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Les Coeurs endurcis par MARTYNA BUNDA

Présentation de l’éditeur :

Les héroïnes de cette saga féminine, dont l’action recouvre le second tiers du XXe siècle en Pologne, sont trois sœurs : Gerta, fiable et sérieuse, Truda, qui cède facilement aux appels du cœur, et Ilda, la rebelle, la fantasque. Leur mère, Rozela, les a élevées seule dans le village cachoube de Dziewcza Góra. Pour survivre à la guerre, puis à la terreur stalinienne, elles doivent apprendre à dissimuler leurs sentiments. L’insensibilité devient leur bouclier contre l’adversité, et, là où d’autres s’effondreraient, Rozela et ses filles poursuivent leur chemin, vaille que vaille. Il y a des mariages et des séparations, mais ni les maris ni les enfants qui viennent au monde ne constituent le centre de tout. Ici, les liens du sang ne semblent relier que les femmes…

Mon avis :

Tout d’abord, merci aux éditions Noir sur blanc et à Netgalley pour ce partenariat.

Ce n’est pas un roman facile à lire. Pas grand chose ne semble avoir été épargné à ces quatre héroïnes, dont nous découvrons le destin, au fil des années, après la seconde guerre mondiale. « Les coeurs endurcis », ce n’est pas tant que les quatre femmes sont devenues insensibles, c’est que les choses de la vie les a forcées à renfermer leurs sentiments, pour tenir le coup, quoi qu’il advienne.

Ce récit n’est pas linéaire, nous suivons une multitude de petits épisodes, mettant en scène l’une ou l’autre soeur, montrant les épreuves qu’elles ont traversées, surmontées, ou enfouies au plus profond d’elles-mêmes. Se confier ? Quasiment impossible. Puis, à quoi bon partager un fardeau ? Unies, elles le seront toujours, malgré des choix de vie différents : leurs liens seront toujours forts, quoi qu’il arrive.

Le roman ne sombre pas non plus dans le pathos. Les faits sont là, il est impossible de les changer. La nécessité de survivre, de trouver de quoi subsister, dans ce village cachoube, est déjà bien assez compliqué comme cela. Agir pour ses soeurs, c’est mieux que leur dire « je t’aime ».

Et les hommes ? J’ai presque envie de dire qu’ils ne font que passer, n’apportant pas aux femmes la force, le soutien dont elles auraient besoin.

En choisissant ce livre, j’ai pensé non pas à une mère et ses trois filles, mais à  une mère et ses deux filles. Si Gerta, Truda et Ilda n’ont pas quitté la Pologne, Héléna ma grand-mère a été « emmenée » en 1942 en Allemagne et, à la libération, est partie en France avec mon grand-père, qui ne voulait pas retourner en Pologne. Pourquoi elle, pourquoi pas sa soeur Christina ? Si elles ne se sont jamais revues, les deux soeurs ont correspondu toute leur vie, échangeant forces photos.

 

Une idylle dans la prairie par Henryk Sienkiewicz

Présentation de l’éditeur :

Sous son titre un rien sentimental, se cache une brûlante nouvelle évoquant un périlleux voyage d’émigrants vers la Californie. Elle est parue dans La Nouvelle Revue en 1900.

Mon avis :

Voici un livre que je n’ai pas lu, mais que j’ai écouté, ce qui est assez inédit pour moi. Je vous conseille donc au passage le site http://www.litteratureaudio.com/ qui propose 8000 livres audio gratuits. C’est ainsi que j’ai écouté Une idylle dans la prairie d’Henryk Sienkiewicz.  Il est surtout connu pour avoir écrit Quo vadis ? et a reçu le prix Nobel de littérature en 1905. Il a aussi écrit plusieurs courts récits, dont cette Idylle qui nous emmène loin de la Pologne, et très près de la Petite maison dans la prairie (les livres, pas la série).

