Archive | 11 Mai 2024

Une sale affaire de Virgine Linhart

Présentation de l’éditeur :

« Ce livre est le récit d’un procès littéraire et des interrogations qu’il a fait naître en moi. Intentée par ma mère et mon ex-compagnon, la procédure visait à empêcher la parution de mon précédent ouvrage, L’Effet maternel. Depuis le jugement et la publication de L’Effet maternel, quatre ans se sont écoulés. Et je n’ai cessé de m’interroger sur l’écriture autobiographique. A qui appartient l’histoire ? C’est à cette question que tente de répondre Une sale affaire. »

Mon avis : 

J’ai entendu parler pour la première fois de ce livre en écoutant France info, l’autrice revenait en effet sur la parution de son livre L’effet maternel, et le procès attenté par sa mère et son ex-compagnon. J’avais été curieuse, oui, mais je ne me voyais pas lire ce livre. Comme souvent avec ces sujets « forts » (je pense au Consentement de Vanessa Springora ou à la familia Grande de Camille Kouchner, que l’autrice cite dans son récit), c’est un ami qui m’a prêté cet ouvrage. Je l’ai lu d’une traite cet après-midi, alors que je n’étais pas très en forme, entourée par les tous petits chatons très occupés, Annunziata préférant faire la sieste ailleurs. Voilà pour le contexte.

L’autre contexte, c’est que l’autrice parle des répercussions de mai 68 sur sa famille et leurs proches, l’ultra-sexualisation qu’il en a découlé – dans son milieu. Dans celui de mes parents, cela fut différent. L’engagement politique, oui. Mais s’il est un événement qui a changé les années 70 du tout au tout pour eux, pour toute la famille en fait, c’est la mort de la soeur presque jumelle de ma mère, à l’âge de 23 ans, d’une crise cardiaque. Quelques mois plus tôt, c’était le mari de la soeur aînée de ma mère qui mourrait d’une crise cardiaque, à l’âge de 42 ans – 36 ans, veuve avec six enfants, il est des sujets qui vous passent très haut au-dessus de la tête. Oui, je révèle des événements de leur vie privée, mais je n’ai cité ni leurs prénoms, ni leurs noms de famille, ni leur profession. Et c’est important, comme le découvrira Virginie Linhart.

Ce que je retiens de ce livre ? La dignité. De cette femme, de sa fille aînée, Lune, de ces avocats aussi, brillants et justes, des éditions Flammarion également, qui l’ont soutenu sans condition. Ce procès pose en effet une question simple, celle de la création artistique. Il est impossible de rédiger une autobiographie sans parler des membres de sa famille, même si l’on parle avant tout de soi : petite fille qui a grandi dans les années 70, jeune femme abandonnée, jeune mère qui élève seule sa fille. Ce qui me touche, dans la littérature, c’est quand se parler de soi nous parle d’une époque, trouve des échos dans d’autres vies que la sienne. Combien de jeunes femmes se retrouvent abandonnées en cours de grossesse ? Trop. Combien de belle-mère reste amie vingt ans durant avec l’ex de leur fille, qui n’a jamais souhaité rencontré sa propre fille, au point d’attenter un procès conjointement avec lui pour non respect de la vie privée ? A mon avis, seulement la mère de Virginie Linhart.

L’autrice raconte son besoin viscérale de dire, d’écrire, cette nécessité aussi d’écrire sans parler de ses projets à ses proches, de constater qu’elle n’est pas la seule écrivaine à ne pas parler de ses projets. Si l’on en parle, écrit-on toujours ? Je n’ai pas la réponse. Ce que je pense, en revanche, est que l’accident dont a été victime la jeune femme juste après le procès est lié à toutes les tensions, toutes les douleurs accumulées au cours de ces mois.

Un livre qui nous interroge sur la création littéraire, sur la place que la justice prend parfois dans la création littéraire, sur le fait aussi qu’il est extrêmement rare, de nos jours, qu’un livre soit interdit ou expurgé sur demande d’un tiers.

Les mystères de soeur Juana, tome 1 : Mort au couvent d’Oscar de Muriel

Présentation de l’éditeur : 

Notre Père qui êtes aux cieux, délivrez-nous du mal…
Mexico, Nouvelle-Espagne, XVIIe siècle. Quelqu’un – ou quelque chose – a pris possession du couvent de San Jerónimo. Religieuses et servantes sont retrouvées sacrifiées sur l’autel selon des rituels précolombiens sanguinaires, et la suspicion règne. Nulle n’y échappe. Car dans cette enceinte retirée du monde, entre fornication, autoflagellation et cauchemars blasphématoires, le péché est partout…
Alina, jeune novice insolente et rebelle, vient de prendre le voile. Au côté de Matea, sa fidèle domestique indigène, la voilà qui s’allie à sœur Juana, excentrique femme de lettres, pour trouver le coupable. Entre prières, lectures, leçons de cuisine et chocolats chauds, le trio mène l’enquête. Mais dehors, l’Inquisition est déjà en chemin et compte bien couper le mal à la racine…

Préambule :

Nous sommes aujourd’hui le 11 mai. Mon grand-père maternel est né le 11 mai. Il était profondément anticlérical. Moi aussi.

