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Partir quand même de Yiyun Li

édition Belfond – 368 pages.

Présentation de l’éditeur :

À quatre-vingt-un ans, Lilia a enterré trois maris, élevé cinq enfants et vu naître dix-sept petits-enfants. L’heure est venue de vivre un peu pour elle. Et de se plonger dans un livre qui l’intrigue : le journal d’un certain Roland Bouley, un auteur resté obscur mais qui occupe une place particulière dans son existence.

Et pour cause, Lilia l’a connu en 1945, quand Roland était vaguement en poste aux Nations unies. Quand ce séducteur invétéré papillonnait de l’une à l’autre en promettant le mariage à toutes. Quand Lilia vivait dans une ferme avec son père veuf et ses nombreux frères et sœurs. Elle avait seize ans, elle était vive et délurée. Elle voulait échapper à sa vie, et Roland est arrivé.

Aujourd’hui, Lilia est curieuse de découvrir le journal de celui qu’elle n’a jamais oublié. De découvrir aussi ce que ce journal dit de sa vie à elle, de la vie qu’ils auraient pu avoir et de la vie qu’elle a menée, malgré tout…

Mon avis :

Merci aux éditions Belfond et à Netgalley pour ce partenariat.
De Yiyun Li, j’avais lu Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie récit autobiographique bouleversant dont j’ai retrouvé dans ce roman, certains thèmes. N’ayant lu que ces deux oeuvres de cette autrice, je ne peux dire si c’est une constante, ou si seules ses deux oeuvres sont concernées, cependant, j’y ai été sensible.

Le premier thème, c’est celui du lien mère/fille, ou, pour élargir, parents/enfants. Lilia a choisi de vivre les dernières années de sa vie dans une maison de retraite, c’est son choix, ce ne sont pas ses enfants qui l’ont forcée, d’ailleurs, ils ne comprennent pas vraiment sa décision – et ce n’est pas la seule chose qu’ils ne comprennent pas chez Lilia. L’on pourrait dire qu’elle est une vieille dame acariâtre, désagréable, mais c’est plus que cela : Lilia a toujours été une femme dure, une femme sans complaisance envers elle-même et envers les autres, une femme, dirai-je, qui n’a que faire de ce que les autres ont à lui dire, à lui confier. Rabrouer tout le monde est une constante. Ne pas voir certains signes, aussi, et pourtant, elle a grandi avec une mère, disparue jeune, qui n’a pas vécu la vie qu’elle aurait aimé vivre et qui a, certainement, dû renoncer à ses rêves, s’abîmant jour après jour dans la détresse. Oui, dans les années cinquante/soixante, l’on faisait moins attention aux comportements à risque, à la dépression, l’on ne pensait même pas que cela pouvait exister. Lilia, fille et petite-fille de pionnier, qui a dû travailler dur dès son adolescence a eu cinq enfants et en a élevé six avec Gilbert, son mari : Lucy, sa fille aînée, s’est suicidée à l’âge de 28 ans, parce qu’elle n’en pouvait plus de sa vie. (Note : le fils aîné de l’autrice s’est suicidé et elle lui a consacré un ouvrage). Lilia et Gilbert ont élevé Katherine, sa fille, son père, Steve, ayant très vite disparu de leur vie. Tout au long du récit, Lilia s’interrogera, sur sa fille, sur les raisons qui l’ont amené à ne pas vouloir vivre un jour de plus, sur ce que sa fille attendait de la vie, sur ce que, peut-être, elle aurait dû lui dire : qu’elle n’était pas la fille du mari de sa mère, mais de Roland, un homme que Lilia a rencontré quand elle avait 16 ans et qu’elle voulait changer de vie.

