Mon avis :
Antigone est une pièce de théâtre qui, de nos jours, est étudiée par beaucoup d’élèves de 3e. Le seul souci, pour moi, est le découpage que subit l’oeuvre. Il est mieux, dans la mesure du possible de voir la tragédie, de saisir ainsi son mouvement, plutôt que d’en analyser des scènes jugées plus importantes que d’autres. A ce sujet, les manuels s’arrêtent souvent à la confrontation Antigone/Créon – et encore, en extraits – oubliant le dénouement, et Créon, s’en allant présider le conseil, comme si de rien n’était.
Avant Anouilh, Cocteau avait repris le mythe d’Antigone, dans une version très différente, plus proche de celle de Sophocle. Le contexte historique n’était pas le même. Ecrire cette version d’Antigone était un acte de résistance, quoi que certains puissent dire, quoi que certains puissent penser – pour ma part, je ne pense pas que Jean Anouilh était du côté de Créon !
A cause d’Antigone, ils ne sont plus tranquilles. Qui, « ils » ? Les Thébains, Créon, les princes étrangers alliés à Polynice, tout le monde en fait, tout ceux qui vivaient bien tranquilles dans la France occupée, et vivaient de petits trafics, s’entendant assez bien avec l’occupant. Et il a fallu que quelqu’un résiste, que quelqu’un s’oppose en transgressant les lois de Créon. S’il ne dit pas, comme un célèbre monarque : « l’Etat, c’est moi », la loi, c’est lui, c’est tellement lui qu’il ne peut modifier celle qu’il a faite passer. Il a besoin de « faire un exemple » avec Antigone, avec Polynice. Être roi est un métier, qu’il faut bien que quelqu’un fasse, selon lui. Gouverner justifie tout, tant que l’ordre règne. Il n’est pas un père pour ses sujets, il n’est même plus un père pour son propre fils, tant la fonction a effacé tout le reste.
Mais je parle de Créon, et j’oublie Antigone. C’est sur elle et sur l’actrice qui l’interprête que repose tout la pièce. Elle est au début définie par la négative. Elle, la noiraude, est aimée d’Hémon, alors que la belle Ismène n’a pas su le séduire. Elle est maigre – donc pas tout à fait apte à faire de beaux enfants. Ce trait nous renvoie à tout un pan de croyance médicale et de littérature (cf : La joie de vivre d’Emile Zola). Créon fait ce qu’il croit être bon, Antigone fait ce qu’elle peut – et c’est déjà beaucoup.
Antigone me fait penser à l’Alouette, autre personnage de Jean Anouilh qui vit à une période charnière. Elle aussi aurait aimé vivre. Mais, pas plus qu’on imagine Jeanne mariée, avec des enfants, on ne peut imaginer Antigone mener une vie ordinaire, avec Hémon devenu aussi « sage » que son père ? Non, je ne le crois pas. Antigone, c’est aussi le refus d’une certaine idée du bonheur, faite de (fausse) quiétude et de concessions.
Antigone, ou une oeuvre toujours d’actualité.
Merci pour ce petit billet… et cette analyse très fine, dont j’aime tous les mots. 😉
Tu en parles très très bien, vraiment. C’est une oeuvre que j’aimais beaucoup, j’ai eu la chance de la voir jouer deux fois dont une à la Comédie Française et c’est vrai que les affres d’Antigone peuvent être très actuelles…. 😉 Bravo ! Créon est un rôle en or pour un homme…
Je l’ai étudiée en 3e (avec une prof exceptionnelle) et c’est un peu grâce à Antigone – et d’autres, ensuite – que je me suis tourné vers des études de lettres… Ca fait longtemps que je ne l’ai pas relue, tu me donnes envie.
Très belle chronique, contrairement à beaucoup je ne l’ai pas étudié en 3ème et donc je ne l’ai encore jamais lu. Il va falloir qu’un jour je découvre cette pièce.
Une de mes pièces favorites (et pourtant, je ne suis pas fan de théâtre). Je ne me lasse pas de la lire, de l’étudier et de la faire étudier à mes vaillants 3e ^^