Archive | 2 mars 2023

Gris comme le coeur des indifférents par Pascaline Nolot

édition Scrineo – 112 pages
Livre lu, en avant-première, les 5 et 6 janvier 2023.
Merci aux éditions Scrineo et à Netgalley pour leur confiance.
Présentation de l’éditeur :

Hier, Papa a frappé Maman.
C’était un jour banal, plombé seulement par la couleur du ciel et les hurlements. Un jour gris. Gris comme le cœur des indifférents.
Un roman bouleversant, à propos des violences faites aux femmes.

Mon avis :

Magnifique, tout simplement.
Mon premier coup de coeur de l’année.
Un livre que j’aurai aimé pouvoir lire d’une traite, mais que les obligations de la vie m’ont contrainte à lire… en deux fois. Parce que c’est un livre vraiment fort, un livre à lire, à faire lire, à partager.
Un livre affreusement contemporain, et en même temps intemporel.
Pourquoi ? Parce que le problème dont il traite – les femmes battues par leur conjoint – a toujours existé. Parce que les réactions de chacun des protagonistes sont malheureusement possibles, crédibles, et, en ce qui concernent certains d’entre eux, tout aussi intemporels, et révoltants.
Oui, il existe des personnes qui essaient, comme M. Bilici, qui tendent la main, qui font ce qu’ils peuvent, à leur mesure, et qui ne font pas cela pour eux, pour montrer à tous à quel point ils sont bons, héroïques même, mais pour les autres, celles et ceux dont ils ont su détecter la souffrance L’on me dira qu’il faut savoir repérer les signes. Je répondrai que certains sont vraiment très visibles, très audibles, et trop de personnes encore sont exactement comme ceux qui sont désignés dans le titre : indifférents.
Le terme « déconstruire » fait sourire, et pourtant, il en est, des conditionnements, qu’il faut déconstruire. Je ne parle pas de Lyra, le personnage principal, narratrice, témoin de ce qu’a enduré sa mère, témoin de ce qu’a fait son père pendant toutes ses années, victime collatérale, tout comme ses deux frères, de cette violence. Les enfants sont trop souvent les oubliés, et pourtant, nous pouvons lire dans ce roman les situations, toujours répétées, toujours revécues.
Je pense à tout ceux qui pensent que cela ne les regarde pas, que c’est tout simplement une querelle de couple « ordinaire », dans laquelle les deux membres du couple seraient parfaitement à égalité. Je pense à ceux qui croient que c’est sa faute, à elle qu’elle l’avait mérité – pour eux – parce qu’elle n’aurait pas dû se mettre avec lui. Je pense à ceux qui trouvent que la jalousie est normale. Je pense aussi, parce qu’une oeuvre d’art est aussi politique, que c’est au gouvernement d’agir – et non de se contenter de parler.
Je pourrai tout énumérer, et ce serait passer à côté des qualités littéraires de ce roman, de cette tragédie que Lyra revit, dans le couloir de l’hôpital – autant de retour en arrière, autant de douleur, pas de joie, pas de jours heureux. Je pense à son envie d’une autre vie, une envie de pouvoir faire confiance, aussi. Lyra aime la littérature, comme sa mère l’aimait, mais elle ne s’embarrasse pas de figures de style, de fioritures pour nous raconter ce qu’elle a vécu. Son récit est réaliste, précis, parce que rien n’est joli dans les violences conjugales. Alors oui, il lui faudra du temps pour tout nous dire, pour tout nous raconter. Elle le fera, avec des mots simples, nets, précis. Parce que déconstruire, c’est cela aussi : ne plus parer les violences conjugales de jolis mots, de belles métaphore qui ont contribué pendant des siècles à les rendre acceptables au nom de ce que certains appellent l’amour, mais ne l’est pas.
Un tel livre peut-il être lu par un enfant, un adolescent qui a été témoin de ses violences ? Oui, sans hésitation.

Parfois j’aimerais que ma vie ressemble à une comédie musicale de Taï-Marc Le Thanh

Présentation de l’éditeur :

C’est l’histoire de Maxence, un adolescent atteint du syndrome de la Tourette, Cette maladie nerveuse étrange qui se manifeste par des tics et le surgissement incongru de mots grossiers dans le flux de paroles. Maxence est beau, a des envies et des pulsions des garçons de son âge, va au lycée, apprend le chant (une passion communiquée par son père, féru de comédies musicales). Mais, pour surmonter son handicap et faire face à l’hostilité du monde, il a une fâcheuse tendance à mentir…
Merci aux éditions Acte Sud et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis : 

C’est LE moment où je commence à rédiger et où je crains d’être en deçà de la vérité, c’est à dire de l’émotion ressentie et de la complexité de ce roman. tout d’abord, complexité ne veut pas dire difficulté insoluble à être lu. Simplement, ce roman se montre bluffant, tant par les thèmes qu’il aborde que par sa construction.

Le narrateur, c’est Maxence, que tout le monde appelle Max. Il est atteint du syndrome de la Tourette, une maladie dont on ne parle pas vraiment. Max aspire pourtant à vivre la vie d’un adolescent de son âge, ce que complique fortement sa maladie. Ce qui va l’aider ? Sa passion pour la comédie musicale, sa volonté de prendre des cours de chant, et, qui sait ? de participer à des concours.

Stop, temps mort ! L’on pouvait le voir venir, un roman qui nous montrerait le dépassement de soi, la maladie vaincue par le chant, etc, etc… Ce serait tellement simple.  Ce serait oublié – aussi – à quel point l’on peut vivre dans une société du spectacle, cynique, prête à exploiter tout ce qui est exploitable. Si ce n’est que Max a une très grande lucidité. Si ce n’est aussi que le coeur de cette histoire, ce n’est pas le chant, c’est l’amour que les membres de cette famille se porte. Max est malade, Max ment, parfois, parce qu’il veut protéger son père. Cela n’empêche pas son père de se rendre compte que Max lui ment et d’avoir la politesse de ne pas le lui reprocher. C’est aussi l’oncle de Max, proche de son frère (le père de Max, donc), prêt à prendre le relais si nécessaire, avec la même bienveillance : être papa solo n’est jamais facile, avoir un proche qui vous permet de souffler est important. Souffler, aider, sans jamais juger. Et ne pas juger, c’est aussi ce que fait Olive, le meilleur ami de Max, qui a lui aussi son lot de soucis, mais sait pourtant être là quand il le peut  – parce qu’il est impossible d’être toujours là – pour son meilleur ami.

Oeuvre forte, oui, qui est aussi une mise en abîme de la création littéraire, comme l’on peut le voir avec le père de Max, romancier, qui communique à son fils ses textes en avant-première, fils qui essaiera aussi d’écrire à son tour, fils qui fait déjà un travail d’écriture en réinventant sa réalité.