C’est là que je retrouve un second thème de l’oeuvre de Yiyun Li : les écrits autobiographiques. Dans Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie , elle s’interrogeait sur les écrits personnels qui survivent à un auteur. Ici, nous suivons la lecture que fait Lilia du journal de Roland, journal qui a été réduit des deux tiers par celui qui l’a édité – Roland ne voulait pas qu’il soit publié de son vivant. A chaque partie qui a intéressé Lilia, nous pouvons voir les notes qu’elle destine à sa petite-fille Katherine. Elle lui écrit, finalement, tout ce qu’elle ne lui dit pas, tout ce qu’elle ne parvient pas à dire – alors que j’ai eu l’impression que certains faits étaient des secrets de Polichinelle. Au fur et à mesure de ma lecture (l’oeuvre est vraiment très dense), j’ai dû faire la part des choses entre ce que Roland écrivait de lui, de ses amours (il ne consacre que quelques pages, et encore, à Lilia), et ce qui s’était réellement déroulé. Roland, orphelin très jeune, semble souvent aussi dur que peut l’être Lilia, lui qui n’est pas prêt à écouter celles qui sont en deuil, lui qui ne comprend pas que l’on puisse dialoguer avec son fils mort depuis longtemps (comme Yiyun Li elle-même l’a fait dans un autre ouvrage). Il ne craint pas cependant de s’auto-apitoyer sur son sort, entre la carrière diplomatique qui fut un échec, et son rêve de devenir romancier, un autre échec. Il n’a même pas vraiment vécu la guerre, il l’a vu, à travers ce que les autres traversaient. Même sa vie amoureuse, entre la femme épousée et la femme aimée, ne fut pas vraiment une réussite. Qui pour lire le journal intime de cet homme ordinaire ? Les lettres, qu’il a écrite à la femme aimée et qu’elle lui avait demandé de détruire, ce qu’il refusa ? Plus simplement, peut-on lire les écrits intimes de quelqu’un qui n’a rien de remarquable ?

Roland écrivait pour lui. Lilia écrit pour sa fille qui n’est plus, pour sa petite-fille et son arrière-petite-fille. J’aurai aimé savoir comment elles recevraient ce texte.

 

 

Terre errante de Liu Cixin

Présentation de l’éditeur

Traduction : Gwennaël Gaffric
Dans un futur proche, le Soleil se transforme progressivement en géante rouge. La Terre se meurt. Pour contrer cette extinction programmée, les Nations se regroupent pour mettre en branle un projet d’une ambition folle : transformer la planète bleue en un vaisseau spatial à part entière…
Novella écrite en 2000, Terre errante manifeste déjà tout le talent et l’imagination de Liu Cixin. L’adaptation cinématographique (2019), disponible sur Netflix, a été l’un des plus gros succès au box-office mondial.

Mon avis :

Ce n’est pas que je n’ai jamais lu de littérature chinoise puisque j’ai lu les ouvrages de onze auteurs chinois. C’est la première fois que je lis une nouvelle chinoise de science-fiction.

Nous sommes dans un futur pas si éloigné que cela, et nous suivons le narrateur, qui vit sur la terre qui se meurt. Pour la sauver, un projet a vu le jour : déplacer la Terre, en en faisant un vaisseau. Pour cela, de nombreux sacrifices sont nécessaires, dans cette Terre déjà dévastée et souffrante. Comment en est-on arrivé là ?

Le narrateur est un tout jeune enfant au début, un adulte dans la force de l’âge à la fin. Il a une vie de famille, des parents, puis une femme, un enfant, ce qui n’est pas donné à tout le monde sur cette terre qui se meurt. J’ai trouvé les choix effectués par l’auteur surprenant, mais peut-être aussi parce que je ne suis pas très familière de la science-fiction. Il n’est pas vraiment possible de s’attacher à un personnage, sans doute aussi parce que l’on demande aux personnages de ne pas s’attacher, de ne pas trop envisager l’avenir, quand une catastrophe peut survenir très rapidement. l’amour ? Oui, il existe malgré tout, il n’est cependant pas assez fort pour faire le poids face à l’embrigadement, la remise en question de ce qui est vécu et qui aurait peut-être pu être vécu autrement. Pas de religion. Pas ou peu de culture, comme si tout ceci n’avait pas, n’avait plus sa place dans ce monde.

Une oeuvre à découvrir.

Porc braisé d’An yu

édition Delcourt -200 pages

Présentation de l’éditeur :

Un matin d’automne, Jia Jia pousse la porte de la salle de bains de son opulent appartement de Pékin et découvre son mari sans vie dans la baignoire. Il a laissé pour elle, sur le lavabo, le dessin énigmatique d’un homme poisson. Cette étrange figure aquatique ne cessera dès lors de la hanter.
Perdue et sous le choc, Jia Jia déambule dans la ville, boit plus que de raison, et noue peu à peu une relation avec un barman, Leo, susceptible de lui donner l’amour qu’elle croyait impossible.
Libérée d’un mariage asphyxiant, Jia Jia se redécouvre, renoue avec sa passion pour la peinture et affronte son passé et toutes ces choses que ceux qu’elle aime ont trop longtemps tues. Une odyssée intérieure qui la mènera jusqu’aux plateaux du Tibet et cet autre monde auquel elle aspire et qui la terrifie.