Le narrateur principal, c’est Big Ralph, c’est lui qui va nous raconter le voyage qu’il a dirigé qu’un groupe d’émigrants vers les terres promises de la Californie. Les états qu’ils traversent sont bien connus – de nos jours – et ne nous paraissent pas si dangereux que cela – de nos jours. Pas de grandes villes, pas de villages à l’époque, mais de grandes étendues désertiques, et des tribus indiennes qui n’ont qu’une envie, en découdre.

Big Ralph tombe amoureux d’une jeune femme fragile, Liliane, qui part toute seule pour la californie. Heureusement, deux femmes d’âge mûr la prennent sous leurs ailes. Le narrateur a beau dire que les hommes se montrent respectueux envers les femmes, je crains qu’il ne donne alors une image vraiment idyllique des Américains. Eux-mêmes sont encore des émigrants, des européens venus chercher une vie meilleure de l’autre côté de l’Atlantique.

La traversée des Etats-Unis n’est pas facile, entre les difficultés purement géographiques, les indiens, l’immense fatigue, et les épidémies. Soigner et se soigner est extrêmement difficile, non seulement à cette époque, mais dans ces conditions. Je me suis demandée ce qui avait bien pu pousser Liliane et les autres femmes à tenter l’aventure vers la Californie. Liliane est en tout cas très croyante – comme beaucoup d’européens à cette époque.

Je note aussi cette « fascination » pour le western, bien l’auteur soit polonais. Je terminerai simplement en disant qu’être un cow-boy, c’est mieux qu’être un vacher, même si c’est exactement le même métier.

La Colombienne de Wojciech Chmielarz

édition Agullo – 416 pages

Présentation de l’éditeur :

La Colombie, plein été. Un groupe de Polonais choisis pour tourner une publicité Coca-Cola passe les vacances de sa vie dans un hôtel de luxe au bord de l’océan. Tous frais payés. Mais bientôt, le séjour vire au cauchemar : la pub est annulée, et la facture est salée… Pour rembourser leur dette et récupérer leur passeport, les touristes insouciants se voient proposer par les Colombiens une offre difficile à refuser. Et le paradis se transforme en enfer. Tout le monde ne reviendra pas de ce voyage…
Varsovie, un samedi à l’aube. Le corps d’un homme d’affaires est retrouvé pendu au pont de Gdansk – le ventre déchiré, les mains attachées derrière le dos et une cacahuète à la main. L’inspecteur Mortka, de retour à Varsovie après ses quelques mois de purgatoire, est chargé de l’enquête. Rapidement, le Kub flaire une sale histoire de blanchiment d’argent qui le mènera sur la piste de réseaux internationaux dont les tentacules s’immiscent jusqu’au cœur de la vie financière polonaise.

Mon avis :

J’ai failli commencer mon billet en disant « je suis chez moi dans ce polar ». Les noms me sont familiers, d’une certaine façon. Le héros s’appelle Jakub (comme mon grand-La Colombienne de Wojciech Chmielarère, même orthographe, francisé ensuite par l’état civil français, du moins, je pense que cela s’est passé ainsi), il est question d’un bâtiment nommé Majewska (nom aussi commun que Martin pour un français), les personnages s’appellent par leur diminutif, non  par leur prénom. J’ai même croisée une Katarzyna – et un plus classique Andrejz. Puis, je me suis dis que ce début était faussé. Je ne suis pas polonaise, je ne le serai jamais, et je ne dois pas oublier que, si quitter la Pologne ne fut pas un choix pour mon grand-père, ne pas y retourner, dans ce pays qui n’avait pas su le (les ? j’inclus ma grand-mère) protéger était un choix. Je suis bien « chez moi » dans ce polar, parce que c’est un excellent polar, tout simplement.

