Le Glacis de Monique Rivet


Quatrième de couverture (extraits) :

Le Glacis, au nord de la ville, c’était une grande avenue plantée d’acacias qui séparait la ville européenne de la ville indigène. Une frontière non officielle, franchie par qui voulait et gravée pourtant dans les esprits de tous comme une limite incontestable, naturelle, pour ainsi dire, à l’instar d’une rivière ou d’une orée de forêt.
Le temps où j’ai habité la ville était le temps de cette violence. Le temps de ce que le langage officiel déguisait d’un intitulé pudique : les “événements”, quand l’homme de la rue disait : la guerre. La guerre d’Algérie. Ce pays, je ne lui appartenais pas, je m’y trouvais par hasard. J’y étais de guingois avec tout, choses et gens, frappée d’une frilosité à fleur de peau, incapable d’adhérer à aucun des mouvements qui s’y affrontaient. Cette guerre, je ne la reconnaissais pas, elle n’était pas la mienne. Je la repoussais de toutes mes forces. Si j’avais eu à la faire… – s’il avait fallu que je la fasse, aurais-je pu la faire aux côtés des miens ?


Mon avis :

Laure a 25 ans. Elle est professeur de lettres. Elle a été envoyée en Algérie parce qu’il y avait un poste à pourvoir au lycée français. Elle n’avait pas le choix mais s’attache à ses jeunes élèves. Elle termine une liaison amoureuse avec un avocat, et se lie intimement avec Felipe, un immigré espagnol, sans jamais s’engager réellement.

Nous sommes au milieu des années cinquante, au milieu des événements, de cette guerre qui ne veut pas dire son nom. Laure est insouciante, elle ne voit pas, elle ne comprend pas qu’elle n’est plus au Quartier Latin, et que les belles idées qui y sont professées, si elles restent belles, ne sont pas à dire dans cette ville coupée en deux. Le Glacis est cette démarcation bien réelle entre la ville européenne et le village indigène. Impossible d’aller de l’un à l’autre sans suspicion, sans délation. La haine (racisme, antisémitisme) ne prend même pas la peine de se dissimuler. Il suffit d’un rien pour qu’elle éclate et que la violence se déchaîne.

J’ai pensé, maintes fois, que l’action aurait pu se passer dans un village français, pendant la seconde guerre mondiale, tant les attitudes étaient les mêmes, tels ces gens bien pensants qui mettent discrètement à l’écart les jeunes filles « indigènes » du lycée français, telles ces boutiques que les français pillent avec bonne conscience, sans se soucier de devenir l’ennemi intime de ceux qu’ils volent. Laure assiste à ce qui se passe mais, pour raconter la violence, sans pathos ni complaisance, elle abandonne le « je » pour adopter une tournure plus impersonnelle, mettant ainsi les deux camps à égalité dans leurs débordements.

Je ne voudrai pas non plus que vous pensiez que Laure est une passionnaria. Non : sa naïveté, sa légèreté l’empêchent de prendre conscience de la gravité des gaffes qu’elle commet. Ce n’est que peu à peu qu’elle se rend compte que son insouciance n’a pas droit de cité à El-Djond. S’aveugle-t-elle, elle dont le père est mort en déportation ? Est-elle trop égoïste pour s’engager dans un camp ou dans un autre ? Elle voit, pourtant, certains faits, et jusqu’au bout, refusera de voir les risques qu’elle prend ou qu’elle fait courir. Son départ (son expulsion serais-je tenté de dire)

Beaucoup de personnages dans ce court roman, écrit dans les années cinquante et publié en 2012 parce que la guerre qui ne dit pas son nom a enfin droit de cité. Ces brèves rencontres nous montrent toutes les facettes, les contradictions de ces gens qui, contrairement à Laure, ont du choisir leur camp.

Une belle lecture dans le cadre du Prix Océans.

9 réflexions sur “Le Glacis de Monique Rivet

  1. Etant née dans ce pays pendant cette guerre (et pas forcément du bon côté), ces lectures me font toujours un choc, donc j’évite mais je ne fuis pas non plus quand l’occasion se présente, je note !!! Ton billet m’est passé partout !!!

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