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier le Handbo(o)k Club et les Éditions Delcourt pour ce partenariat.

Jia Jia est veuve. Elle souffre. Elle ne souffre pas de la mort de son mari, non, même si le choc de l’avoir trouvé mort dans sa baignoire a été bien réel. Elle souffrir de ne pas avoir mal, de ne pas être triste, d’être même soulagée d’être délivrée de ce mariage qui n’en était plus vraiment un, à condition qu’il en ait été un, à une époque. Oui, Chang était riche, oui, elle ne manquait strictement de rien, si ce n’est d’amour et d’attention. Son mari ne dénigrait-il pas le fait qu’elle soit artiste peintre, ne l’avait-il pas fortement encouragé à cesser cette activité ? Si. Un enfant ? Il en avait été question, mais le délitement du mariage a repoussé le projet jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de mariage.

Jia Jia est seule, désormais, libre aussi de faire ce qu’elle veut, de reprendre le cours de ses aspirations artistiques, libre aussi de faire le bilan de ce qu’a été sa vie, et de ce qu’elle veut pour sa vie. Porc braisé, c’est le portrait tout en sensibilité de cette jeune trentenaire et aussi des personnes qui l’entourent, celles avec qui elle tisse des liens, comme Leo, ce barman par qui elle est attirée, et avec lequel elle découvre que certains ne sont pas encore prêts à se libérer du poids des traditions, des superstitions. D’autres tentent de renouer des liens avec elle, son père, sa belle-mère et Jia Jia de partir à la recherche de son passé, du passé de ses parents, pour comprendre aussi pourquoi elle est devenue celle qu’elle est devenue, pour comprendre aussi, mieux, la personnalité de sa mère.

Un voyage, ce sont des rencontres, avec soi, avec les autres. C’est aussi l’occasion de se plonger dans un univers onirique et ténébreux, entraînant le roman à la limite du genre fantastique, mais toujours avec poésie.

Un très beau premier roman.

 

Le mystérieux tableau ancien de He Jiahong

Présentation de l’éditeur :

Maître Hong est contacté par une femme, professeur à l’université de Pékin dont le mari, éminent chercheur dans une société pharmaceutique de pointe, a brusquement perdu la mémoire. Seul, peut-être, un vieux tableau de famille pourra donner la clef du mystère…Cartels industriels, politiciens véreux, hommes d’affaires compromis, amour et corruption mélangés aux mystères de la pensée traditionnelle chinoise, sont les ingrédients détonants de cette plongée envoûtante dans la Chine contemporaine.

Mon avis :

Il paraît que les blogueuses ne parlent que des livres qu’elles ont aimé ou adoré. Soit. Bizarrement, je connais plusieurs blogueuses qui parlent simplement des livres qu’elles ont lus, même si certains ne sont pas des coups de coeur – même si la majorité ne sont pas des coups de coeur.

Le mystérieux tableau ancien est, pour moi, un livre qui n’a suscité que de l’indifférence. Je l’ai lu, je ne trouve pas grand chose à en dire. Je n’ai ressenti d’atomes crochus avec aucun des personnages. L’enquêteur ne se rend pas compte que sa secrétaire est amoureuse de lui, elle est donc à prendre tous les risques pour le tirer des situations incongrues dans lesquelles son enquête peut le mener. La professeure d’université dont le mari est souffrant ? Elle fait de son mieux, entre une société chinoise en pleine mutation, un mariage qu’elle a maintenu à flots bien que son mari n’ait pas toujours été fidèle, et une fille unique pour laquelle elle est prête à tous les sacrifices afin qu’elle réussisse ses études universitaires.