Le Kub, qui a encore le bras gauche dans le plâtre, souvenir de sa précédente enquête, cache un secret très personnel, et il rumine. Il a beau être revenu de son exil, il pense au fameux test qu’il doit passer, le plus discrètement possible, et envisage toutes les conséquences de ses résultats – les traitements, et la mise au placard. Séparés de sa femme, il a trouvé un dérivatif : un forum pour divorcés, non pour retrouver l’âme soeur, mais pour discuter avec d’autres hommes dans son cas. Sa tranquillité n’est que de courte durée – n’était-il pas en congé maladie ? Un meurtre spectaculaire a lieu, et il est prié d’être bon pour le service immédiatement. Ce meurtre nous montre en plus tout le bien qu’une certaine frange de la population polonaise pense des gays. La police est loin d’être épargnée – pourquoi le serait-elle, dans un pays où l’on trouve des « zones sans LGBT ? ». La nouvelle adjointe de Mortka, Anna Suchocka surnommée La Sèche est considérée comme « gouine ». L’est-elle ? Elle est surtout une femme qui a dû s’imposer dans un monde d’homme, survivre dans un monde misogyne. Elle doit aussi, en gravissant les échelons, apprendre son métier, prendre de plus en plus de responsabilité. Le Kub n’est pas toujours tendre avec elle, il aurait préféré garder Kochan comme adjoint. Las ! Celui-ci veut gravir les échelons. Le Kub fait donc sans lui, à qui il pouvait confier sa vie les yeux fermés.

L’enquête n’avançait guère, et un autre meurtre est commis, de manière tout aussi spectaculaire, suivi d’un troisième, extrêmement cruel. De quoi mettre sur les dents les enquêteurs, qui ne savent plus comment avancer – puisqu’ils n’ont pas de pistes. Ce n’est pas faute de chercher – dans le passé, dans le présent, particulièrement bouillonnant, comme souvent dans les pays qui découvrent les joies du capitalisme. Ah ! La création d’entreprise, l’achat d’action, le développement de nouveaux produits, que de bonheur !

Et que de vide aussi. La vie sentimentale de nombreux personnages est tristement vide, du prestigieux associé à la professeure d’une école privée. Les mariages ? Ils se finissent, même dans la très catholique Pologne, très souvent par un divorce, et c’est l’épouse, curieusement, qui tire son épingle du jeu. Ce n’est pas Mortka qui dira le contraire, cependant il assume parfaitement, pour le bien-être de ses fils. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Et Mortka de débusquer une seconde enquête criminelle. Oui « débusquer », parce qu’elle était là, sous le nez d’un autre enquêteur. Pour qu’il la voit, il aurait fallu qu’il écoute, qu’il cherche, et tant pis pour la paperasse, tant pis pour les statistique. Jusqu’à quand faut-il se battre pour que justice soit rendue ?

Un roman passionnant, de bout en bout, que je suis presque au regret d’avoir terminé. Heureusement, le tome 4, traduit lui aussi par Erik Veaux, vient de paraître.

 

 

 

La ferme aux poupées de Wojciech Chmielarz

édition Agullo – 400 pages

Présentation de l’éditeur :

L’inspecteur Mortka, dit le Kub, a été envoyé à Krotowice, petite ville perdue dans les montagnes. Officiellement, il est là pour un échange de compétences avec la police locale. Officieusement, il y est pour se mettre au vert après une sale affaire. S’il pense être tranquille et avoir le temps de réfléchir à l’état de sa vie personnelle, il se trompe lourdement.Quand Marta, onze ans, disparaît, un pédophile est rapidement arrêté, qui reconnaît le viol et le meurtre de la petite.
Mais l’enquête est loin d’être terminée : les vieilles mines d’uranium du coin cachent bien des secrets… et peut-être quelques cadavres.
Il faudra tout le flair du Kub pour traquer des trafiquants dont la cruauté dépasse l’entendement.

Mon avis : 

La Pologne est-elle en passe de devenir la nouvelle patrie du roman policier ? Peut-être.

Je ne vais pas vous dire que vous devez ab-so-lu-ment lire ce livre séance tenante, abandonner votre lecture en cours et vous précipiter chez votre libraire préféré. Je vous expliquerai simplement pourquoi ce livre a été pour moi un coup de coeur.

