Voici ma participation au plume d’Asphodèle. Les mots à intégrer sont liberté, fusée, nature, étoile, respiration, steppe, vital, étendue, océan, voiture, majestueux, claustrophobie, galaxie, infini, atmosphère, cosmos, euphorie, évidemment, éclipser.
Ce n’est pas l’océan infini, ce n’est pas une mer, ce n’est qu’un fleuve qu’il lui faut traverser, une étendue d’eau tout ce qu’il y a de plus acceptable – sauf quand il faut la traverser à la rame sur une barque de fortune. Évidemment, le pont serait reconstruit – un jour. En attendant, s’il voulait voir sa belle, il devrait ramer jusqu’à elle – pourquoi habitait-elle sur l’autre rive, juste en face du défunt pont ? Il avait sauté le 6 juin 1640. Lulu avait onze ans, sa petite sœur un an, et fort heureusement, la famille toute entière avait déserté la maison – il ne fallait pas lui en conter, à la mère de Lulu, elle savait que les ponts, c’était ce qu’ont démolissait en premier. Pas question de communion avec le cosmos, ou d’examiner les étoiles et autres galaxies lointaines – elle n’offrait aux siens que deux solutions, tout le monde dehors, sur la colline, à la végétation plus désertique que dans les steppes de l’Ouralou tout le monde dans la cave, à retenir sa respiration entre deux bombardements et à dompter une claustrophobie naissante. Fuir, parfois, c’était vital. L’exode n’avait pas eu lieu en voiture, mais à vélo, avec la petite dernière dans le porte-bagages. Au retour, la maison avait été pillée, et pas par les allemands. De cette époque, les filles avaient gardé une peur bleue du bruit que faisaient les avions en approches. Jamais bon signe les avions. Même les fusées tirées le 14 juillet leur flanquaient la frousse. Et ce serait ainsi toute leur vie. – S’il n’y avait pas eu la libération, Lulu, on l’aurait perdu, dirait sa mère. Très nerveuse, Lulu, c’était dans sa nature. Elle parlait peu, pas des années de guerre en tout cas. Jean non plus. La guerre, pour lui, cela avait été l’Allemagne, le stalag, puis la liberté retrouvée, l’euphorie de la libération. Et une nouvelle qui avait éclipsé toutes les autres : sa sœur avait eu un bébé, Annie, et lui demandait d’être le parrain. – Annie-France, je veux que tu l’appelles Annie-France. Elle est née le 6 juin 1944, non ? Il devait reconnaître que cela valait le coup de ramer, parce qu’il l’épouserait, sa Lulu, en octobre 1948, dans une atmosphère de joie : Lulu, majestueuse dans sa robe blanche, entourée de son frère né pendant la guerre et de ses cinq sœurs. Neuf mois plus tard, naitrait leur fille. Et vous savez ce que belle-maman trouverait à dire ?
– Je suis ravie de venir te voir à la maternité, Lulu. La prochaine fois, ce sera ton tour de venir me voir. Jean, vous voudrez bien être le parrain ?