Oui, nous sommes dans une Chine en pleine mutation, et j’ai eu l’impression que le communisme était bien loin. Il est question de sociétés, de profit, de publicité, de tous les moyens pour parvenir au sommet de l’entreprise, quitte à mettre de côté certains membres, et à passer sous silence certains faits. Maître Hong arrive là dessus un peu comme un cheveu sur la soupe, puisqu’il est incorruptible, insensible aux charmes des femmes (au grand dam de sa secrétaire, mais je l’ai déjà dit). Bref, il apparaît un peu, au moment de la rétrocession de Hong Kong à la Chine, comme un défenseur de l’ordre ancien.

J’ai presque oublié le tableau – parce qu’il est le plus souvent oublié dans l’intrigue. Il est pourtant source de convoitise, de terreur aussi, avec la légende qui l’entoure – la réalité est beaucoup triviale, en phase avec l’ère capitaliste. J’aurai aimé vous dire que j’avais aimé ce roman de la transition, et bien, je me répète, pas du tout. Certaines situations sonnent comme véritablement occidentales, comme cette mère, professeur d’université, qui ne veut pas que sa fille aille voir son père malade pour qu’elle ne soit pas perturbée et puisse ainsi réussir ses études, si ce n’est que l’on se retrouve très vite avec une situation très conservatrice : étant donné le sacrifice de sa mère, la fille se doit de suivre la voie qui lui est tracée, de se consacrer uniquement à ses études et à rien d’autres. En France, le conflit aurait été explosif. En Chine, à la croisée des mondes, la solution pour laquelle opte la fille ne fait que plonger sa mère un peu plus dans les abîmes de la dépression : oui, on ne parle à ses enfants que pour leur donner des ordres, surtout pas pour converser avec eux ou les écouter. La jeune fille devient ainsi une proie facile.

Si vous voulez vraiment découvrir des polars chinois, lisez plutôt les oeuvres de Qiu Xiaolong : ici, je n’ai trouvé qu’ennui et indifférence. L’intrigue ne parvient jamais à se déployer complètement, comme si nous étions forcés de rebondir d’un arc narratif à un autre, sans jamais aller au bout des choses. Oui, je n’aime pas trop les personnages qui baissent facilement les bras, alors qu’il est tant à accomplir.

Apre coeur de Jenny Zhang

tous les livres sur Babelio.com

Présentation de l’éditeur :

Elles ont 7 ou 9 ans à New York. Elles s’appellent Christina, Lucy, Frangie ou Annie… Elles partagent des lits à punaises et des parents chinois qui luttent chaque jour pour les nourrir, leur payer l’école et les faire grandir dans le rêve américain. C’est leurs voix qui nous parlent, spontanées, crues, bouleversantes, elles racontent une enfance dans les marges, le racisme et la violence quotidienne, et l’amour immense des parents qui les protège et les étouffe.

Mon avis :

Apre coeur – une lecture à la fois facile et difficile.
Je commence par le plus dur : nous touchons, à cette lecture, le fin fond de la misère humaine et de la douleur, physique, morale. Ces petites filles grandissent aux Etats-Unis. Elles ont même des prénoms américains, Christina, Jenny, Annie. Elles sont américaines. Oui, mais quel prix leurs parents ont payé pour cela ? Il ne s’agit pas tant d’argent – encore que – que de tous les sacrifices qu’ils ont fait. Ils y ont laissé leur dignité, et leur santé mental aussi – je ne parle même pas de leur équilibre, encore moins de leur couple, extrêmement fragile. Oui, ils aiment leurs enfants, pas de doute, ils leur ont offert tout ce qu’ils n’avaient pas eu, avec le principal, qui tient en un mot : liberté. Oui, ils les aiment, ils ont besoin aussi que leurs enfants leur disent qu’ils les aiment, même si ceux-ci ne se souviennent pas de tout ce que leurs parents ont subi pour eux, même si leurs camarades de classe voient leur propre problème, et envient la situation de leurs amis.
Facile, parce que, même si l’écriture est âpre, les situations sordides, le lecteur a envie de savoir ce qu’il advient de ses gamines perdues dans ces Etats-Unis qui sont loin d’être le pays rêvé. La partie « envers du décor » nous envahit aussi, quand nous découvrons ce qu’a été la jeunesse de certaines mères, entre dureté et répression. La Chine comme elle a rarement été décrite.
Merci à Babelio et aux éditions Picquier pour ce partenariat.

Chine, retiens ton souffle de Qiu Xiaolong

édition Liana Levi – 247 pages.