Tout a commencé parce que j’avais très envie de découvrir cet auteur, peu importe avec lequel de ces deux romans traduits à ce jour en français (il en a écrit quatre). Quand j’ai vu que la bibliothèque Parment avait acquis ce livre – le tome 2 – je me suis littéralement jetée dessus. La précédente enquête de l’inspecteur Mortka l’a contrainte à se mettre au vert, sous couvert d’un programme d’échange, d’un « pont » comme ils disent en Pologne, pour que les policiers de Varsovie découvrent les charmes de la province polonaise. Puis, cet enquêteur s’appelle Jakub, comme mon grand-père, et j’ai rarement vu un héros dont le prénom est orthographié ainsi. J’ajoute aussi que, dans la plus pure tradition polonaise, certains personnages sont nommés par leur diminutif.

Kretowice, c’est calme, très calme. Un modèle de tranquillité. Mais une jeune adolescente disparaît. C’est la seconde fois en quelque mois. La première disparition n’a guère fait de vague. Pourquoi ? Le Kub va le découvrir très vite. Je pourrai aussi vous dire : « on en apprend un peu plus sur la communauté tzigane polonaise ». Non. On apprend plutôt comment la communauté tzigane est vue par le polonais (très) moyen. La police ne fait pas exception. Pour la seconde par contre, on met le paquet, même si les parents ne sont pas des modèles du genre. Ils ne sont pas maltraitants, non, ils ont à la limite de l’être. L’enquête va vite, très vite, puisqu’un suspect est appréhendé et avoue tout – sauf l’endroit où sont les corps. Le Kub et ses collègues ne s’avouent pas vaincu, cherchent, et trouvent, pas vraiment ce qu’ils s’attendaient à trouver : quatre cadavres de femmes adultes mutilées au fond d’une mine.

Jakub est avant tout un policier. Il enquête. Il enquête constamment, et tant pis si cela déplaît. Il pense quasiment constamment à son enquête. Autant dire que sa femme l’a quitté depuis un certain temps, emportant avec elle leurs deux fils. Elle a même refait sa vie, semble très heureuse, et se montre toujours très remontée contre son ex mari, qui ne consacre pas assez de temps à leurs fils. Lui-même en convient. Il lui est difficile d’être un père serein quand ses enquêtes lui font découvrir le pire dont l’humain est capable.

J’ai pensé à la fable du Chêne et du roseau « qui plie mais ne rompt pas ». Le Kub, lui, c’est le contraire : il être prêt à rompre plutôt que de plier, la notion de carrière lui est totalement étrangère, et la commission de discipline,il a déjà pratiqué. Cette position n’est pas causée par l’intuition dont nous rebattent les oreilles certains auteurs français, il s’agit simplement de se fier à ce qu’il a observé, aux preuves qu’il a récoltées. Pas facile d’être un transfuge varsovien.  Sa seule préoccupation est pourtant de trouver qui a commis ces crimes, rendre justice aux victimes. Tâche colossale. Que les présumés coupables ne se cherchent pas d’excuse : le Kub ne plie pas.

Je terminerai par ces citations :
– On est qui on est, répondit Mortka qui ne trouva rien de plus sensé à dire.
– Oui, confirma le Rom après réflexion. C’est vrai. Je regrette que Lucilla l’ait oublié.

A chaque affaire, à chaque cadavre, il laissait une partie de lui-même. IL ramenait jour après jour un peu moins de lui chez lui. IL fut submergé parla peur de disparaître, ne laissant derrière lui qu’une coquille vide, une mécanique sans pensée ni sentiment. […] Il avait pourtant bien résolu cette affaire. […] Qu’il ait perdu une part de lui-même… Si c’était le prix à payer, après tout…

 

Le roi Mathias Ier de Janusz Korczak

Présentation de l’éditeur : 

Le petit Mathias, devenu roi à la mort de son père, est confronté aux manipulations politiques et à la guerre. Avec courage et volonté, il fait face aux adultes pour tenter de réformer son royaume et rendre tous ses sujets heureux. Curieux du monde, il va vivre de multiples aventures, dont la rencontre avec un roi cannibale. Mais cette amitié africaine va déplaire aux rois blancs qui sèmeront des obstacles sur la route de Mathias vers l’égalité et la démocratie.

