.

Mon avis :

J’aimerai dire simplement : c’est un roman d’Arnaldur Indridason alors lisez-le. Ce serait tellement plus simple de rédiger une critique ainsi, vous ne trouvez pas ?

Ce roman nous permet de découvrir Arnaldur jeune enquêteur, peu loquace sur sa vie privée et personnelle. Pourtant, cela ne l’empêche pas, déjà, de faire preuve d’empathie envers les proches des victimes, comme Nanna, la soeur du jeune homme retrouvé assassiné, ou Svava, la tante de la jeune fille disparue presque trente ans plus tôt. De ténacité aussi, lorsqu’il interroge quelqu’un qui n’a pas envie de se livrer. Il faut dire qu’avec Marion, il est à bonne école : elle renonce très rarement et sait utiliser tous les arguments dont elle dispose pour parvenir à ses fins. Marion, ou l’art de maîtriser le langage et de l’utiliser à bon escient. La pugnacité aussi, comme il le prouvera lors du dénouement.

N’anticipons pas trop. Pour l’instant, nous sommes non loin de la base américaine, et la victime avait des liens avec elle. Il avait fait ses études aux Etats-Unis, s’habillait de vêtements américains à une époque où ce n’était pas légion, et travaillait en liaison avec cette fameuse base américaine, qui comportait autant de fans que de détracteurs. La base jouit de la même impunité qu’une ambassade, et il est difficile de savoir ce qui s’y trame réellement. Et les américains ne sont pas tendres avec les islandais, qu’ils méprisent, voire insultent, comme si l’Islande ne devait être qu’une vaste base américaine (je paraphrase Erlendur).

Ne rien lâcher, être patient, écouter, écouter même les silences qui en disent longs sur la volonté de ne pas se confier. Prendre des risques aussi. Marion pourra compter sur Caroline, une jeune officier de la base. Point qui ne sera dévoilé qu’au cours de l’enquête : Caroline est noire. Cela n’a pas d’importance pour Marion, cela en a pour certains membres de la base. Et cela en dit long sur eux, et sur la ténacité de Caroline, pour être parvenue jusque là.

Le lagon noir est – encore – une très bonne double enquête d’Erlendur. Ne passez pas à côté d’elle, ce serait vraiment dommage.

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L’ange du matin d’Arni Thorarinsson

Mon résumé :

La crise secoue l’Islande gravement. La criminalité semble augmenter. Une postière, sourde, est tuée à Akureyri, et Einar, dont le journal est en perte de vitesse, se demande bien sile coupable sera retrouvé un jour. Le journaliste est alors amené à interviewer un « nouveau viking », qui laisse dans son sillage dettes et sociétés en faillite. Peu après, Margret Bra, sa fille, est enlevée. Contre l’avis de la police, Einar enquête.

Mon avis :

Quelle est le rôle d’un journaliste ? Informer. Pour informer, il lui faut enquêter, et c’est ce que font Einar et ses collègues. Attention ! Ne les prenez pas pour des solitaires prétentieux, vous savez, le type même du baroudeur solitaire un peu méprisant.Einar et ses collègues sont bien ancrés dans le réel, ils savent qu’ils ont à faire avant tout avec de l’humain, même si la finance semble, un temps, avoir pris le dessus.

Einar, d’ailleurs, est en retard ce matin-là, quand il bute dans du courrier éparpillé sur le sol. Il découvre ensuite le corps de la postière, alors à l’agonie. Il a beau faire ce qu’il faut (et se reprocher après de ne pas avoir fait assez), elle décède à l’hôpital. S’il n’a pu la sauver, s’il n’a rien entendu de son agression, qui s’est déroulée non loin de chez lui, il suit les investigations de près, sans hésiter à s’y mêler si nécessaire. La police a peu d’indices, et la seule piste qu’elle ait semble avoir presque été tracée par l’agresseur lui-même. La fréquentation des romans et des séries policiers nuit gravement aux policiers eux-mêmes.

D’ailleurs, personne n’était préparé à l’enlèvement de la jeune Margret. Pour les policiers, ce crime est totalement inédit, et ils doivent faire avec le peu qu’ils ont. Pour les lecteurs occidentaux, les enlèvements sont des rebondissements très fréquents, et nous connaissons bien les mécanismes de cette branche du genre policier. Einar aussi, qui pose les questions qui pourraient déranger les enquêteurs (nous les voyons d’ailleurs fort peu en action, si ce n’est pour se refuser à tout commentaire). Nous voyons également grâce à quel système d’informateurs il parvient à se tenir au courant le mieux possible de ce qu’il se passe – et comment aussi, parfois, il faut se méfier de ceux auxquels on ne fait pas attention.