Présentation de l’éditeur :

L’inspecteur Chen a du mal à reconnaître sa ville dans le brouillard persistant qui l’enveloppe. Shanghai, la perle de l’Orient, n’a pas été préservée du mal insidieux qui gagne tout le pays: la pollution atmosphérique. Si les autorités – à l’abri derrière leurs purificateurs d’air – continuent de fermer les yeux sur le fléau, la population, elle, souffre. Mais pas forcément en silence. Des milliers d’internautes protestent et suivent avec attention les articles postés sur le Net par une activiste que l’inspecteur Chen a bien connue du temps où il avait été envoyé en mission sur le lac Tai. Cette fois-ci, le Parti voudrait qu’il enquête sur elle. Quant au fidèle inspecteur Yu, il aimerait que Chen lui prête main-forte pour identifier l’auteur d’une série dde meurtres, perpétrés au petit matin avec une régularité alarmante…

Mon avis :

En Chine, on vous le dira : tout va bien. La pollution ? Connais pas. C’est faux. C’est de la vile propagande capitaliste étrangère.
Cela aurait pu fonctionner à une autre époque. Seulement, nous sommes au XXIe siècle, et dans une Chine bien plus ouverte au capitalisme qu’on ne le pense, les réseaux sociaux fonctionnent très bien, et l’on ne se contente pas de ces propos. Surtout, la population souffre, les maladies pulmonaires sont en augmentation sévère, et les activistes entendent bien faire entendre leur voix. Pour combien de temps le pourront-ils ? Les réseaux sociaux sont à double tranchant.
Chen est lucide : il sait qu’il est doucement poussé vers le placard. Un enquêteur aussi populaire ne peut être éjecté facilement ! cependant, certaines manœuvres ne lui laissent aucun doute sur la volonté de certains. S’il accepte la mission sur lui a confié Zhao, c’est qu’il sait qu’elle lui offre un peu de répit. Pendant ce temps, Yu, son fidèle adjoint, enquête sur une affaire de tueur en série, affaire qui se double d’un scandale : l’une des victimes avait vu une video compromettante mise en ligne récemment. On trouve vraiment de tout sur internet.
Chen se repenche avec nostalgie sur son passé, nous envoyant à une ancienne enquête – et à ses amours aussi. Il se revoit, jeune, au temps de la « rééducation », lui qui avait été consigné en ville à cause de sa santé fragile et avait découvert ainsi l’anglais – lui ouvrant une carrière dans la police à laquelle il n’avait jamais songé.
L’intrigue, même si elle met en scène un tueur en série, est relativement classique – peut-être parce que ce tueur en série-là est bien différent de ceux que l’on peut croiser dans la littérature américaine. Il n’a dû son existence qu’à la société dans laquelle il a vécu – la société et ses travers, sous couvert d’évolution.
Un roman qui plaira sans aucun doute aux fans de l’inspecteur Chen.

Toutes les nuits du monde de Zijian Chi

édition Philippe Picquier – 180 pages

Présentation de l’éditeur :

Fillette ou jeune veuve, les femmes qui habitent les deux récits de Chi Zijian ont les pieds dans la terre des campagnes chinoises et les yeux au plus près du ciel.
Elles aiment les tours de magie, les histoires de revenants, les nuages qui dansent dans le ciel immense.
Elles ont le coeur grand ouvert aux rencontres et savent découvrir le secret des plus humbles, le tendre aubier sous l’écorce.
Et quand approche le moment des adieux, à la saison qui s’achève ou aux êtres chers qui disparaissent, elles lèvent les yeux vers les étoiles et accueillent la nuit qui vient.

Mon avis :