Merci à Babelio et aux éditions du Rocher pour ce partenariat.

Mon avis : 

Janusz Korczak est un précurseur du droit de l’enfant. Ce pédagogue polonais a d’ailleurs écrit ce livre en le lisant, chapitre après chapitre, aux orphelins dont il prenait soin, modifiant ce qu’il écrivait en fonction de leur ressenti.
J’ai lu ce livre avec mes yeux d’adulte, tout en pensant aux enfants qui ont découvert ce livre le premier, et à ceux qui le liraient aujourd’hui. Je me dis que cette lecture devrait leur sembler ardue, peut-être aussi parce que peu d’enfants, d’adolescents se préoccupent de la démocratie, de la royauté, et des rivalités qui entraînent des guerres. Je ne dis pas qu’ils ont raison, je dis qu’il est difficile de les amener à s’interroger sur le sujet, eux qui n’ont vécu aucun conflit sur le sol français, eux qui prennent tout pour acquis.
Mais revenons au roman. Ce n’est pas un livre qui se lit d’une traite, il faut au contraire prendre le temps de le lire, de voir l’évolution de Mathias, tout jeune roi, orphelin de père et de mère à… ce qui lui arrive à la fin et laisse entrevoir une suite.
Mathias est roi, certes, mais il est prisonnier de l’étiquette et d’un code de l’honneur qui n’est pas aussi honorable qu’il y paraît. Parce qu’il est un enfant, il est laissé dans l’ignorance, isolé : il est roi avant d’avoir le droit d’être un enfant, et ne peut avoir d’ami de son âge – d’ami tout court. Il expérimente – un peu – la tyrannie, avant de tenter quelque chose de plus difficile : être un réformateur. Pas la peine de chercher, même en 2018, réformer est difficile, si ce n’est impossible. Et il est toujours des enfants qui vivent dans le dénuement – pas besoin d’être sujet de Mathias Ier pour cela.
Le roi Mathias Ier est à faire découvrir, en accompagnant sa lecture.

La fiancée de Bruno Schulz d’Agata Tuszynska

Présentation de l’éditeur :

« Józefina Szeliska, dite Juna, fut entre 1933 et 1937 la fiancée de Bruno Schulz, peintre et écrivain de génie, âme tourmentée, assassiné en 1942 dans sa ville natale de Drohobycz, en Pologne. Elle fut sa compagne et sa muse. Mais Bruno Schulz était incapable d’aimer, sinon de vivre. Accaparé par sa seule véritable passion – son œuvre –, il devait inexorablement s’éloigner de Juna, et du monde. Elle ne l’oublia jamais, et continua de vivre avec son fantôme jusqu’à sa propre disparition, en 1991. De cette histoire, elle ne dit rien, à personne, pendant près d’un demi-siècle. Après guerre, à la rubrique “état-civil” des formulaires, elle écrivait : “seule”. Voilà pour les faits. Tout le reste n’est que le jeu de l’histoire, de la mémoire et de l’imagination. » – A. T.

Mon avis :

J’ai découvert Bruno Schulz lors d’un challenge sur la littérature d’Europe de l’est. Un auteur à part, à la fois romancier et poète. Je ne connaissais rien ou presque de sa vie. Ce livre lève (un peu) le voile sur cet homme, sur sa vie de famille, sur ses amours et ses obsessions.
Il parle aussi d’une figure méconnue : Juna, qui fut sa fiancée. Titulaire d’un doctorat, enseignante, elle survécut longtemps à celui qui n’était plus, au moment de son assassinat, son fiancé. Pourquoi cette rupture, mais surtout, avant, pourquoi ces fiançailles entre ce jeune homme chargé de famille, peintre et écrivain, et cette jeune femme juive convertie au catholicisme.
Ce livre est paradoxal, puisqu’il se lit aisément, tout en montrant à quel point il est difficile de reconstituer la vie de quelqu’un, comme il est même difficile aussi de simplement connaître la vie d’une personne, même si on l’a profondément aimé. Recherche, tâtonnement, transformation par le temps qui passe… Il n’est jamais simple de survivre et surtout, de tenter de vivre dans le souvenir. Il n’est pas facile non plus d’accepter de parler, tant il peut être tentant de garder l’être aimé pour soi seul, quand toute son oeuvre est devenue publique.
Ce livre nous parle vraiment des deux êtres qui donnent leurs noms au titre. La fiancée, qui restera à jamais célibataire, et Bruno Schulz, sa vie, sa mort, son oeuvre. Et la guerre, les persécutions – tout y est.
La fiancée de Bruno Schulz est un livre à lire, et pas seulement pour les passionnés de littérature.