L’ange du matin est un roman policier contemporain qui nous interroge sur notre société, même si l’auteur est islandais. Quelle place accordons-nous à nos aînés ? Comment éduquons-nous nos enfants, que comptons-nous leur transmettre ? Connaissons-nous bien nos proches ? Et la culture, dans tout cela, peut-on encore parler d’elle alors que les nouveaux supports semblent plus importants que les contenus ? A l’heure où les témoignages en tout genre foisonnent, qu’a réellement le droit de révéler un journaliste ? Einar, et avec lui l’auteur, se garde bien de porter des jugements moraux, il questionne, pose des constats, et ce n’est pas aussi réjouissant que le tout dernier message qui clôture ce roman.

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Betty d’Arnaldur Indridason

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Présentation de l’éditeur :

Dans ma cellule je pense à elle, Bettý, si belle, si libre, qui s’avançait vers moi à ce colloque pour me dire son admiration pour ma conférence. Qui aurait pu lui résister… Ensuite, que s’est-il passé ? Je n’avais pas envie de ce travail, de cette relation. J’aurais dû voir les signaux de danger. J’aurais dû comprendre bien plus tôt ce qui se passait. J’aurais dû… J’aurais dû… J’aurais dû…
Maintenant son mari a été assassiné et c’est moi qu’on accuse.

Mon avis :

Arnaldur Indridason est bien sûr l’auteur des enquêtes d’Erlendur. Il est aussi l’auteur de romans noirs, dont ce magistral Betty.

Il est difficile de parler de ce roman, il faut vraiment le lire pour apprécier le talen, magistral, d’Indridason. Le lecteur, dès les premières pages, croient en savoir beaucoup : le narrateur, qui aime Betty, se trouve en prison, la police l’accuse d’être coupable du meurtre du mari de Betty, Tomas, un riche homme d’affaires. Qu’y a-t-il à dire de plus, si ce ne sont les circonstances du meurtre ? Beaucoup.

Le récit alterne le présent, en prison, et le passé, de la rencontre avec Betty jusqu’à ce que passé et présent se rejoignent. Le choix d’un narrateur à la première personne, forcément subjectif, clamant à la fois son amour et son innocence ne peut que modifier la perception qu’a le lecteur de cette histoire. De plus, le narrateur, mutique sauf dans ses longs monologues intérieurs, se trouve confronté à d’autres personnes, les enquêteurs, bien sûr, mais aussi son avocat, les psychiatres, et même sa mère, qui est venue lui rendre visite, pour tenter de renouer les liens après des années de brouille. De là, émerge un autre récit, d’autres visions de cette affaire, qui montre aussi à quel point la perception du narrateur peut être brouillée par ses émotions, et pas seulement par son amour.

Bien sûr, il y a le coup de théâtre qui survient au milieu du récit. Je ne l’ai pas vu venir, je ne pense pas être la seule dans ce cas. Il permet vraiment de voir la suite du roman autrement, et, contrairement à maints coups de théâtre qui ressemblent davantage à des tours de magie, celui-ci est totalement crédible. Le tout est vraiment de résister à la tentation d’expliquer en quoi il change bien des choses à notre propre perception de l’intrigue – et à celles des enquêteurs, au sens large du terme.

Betty, un livre à lire pour tout ceux qui hésitent encore à découvrir l’oeuvre d’Indridason.

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L’énigme de Flatey de Victor Anar Ingolfsson

9782021071238Présentation de l’éditeur :

Flatey, petite île isolée à l’ouest de l’Islande, dans les années 60. La découverte d’un corps quasiment à l’état de squelette sur un ilôt désert perturbe la vie paisible de la communauté de pêcheurs, à peine une quarantaine, qui peuplent l’île. Comment a-t-il pu arriver là? Personne ne l’a vu sur le bateau postal qui passe une fois par semaine. Kjartan, juriste dépêché du continent par le procureur, se retrouve à enquêter malgré lui.

Mon avis :

Ce livre est à recommander hautement à tous les fans de la littérature islandaise, et pas seulement aux amateurs de romans policiers. En effet, il nous fait vraiment découvrir la vie quotidienne, dans une toute petite île, peuplée de courageux éleveurs et des pêcheurs non moins courageux. L’ecclésiastique du lieu apprécie beaucoup ses ouailles, son épouse, qui a grandi dans la capitale, nettement moins : ces braves gens ne jugent pas utile de se laver au cours de la journée, préférant un décrassage complet le soir, quand toutes les taches éprouvantes et salissantes auront été accomplies. On peut les comprendre.

Et c’est sur une petite île qu’une famille de pêcheur – le grand-père, qui perd la tête, le fils et le petit-fils – trouve un cadavre en état de décomposition. Comment est-il arrivé là ? Qui est-il ? Aucun élément ne permet de le déterminer. Et le jeune enquêteur dépêché sur les lieux ne progresse guère, jusqu’à ce que l’on découvre son illustre identité, et son intérêt pour le légendaire livre de Flatey et ses énigmes, qui ponctuent chaque fin de chapitre.