Ce livre est un très beau texte, presque hors du temps, qui a pour narratrice une enfant pour le premier récit, une jeune veuve pour le second.
L’enfant est envoyée à la campagne, et, parce qu’elle est jeune, parce qu’elle est attentive à ce qui se passe autour d’elle, elle est sensible aux beautés de la nature, au passage des saisons, à cette vie simple menée au fin fond de la Chine. Elle s’occupe du chien, nommé Crétin, parce qu’à cause d’une grosse bêtise, il est condamné à être enchaîné. Il est des choses qu’elle ignore, comme ce qui s’est passé pendant la guerre entre le Japon et la Chine. Il est des choses qu’elle apprend malgré elle, dépositaire d’un secret qu’elle saura garder. Attentive à la nature et aux autres, elle devient ami avec Nainai, une vieille soviétique qui a été abandonnée par son mari, qui lui apprend à lire. Un récit émouvant de bout en bout.
Dans la deuxième nouvelle, la narratrice est une jeune veuve, sans enfant. Son mari, un magicien, est mort accidentellement. Sur son chemin, elle descend à Wutang, une ville peuplée de veuves. Elle rencontre Bon à rien, un âne surmené, puis le fils et le chien de Jian Bei, dont le mari a disparu. La jeune femme observe, comme une fourmo. Elle collecte les histoires de revenants, et s’intéresse à la vie de cette petite communauté. Les familles vivent de la mine, du moins les familles dont le mari est encore en vie, encore capable de descendre dans la mine. Les « épouses des morts » sont des femmes sans scrupules qui viennent à Wutang, épousent des mineurs et attendent leur mort. En province, les « contrôles » sont rares, l’administration se moque de plein de choses, et un vétérinaire peut devenir médecin. La fin de ce deuxième récit est particulièrement poétique.
Un récit à lire et à découvrir.

Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie de Yiyun Li

Présentation de l’éditeur :

Pendant deux ans, Yiyun Li s’est battue contre une profonde dépression. Et pendant ces deux années, elle s’est mise à nu et a composé Cher ami, depuis ma vie je vous écris vers votre vie, un essai à la fois douloureux et extrêmement riche, l’exploration d’une intériorité doublée d’une plongée brillante au coeur des plus grands esprits de la Littérature : William Trevor, Katherine Mansfield, Søren Kierkegaard ou encore Philip Larkin…

Mon avis :