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Un fond de vérité de Zygmunt Miloszweski

Présentation de l’éditeur :

Fraîchement divorcé, Teodore Szacki a quitté son travail de procureur à Varsovie et débarque dans la paisible bourgade de Sandomierz, où il compte bien refaire sa vie. Mais six mois à peine après avoir abandonné l’agitation de la capitale et l’asphyxie de son mariage, il s’ennuie déjà. Heureusement, devant l’ancienne synagogue de la vieille ville, du travail l’attend : un corps de femme drainé de son sang, tout comme dans un rite sacrificiel juif…

Mon avis :

« Saint Archange Michel, triomphateur du mal, saint patron des combattants de la justice, protecteur des policiers et des procureurs, entends l’appel de ton fidèle serviteur et fais en sorte qu’il ne soit pas trop tard. Et aussi que, pour une fois dans ce foutu pays, on puisse régler quelque chose en dehors des heures d’ouverture de bureau. »

Voici la prière de Théodore Szacki, l’enquêteur de ce roman policier, au moment où il a découvert l’identité du coupable. Et l’on ne peut que l’en féliciter : ce n’était vraiment pas facile. J’ajoute (et tant pis si je spoile un peu) qu’il admire ce coupable et que cela lui pose sérieusement problème. Zut ! Il a torturé, il a tué, et là… le commissaire l’admire tant la planification de son crime était réussie, au point qu’il a vraiment, mais alors vraiment failli échapper à la justice et cela ennuie franchement Théodore de ressentir cela !

Je tiens à vous le dire tout de suite : s’il est un auteur que j’aimerai interviewer, c’est bien Zygmunt Miloszewki, tant il joue avec les clichés du roman policier, tant il montre aussi tout ce qui ne va pas dans ce beau pays qu’est la Pologne. Son enquêteur, le procureur Théodore Szacki, ressemble en effet à moults policiers européens. Il est divorcé, est père d’une fille unique, a des aventures. Certes, il n’a pas de problèmes avec la dive bouteille, sa boisson favorite étant plutôt le thé au sirop de framboise. Il a en outre un gros défaut : il dit ce qu’il pense, et ce qu’il pense ne fait pas toujours plaisir. Ce n’est pas qu’il appuie là où cela fait mal, c’est plutôt qu’il pense par lui-même, ce cher procureur, les idées toutes faites, les clichés, le « fond de vérité » qui se trouve derrière toutes les légendes, très peu pour lui. Pas de mollesse, chez lui : il est capable de reconnaître très vite ses torts, de changer un jugement positif en négatif, voire d’exploser littéralement et d’en assumer les conséquences. Il a des lettres, de plus, et il est sans doute l’un des seuls enquêteurs à voir des analogies entre le coupable et Gollum, du Seigneur des anneaux.

Voilà donc pour cet enquêteur, fortement attachant, pour Barbara, l’autre procureur, qui ne s’apitoie jamais sur son sort, là où, j’en suis sûre, des auteurs français (j’ai quelques noms en tête) nous aurait sortie une belle bouillie larmoyante qui aurait eu un impact moindre que la lucide sécheresse de Barbara sur son propre cas. Je n’ai garde d’oublier leur supérieur, « Ourson » pour les intimes, excellente cuisinière qui n’oublie jamais de leur préparer d’exquis gâteaux, tout en suivant les enquêtes de très près.

