Le Ghetto intérieur de Santiago H. Amigorena

Présentation de l’éditeur :

Buenos-Aires, 1940. Des amis juifs, exilés, se retrouvent au café. Une question : que se passe-t-il dans cette Europe qu’ils ont fuie en bateau quelques années plus tôt ? Difficile d’interpréter les rares nouvelles. Vicente Rosenberg est l’un d’entre eux, il a épousé Rosita en Argentine. Ils auront trois enfants. Mais Vicente pense surtout à sa mère qui est restée en Pologne, à Varsovie. Que devient-elle ? Elle lui écrit une dizaine de lettres auxquelles il ne répond pas toujours. Dans l’une d’elles, il peut lire : « Tu as peut-être entendu parler du grand mur que les Allemands ont construit. Heureusement la rue Sienna est restée à l’intérieur, ce qui est une chance, car sinon on aurait été obligés de déménager. » Ce sera le ghetto de Varsovie. Elle mourra déportée dans le camp de Treblinka II. C’était l’arrière-grand-mère de l’auteur.

Mon avis :

Je n’ai pas choisi. J’ai lu ce livre samedi 26 octobre (jour anniversaire personnel) et quand je l’ai commencé, je ne me suis pas dit, je n’ai pas pensé un seul instant que je me laisserai happer à ce point par cette lecture.

Je n’ai pas envie de penser ce billet en professeur de lettres, moi qui ai parfois l’impression d’enchaîner les livres liés à une même thématique – ici, la seconde guerre mondiale et la déportation. Alors, je commencerai par la fin, avec ce que l’auteur a appelé la « justification » – ou pourquoi il avait écrit ce livre sur l’histoire de ses grands-parents. Pour moi, il n’avait pas à se justifier – d’ailleurs, qui peut bien le demander ? Les critiques, les lecteurs ? Lire est un choix, écrire aussi. Peut-être l’a-t-il écrit aussi parce que l’on demande très souvent à des descendants de déportés (enfin, à moi c’est arrivé souvent) pourquoi ? Pourquoi avoir été envoyés dans un camp (de travail, dans le cas de mes grands-parents) ? Pourquoi ne pas être retournés en Pologne ? (parce que ce pays n’avait pas su les protéger) Pourquoi être venu en France (parce qu’ils ont voulu faire une pause avant de gagner les Etats-Unis, et finalement, ils sont restés). Contrairement à Santiago H. Amigorena et bien que j’ai été encouragée à le faire, je n’écrirai jamais l’histoire de mes grands-parents autrement qu’en quelques phrases, parce qu’ils avaient choisi le silence.

Mais je reviens à ce récit profondément émouvant. Vicente a quitté la Pologne il y a treize ans déjà, au moment où la guerre éclate. Sa mère, son frère, sa belle-soeur, son neveu sont toujours à Varsovie. Il est marié, à une jeune femme qu’il aime profondément, Rosita, ils ont trois enfants. Les parents de Rosita ont eux-mêmes fui les progroms russes. Les lettres de Gustawa lui arrivent encore, au compte-goutte, et si le ghetto de Varsovie s’est construit, Vicente, lui, vivra désormais dans un ghetto intérieur, il n’est plus capable de ressentir quoi que ce soit, il ne veut plus savoir non plus, puis il veut savoir, espérer encore, croire, tout au long de ses années de guerre, que sa mère, son frère, sont vivants. Il a beau essayer d’imaginer le pire, tel que sa mère le lui écrit dans les rares lettres qui lui parviennent, et la vérité, il la découvrira, comme le monde entier à la libération des camps. Tandis que nous suivons cette non-vie de Vicente, que ses amis, sa femme, essaie pourtant de relier au monde, sont narrés parallèlement la mise en place de la « solution finale » par les allemands, en une chronologie rigoureusement définie. Où l’on découvre, aussi, qu’un article avait été écrit sur les camps dès 1942 et que personne n’a relayé cet article – qui laissait ses rares lecteurs incrédules.

Il est question aussi de définir ce que c’est qu’être juif. Ce questionnement, c’était celui des nazis : Est-ce qu’un Juif qui n’est pas croyant est aussi juif qu’un Juif qui a la foi ? . C’est aussi celui de Vicente et de ses amis, eux qui ne se sentent pas croyants, mais qui sont amenés à se définir face à ce qu’on leur renvoie aussi : L’une des choses les plus terribles de l’antisémitisme est de ne pas permettre à certains hommes et à certaines femmes de cesser de se penser comme juifs, c’est de les confiner dans cette identité au-delà de leur volonté – c’est de décider, définitivement, qui ils sont. 

Ce n’est pas un souffle romanesque qui parcourt ce texte, c’est la nécessité de parler, de transmettre, de dire ce que Vicente n’a pu dire, n’a pu partager. Je ne parlerai pas de secrets de famille, ce serait peut-être un peu lourd de m’exprimer ainsi, mais j’ai eu le sentiment que l’auteur avait eu besoin à la fois de se délester d’un poids et de transmettre cette histoire. Alors, que vous lisiez ou pas ce livre, je ne peux que vous encourager à transmettre, vous aussi, ces histoires de votre famille.

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