Tout d’abord, je tiens à remercier Netgalley et les éditions Belfond pour ce partenariat : après avoir découvert des extraits de ce livre, j’avais très envie de le lire. Ce n’est pas que j’ai été déçue, c’est que j’ai été perplexe à sa lecture. J’ai même plutôt été soulagée en le refermant. Pourquoi ?
Tout d’abord, l’auteur était en pleine dépression quand elle a écrit son livre, elle a été hospitalisée à deux reprises, et si elle ne nous décrit pas les mécanisme de la dépression, elle nous montre cependant ceux qui l’ont entouré – les femmes qui ont partagé sa chambre, le personnel soignant, dont le diagnostique, les propositions pour tenter de la sortir de sa dépression, étaient très éloignés de son ressenti, son mari également. Plus qu’une dépression, c’est une incapacité à ressentir et à dire ses sentiments, ses émotions, qui frappent l’auteur. Est-ce l’écriture qui l’a sorti de sa dépression ? Non, mais écrire lui était nécessaire, parce que l’écriture n’est pas, ne va pas nécessairement de soi : devenir orpheline de ma langue natale me paraissait, me paraît encore, une décision cruciale.
Pour écrire, se pose la question de la langue, et l’une des causes de la difficulté d’être de Yiyun est peut-être, je dis bien peut-être là. Elle a toujours écrit en anglais. Chinoise, émigrée aux Etats-Unis, elle n’a jamais écrit en ce qui constitue sa langue maternelle et elle s’interroge sur ce qu’écrire en une langue qu’elle ne maîtrisait pas parfaitement à ses débuts a pu induire dans sa façon d’écrire. Je dis bien écrire tout court, je ne parle pas de la constitution d’une intrigue, ou autre. Elle nous montre aussi comment elle se détache de ses livres, après qu’ils ont été écrits, publiés, ce que d’autres auteurs, comme William Trevor, ne ressentent pas nécessairement. Elle renvoie aussi à ceux qui lui reprochent de ne jamais avoir écrit dans sa langue maternelle, ceux qui lui demandent quand elle écrira dans sa langue maternelle. Je place encore une citation, parce que cet essai est riche de réflexion : Il est difficile de ressentir dans une langue adoptive, et pourtant il m’est impossible de le faire dans ma langue natale. .
Sa mère occupe une place à part dans ce livre, au coeur d’une enfance qui fut particulière, non à cause de l’Histoire, mais à cause de la manière d’être de sa mère face à ses filles. A travers le récit de son enfance, de sa jeunesse, Yiyun Li s’interroge et nous interroge sur ce qu’est l’autobiographie, sur le fait que nos souvenirs sont aussi ceux des autres, et qu’ils les voient, les interprètent selon le prisme de leur propre souvenir : Il y a une différence entre ne pas avoir été oublié et être pris dans les mailles de l’esprit de quelqu’un. Yiyun se refuse aussi à revisiter l’histoire, à commémorer : ce dont elle se souvient, les faits qui l’ont marqué, qu’elle a vécu, ne sont pas forcément ceux qui sont ressassés lors des commémorations.
Plus j’écris, plus j’ai l’impression que ce livre est aussi celui du refus, et développe une idée de l’écriture pour l’écriture, d’un dialogue entre les livres aussi, plus qu’entre les auteurs. Elle montre l’influence qu’a eu sur l’écriture d’un de ses romans Les coeurs détruits d’Elizabeth Bowen – ce dont un seul journaliste s’est aperçu. Elle parle aussi de Katherine Mansfield, de Virginia Woolf, de la manière dans chacune d’elles parlait de l’autre dans leurs écrits personnels. D’ailleurs, existe-t-il des écrits personnels quand on est écrivain, et que deviennent-ils à la disparition de celui-ci ? Le paradoxe étant que Yiyun Li a lu les correspondances des auteurs qu’elle apprécie, et qu’elle parle aussi de la destruction des journaux intimes, ou de l’échec de leur destruction. Autre question auquel le lecteur peut s’interroger (le chercheur en littérature se la pose-t-il seulement) : dans quelle mesure les écrits personnels, intimes d’un auteur concernent-ils le public ?
Je suis allée peut-être un peu loin dans mon interprétation. Peut-être. Il est tant d’autres points dont il faudrait parler, d’idées que Yiyun Li développe, sur la manière dont un jeune lecteur s’approprie, de manière personnelle la lecture d’un roman pour la première fois, sur le rapport lecture/lecteur (Lire, c’est être avec des gens qui, contrairement à ceux qui nous entourent, ne remarquent pas notre existence). Sur le suicide, aussi. Ce n’est pas un thème, dans l’essai de Yiyun Li, c’est une réalité qui l’entoure, notamment par les paroles de sa mère, qui commence toujours ses échanges avec sa fille en lui relatant la mort ou le suicide d’une relation. Pour quelles raisons ? L’auteur s’interroge sur le sujet, mais elle ne s’interroge pas sur les causes du suicide, décision personnelle.
Le livre s’en va et « meurt » : Quand un livre prend vie pour son lecteur, il est déjà mort pour son auteur. La postface contient elle aussi des interrogations, non sur le fait de publier ou non ce livre, mais sur ce que sera le devenir de l’auteur après ces deux ans de dépression, réfutant la grandiloquence (c’est moi qui use de ce terme) de son médecin, revenant aussi sur l’écriture de cet essai, sur ce que l’écriture lui a permis de surmonter.
Au lecteur, maintenant, de partager (ou non) cette plongée dans l’écriture et la dépression.

Cyber China de Qiu Xiaolong

Présentation de l’éditeur :

Harmonie et probité: à en croire les médias officiels, le modèle chinois est une réussite. Mais sur Internet, la colère des cybercitoyens se déchaîne. Zhou, un cadre de la municipalité de Shanghai, est la cible rêvée de cette chasse à la corruption d’un nouveau genre. Une photo de lui en possession d’un paquet de cigarettes de luxe, emblème des Gros-Sous sans scrupules, enflamme la toile. Deux semaines plus tard, on le retrouve pendu. Suicide ? Assassinat ? Sous l’oeil vigilant des dignitaires du Parti inquiets du formidable mouvement qui agite le réseau, l’inspecteur principal Chen, aidé d’une jeune journaliste, plonge dans l’univers des blogs clandestins. Là où la censure rouge se casse les dents.