D’ailleurs, vous avez dû remarquer que je n’ai pas beaucoup parlé de l’enquête, qui est pourtant mené avec soin : un meurtre, puis un deuxième meurtre, et enfin un troisième meurtre, avec une gradation dans l’horreur. C’est au point qu’un spécialiste est convié pour donner son point de vue – et Théodore de souligner à quel point on n’est pas dans une série télévisée, où tout est calibré pour que le gentil enquêteur trouve le coupable en une heure trente montre en main. Les scénaristes font tout pour qu’il y parvienne. Ce tueur fait tout pour les égarer. La presse est plus qu’échauffée, non parce qu’il ne se passe jamais rien dans cette ville, mais parce que cette affaire réactive les haines antisémites, bien vivaces en Pologne.

Vu de France, tous ses propos et ses actes antisémites, qui ont lieu dans l’indifférence quasi-générale ont de quoi surprendre, choquer. Tout ce que ces braves polonais sont capables de croire au sujet des juifs aussi. Le mal est tellement profond, enraciné que je suis même surprise qu’il existe des personnes aussi sensées que madame Helena (p. 266) ou que Théodore, le procureur, qui ne veut souhaite que faire respecter la loi. Il ne s’interroge pas si cela est facile, ou pas, il ordonne, il va chercher les réponses dans un passé de soixante-dix ans, même si elles sont douloureuses à entendre, même s’il est « hypersensible comme tous les polonais éduqués ». Les descendants des victimes et des bourreaux sont là, est-ce que cela explique tout ? Non. Mais cela n’en rend que plus insupportable à entendre les discours nauséabonds des nationalistes comme Szyller. Je le cite (même si l’air devient moins respirable) : « Mais à présent que c’est fait et que nul ne peut le défaire, que c’est un triste épisode de l’histoire, une balafre sur la face de l’humanité, si vous me demandiez maintenant si la disparition des Juifs de la Pologne lui a été bénéfique, alors je répondrai oui, elle l’a été. « , p. 161. Et son soupir, comme quoi il est dur d’être un patriote, ne trouve pas d’écho en moi – et j’espère qu’il n’en trouvera chez aucun lecteur.

Un fond de vérité est, avant d’être l’histoire de crimes, l’histoire d’une Pologne qui n’a pas réglé ses comptes avec le passé, qui n’a pas tué ses vieux démons, parce qu’elle n’en a pas envie. Et c’est bien plus effrayant qu’un meurtre.

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La peste à Breslau de Marek Krajewki

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Présentation de l’oeuvre (éditée par Gallimard, 258 pages – pas de couverture, elle est trop laide) :

Breslau, en Pologne, dans les années 1920. Dans un appartement bourgeois, deux prostituées sont retrouvées mortes, les dents de devant arrachées. On confie l’affaire à Eberhard Mock, sergent-chef à la brigade des Moeurs, pour qu’il mette la main sur l’auteur de cette effroyable mise en scène.

Mon avis (poli) :

Je cherche un remplaçant à Ken Bruen. Si je garde un Indridason sous le coude, si je pense de plus en plus explorer des territoires américains, je dois dire que je renonce aux terres polonaises – du moins, en compagnie de Marek Kajewski. En fait, je n’écris cet avis que pour vous dissuader de lire jamais cet auteur.

Son personnage principal avait pourtant un trait pour me plaire : sa compassion envers les victimes, loin de la froideur affichée par le chef de la criminel, qui prétend que Mock ne pourra jamais quitter les Moeurs, où il exerce. Mock connaît toutes les prostituées de la ville, tous les maquereaux, aucune perversité ne lui est inconnue, toutes le révulsent. Cependant, lui-même a recours aux services des prostituées, il leur impose ses envies (en latin). Ajoutez que, comme tout enquêteur qui se respecte, il boit plus que de raison. Bref, Mock ressemble à tant d’autres enquêteurs, le charisme en moins.

