Archive | 6 mars 2020

De l’autre côté de la frontière de Jean-Luc Fromental

Présentation de l’éditeur :

Auteur de romans policiers, François Combe se rend en compagnie de Kay, sa secrétaire, au Cielito Lindo, établissement des quartiers chauds de Nogales, la ville frontière entre le Mexique et les USA, afin de s’y « documenter » auprès de Raquel, une jeune prostituée. Ils tombent sur Jed Peterson, un ami du romancier, qui se montre très intéressé par la jeune fille. La même nuit, cette dernière est sauvagement assassinée. Qui a tué ?
Librement inspiré du séjour que l’écrivain Georges Simenon effectua en 1948 dans la Santa Cruz Valley, terrain de jeu des riches et des puissants, ce thriller reflète avec brio l’atmosphère tendue et inégalitaire qui y régnait.

Merci aux éditions Dargaud et à Netgalley pour ce partenariat.

Mon avis :

Toute ressemblance avec un célèbre écrivain belge parti vivre aux Etats-Unis avec sa femme et sa secrétaire ne serait que pure coïncidence. François vit aux Etats-Unis, mais la frontière, cette célèbre frontière que l’on voudrait rendre infranchissable, est toute proche. Une femme est tuée – une mexicaine, une prostituée. Une deuxième est tuée à son tour, et là, la police tient un coupable (pour suspect, vous oublierez) : Jed, le meilleur ami américain de François. François, bien sûr, ne croit pas que son ami puisse être coupable. Il enquête donc, lui qui doit sa fortune et sa renommée à ses romans policiers, il ne peut laisser condamner un homme innocent, et peut-être un peu trop naïf.

Pour cela, François en apprenti détective, emmène dans cette galère Estrellita. Non, ce n’est pas sa secrétaire, c’est sa jeune domestique mexicaine, qui ne sait que trop, hélas, à quel point la situation d’une jeune femme peut être précaire. Elle est domestique, elle a de la chance par rapport à sa cousine et à ses amies, qui ont trouvé d’autres moyens de gagner leur vie, plus dangereux. Je m’étonne presque que l’affaire ait été résolue – oui, très facilement, la police ayant arrêté le premier coupable venu – parce que, d’habitude, la mort d’une ou même de plusieurs prostituées n’inquiète pas beaucoup les autorités. L’une d’entre elles le dira d’ailleurs : Les fédérales en ont rien à foutre des filles comme nous qui se font couper en morceaux, bambi. 

Les couleurs sont fortes, violentes, les dessins des violences subies par ces femmes crus, sanglants. Je me suis prise à détester celui qui leur avait fait subir toutes ses atrocités, tout en étant persuadée que ce n’était pas Jed, le trop lunaire, et ma fois sympathique suspect. Tous semblent taillés dans les rochers, exprimant peu de sentiments, comme si la vie les avait forcés à se blinder par rapport à ce qu’ils avaient vécu – ou tout simplement parce qu’ils sont indifférents : les victimes sont celles qui n’ont plus rien à cacher, et expriment toute leur douleur.

Je serai franche : je n’avais pas vu venir le dénouement. Il faut dire que les indices pour nous mener jusqu’à lui étaient rares. J’ai cependant, à nouveau, ressenti un sentiment de gâchis, pour les victimes, y compris les victimes collatérales. C’est dire, finalement, à quel point moi qui lis peu de bandes dessinées, me suit attachée à ce récit et à ses personnages.

 

Toute la violence des hommes de Paul Colize

Merci à Be polar et à HC éditions pour ce partenariat.

Présentation de l’éditeur :

Une jeune femme est retrouvée dans son appartement bruxellois, tuée de plusieurs coups de couteau. Tout accuse Nikola Stankovic, artiste marginal, dernière personne que la victime a appelée avant sa mort. Il apparaît sur les caméras de surveillance juste après le meurtre, la police retrouve ses vêtements maculés de sang et découvre des croquis de la scène de crime dans son atelier.

Sous ses airs d’enfant perdu, Niko est un graffeur de génie que la presse a surnommé le Funambule après l’apparition d’une série de fresques anonymes ultra-violentes dans les rues de la capitale. Muré dans le silence, sous surveillance psychiatrique, le jeune homme nie tout en bloc. Pour seule ligne de défense, il ne répète qu’une phrase : « c’est pas moi ».

Mon avis :

La guerre en ex-Yougoslavie, en avez-vous entendu parler ? Si vous êtes de ma génération, oui, sans doute, vous en avez entendu parler alors que vous étiez au collège. Peut-être même vous êtes vous étonnés que les américains, auto-proclamés sauveurs du monde, ne soient pas intervenus là-bas. L’ONU pas vraiment non plus, d’ailleurs. Ah, oui : il n’y avait pas de pétrole. Paul Colize nous en (re)parle dans ce roman, à travers le personnage de Nikola Stankovic, graffeur de son état, et surtout, unique suspect d’un meurtre sordide.

Je ne sais même pas pourquoi j’utilise le mot « suspect » : mis à part son avocat, tout le monde le croit coupable. La presse s’en est donnée à cœur joie, au mépris de ce que l’on appelle la présomption d’innocence. Le seul fait sur lequel police et justice débattent, c’est de savoir si oui ou non Niko est responsable de ses actes. A se demander aussi comment l’on a pu penser passer de la recherche d’un coupable au fait qu’il soit décrété pour tous coupable. Ce ne sont pas là les méandres de la justice, ce sont plutôt ses idées fixes, qui emmènent les justiciables droits dans les murs. Les murs du palais de justice, les murs de la prison, les murs de l’hôpital psychiatrique qui se referme inexorablement sur Nikola.

J’ai connu Paul Colize grâce à un roman bourré d’humour L’avocat, le nain et la princesse masquée. Je découvre ici un auteur d’une rare noirceur. Il expose sans fard ce qui attend ceux qui ont le malheur d’être internés. Leur avenir ? Entre quatre murs, dans une camisole chimique. La thérapie par la parole ? Cela dépend qui la pratique. Un retour à une vie en dehors des murs ? Prévoir quelques années, au mieux. Une quelconque liberté entre les murs ? Pas vraiment. Il faut dire que certains patients doivent être isolés, tels des bombes humaines qui ne demandent qu’à exploser – comment en sont-ils arrivés là ? Comment la société en est-elle arrivée là ? L’auteur n’apportera pas de réponses pour eux, il nous amènera pourtant à nous interroger face à cet état des lieux désastreux. Il nous montrera cependant comment Nikola en est arrivé là – dans cet établissement. C’est encore, aussi, une question de murs.

Nikola est graffeur, un excellent graffeur, même. Attention : pas un artiste consensuel et « joli », un artiste qui veut être vu et qui choque ceux qui voient son œuvre, en respect pour cet homme qui a pris des risques insensés et dégoût profond. Un véritable artiste ne suscite pas l’indifférence, il nous interroge. Ses oeuvres, qu’elles soient recouvertes ou non, font partie de la vie, du paysage urbain de ceux qui l’auront vu. Lui transpose, finalement, les tourments qui sont les siens depuis des années, tout ce qu’il a vu de la face sombre de l’humanité, donnant à voir que la violence est toujours là, quoi que l’on en dise.

Toute la violence des hommes est un roman particulièrement prenant, riche de sens et de questionnement.