Mon avis :

Nous sommes au Mexique, au XVIIe siècle, et croyez-moi, cela a son importance. Nous avons beau être au Mexique, ceux qui détiennent le pouvoir, ce sont les espagnols. J’admets avoir fait un saut du coq à l’âne et avoir pensé à la Californie de Zorro, à ses nobles qui envoient leurs rejetons étudier en Espagne, au poids (plus discret) de ce pays. Ici, il n’en est rien : l’Espagne décide, l’Espagne envoie l’inquisition (et pour tous ceux qui emploient ce terme à tort et à travers, renseignez-vous sur ce qu’était vraiment l’Inquisition).

J’anticipe ? Un peu. Pas tant que cela. Nous sommes plongés dans une situation déjà bien compliquée au début du roman, des morts suspectes ont eu lieu, le couvent est tout sauf le havre de paix qu’il devrait être. Aussi, quand Alina prend le voile contre son gré (combien de jeunes filles y ont été contraintes ?), elle découvre non seulement les règles du couvent qu’elle doit intégrer très vite sous peine de pénitence, mais aussi des silences qui en disent plus longs que les paroles. Parce que les soeurs ne peuvent parler, ne peuvent dire l’horreur qu’elles ont vécu, ne peuvent dire non plus les cauchemars que certains font, très régulièrement. Que se passe-t-il dans le couvent  de San Jerónimo ? Que se passe-t-il réellement ?

Une des soeurs, pourtant, retient l’attention d’Alina, devenue soeur Elena : soeur Juana. Elle a réellement existé. Elle était réellement autrice, une des rares voix de femmes qui est parvenue à s’exprimer à cette époque. Elle est excentrique, c’est à dire qu’elle aime lire, qu’elle aime se cultiver, qu’elle aime expérimenter – autant dire qu’elle suscite l’horreur chez les plus conservatrices des soeurs. Pourtant, la vie au couvent pourrait presque être agréable : l’on y mange très bien ! Ce n’est pas grâce à la soeur chargée de la cuisine, non. Ce sont toutes les domestiques qui veillent en cuisine, toutes celles qui n’appartiennent pas à la même classe sociale, c’est à dire les indigènes, les métisses, les noires, toutes celles qui n’auront jamais le droit de devenir religieuse, à cause de leur naissance. Oui, les espagnols ont fait main basse sur leurs terres et les ont réduits au silence. Ils leur ont aussi interdit de pratiquer leur religion. Pourtant, ce qui se passe dans le couvent de San Jerónimo ressemble fortement aux rites qui étaient pratiqués auparavant. Que se passe-t-il donc ?

Juana, Alina et Matea, sa domestique indigène, elle qui pour la première fois de sa vie dort dans un lit et mange à sa faim, mènent donc l’enquête. Ce n’est pas facile parce que, clairement, leurs vies sont en jeu – leurs vies, et plus encore. En survolant certains critiques, j’ai découvert que des lecteurs étaient étonnés par les châtiments corporels que s’affligeaient certaines religieuses. Pour ma part, je l’ai su très tôt (avantage d’avoir grandi dans une famille qui n’était pas anticléricale par accident), et si je ne l’avais pas su, notre professeur de français nous en avait parlé en 4e – ne pas se contenter d’enseigner l’orthographe, la grammaire et la conjugaison était important pour lui. De même, le caractère inquisiteur des prêtres confesseurs ne m’a pas surpris plus que cela – je me demande ce qu’est devenu cet étudiant qui collectionnait les livres religieux du XIXe siècle, dont les manuels de confession, je me demande aussi si, depuis les années soixante, les pratiques ont évolué (à Rouen, en tout cas, il est toujours possible de se confesser).

Ai-je besoin de dire que ce que les trois femmes découvriront n’est pas joli-joli ? Je ne crois pas. Mais pouvait-on en douter ? L’épilogue nous montre les « changements » qui ont eu lieu dans la communauté après la résolution de l’enquête. J’aimerai bien que la bibliothèque municipale acquière le tome 2, voire le 3 de cette série.