Mon avis :
Ou comment fumer une cigarette peut déclencher un scandale pire qu’aux USA.
Si vous aimez les enquêtes mouvementées, remplies de rebondissements, alors cette enquête n’est pas faite pour vous. Plus qu’une intrigue policière, nous est racontée ici l’histoire d’un pays qui s’enfonce dans la corruption et tente de masquer tout ce qui ne va pas. Un pays qui garde les séquelles de la Révolution culturelle et fait (du moins les dirigeants que nous croisons) comme si rien ou presque ne s’était passé. Un pays qui se retrouve coincé entre traditions qui reviennent en force et intrusion à toutes forces dans un monde moderne à base de consommation effréné. Il n’est pas qu’en occident que les prix de l’immobilier flambent.
Le très respecté inspecteur Chen Cao enquête, alors qu’il n’est même pas certain que l’on souhaite qu’il découvre quelque chose. Certes, pouvoir enquêter est déjà une bonne chose, puisque le parti aurait pu décider de classer l’affaire en suicide. Il n’empêche : l’inspecteur Wei, qui travaillait avec Chen Cao, meurt renversé par une voiture. Il ne s’agit plus seulement de découvrir la vérité, mais d’être très prudent : il est plus d’une manière de disparaître ou de faire disparaître quelqu’un.
Au coeur de l’enquête, les réseaux sociaux chinois, en plein essor, si j’ose dire, et les difficultés qu’éprouve l’état à surveiller, censurer tout ce qui peut y être publié. Vu de France, il est intéressant de voir à quel point il peut être compliqué de faire ce que nous ne nous privons pas de faire quotidiennement, comme discuter en ligne ou tenir un blog, voir twitter (même s’il ne s’agit pas de twitter). Et si Chen Cao ne maîtrise pas les arcanes d’internet, il parvient très vite à comprendre comment certains s’y prennent pour publier quand même des articles réellement informatifs.

Cyber China, une plongée dans la Chine contemporaine.

Amour dans une petite ville d’Anyi Wang

Présentation de l’éditeur :

Dans une petite ville comme les autres en Chine, à l’époque de la Révolution culturelle, un garçon et une fille vivent une passion physique intense et bouleversante. Tous deux danseurs dans la même compagnie luttent avec violence contre l’irrésistible attirance qui les lie l’un à l’autre en défiant tous les interdits.

Mon avis  :

J’ai lu d’autres avis avant de rédiger le mien. Bonne ou mauvaise nouvelle, comme l’on veut : le mien est différent.
Ce qui m’a frappée en premier lieu est la différence entre l’apprentissage de la danse en France et l’apprentissage de la danse en Chine : du fait de son entraînement (je ne vois pas quel autre nom lui donner), la jeune fille a vu son corps se développer d’une manière disgracieuse, démesurée, plus comme une haltérophile que comme une danseuse, et aucun professeur ne se demande comment rectifier (ou améliorer) ceci, ils se contentent de constater pour critiquer. D’ailleurs, il n’est rien d’harmonieux dans la description de ces corps en mouvement, en entraînement : douleur, cri, violence aussi. Le corps est ramené à sa réalité la plus crue, avec précision. Pourtant, je n’ai pas trouvé ces descriptions gênantes, sans doute parce que c’est une chose de montrer la réalité, ce que fait l’auteur, s’en est une autre de surenchérir sur sa description avec des commentaires ,des modalisateurs, ce que l’auteur ne fait jamais.
Pas de noms pour ces deux êtres qui s’aiment et ne s’en rendent pas compte, tant leur passion est faite de maltraitance, de violence, de furie. Ils semblent ne comprendre ni l’un ni l’autre ce qui les unit. Des danseurs (européens, la danse a longtemps été une de mes passions) affirment comprendre beaucoup de choses avec leur corps, ne pas avoir besoin de mots, ce n’est vraiment pas le cas de ces deux jeunes gens anonymes – parce qu’ils sont deux parmi tant d’autres à être broyés par la Révolution culturelle ?
Autre fait : la déchéance physique rapide du garçon, de sa croissance interrompue à sa maladie qui met un terme définitif à sa carrière – mais pas à sa vie, puisque la jeune fille a gardé le silence sur sa paternité, prenant seule en charge la déchéance causée par la naissance de ses jumeaux.
Quel avenir, pour ces jeunes danseurs dans cette petite ville, pour ces jeunes gens qui vivent dans des conditions plus que précaires lors des tournées (comme si les conditions ne l’étaient pas déjà en dehors des tournées) ? Il est très difficile d’être optimiste pour eux ou pour leur art, encore plus éphémère puisqu’il est à la gloire du Partie.
Amour dans une petite ville, un livre fort et dérangeant.
Asie2