Ce n’est pas parce que Flatey est une petite île qu’elle est coupée du reste de l’Islande. Certains de ses habitants ont même un très riche passé, comme Johanna, la doctoresse et son père. Un autre habitant, bien au contraire, n’a pas quitté l’île depuis cinquante ans et n’en vit pas plus mal, lui qui est passé maître dans l’interprétation des rêves (des siens et ceux des autres).

Alors oui, l’enquête progresse très lentement, au rythme des interrogatoires de chacun, des vérifications pas toujours faciles. Un journaliste, même, vient jouer les troubles-fêtes, flairant le scoop, à la fois sur la mort de Gaston Lund et sur le livre de Flatey. Il réussit l’exploit d’être le seul personnage réellement antipathique de ce roman , provoquant gêne et hostilité partout où il passe. Néanmoins, l’enquête finit par aboutir, et l’auteur ne tombe pas dans la facilité, que j’avais pourtant vu poindre cinquante pages avant la fin du livre. Jouer avec les attentes du lecteur et prendre le risque de le décevoir en proposant un dénouement loin des schémas classiques était osé, et je dois dire que c’est réussi. Il est rare d’éprouver un sentiment d’apaisement lors du dénouement, et pourtant, c’est ce que j’ai ressenti. Être un bon auteur de romans policiers signifie aussi construire un univers sans chercher à générer la terreur à tout prix.

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L’ombre des chats d’Arni Thorarinsson

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Mon résumé :

Einar est invité au mariage de Saga et de Kristin, une amie d’Heida, sa complice au journal. Oui, vous avez bien lu : ce sont deux femmes qui se marient et cela semble ne poser aucun problème ni aux amis, ni à la famille, ni même à l’ex-mari de Kristin, qui se félicite que son ex-femme se soit trouvé. Alors, qui a fait ce cadeau d’un goût douteux aux jeunes mariées ? Pendant ce temps, Einar reçoit des textos à caractère fortement sexuel. Qui s’amuse à de telles plaisanteries ?

Mon avis :

Revoilà Einar ! Il m’avait manqué, lui, sa nonchalance, et sa capacité à se retrouver au milieu des affaires les plus compliquées.

Oui, il n’est pas éloigné des stéréotypes du poor lonesome policier. Il est divorcé, a une fille – avec laquelle il s’entend très bien – a eu un gros problème avec l’alcool, qu’il a fort heureusement résolu, tout en sachant qu’on n’en a jamais réellement fini, et qu’une rechute est toujours possible. Il n’est pas policier, mais journaliste d’investigation – quitte à entretenir des liens étroits avec la police. Je te donne des indices, tu me dis si je suis sur la bonne voie.

Alors que la situation financière de son journal n’est pas excellente, alors que les rédacteurs ont des soucis de santé, ou des problèmes d’ordre privé, Einar doit mener de front son travail de journaliste et effectué la coordination au sein de la rédaction. Pas toujours facile, face à la concurrence de sites internet nettement moins scrupuleux. Vous avez dit éthique ? Morale ? Sources sûres et fiables ? Les scrupules sont disparus pour la jeune génération. Quant à l’ancienne (déjà), avec Einar, elle découvre avec ébahissement les joies de tout ce que l’on peut trafiquer grâce à la technologie. Rester dans la course, oui. Faire éclater la vérité – aussi, sans rester dupe des manœuvres de certains hommes politiques.

Internet, un moyen de tout savoir, très vite, sur des sujets qui n’intéressent que vous. Et, se demande Einar, qui peut bien s’intéresser à ses morts étranges, ses suicides assistés par ordinateur – ou quand la technologie fait froid dans le dos. Qui peut être assez pervers pour s’inspirer de tout ce que le net peut faire de pire ? Quand Einar cherche, il trouve – même s’il y met du temps, même si les fausses pistes sont nombreuses, dans cette société islandaise si renfermée sur elle-même que tout le monde se connaît, tout le monde s’est croisé un jour ou l’autre. Cette société reste fortement imprégnée par ses légendes, elle qui n’a acquis son indépendance que soixante-dix ans plus tôt. Les contes populaires sont connus de tous, et les elfes, forcés de vivre cachés, sont comparés aux homosexuels, qui sont eux sortis de leur cachette.

Ce roman nous questionne aussi sur ce qui pousse deux personnes à se marier. L’amour, me répondra-t-on. La volonté de fonder une famille. Pour beaucoup dans ce récit, il s’agit d’une question d’argent. Et plus que le chagrin, il s’agit de déterminer qui héritera. Mariage et bataille pour tous.

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