Puis, les meurtres sont là, et bien là. Mock lui-même sera amené à tuer – ou comment il exprimera la violence la plus primaire. On pourra toujours me dire que la fin justifie les moyens, et que l’objectif une fois atteint, peu importe les sacrifices qu’il a fallu faire. Mouais. Encore faut-il :

– que le sacrifice soit volontaire (variante : c’est sympa de prévenir avant de me sacrifier).
– que les crimes ne soient pas racontés avec autant de détachement.

Le problème est véritablement là : j’ai eu l’impression, à part peut-être sur une dizaine de pages, que l’on donnait raison aux criminels qui, avec une cruauté joyeuse, tue les rebus de la société, malades mentaux, prostituées, vagabonds, travestis. Leurs motivations, leur rite ne m’intéressent pas, surtout pas racontés avec cette complaisance et ce luxe de détails sordides.  Et même si la construction du roman semble basée sur une grande rigueur, j’ai eu souvent une impression de cafouillage, sans avoir du tout envie de retourner en arrière pour comprendre la cause de ses incohérences ou de ses formidables coïncidences.

Bref, je cours me changer les idées littéraires avec un autre roman.

Une vie de dragon de Joana Olech

dragonPrésentation de l’éditeur :

«Debout dans la baignoire, mon frère était en train de se savonner es oreilles lorsque soudain, il a vu une tête de dragon sortir du trou du lavabo, depuis ce jour-là, Pompon est devenu notre plus grand secret.»
C’est la panique dans la famille Zinzin ! Un petit dragon s’est installé chez eux et est bien décidé à faire savoir qui est le chef dans la maison.
Il occupe la salle de bains pendant des heures, fait peur au chien de la voisine, mange des pizzas aux mouches et utilise l’ordinateur du père.
Avoir un dragon d’appartement n’est vraiment pas de tout repos ! Et il est bien difficile de préserver un tel secret…

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Mon avis :

J’ai acheté ce livre au salon du livre de Montreuil, non pour obtenir une dédicace, mais parce que le sujet et l’objet-livre lui même me plaisait. Puis, ce n’est pas tous les jours que je lis de la littérature jeunesse polonaise.
Tout d’abord, et bien que le livre soit relativement contemporain (2008), la vie quotidienne de Mawlina et de son frère est éloignée de la nôtre, ou du moins, de celle qui est présentée dans les romans destinés à la jeunesse. Ils ont la télévision (et oui, il est possible de regarder la télévision en famille, et non seul dans sa chambre, sur son ordinateur), ils sont fans de l’équipe de foot de Cracovie (surtout le père et le frère), ont un ordinateur mais ils ne passent pas leur temps collé à leur téléphone portable, ou à tchatter avec leur copain sur Internet, ils prennent encore le temps de se parler (ou pas, dragon oblige) ou d’aller les uns chez les autres. De même, ils font des sorties en famille – et oui, la famille n’est ni divorcée, ni recomposée, les deux parents travaillent, bref, nous sommes éloignés au possible de ce que la littérature jeunesse française peut nous offrir actuellement.
Reste le gros problème qui se pose à cette famille : le dragon. Un dragon qui parle, en plus, et très disposé à rester chez eux, tout en accomplissant quelques bêtises, par-ci, par là. Il est la vedette de ce roman, puisqu’il est quasiment le seul, en dehors de ses compagnons à poils ou à écailles à être dessiné, dans des positions souvent évocatrices des catastrophes qu’il a pu provoqués.
Mettons-nous à la place de la famille Zinzin : ce n’est pas facile tous les jours de prendre soin d’un dragon, de le nourrir, de le distraire, voire même de le promener !  Ce n’est pas facile de le laisser seul, toute la journée ! Ce n’est pas facile non plus d’éviter de parler de dragons légendaires, injustement massacrés (là, nous avons seulement le point de vue de Pompon). Cependant, il faut bien avouer que ses connaissances en sciences naturelles sont bien utiles pour rédiger des devoirs – et d’autres choses encore.

Drôle et bien construit, une vie de dragon réjouira les jeunes lecteurs et les fans de dragons hors du commun.
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